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Reporters sans frontières

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Reporters sans frontières

Jean-Philippe Charbonnier

Pour la liberté de la presse

Photo Jean-Philippe Charbonnier

"Vae Victis" : les mutilés - Kyoto, 1955.
A l'entrée du temple Todajii-Daibutsu, deux soldats font la quête.
Ils ont perdu la guerre, leur faire l'aumône les humilierait davantage.
Les Japonais les ignorent.

  Reporters sans frontières
Jean-Philippe Charbonnier
Pour la liberté de la presse
Et 20 textes d'écrivains

France octobre 2005
ISBN 2-915536-29-5


Raoul VaneigemPhoto Alphonse B. Seny


Quelques remarques sur la liberté de la presse


Partout où elle n'est ni interdite ni menacée, la liberté de la presse est bafouée par ceux qui en disposent et s'en revendiquent.

Dans les pays où règne le despotisme, la sujétion des jour­nalistes est un objet de mépris pour ceux qui ont l'audace de contester le régime dominant.

Dans les démocraties parlementaires, qui font de la liberté de la presse le joyau de leur vitrine de propagande, la servilité des folliculaires offre un exemple encourageant à la résignation, au fatalisme que répandent la corruption, le culte de la rentabilité, la stagnation d'une société paralysée par les agioteurs.

Le courage de quelques journalistes, qui défendent au péril de leur vie la liberté d'informer là où elle est opprimée, sert d'alibi à la veulerie de milliers d'autres qui en bénéfi­cient sans encombre et y renoncent dans la seule crainte d'un froncement de sourcils de leur maître.

La presse des démocraties formelles a fait obédience à l'esprit clientéliste et populiste qui menace les libertés résiduelles en promotionnant la peur et ses réactions sécuritaires, le protectionnisme et sa politique d'exclusion, l'occlusion sociale et le désespoir qui masquent et retar­dent l'éclosion d'une société fondée sur la vie et sur le progrès humain.

A défaut de proposer, d'inventer, d'expérimenter de nou­velles formes de luttes, l'information qui se veut subversive se borne le plus souvent à un rôle de dénonciation, comme si le cynisme du roi n'en était pas à solliciter la raillerie des bouffons pour rehausser ses consternantes représentations. Les pèlerinages protestataires et les colères de l'impuissance indignée plaisent davantage aux laquais du spectacle que les grèves instaurant la gratuité des transports, de l'enseignement, des soins de santé, des services publics.

La liberté de la presse consiste à combattre ce qui l'entrave. Lutter pour que tout - même le propos le plus mensonger et le plus ignoble - ait le droit de se proférer sans la menace d'une sanction judiciaire implique aussi d'exiger la condamnation sans appel de tout acte inhumain, de toute barbarie qui s'autoriserait d'une opinion pour se perpétrer.

L'indignation devant le crime relève de l'hypocrisie humanitaire si elle ne s'emploie à éradiquer les conditions qui en sont cause et qu'aucun châtiment n'amendera. Garantir concrètement les droits de l'enfant, de la femme, de l'être humain a plus d'importance que polémiquer sur de pré­tendues identités culturelles et ethniques, qui les voilent.

Une presse où la défense des intérêts économiques prime la défense des intérêts humains est à la botte du capitalisme planétaire et totalitaire. Même quand l'esclave s'insurge contre le maître, il continue de le servir en adoptant son langage.

Les violences meurtrières n'ont pas de meilleurs pour­voyeurs que les mafias multinationales et les gouvernements qui, en obtempérant à leurs décrets, ruinent leurs pays et plongent un nombre croissant d'existences dans cet état de désarroi et de désespoir qui prédispose à accepter la mort et à l'infliger sans raison.

Que l'information commanditée n'en souligne pas l'évi­dence ne contrevient pas à la vogue d'une éthique de l'avi­lissement. On peut s'étonner en revanche que la parole subversive, rarement revendiquée, n'entreprenne rien pour combattre la peste émotionnelle et le réflexe suicidaire qu'elle suscite, si ce n'est en dénonçant ses épiphénomènes, le populisme et le clientélisme. Il est vrai que pour placer la révolution sur le terrain de la vie quotidienne, il faut s'employer personnellement à en jeter les bases en la déblayant des décombres idéologiques en tous genres.

Dénoncer les larbins du spectacle, sans entreprendre par tous les moyens - y compris la libre expression - de briser les rouages qui les font docilement tourner, ne fait que les conforter dans leur rôle de pantins.

Comment des journalistes parleraient-ils de liberté alors qu'ils rampent devant des chefs de service, des patrons, des commanditaires ? Qu'attendre d'une presse qui ne songe pas à s'autogérer ?

Ce qui se change en spectacle empêche le réel de changer. Une information qui ne se fonde pas sur la critique et l'amélioration de l'existence ne transmet que les dernières nouvelles d'une mort programmée.

Les libertés de la vie sont incompatibles avec les libertés du libre-échange, du commerce, de l'économie. Hors de la lutte pour les droits de l'être humain, la liberté de la presse est une imposture.

Raoul Vaneigem

Site web : http://membres.lycos.fr/endehors/page11.html

Photo Alphonse B. Seny

 

 


 


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