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Dans l'article suivant jean Baubérot évoque au sujet de l'interdiction de signes religieux à l'école, le risque de création d'écoles musulmanes !

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Entrevue du magazine Valeurs mutualistes n°229 janvier 2004 page 12 et 13.

La laïcité retrouve une pleine actualité dans notre pays.

Revenons sur son sens profond, avec Jean Baubérot(1), historien ayant participé à la commission Stasi(2).

"Il n'est pas inutile de rappeler que "Laïcité" vient d'un terme grec "Laos" qui signifie "peuple"."

Laïcite., règle du vivre ensemble

 

V.M. : Comment la laïcité est-elle devenue une valeur constitutive de notre République ?

Jean Baubérot : Son origine principale se situe au début de la Révolution française, avec le passage de la souveraineté d'un roi de droit divin à une souveraineté par la Nation. Ce qui en constitue les fondements, c'est l'articulation d'un double principe : l'affirmation du caractère laïque de l'Etat et de la Nation et La proclamation de la liberté de conscience et de culte. La création de l'état civil et du mariage civil a complété cet aspect. La France a ainsi réalisé, dès la Révolution et de manière irréversible, la dissociation entre la citoyenneté et L'appartenance religieuse. Hélas, la Révolution française n'a pas vraiment respecté ces principes, notamment en imposant des cultes révolutionnaires. La situation n'étant pas pacifiée, Bonaparte a ensuite pu assez facilement établir un Concordat et un système de cultes reconnus.

Ainsi, un premier seuil de laïcisation, celle de l'Etat, est apparu au début du XIXe siècle, conduisant au conflit des deux France, entre les cléricaux et des anti?cléricaux. Le passage à un second seuil, celui de la laïcité républicaine, s'est effectué avec La laïcisation de l'école publique (L'instruction est obligatoire ; L'école publique est gratuite et Laïque) dans les années 1880, puis avec La fin du Concordat, vingt-cinq ans après. A partir de 1905, il est devenu clair que non seulement l'Etat mais La France, en tant que Nation, était laïque ; elle n'est pas catholique. Je m'oppose donc à ceux qui prétendent que ta laïcité ne s'applique pas à la société civile. Bien entendu, elle se décline de manière différente suivant les Lieux et les fonctions.

V.M. : Est-ce cette extension à la société civile qui fait la spécificité de "la laïcité à la française" ?

J.B. : La séparation des Eglises et de l'Etat est en effet plus poussée en France que dans les autres démocraties. Ailleurs, sil y a bien une dissociation de appartenance citoyenne et religieuse, si les Etats sont laïques, les nations ne le sont pas nécessairement. En Angleterre, l'anglicanisme fait office d'Eglise établie. En Allemagne, les Eglises relèvent du droit public.

V.M. : Cela n'engendre-t-il pas certaines difficultés au niveau européen ?

J.B. : Dans la construction de l'Europe, il convient en effet d'être vigilant. Selon L'article 51 du projet de Constitution, sur les relations Eglises/Etats, chaque membre peut conserver son régime spécifique. Cela constitue une garantie de non remise en cause de la laïcité à la française. Toutefois, l'alinéa 3 prévoit des dialogues réguliers entre les instances européennes et les Eglises et groupes de conviction. Sans plus de précision. Je crains qu'il conduise ces institutions à accorder une attention particulière aux positions des Eglises sur divers sujets. Les religions ont le droit d'avoir des convictions, parfois différentes de la majorité des sociétés européennes, mais pas celui de les imposer. A mon sens, il faut absolument veiller à ce qu'au niveau européen il n'y ait pas une influence indue de normes religieuses sur les lois civiles.

V.M. : En quoi la dissociation de la citoyenneté et de l'appartenance religieuse, base du principe de laïcité, est-elle bousculée aujourd'hui ?

J.B. : Actuellement, le plus gros problème porte sur la déclinaison du principe d'égalité entre les convictions et les religions, et entre les différentes religions. En France, la séparation n'est pas absolue entre la Nation et le catholicisme. Notre calendrier en témoigne. Or, pour être fidèle à elle-même, la Laïcité doit pouvoir remettre ceci en cause. Les changements de composition de notre société doivent conduire à plus de pluralisme. La proposition faite par la commission Stasi concernant les jours fériés allait dans ce sens.

Quand Jules Ferry a décidé que l'école s'arrêterait un jour, en milieu de semaine, pour que les enfants puissent suivre le catéchisme, il avait le souci que la laïcité ne contredise pas la liberté de conscience et de religion, et même qu'elle les facilite !

V.M. : Avez-vous été d'accord avec toutes les propositions de la commission Stasi ?

J.B. : Oui, sauf sur un point : l'interdiction du port des signes religieux ostensibles (grandes croix, kippa, foulards) à l'école publique qui, n'étant pas étendue à l'enseignement privé sous contrat, ouvre la voie à la création et au financement public d'écoles particularistes, notamment d'écoles musulmanes qui accueilleront des filles à foulard. Mieux aurait valu tolérer le port discret du foulard (en fixant mieux les limites énoncées par le Conseil d'Etat) et sortir de la logique du tout ou rien.

L'école laïque m'a appris la fable du chêne et du roseau. La stratégie du second, plus souple, mais aussi plus tenable et plus claire, me semble être une meilleure réponse stratégique à un problème dont je ne nie pas la réalité.

V .M. : Le débat actuel est parasité par cette question du voile. Peut-être manque-t-il aussi d'une définition plus affirmée de la laïcité ?

J.B. : On a en effet tendance à oublier que la Laïcité recouvre plusieurs valeurs : ta liberté de conscience et de culte, l'égalité des religions et des convictions, enfin le refus de toute domination du religieux sur l'Etat et la société civile. Certains ont tort de réduire la laïcité à l'un ou l'autre de ces aspects. La "laïcité de l'intelligence", dont parle Régis Debray, consiste précisément à ne pas être unilatéral.

J'ajouterais que La laïcité est avant tout une démarche positive et éducative, mais aussi de dialogue, de confrontation et de débat. L'idéal serait que nos concitoyens soient persuadés que c'est la meilleure manière de vivre ensemble. Il faut renouer avec la démarche du "tout le monde gagnant", pour faire comprendre que, loin d'être une ennemie, la laïcité nous protège de l'arbitraire, de la discrimination et des atteintes à La liberté de conscience.

 

Propos recueillis par Séverine Bounhol

 

(1) Jean Baubérot est titulaire de l'unique chaire en France d'"histoire et sociologie de la Laïcité", à (école pratique des hautes études (EPHE). Il est fauteur de plusieurs ouvrages, dont Histoire de la Laïcité en France (Puf, Que sais-je ?, n°3 571, octobre 2003) et La morale laïque contre l'ordre moral (Seuil, 1997).

(2) Installée le 3 juillet 2003 par Jacques Chirac, la commission indépendante sur l'application du principe de laïcité dans la République a remis son rapport le 11 décembre dernier après avoir auditionné près de 160 personnalités et de nombreux lycéens. Présidée par Bernard Stasi, médiateur de la République, elle était composée de 20 membres, parmi lesquels des universitaires, des hauts fonctionnaires, des élus. Sa principale proposition

la rédaction d'une loi précisant (interdiction de "tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique" à l'école publique, les règles de fonctionnement dans les services publics et les entreprises, et visant au respect de la diversité spirituelle.

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/brp/notices/034000725.shtml

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