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On ne supprimera jamais la pauvreté
Même pas vrai !

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On ne supprimera jamais la pauvreté
Même pas vrai !
Antoine Sondag

On ne supprimera jamais la pauvreté

©2005
Même pas vrai ! - collection dirigée par Patrick Ben Soussan
ISBN : 2-7492-0521-2
18 x 10,5, 120 pages
8.00 €

 

Quatrième de couverture :

Nos sociétés modernes ont les moyens d’éradiquer la pauvreté, à court terme dans les pays industrialisés, et à moyen terme sur la planète entière. Nous en avons les capacités financières, les moyens techniques, le savoir-faire. Mais il nous manque la volonté politique. Nous cherchons à fuir cette vérité qui dérange. On invoque alors toutes ces évidences de sens commun, ces maximes de café du commerce, une psychologie de bazar pour nous expliquer qu’il y aura toujours des pauvres.

Pour lutter contre la pauvreté, il faut commencer par regarder en face quelques vérités : les chiffres de la pauvreté et de la richesse, les vraies et fausses définitions de la pauvreté, notre détermination personnelle et collective à mettre fin à la misère. La pauvreté est le dernier esclavage toléré, la honte cachée dont on s’accommode. C’est là que réside le vrai scandale de l’état du monde aujourd’hui.

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, Antoine Sondag est actuellement responsable du Département Europe au siège national du Secours catholique, association de lutte contre la pauvreté. Ancien président d'Article premier (collectif d'associations de défense des droits de l'homme), il a milité dans de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme.


Extraits

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Qui paiera l'assurance ?

Pierre a vécu de nombreux coups durs. Père de trois enfants, érémiste, il bataille ferme contre l'emprise de l'alcool : cure et postcure dans un centre médico-psychologique, et à présent, traitement dans un centre de cure ambulatoire en alcoologie. De même, il se démène pour assainir sa situation financière et sortir des emplois précaires : constitution d'un dossier de surendettement à la Banque de France, bilan de compétences, fort engagement dans la recherche d'un travail durable... Avec ses ressources, Pierre ne peut acquitter les 780 euros pour l'assurance de sa voiture, pourtant indispensable pour la recherche d'un emploi.

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En France, sont des pauvres (monétaires) ceux dont les revenus n'atteignent pas 50 % du revenu médian. Pour les statistiques de l'Union européenne qui sont plus généreuses, la ligne de pauvreté est au-dessus de ce minimum puisqu'on prend 60 % du revenu médian. Ainsi on obtient une proportion de pauvres pour la France de 10 % ou de 16 %, soit 6 millions dans le premier cas et environ dix millions de personnes selon les statistiques de l'Union européenne.

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La pauvreté relative est en fait une manière de mesurer l'inégalité. Dans une société donnée, le sentiment de ne pouvoir participer aux activités considérées comme " normales " est le fondement de la pauvreté. C'est à la fois un regard porté sur la personne et un sentiment intériorisé. Le pauvre se perçoit comme tel. 25 % des titulaires du RMi en France n'avouent pas à leurs proches qu'ils le perçoivent (le montant est pourtant insuffisant pour vivre correctement), ils intériorisent la honte d'être pauvre, et ce sentiment fait d'ailleurs partie de la pauvreté !
Participer aux activités sociales " normales " fait sortir de la pauvreté, même dans une société qui dispose de très peu de moyens financiers. Dans les pays pauvres, les gens disposent de ressources monétaires minimes, mais ils font partie de la communauté. C'est la " pauvreté intégrée" ainsi qualifiée par le sociologue J. Paugam, qu'il faut distinguer de la "pauvreté excluante" des pays riches.
L'inégalité excessive doit être combattue, car c'est elle qui crée la pauvreté et l'exclusion. Lorsque les catégories supérieures s'enrichissent, lorsque le niveau de vie moyen d'une population s'améliore, les aspirations de tous augmentent, y compris dans les couches les moins aisées de la population. Les modes de vie se modifiant, ce qui est considéré comme " normal " se modifie aussi, et le sentiment de vivre dans la pauvreté s'en trouve affecté. Dans les années 1940, la plupart des Français n'avaient ni réfrigérateur ni télévision. Ceux qui n'en avaient pas ne se sentaient ni pénalisés ni pauvres. Aujourd'hui, l'absence d'un réfrigérateur et d'une télévision dans un foyer est un signe de pauvreté. Et cette absence est ressentie par les membres de la famille, comme une " pauvreté subjective ". Il faut donc lutter avec la dernière énergie contre la pauvreté absolue, car il y va de la survie d'une partie de la population, à l'échelle d'un pays mais aussi à celle de la planète. II faut de plus lutter contre la pauvreté relative si l'on veut améliorer le sort des populations pauvres. Et lutter contre la pauvreté relative, c'est lutter contre les inégalités.

Les inégalités s'accroissent

Or sur le plan mondial et dans les sociétés riches, on constate que les inégalités vont croissant.
86 % du total de la consommation mondiale sont absorbés par les 20 les plus riches, alors que les 20 % les plus pauvres n'en absorbent que 1,3 %. Le premier groupe absorbe 45 % de la viande et des poissons consommés, le second groupe 5 %. Le premier groupe consomme 58 % de l'énergie contre 4 % pour le dernier groupe, 87 % des véhicules pour le premier groupe contre moins de 1 % pour le dernier groupe.
En 1960, les 20 % les plus riches avaient un revenu trente fois plus élevé que les 20 % les plus pauvres ; en 1995, l'écart était de quatre-vingt-deux fois. Les inégalités vont croissant dans le monde mais également sur le plan français et notamment dans la distribution des salaires. En ce qui concerne les ressources dont disposent les ménages, la part des revenus du patrimoine s'accroît là encore par rapport à la part tirée des revenus du travail. Alors que, pendant des décennies, la tendance historique était l'inverse : de plus en plus de revenus tirés du travail. On sait aussi que l'inégalité dans la distribution du patrimoine est beaucoup plus forte que l'inégalité dans la distribution du revenu.

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Certains parlent du traitement social du chômage... D'autres prônent la flexibilité, la mobilité, l'adaptabilité... Les maux et les recettes sont connus, identifiés, nommés : mondialisation, délocalisation, libéralisme, concurrence, réduction des coûts du travail, guerre économique... Pour sauver l'emploi, on tue l'emploi durable pour l'emploi ajustable. Les victimes collatérales que sont les plus pauvres pèsent peu face à ces logiques économiques et politiques. Au milieu de ces logiques, quelle place y a-t-il pour la personne la plus fragile, la plus vulnérable ? Peut-on construire son avenir sur du tout précaire et du précaire durable ? Le précaire sème le désespoir. Or une vie se construit sur de la perspective, du projet, de l'espoir 1 ... "

1. Dossier de presse du Secours Catholique, 2004, France précaire, p. 13.

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Un indicateur de " pauvreté administrative "

Cet indicateur mal nommé concerne le nombre de ménages qui relèvent de la solidarité nationale au titre des minima sociaux. Ces minima sont au nombre de 7 et ont été créés progressivement pour combler les lacunes de la protection sociale. Ils permettent aux bénéficiaires de percevoir un seuil minimal de ressources de l'ordre de 600 euros environ par mois pour une personne seule pour le minimum vieillesse et pour l'allocation adulte handicapé ; 420 euros pour une personne isolée percevant le RMi (Revenu minimum d'insertion).
Environ 3,2 millions d'allocataires étaient concernés par les différents minima sociaux, mais avec les personnes à charge, ce chiffre atteint presque 6 millions, soit 10 % de la population. (Soit pour un ordre de grandeur : un million de RMistes, mais deux millions de personnes concernées avec les personnes à charge ; 450 000 allocataires de l'Allocation de solidarité spécifique, c'est-à-dire les chômeurs en fin de droit qui ne relèvent plus de l'ASSEDIC; 600 000 personnes âgées touchant l'allocation supplémentaire vieillesse, Asv ou minimum vieillesse ; un peu plus de 700 000 personnes percevant l'Allocation d'adulte handicapé).

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La réflexion sociale s'est centrée sur l'exclusion. Un exclu ne sert à rien, ce qui n'était pas le cas du prolétaire. II est exclu non seulement du monde du travail mais aussi de multiples possibilités de participation sociale. II vit dans un monde privé de sens : sa situation, ses souffrances... ne servent à rien, n'ont pas de sens. C'est pourquoi il y a si peu de mouvements organisés de chômeurs, de pauvres ou d'exclus dans une France qui compte plus de chômeurs que de syndiqués.

Le chômage est plus insidieux qu'il n'y paraît dans la société moderne. C'est que le chômeur est triplement exclu : du travail, de la participation sociale, du sens. Le manque de travail a des conséquences financières mais aussi sociales car le travail reste la principale source de socialisation et d'intégration : les femmes veulent travailler en dehors du foyer pour avoir une vie sociale qui ne se limite pas aux enfants ; un des principaux moyens d'intégration des étrangers continue d'être le travail. Le manque d'emploi a aussi des conséquences psychologiques pour la personne affectée : le chômage touche à l'image que chacun se fait de lui-même; il installe un doute dans la personnalité du chômeur. C'est comme si la société disait : " Nous n'avons pas besoin de vous. Nous vous donnons certes une allocation, car nous ne voulons pas vous voir dépérir, mais vous ne servez à rien. La société (des riches) tourne sans vous. "

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Pour apprécier la situation des catégories défavorisées en France, il faut certes accorder toute sa place au niveau des revenus : ces statistiques sont aujourd'hui bien maîtrisées. Une autre donnée importante est la stabilité du revenu, qui ouvre la voie au crédit bancaire et à la possibilité de s'endetter, donc à l'accession à un logement dans un quartier plus ou moins cher. Les statistiques sur ce sujet sont moins disponibles ou moins connues. Par ailleurs, la stabilité du revenu est liée davantage au niveau des diplômes qu'à celui des rémunérations. Autrement dit, les diplômes procurent en moyenne des revenus plus élevés, ce qui paraît évident, mais plus encore - et la corrélation est plus importante -, ils ouvrent l'accès à des professions qui garantissent la stabilité du revenu, déterminante pour le système bancaire comme aptitude à pouvoir s'endetter... donc acheter un logement à crédit. À nouveau, éducation et logement ont partie liée.

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On ne peut réduire la question des clivages sociaux en France à celle des " quartiers ". II est plus réaliste d'observer la ségrégation sociale à l'oeuvre qui se manifeste aussi bien dans la recherche d'un logement que dans le choix d'une école pour les enfants.Tout cela illustre les évolutions sociales. Le travail joue un rôle moins important dans la ségrégation, une partie importante des gens se retrouve " noyée " dans un vaste magma de professions intermédiaires. D'autres critères prennent le relais pour servir de marqueurs sociaux et de leviers de différenciation (logement, école). L'école joue un rôle d'autant plus important qu'elle favorise le caractère " héréditaire " des inégalités, des discriminations.

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Pour certaines personnes, installées durablement dans des réseaux d'urgence, l'insertion est hors d'atteinte : étrangers sans papiers, déficients mentaux dans la rue depuis longtemps, clochards de très longue date... Cette fidélisation des clients est en contradiction absolue avec les objectifs des institutions en question. La structure sociale n'est plus un relais favorisant l'insertion, elle est devenue un relais entre la rue et la rue.
II faut regarder la situation froidement. Les structures dites d'urgence jouent en France une fonction asilaire. Elles permettent à des personnes de vivre (assez mal) en marge de la société, en marge aussi des admirables programmes de réhabilitation prévus pour elles. Cette fonction asilaire n'est jamais reconnue ni admise car elle contredit les logiques du travail social professionnel (et en ce sens, elle constitue un aveu d'échec pour les professionnels engagés). Elle contredit aussi la logique de justice et de progrès social inscrite au coeur de la République et de l'État providence. Notre société répugne à avouer ces espaces de relégation des grands exclus. Alors on accueille, de structure d'urgence en structure d'urgence.
Y compris lorsque les personnes rechignent à entrer dans les logiques de ces institutions. Officiellement, il n'y a pas d'asile en France, mais de nombreuses structures d'urgence jouent un tel rôle. Et c'est ce qui explique qu'elles soient souvent saturées.

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La participation des personnes victimes ou menacées d'exclusion sociale et le partenariat avec elles sont considérés comme très importants dans les discours officiels des autorités publiques. Mais la France a souvent beaucoup de mal à passer du discours aux pratiques innovantes. II faut dire qu'elle compte très peu d'associations de personnes concernées. Combien y a-t-il d'associations qui regroupent le million de titulaires du RMI ? Où sont ces gens ? Ont-ils peur de se regrouper ? Pourquoi ? Tant de questions, mais peu de réponses. Les grandes associations caritatives, qui sont les partenaires des pouvoirs publics, se cantonnent à la solidarité, mais il n'y a pas d'associations d'exclus. Pourtant, tous s'accordent à dire que seule une politique participative de lutte contre la pauvreté a des chances de connaître le succès.

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Distinction entre les pauvres " malhonnêtes" et les pauvres " honnêtes"

À l'époque prémoderne, on distingue les pauvres malhonnêtes et les pauvres honnêtes. II y a d'un côté les gens valides, capables de travailler, mais préférant mendier et voler; d'un autre côté, ceux qui se trouvent privés de moyens d'existence. Cette distinction sert de base pour distribuer les aumônes et distinguer les " bons " des " mauvais " pauvres. On établit des listes de pauvres pour éviter qu'ils ne se présentent plusieurs fois lors des distributions d'aumônes et on introduit des jetons ou des insignes.Très vite, on veut contrôler les pauvres, les compter, faire des statistiques... mais aussi les fixer, les empêcher de " divaguer ", de " cheminer ". On dit d'eux qu'ils sont sans feu ni lieu. La figure du pauvre se confond avec celle de l'errant. (Cette vision a la vie dure et pour beaucoup encore aujourd'hui les pauvres, ce sont les SDF, ceux qui errent, qui divaguent.) Pour mettre de " l'ordre ", on établit que pour avoir droit aux aides, il faut que les pauvres s'enregistrent, se fixent quelque part, aient un domicile, soient connus de quelques notables, qui donc pourront les contrôler.

Assistance et répression

La société prémoderne offre l'assistance sociale des hospices et des institutions religieuses (monastères...) où la charité est prise en charge par l'Église. Ceux qui échappent à ces institutions qui aident et contrôlent en même temps sont susceptibles d'être poursuivis. Ils sont considérés comme dangereux. Assistance et répression, pitié et méfiance, cette ambivalence face aux pauvres a été symbolisée par deux mots : la potence et la pitié. Les deux attitudes pouvaient être apliquées simultanément ; elles sont hélas ! encore d'actualité.

Pauvreté, vice et dangerosité

Une idée a la dent dure : la pauvreté mène au vice, elle est dangereuse et doit donc être réprimée. Un édit royal de 1656 ordonne l'enfermement des pauvres de Paris dans un hôpital général. En 1662, il est étendu à toutes les villes de France. L'enfermement met fin au désordre apparent de la pauvreté, mais cela laisse sans réponse la question de l'occupation du pauvre : que fait-il dans ces institutions où il est confiné ?
Le XXe siècle a vu le retour de ces vieilles idées. Certains maires ont pris des arrêtés contre la mendicité ; ils ont interdit aux errants et à leurs chiens de stationner, de " rester là sans rien faire ". Dans plusieurs villes de France, des maires ont pris des arrêtés de " déportation " des SDF pendant la saison touristique.
II existe aujourd'hui, dans certains pays, et la France n'est pas à l'abri de cette dérive, une tentative de pénaliser la pauvreté et d'enfermer les pauvres en prison. Cette constatation brutale émane de statistiques sur l'origine sociale des détenus dans les prisons aux États-Unis ou en France. Les prisons sont faites plus pour les pauvres que pour la moyenne de la population. Aux États-Unis, les Noirs peuplent les prisons largement au-delà de leur proportion dans l'ensemble de la population. En France, les étrangers sont sur-représentés dans les prisons. En Russie, les prisons regroupent près d'un million de détenus ; on doit certes incriminer l'héritage soviétique qui était très répressif ; on peut considérer aussi que criminaliser la pauvreté est une manière de la gérer.

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Nous avons les moyens financiers, mais nous n'avons pas la volonté politique d'éliminer la pauvreté à l'échelle planétaire. Voilà ce qu'il y a de vraiment nouveau, voilà le scandale !
En France aussi, nous avons les moyens de faire disparaître la pauvreté, notamment la pauvreté laborieuse ; il ne manque que la volonté politique pour cela. Mais ceux qui vivent sous la ligne de pauvreté ne constituent pas un groupe identifié, une force pour défendre ses intérêts. C'est pourquoi cette politique n'est pas mise en œuvre.
Quant à l'élimination des diverses formes d'exclusion, elle exigerait une prise de conscience de l'ensemble de la société - et pas seulement des pouvoirs publics - la coopération des communes, des travailleurs sociaux, des syndicats, des associations, une modification de l'esprit public. La question dépasse la politique au sens étroit du terme et exige un changement dans la vie sociale et dans les mentalités : pour souhaiter le changement, il faut commencer par croire qu'il est possible.


Fin des extraits.

 


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