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Feuillets d’Hypnos

René Char


 


wikimedia

folio plus classiques ISBN 978-2-07-034379-9

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René Char, homme social et poète rentre en sommeil en même temps qu'en résistance. Les feuillets d'Hypnos sont la restitution poétique après guerre de cette parenthèse où lui comme d'autres a trouvé sa vérité et son trésor. Lucide sur la suite humaine, politique et historique de la résistance, il sait que la liberté et la vérité ne seront plus jamais !

Comme l'analysait Hannah ARENDT, celui qui « a épousé la Résistance, a découvert sa vérité », les résistants « avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître » !

De ce vide créé par la fin de la résistance où le résistant avait trouvé sa vérité et créé un espace public de liberté, Hannah ARENDT tire une autre analyse, à savoir la difficulté à penser aujourd'hui !

Plus de détails en fin de page et une note de lecture sur La crise de la culture d'Hannah Arendt.

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Extraits

Sélection de fragments des feuillets d’Hypnos, le numéro du feuillet précède l’extrait, trois points indiquent la coupure effectuée dans l’extrait d’un même feuillet. L’interprétation et la réécriture d’un feuillet sont en italique. Les mots en majuscules respectent l’original.

 

Feuillets d’Hypnos
1943-1944


À Albert Camus.

Hypnos saisit l’hiver et le vêtit de granit. L’hiver se fit sommeil et Hypnos devint feu. La suite appartient aux hommes.

30

Archiduc me confie qu’il a découvert sa vérité quand il a épousé la Résistance…

37

…Le génie de l’homme, qui pense avoir découvert les vérités formelles, accommode les vérités qui tuent en vérités qui autorisent à tuer…

38

…l’importance des idées reçues est extrêmement relative et qu’en fin de compte « l’affaire » est une affaire de vie et de mort et non de nuances à faire prévaloir au sein d’une civilisation dont le naufrage risque de ne pas laisser de trace sur l’océan de la destiné…

54 (en intégralité)

Étoile du mois de mai…
Chaque fois que je lève les yeux vers le ciel, la nausée écroule ma mâchoire. Je n’entends plus, montant de la fraîcheur de mes souterrains le gémir du plaisir, murmure de la femme entrouverte. Une cendre de cactus préhistorique fait voler mon désert en éclats ! Je ne suis plus capable de mourir…
Cyclone, cyclone, cyclone…

54

…Je n’entends plus, montant de la fraîcheur de mes souterrains le gémir du plaisir, murmure de la femme entrouverte…

54

…Je ne suis plus capable de mourir…

62 (en intégralité)

Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.

87 (en intégralité)

LS*, je vous remercie pour l'homodépôt Durance 12. Il entre en fonction dès cette nuit. Vous veillerez à ce que la jeune équipe affectée au terrain ne se laisse pas entraîner à apparaître trop souvent dans les rues de Duranceville. Filles et cafés dangereux plus d'une minute. Cependant ne tirez pas trop sur la bride. Je ne veux pas de mouchard dans l'équipe. Hors du réseau, qu'on ne communique pas. Stoppez vantardise. Vérifiez à deux sources corps renseignements. Tenez compte cinquante pour cent romanesque dans la plupart des cas. Apprenez à vos hommes à prêter attention, à rendre compte exactement, à savoir poser l'arithmétique des situations. Rassemblez les rumeurs et faites synthèse. Point de chute et boîte à lettres chez l'ami des blés. Éventualité opération Waffen, camp des étrangers, les Mées, avec débordement sur Juifs et Résistance. Républicains espagnols très en danger. Urgent que vous les préveniez. Quant à vous, évitez le combat. Homodépôt sacré. Si alerte, dispersez-vous. Sauf pour délivrer camarade capturé, ne donnez jamais à l'ennemi signe d'existence. Interceptez suspects. Je fais confiance à votre discernement. Le camp ne sera jamais montré. Il n'existe pas de camp, mais des charbonnières qui ne fument pas. Aucun linge d'étendu au passage des avions, et tous les hommes sous les arbres et dans le taillis. Personne ne viendra vous voir de ma part, l'ami des blés et le Nageur exceptés. Avec les hommes de l'équipe soyez rigoureux et attentionné. Amitié ouate discipline. Dans le travail, faites toujours quelques kilos de plus que chacun, sans en tirer orgueil. Mangez et fumez visiblement moins qu'eux. N'en préférez aucun à un autre.
N'admettez qu'un mensonge improvisé et gratuit. Qu'ils ne s'appellent pas de loin. Qu'ils tiennent leur corps et leur literie propres. Qu'ils apprennent à chanter bas et à ne pas siffler d'air obsédant, à dire telle qu'elle s'offre la vérité. La nuit, qu'ils marchent en bordure des sentiers. Suggérez les précautions; laissez-leur le mérite de les découvrir. Émulation excellente. Contrariez les habitudes monotones. Inspirez celles que vous ne voulez pas trop tôt voir mourir.
Enfin, aimez au même moment qu'eux les êtres qu'ils aiment. Additionnez, ne divisez pas. Tout va bien ici. Affections. HYPNOS.

* Pierre Zyngerman, alias Léon Saingermain.

97

Le poète rassemble le trésor éparpillé.


104 (en intégralité)

Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri.

109 (en intégralité)

Toute la masse d’arôme de ces fleurs pour rendre sereine la nuit qui tombe sur nos larmes.

117

Claude me dit : « …Du jour où je suis devenu "partisan", je n’ai plus été malheureux ni déçu… »…

124 (en intégralité)

LA-FRANCE-DES-CAVERNES

127

…L’homme d’un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs…

135

…Surtout ne pas entièrement leur supprimer ces sentiers pénibles, à l’effort desquels succède l’évidence de la vérité à travers pleurs et fruits.

145

Du bonheur qui n’est que de l’anxiété différée…

147 (en intégralité)

Serons-nous plus tard semblables à ces cratères où les volcans ne viennent plus et où l’herbe jaunit sur sa tige ?

157

note 1 mention manuscrite de Char, mai 1944, à propos de Roger G. (Émile Cavagni).
« Un être merveilleux, un arbre d’avant l’invention de la hache. »

166 (en intégralité)

Pour qu’un héritage soit réellement grand, il faut que la main du défunt ne se voie pas.

168

Résistance n’est qu’espérance…

169 (en intégralité)

La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil.

170 (en intégralité)

Les rares moments de liberté sont ceux durant lesquels l’inconscient se fait conscient et le conscient néant (ou verger fou).

175

…le papillon qui simule l’ivresse et agace les fleurs de ses hoquets silencieux…

178

…Prisonnier de Georges de La Tour…serre le cœur mais combien désaltère ! ...La femme explique, l’emmuré écoute…terrestre silhouette d’ange rouge…des mots qui portent immédiatement secours…
Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains.

189 (en intégralité)

Combien confondent révolte et humeur, filiation et inflorescence du sentiment. Mais aussitôt que la vérité trouve un ennemi à sa taille, elle dépose l’armure de l’ubiquité et se bat avec les ressources mêmes de sa condition. Elle est indicible la sensation de cette profondeur qui se volatilise en se concrétisant.

193

…Il faut beaucoup nous aimer, cette fois encore, respirer plus fort que le poumon du bourreau.

194

…ma voix d’encre…Nécessité de contrôler l’évidence, de la faire créature.

195 (en intégralité)

Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor, me reconduire jusqu’au principe du comportement le plus indigent comme au temps où je me cherchais sans jamais accéder à la prouesse, dans une insatisfaction nue, une connaissance à peine entrevue et une humilité questionneuse.

195

Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor…

197 (en intégralité)

Être du bond. N’être pas du festin, son épilogue.

206

…Et je demeure là comme une plante dans son sol bien que ma saison soit de nulle part.

219

…Insensiblement tu reprends conscience de ton âge (qui avait sauté du calendrier), de ce surcroît d’existence dont tes efforts vont faire un pont…

220

…Le mal partout déjà est en lutte avec son remède…On se précipitera dans l’oubli…

224

…aujourd’hui je m’endors pour vivre quelques heures.

227

L’homme est capable de faire ce qu’il est incapable d’imaginer…

237 (en intégralité)

Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté.

LA ROSE DE CHÊNE

…ô Beauté…s’associe à l’homme acharné à tromper son destin avec son contraire indomptable : l’espérance.

 

Fin des fragments.

 

Analyse d’ Hannah ARENDT

Comme l'analysait Hannah ARENDT, celui qui « a épousé la Résistance, a découvert sa vérité », les résistants « avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître » !

De ce vide créé par la fin de la résistance où le résistant avait trouvé sa vérité et créé un espace public de liberté, Hannah ARENDT tire une autre analyse, à savoir la difficulté à penser aujourd'hui !

Hannah ARENDT, La crise de la culture, Gallimard 1972, édition de poche Folio-Essais, ISBN : 978-2070325030

Extrait de la préface

« l'homme dans la pleine réalité de son être concret vit dans cette brèche du temps entre le passé et le futur.

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Ce petit non-espace-temps au cœur même du temps, contrairement au monde et à la culture où nous naissons, peut seulement être indiqué, mais ne peut être transmis ou hérité du passé ; chaque génération nouvelle et même tout être humain nouveau en tant qu'il s'insère lui-même entre un passé infini et un futur infini, doit le découvrir et le frayer laborieusement à nouveau.

Mais l'ennuyeux est que nous ne semblons ni équipés ni préparés pour cette activité de pensée, d'installation dans la brèche entre le passé et le futur. Pendant de très longues époques de notre histoire, en fait à travers les millénaires qui ont suivi la fondation de Rome et furent déterminés par des concepts romains, cette brèche fut comblée par ce que, depuis les Romains, nous avons appelé la tradition. Que cette tradition se soit usée avec l'avance de l'âge moderne n'est un secret pour personne. Lorsque le fil de la tradition se rompit finalement, la brèche entre le passé et le futur cessa d'être une condition particulière à la seule activité de la pensée et une expérience réservée au petit nombre de ceux qui faisaient de la pensée leur affaire essentielle. Elle devint une réalité tangible et un problème pour tous ; ce qui veut dire qu'elle devint un fait qui relevait du politique.

Kafka fait référence à l'expérience, l'expérience du combat acquise par «lui» qui tient ferme entre l'affrontement des vagues du passé et du futur. Cette expérience est une expérience de pensée - puisque, comme nous l'avons vu, toute la parabole a trait à un phénomène mental - et elle ne peut être acquise, comme toute expérience, que par la pratique, par des exercices. »

« Ce que Char avait prévu, clairement anticipé, tandis que le combat réel durait encore - « Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor » - était arrivé. Ils avaient perdu leur trésor.

Quel était ce trésor ? Tel qu’eux-mêmes le comprenaient, il semble qu’il ait consisté, pour ainsi dire, en deux parts étroitement liées : ils s’étaient aperçus que celui qui « a épousé la Résistance, a découvert sa vérité », qu’il cessait de se chercher « sans jamais accéder à la prouesse, dans une insatisfaction nue », qu’il ne se soupçonnait plus lui-même d’ « insincérité », d’être « un acteur de sa vie frondeur et soupçonneux », qu’il pouvait se permettre d’ « aller nu ». Dans cette nudité., dépouillés de tous les masques - de ceux que la société fait porter à ses membres aussi bien que de ceux que l’individu fabrique pour lui-même dans ses réactions psychologiques contre la société - ils avaient été visités pour la première fois dans leurs vies par une apparition de la liberté, non, certes, parce qu’ils agissaient contre la tyrannie et contre des choses pires que la tyrannie - cela était vrai pour chaque soldat des armées alliées - mais parce qu’ils étaient devenus des « challengers », qu’ils avaient pris l’initiative en main, et par conséquent, sans le savoir ni même le remarquer, avaient commencé à créer cet espace public entre eux où la liberté pouvait apparaître. « A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis. » »
 

 


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