La page de Gwen *

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Petit conte africain

La scène qui suit eut lieu au fin fond de l'Afrique des Grands Lacs il y a cinq ans. Toute analogie avec un pays extra-africain ou bien des pratiques qui seraient appliquées ailleurs seraient évidemment une pure coïncidence totalement fortuite et involontaire. Si de certains petits impertinents voulaient se servir de ce texte à des fins autres que celles de distraire et d'amuser les lecteurs sur les mœurs barbares qui sévissent dans ces contrées reculées, nous dirions haut et fort qu'ils se seraient trompés et que, vraiment, ce n'est pas bien.

Un beau soir d'hiver donc, le roi Karko, monarque absolu de loi divine, et le Président Kozy, élu démocratiquement l'été dernier, discutaient tous deux sur un yacht prêté par un de leurs amis, le riche négociant Nipo. Le bateau stationnait à équidistance de leurs deux pays, en plein milieu du lac. La région étincelait de mille feux en ce soir d'hiver où seul le silence des deux rives venait parfois trouer la soirée bien animée ; le repas avait été copieux et agréable. Aussi devisèrent-ils sur la meilleure forme de gouvernement possible et souhaitable, pendant que de jolies houris se préparaient pour le spectacle du soir. Après tout, la discussion permet parfois de faciliter la digestion. 

KARKO- Que tu es malheureux mon ami, avec cette démocratie qui sévit dans ton pays ! Et que tu serais bien intentionné de faire un coup d'état pour te proclamer roi ou empereur à vie du peuple des Séfran !

KOZY- Mon ami, tu n'as rien compris à la réelle politique. Laisse-moi t'éclairer si tu le veux bien. C'est un concept d'une efficacité redoutable. Je te montrerai combien je suis plus empereur que toi.

Karko fut surpris de cette réponse. Il se resservit un petit verre de vodka que son ami Tipoune lui avait récemment rapporté, s'enfonça un peu plus dans ses coussins et écouta l'exposé de son ami, tout en se curant les dents. Quelques grains de caviar s'y étaient malencontreusement logés.

KOZY- Rien n'est pire en effet qu'une démocratie où chaque citoyen serait susceptible de penser librement. Jamais le peuple ne doit user de son esprit; il ne serait plus peuple. L'instruction d'ailleurs est dangereuse quand elle est menée librement. Mais fort heureusement, le peuple se conduit comme un veau et il est fort agréable de disposer de lui comme on l'entend. Tout effort lui rebute; il faut donc le flatter dans ses vices et l'y encourager. Voici comment t'y prendre et crois-moi, tes réélections futures seront assurées jusqu'à la fin de ta vie.

Curieux, Karko continua à se curer les dents, tout en souriant benoîtement à une belle jeune fille plutôt dénudée qui le lui rendait bien. Mais l'exposé de son ami Kozy troubla bientôt sa contemplation. 

KOZY- Les moyens modernes te donnent une emprise sans pareille pour gouverner. La télévision te permet d'apparaître pour étouffer aussitôt toute contestation dans l'œuf. Les journalistes sont accrédités suivant leurs opinions politiques et un suivi régulier te permet de remplacer les indésirables. Quant à internet, il permet d'entrer dans la vie des gens. Le blog par exemple, est un excellent moyen pour savoir ce que chacun pense, ce que chacun dit. Les Renseignements Généraux des Séfran permettent de dresser une fiche par Séfranais et d'y noter les goûts, les idées d'un chacun, les liens qu'il entretient avec les autres. Figure-toi que les gens confient tout à leur blog, leur vie privée surtout. Ce sont des armes qu'il est aisé de retourner contre eux si on veut les empêcher de penser trop fort, ou si l'on a besoin de les faire taire.

KARKO- Mais enfin, tout le monde n'a pas son blog ! Comment faire pression sur ceux qui n'en ont pas ?

KOZY- Tu as raison. Les blogs nous permettent surtout de ficher une jeunesse séduite par les moyens modernes qui sont mis à sa disposition. Ainsi la jeunesse a accès à des moyens vidéos, des moyens graphiques et audiovisuels très séduisants, une belle interface. Ce sont de jolis hochets qu'elle se plait à agiter. Beaucoup se laissent séduire, et il y a de quoi. Crois-moi, quand tu as fiché toute la jeunesse d'un pays, tu peux dormir plus tranquille! Et puis, le portable permet de savoir précisément ce qui se dit et où se trouve chacun à chaque heure. Offre à ton peuple les technologies modernes, et tu pourras mieux le surveiller : internet est fait avant tout pour cela.

KARKO- Je n'y avais jamais pensé. Mais pour les autres, tu ne m'en dis rien ?

KOZY- En fait, le but de toute réelle politique est d'amener chacun à essayer de finir son mois sans être trop en déficit. Limiter le pouvoir d'achat, c'est permettre à la société d'être désolidarisée. Chacun cherche à survivre. Et du coup, chacun rase les murs. Tu baisses de temps en temps le prix d'un gadget à la mode et chacun est heureux de pouvoir se l'offrir ; de l'autre côté tu augmentes le prix du caddie, de l'essence, des biens consommables. Et tu es tranquille. Les gens ont peur de ne pas pouvoir finir le mois; ils restent chez eux, regardent la télé. Et on leur fait comprendre, grâce à la pub, que vivre heureux c'est consommer. Voilà le cercle vicieux qui se referme sur eux. 

KARKO- Mais cela suffit-il pour rendre les gens serviles et heureux ?

KOZY- Mais qui te parle de bonheur ? Qu'ils vivent, c'est déjà beaucoup, non ? Mets en libre accès de la musique populaire, des films, des matchs de foot et de rugby. Sers-toi du sport : les gens se croiront heureux dès lors que leur équipe nationale gagne. Paye de temps en temps les adversaires et tu feras beaucoup pour le bonheur de ton pays.

KARKO- Mais comment assurer ta réélection ? Ce que tu fais, les autres peuvent aussi le faire, non ?

KOZY- C'est très juste mais c'est là qu'il faut ruser, même si c'est un jeu d'enfants. Tu sais comme moi que la population, même si nous sommes dans l'Afrique des Grands Lacs, a tendance à vieillir. Ce qu'il faut faire, c'est créer une bonne psychose, montrer que la jeunesse est violente, exaspérée, irrespectueuse. Qu'elle parle une autre langue. Qu'elle ne respecte plus rien. Crois-moi, les journaux télévisés aident les gens à assimiler progressivement qu'être jeune, c'est être dangereux. Pas un soir sans montrer des voitures brûlées, des vitrines brisées, une grand-mère sans son sac. Sers-toi aussi de tous les blancs qui travaillent chez nous. On les voit bien; ils sont partout. Parque-les, si c'est possible autour des grandes villes, dans des cités dortoirs que tu ne réaménageras pas de sitôt. Envoie des policiers chaque soir; multiplie les contrôles. Provoque des heurts et surtout médiatise. Le secret est là, il tient en trois mots : ME- DIA- TISE et c'est gagné. Axe tout sur la répression. Casse du jeune. Montre que les policiers sont là pour protéger les vieux et tu seras tranquille.

KARKO- Mais dis donc, ce n'est pas un peu simpliste tes méthodes ? On pourrait te dénoncer aisément, non ?

KOZY- Mais non, cher Karko, tu ne comprends décidément rien. Le but, c'est de rétribuer chacun suivant les services qu'il rend à notre système. Les pauvres doivent le rester ; ils créent les conditions d'insécurité qui permettent de me maintenir au pouvoir. Quant aux riches, il faut les rétribuer, les rassurer, les aider, les flatter : ce sont eux qui te soutiendront. Plus, ils t'aimeront. Et comme chacun veut devenir riche, et que la presse les portera aux nues, alors ils seront des exemples pour tous. Ils assureront ton avenir et toi tu assureras le leur. Crois-moi, chacun s'achète dans la démocratie. Et chacun est heureux de croire qu'il est libre alors qu'il ne l'est pas. Ainsi va le monde, et toute démocratie qui se respecte. 

Karko regarda le cure-dent où étaient transpercés trois oeufs de caviar bien superposés. Il les tendit alors à la petite danseuse qui était devant lui. 

KARKO- Tu m'as convaincu. Dès demain, j'instaure la démocratie chez moi. 

La suite de la soirée fut privée. Très privée. Autour du lac, les gyrophares trouaient l'obscurité et semblaient comme prolonger les lumières de la boîte de nuit du yacht. C'était une belle nuit d'hiver autour des Grands Lacs. Et les drones tournaient dans un ciel d'encre sans étoile.

Lettre ouverte aux petits esprits intolérants (bonne nuit la France)

Certains petits esprits philosophes et chagrins croient pouvoir dénoncer la venue, dans notre beau pays, d'un tyran sanguinaire ennemi des Droits de l'Homme. J'entends ici répondre à leurs objections de façon à clarifier définitivement le débat et défendre M. Fadaqi :

1- Un homme qui arrive avec trois milliards dans sa valise diplomatique est au-dessus des frontières et des nationalités. Il aurait d'ailleurs pu naître dans notre pays si Dieu l'avait voulu. Sa venue est ainsi un point de vue de l'esprit : il revient plus qu'il ne vient car il aurait pu, il aurait dû naître français. Il est l'ami du pays hôte qui se doit de lui présenter le château de Versailles et sa galerie des glaces. Et si les tapis rouges ne servent pas quand un homme vient nous offrir trois milliards d'euros, alors c'est un coup à ne jamais sortir de tels tapis.

2- On me dit qu'un avion s'est écrasé dans le désert parce que notre Ami en avait donné l'ordre. Que celui qui n'a jamais commis une erreur lui lance le premier un exocet ! Et puis quoi ! cet Ami de la France a payé cette erreur de jeunesse et de trajectoire. Chaque famille a été dédommagée au-delà de ses attentes. C'est donc une histoire passée qui n'a plus aucune raison d'être évoquée. Il aurait fallu refuser toute indemnité si l'on voulait accuser ce grand ami de notre pays ; dès lors que nous l'avons acceptée, il n'y a juridiquement plus aucune raison de crier.

3- On dit que toute opposition dans son pays a été écrasée et que les opposants ont été affreusement torturés. Tout le monde ne peut pas débaucher les têtes pensantes de l'opposition pour leur donner un poste de ministre ou la direction du F.M.I. S'il y avait davantage de postes à responsabilité, il est évident que la torture n'existerait pas, mais est-ce la faute de notre Ami s'ils sont si peu nombreux ? Qu'on pense aussi que dans ce pays, le taux de renouvellement des générations est largement dépassé et que la pauvreté se partage souvent très mal. Il est normal que des mesures draconiennes soient prises pour le bien-être ed l'Etat et la sauvegarde des valeurs nationales qui permettent à un peuple de rester uni dans l'espérance de jours meilleurs. Tout homme politique sait cela. 

Kerleroux - Le Canard Enchaîné 

4- On nous farcit beaucoup trop la tête avec les Droits de l'Homme. Cette notion est née en Europe au siècle dernier et quelques Européens veulent à tout prix l'exporter de par le monde. Il est temps d'accepter la différence et d'arrêter de vouloir coloniser la planète avec des principes typiquement ethnocentristes. L'humanisme a vécu ; aujourd'hui l'économie de marché est une réalité qu'il est grand temps d'accepter. Il est important de s'entendre au-delà de nos petites différences; c'est pourquoi le billet vert a le même bruit partout au monde et que sa devise : "In gold we trust" est partout entendue. Car à quoi cela servirait-il d'avoir une monnaie internationale si elle n'était là pour favoriser les échanges ? 

5- Ces mêmes petits esprits, faussement tolérants et anti-racistes, crient dès qu'un dirigeant d'un pays en voie de développement vient nous rendre visite. Il serait important qu'ils accordent leurs pensées et leurs actes. Certes M. Fadaqi vient de la Bylie, pays petit et peu riche, mais est-ce une raison pour crier si fort ? Et sommes-nous responsables si ces mêmes petits esprits roulent dans des voitures qui sont alimentés en pétrole que nous fournit M. Fadaqi ? 

Noël approche. Il est grand temps de songer à ses proches et aux cadeaux qui leur feraient tant plaisir. Que chacun vaque à ses affaires. Le gouvernement est responsable et souhaite à chacun de joyeuses fêtes qui se profilent si profitablement. Il s'agit de moins penser pour mieux dépenser car ainsi va le monde.