" Lexique " bourdieusien
Pour la version originale plus récente (pages web ou pdf): Le Magazine de l'Homme Moderne (pages Bourdieu)
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Parcours
erratique de morceaux choisis
Version 2.0.0
17/07/02
La
construction de ce " lexique " est le résultat d'un
travail collectif réalisé par un groupe de
participants de la liste " Champs ". Cet effort commun
a pour principe d'illustrer des notions centrales et
des mots du sens ordinaire définis - ou redéfinis - par Pierre
Bourdieu, qu'ils soient scientifiques,
critiques ou " humoristiques "... Conçu dans une
perspective évolutive, ce répertoire lexical a une
finalité incitative : à travers celui-ci, il s'agit
d'encourager la lecture individuelle ou collective des textes du
sociologue et des travaux de ceux qui s'en inspirent. Si ce
lexique offre un avant goût de ce que peut-être
la sociologie critique - pléonasme ! nous dirait-on - il révèle
aussi, dans les choix arbitraires des termes
et des " définitions ", les intérêts et les
sensibilités de celles et ceux qui ont participé à son élaboration.
Les concepteurs de ce répertoire - illustré sous la forme de
" morceaux choisis " - proviennent
d'horizons divers : étudiants, autodidactes, militants,
journalistes, travailleurs sociaux, universitaires,
enseignants du secondaire
Nous devons également remercier
ceux qui, parmi l'ensemble des
participants de la liste " champs ", n'ont pas souhaité
rejoindre ce travail collectif tout en apportant leurs
critiques constructives à l'égard de ce " lexique
bourdieusien ".
Un tel support ne peut être considéré comme un " prêt à
connaître " épargnant la lecture des textes
de Bourdieu, il doit être lu comme un effort, aussi bien modeste
qu'original, pour faire lire et faire vivre
les apports du sociologue dont la disparition a beaucoup marqué
certains d'entre nous. Ce travail collectif,
qui entend se poursuivre dans la durée, est un hommage et un
encouragement à la continuité de cette
sociologie critique.
Ont participé à la réalisation de ce lexique :
Catherine Bessagnet, Richard Brun, Éric Chabert, Raphaël
Desanti, Patrick Ducray, Marco Fedi, Jean-
François Festas, Xavier Molénat, Stéphane Molina, Yves Patte,
Martine Rainaud, Michaël Voegtli, Sylvia
Willynck.
Coordination : Raphaël Desanti; mise en page : Éric Chabert.
Préambule
en forme d'avertissement
" Des notions telles qu'habitus, champ et capital peuvent être
définies, mais seulement à
l'intérieur du système théorique qu'elles constituent, jamais
à l'état isolé. "
(Réponses, Seuil, 1992, p.71)
" Il faudrait pouvoir éviter complètement de parler des
concepts pour eux-mêmes, et de
s'exposer ainsi à être à la fois schématique et formel.
"
(Le sens pratique, Minuit, 1980, p.89)
" L'absence d'un petit Bourdieu " manuelisé " et
manuelisable ne facilite pas la diffusion de
ma pensée [
]. Mais je ne suis pas sûr de le regretter.
"
(" Sur l'esprit de recherche " in Bibliographie des
travaux de Pierre Bourdieu, Le Temps des Cerises,
2002, p.205 [novembre 2001])
AMOUR /ANTI-INTELLECTUALISME / APPAREIL / ARTISTE / AUTOBIOGRAPHIE /
CAPITAL SYMBOLIQUE / CHAMP / CHAMP INTELLECTUEL / CHAMP LITTÉRAIRE / CHAMP POLITIQUE /
CHAMP SCIENTIFIQUE / CONSÉCRATION / COURAGE / CROYANCE / CULTURE POPULAIRE /
DÉNÉGATION / DÉTERMINATION / DICTIONNAIRES / DIFFAMATION / DISTINCTION / DISTINGUÉ /
DOMINATION / DON /DON QUICHOTTE / DOXA / DROIT D'ENTRÉE /
ECHANGE DE DONS / ECOLE / ECONOMIE DES BIENS SYMBOLIQUES / ECONOMIE IBÉRALE / LITTÉRAIRE /
EFFET DE DESTIN / ESPACE SOCIAL / MAIN GAUCHE DE L'ÉTAT / ÉTAT PÉNAL / ETHNOMÉTHODOLOGUES /
ETIQUETTE CLASSIFICATOIRE / EXAMEN /
FAIT(S) DIVERS / FAMILLE / FEMMES / FÉMINISME / FINALISMES / FINKIELKRAUT / GOÛT /
HABITUS / HABITUS CLIVÉ / HAUT-PARLEURS / HISTORICISATION / HOLISME / HONTE / HUMANISME /
IDÉOLOGIE / IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTENCE / ILLUSIO / IMPÉRATIF DE RÉGULARISATION / INCONSCIENT /
INCORPORATION / INDIVIDU / INSULTE / INTELLECTUELS / INVESTISSEMENT /
JDANOVISME / JEU / LANGUE / LÉGITIME / LÉVY / LOI / LUTTE DES CLASSEMENTS /
MAIN GAUCHE DE L'ÉTAT / MARCHÉ LINGUISTIQUE / MISE EN FORME / MISÈRE / MONDE /
MONOPOLE DE LA RAISON / NATURALISATION / NÉOLIBÉRALISME / NOMOS / OBJECTIVATION /
PARADOXE / PAUVRES BLANCS / PORTE-PAROLE / POUVOIR SYMBOLIQUE / RACISME / RÉFLEXIVITÉ /
RÉVOLTE/ RÉVOLUTION / RITE / RUPTURE / SARTRE / SCIENCE / SENS DU JEU / SENS DE SA PLACE /
SENS PRATIQUE / SCOLASTIQUE / SOCIÉTÉ DIFFÉRENCIÉE / SOCIOANALYSE / SOLLERS / SOCIOLOGIE /
STRATÉGIE / STYLE DE VIE / SYSTÈME SCOLAIRE / TABOU DE L'EXPLICITATION / TRAJECTOIRE /
TRANSGRESSION / TRAVAIL / USAGE CLINIQUE / VERDICT / VÉRITÉ / VIOLENCE /
AMOUR
« Sorte
de trêve miraculeuse où la domination semble dominée [...]. Il
ne se rencontre sans doute que très rarement dans sa forme la
plus accomplie et, limite presque jamais atteinte on parle
alors d' « amour fou » , il est intrinsèquement fragile,
parce que toujours associé à des exigences excessives, des «
folies » (n'est-ce pas parce qu'on y investit tant que le «
mariage d'amour » s'est révélé si fortement exposé au
divorce ?) et sans cesse menacé par la crise que suscite le
retour du calcul égoïste ou le simple effet de la routinisation.
»(La domination masculine, Seuil, 1998, p.117-118)
ANTI-INTELLECTUALISME
« Je
pense que parmi les facteurs explicatifs du fait que le mouvement
social ne s'organise pas, il y a cet anti-intellectualisme. (...)
Faites attention de ne pas laisser votre indignation légitime
vous aveugler et vous conduire à vous priver
d'instruments de connaissance (...). [Par exemple,] si vous
refusez de lire La double absence de A.Sayad (...) l'un
des plus grands sociologues de l'émigration/immigration (...)
sous prétexte que c'est un intello, qu'il emploie des
grands mots, qu'il parle d'assimilation/d'intégration, vous êtes
des c.... Voilà (...), je me permets de vous dire ça (...). Ne
vous privez pas de ces ressources intellectuelles sous prétexte
que ça vient d'un intellectuel... ; ce n'est pas une maladie d'être
un intellectuel. »(In La sociologie est un sport de combat, un
film de Pierre Carles, 2001)
APPAREIL
/ CHAMP«
Je suis très hostile à la notion d'appareil qui est pour moi le
cheval de Troie du fonctionnalisme du pire : un appareil est une
machine infernale, programmée pour atteindre certains buts. ( Ce
phantasme du complot, l'idée qu'une volonté démoniaque est
responsable de tout ce qui se passe dans le monde social, hante
la pensée « critique ».) Le système scolaire, l'État, l'Église,
les partis politiques ou les syndicats ne sont pas des appareils,
mais des champs. Dans un champ, les agents et les institutions
luttent, suivant les régularités et les règles constitutives
de cet espace de jeu (et, dans certaines conjonctures, à propos
de ces règles mêmes), avec des degrés divers de force et par là,
des possibilités diverses de succès, pour s'approprier les
profits spécifiques qui sont en jeu dans le jeu. Ceux qui
dominent dans un champ donné sont en position de le faire
fonctionner à leur avantage, mais ils doivent toujours compter
avec la résistance, la contestation, les revendications, les prétentions,
« politiques » ou non, des dominés. »(Réponses, Seuil, 1992,
p.78)APPAREIL(Hommes d')« Les hommes d'appareil, et tout spécialement
ceux qui ne sont rien en dehors de l'appareil, sont prêts à
tout donner à un appareil qui leur a tout donné. »(La variante
« soviétique » et le capital politique. Conférence donnée à
Berlin-Est le 25 octobre 1989. Repris in Raisons pratiques,
Seuil, 1994, p.35)Voir aussi : Jdanovisme (loi du).
ARTISTE
(L')«
L'artiste est ce professionnel de la transformation de
l'implicite en explicite, de l'objectivation, qui transforme le
goût en objet, qui réalise le potentiel, c'est-à-dire ce sens
pratique du beau qui ne peut se reconnaître qu'en se réalisant.
En effet, le sens pratique du beau est purement négatif et fait
presque exclusivement de « refus ».[...] l'acte artistique est
un acte de production d'une espèce tout à fait particulière,
puis qu'il doit faire exister complètement quelque chose qui était
déjà là, dans l'attente même de son apparition, et le faire
exister tout à fait autrement, c'est-à-dire comme une chose
sacrée, comme objet de croyance.Les goûts, comme ensemble de
choix faits par une personne déterminée, sont donc le produit
d'une rencontre entre le goût objectivé et le goût du
consommateur. »(Exposé à l'Université de Neuchâtel en mai
1980. Publié dans Questions de sociologie, p.163, Minuit, 1984)Voir
aussi : Goût.
AUTOBIOGRAPHIE
« Une
autobiographie est souvent une manière de se construire un
mausolée qui est souvent un cénotaphe. »(Interventions
Science sociale et action politique, Agone, 2002, p.194)
CAPITAL SYMBOLIQUE
(reproduction
de la domination, violence symbolique, reconnaissance-méconnaissance)«
Du fait que le capital symbolique n'est pas autre chose que le
capital économique ou culturel lorsqu'il est connu et reconnu,
lorsqu'il est connu selon les catégories de perception qu'il
impose, les rapports de force symbolique tendent à reproduire et
à renforcer les rapports de force qui constituent la structure
de l'espace social. »(Choses dites, Minuit, 1987, p.160)«
J'appelle capital symbolique n'importe quelle espèce de capital
(économique, culturel, scolaire ou social) lorsqu'elle est perçue
selon des catégories de perception, des principes de vision et
de division, des systèmes de classement, des schèmes
classificatoires, des schèmes cognitifs, qui sont, au moins pour
une part, le produit de l'incorporation des structures objectives
du champ considéré, c-à-d de la structure de la distribution
du capital dans le champ considéré. »(Raisons pratiques,
Seuil, 1994, p.161)Voir aussi : Style de vie.
CHAMP
« La
notion de champ, c'est la mise en uvre du principe
fondamental qui pose que le réel social est relationnel, que ce
qui existe ce sont les relations non pas au sens de relations
sociales comme interactions, mais au sens de structures
invisibles, [...] mais en même temps la mise en uvre de ce
principe conduit à construire des objets comme l'espace des
grandes écoles, comme le champ intellectuel et le champ
artistique au temps de Flaubert, comme le champ religieux, et à
partir de la mise en uvre de ce principe, on produit des
connaissances sur lesquelles il y a matière à discussion, à
confrontation, à critique. Il est vrai que la plupart des
objections qui me sont adressées, surtout par les plus « éminents
des sociologues français » entre guillemets, ont, selon moi,
valeur d'auto- exclusion. »(in Lire les sciences sociales 1989-1992,
volume 1, pp.326-329, Éditions Belin, 1994)CHAMP ARTISTIQUE (voir
HOMOLOGIE STRUCTURALE)
CHAMP INTELLECTUEL
« Contre
l'illusion de l'« intellectuel sans attaches ni racines », qui
est en quelque sorte l'idéologie professionnelle des
intellectuels, je rappelle que les intellectuels sont, en tant
que détenteurs de capital culturel, une fraction (dominée) de
la classe dominante et que nombre de leurs prises de position, en
matière de politique par exemple, tiennent à l'ambiguïté de
leur position de dominés parmi les dominants. Je rappelle aussi
que l'appartenance au champ intellectuel implique des intérêts
spécifiques, non seulement, à Paris comme à Moscou, des postes
d'académicien ou des contrats d'édition, des comptes- rendus ou
des postes universitaires, mais aussi des signes de
reconnaissance et des gratifications souvent insaisissables pour
qui n'est pas membre de l'univers mais par lesquelles on donne
prise à toutes sortes de contraintes et de censures. »(Questions
de sociologie, Minuit, 1984, p.70)
CHAMP LITTÉRAIRE
Voir
: L'économie à l'envers du champ littéraire.
CHAMP POLITIQUE
« Le
champ politique est le lieu où s'engendrent, dans la concurrence
entre les agents qui s'y trouvent engagés, des produits
politiques, problèmes, programmes, analyses, commentaires,
concepts, événements, entre lesquels les citoyens ordinaires, réduits
au statut de « consommateurs », doivent choisir, avec des
chances de malentendu d'autant plus grandes qu'ils sont plus éloignés
du lieu de production. [
] C'est dire que le champ politique
exerce en fait un effet de censure en limitant l'univers du
discours politique et, par là, l'univers de ce qui est pensable
politiquement, à l'espace fini des discours susceptibles d'être
produits ou reproduits dans les limites de la problématique
politique comme espace des prises de position effectivement réalisées
dans le champ, c'est-à-dire sociologiquement possible étant
donné les lois régissant l'entrée dans le champ. La frontière
entre ce qui est politiquement dicible ou indicible, pensable ou
impensable, pour une classe de profanes se détermine dans la
relation entre les intérêts expressifs de cette classe et la
capacité d'expression de ces intérêts que lui assure sa
position dans les rapports de production culturelle et, par là,
politique. »(« La représentation politique : éléments pour
une théorie du champ politique. », Actes de la recherche en
sciences sociales, N°36-37, 1981, pp.3-24, pp. 3-4 pour
l'extrait)
CHAMP SCIENTIFIQUE
« En
vérité, un champ scientifique authentique est un espace où les
chercheurs s'accordent sur les terrains de désaccord et sur les
instruments avec lesquels ils sont en mesure de résoudre ces désaccords,
et sur rien d'autre. »(Réponses, Seuil, 1992, p.152)« Un champ
scientifique est un univers autonome où, pour s'affronter les
uns les autres, les chercheurs doivent abandonner toutes les
armes non scientifiques, à commencer par les armes de l'autorité
universitaire. »(Réponses, Seuil, 1992, p.153)
CONSÉCRATION
« Si
j'ai une petite chance de ne pas être achevé par la consécration,
je la dois au fait d'avoir travaillé à analyser la consécration.
Je pense même que je pourrai utiliser l'autorité que cette consécration
m'a donnée pour donner plus d'autorité à mon analyse, que je
crois libératrice, de la logique et des effets de la consécration.
»(Réponses, Seuil, 1992, p.182)CORPS (Voir INCORPORATION)
COURAGE
(masculin)«
Ce que l'on appelle « courage » s'enracine ainsi parfois dans
une forme de lâcheté : il suffit pour en convaincre, d'évoquer
toutes les situations où, pour obtenir des actes tels que tuer,
torturer ou violer, la volonté de domination, d'exploitation ou
d'oppression s'est appuyée sur la crainte « virile » de
s'exclure du monde des « hommes » sans faiblesse, de ce que
l'on appelle parfois des « durs » parce qu'ils sont durs pour
leur propre souffrance et surtout pour la souffrance des autres
assassins, tortionnaires et petits chefs de toutes les
dictatures et de toutes les « institutions totales », même les
plus ordinaires, comme les prisons, les casernes ou les internats
, mais également, nouveaux patrons de combat qu'exalte
l'hagiographie néo-libérale et qui, souvent soumis, eux aussi,
à des épreuves de courage corporel, manifestent leur maîtrise
en jetant au chômage leurs employés excédentaires. La virilité,
on le voit, est une notion éminemment relationnelle, construite
devant et pour les autres hommes et contre la féminité, dans
une sorte de peur du féminin, et d'abord en soi- même. »(La
domination masculine, Seuil, 1998, pp.58-59)
CROYANCE
(foi
pratique, pre-réflexivité, investissement, champs,
reconnaissance-méconnaissance)« La foi pratique est le droit
d'entrée qu'imposent tacitement tous les champs, non seulement
en sanctionnant et en excluant ceux qui détruisent le jeu, mais
en faisant en sorte, pratiquement, que les opérations de sélections
et de formation des nouveaux entrants (rites de passage, examens,
etc.) soient de nature à obtenir qu'ils accordent aux présupposés
fondamentaux du champ l'adhésion indiscutée, pré-réflexive,
naïve, native, qui définit la doxa comme croyance originaire.
Les actes de reconnaissance innombrables qui sont la monnaie de
l'adhésion constitutive de l'appartenance et où s'engendre
continûment la méconnaissance collective sont à la fois la
condition et le produit du fonctionnement du champ et représentent
donc autant d'investissements dans l'entreprise collective de création
du capital symbolique qui ne peut s'accomplir que moyennant que
la logique du fonctionnement du champ comme tel reste méconnue.
»(Le sens pratique, Minuit,1980, p.113- 114)Voir aussi :
Illusio; Violence symbolique.
CULTURE POPULAIRE
« Le
culte de la « culture populaire » n'est, bien souvent, qu'une
inversion verbale et sans effet, donc faussement révolutionnaire,
du racisme de classe qui réduit les pratiques populaires à la
barbarie ou à la vulgarité : comme certaines célébrations de
la féminité ne font que renforcer la domination masculine,
cette manière en définitive très confortable de respecter le
« peuple », qui, sous l'apparence de l'exalter, contribue à
l'enfermer ou à l'enfoncer dans ce qu'il est en convertissant la
privation en choix ou en accomplissement électif, procure tous
les profits d'une ostentation de générosité subversive et
paradoxale, tout en laissant les choses en l'état, les uns avec
leur culture ou leur (langue) réellement cultivée et capable
d'absorber sa propre subversion distinguée, les autres avec leur
culture ou leur langue dépourvues de toute valeur sociale ou
sujettes à de brutales dévaluations que l'on réhabilite
fictivement par un simple faux en écriture théorique. » (in Méditations
pascaliennes, pp.91-92, Seuil, 1997.)
DÉNÉGATION
« Le
travail nécessaire pour produire au jour la vérité et pour la
faire connaître une fois produite se heurte aux mécanismes de défense
collectifs qui tendent à assurer une véritable dénégation, au
sens de Freud. Le refus de reconnaître une réalité
traumatisante étant à la mesure des intérêts défendus, on
comprend la violence extrême des réactions de résistance que
suscitent, chez les détenteurs de capital culturel, les analyses
qui portent au jour les conditions de production et de
reproduction déniées à la culture : à des gens dressés à se
penser sous les espèces de l'unique et de l'inné, elles ne font
découvrir que le commun et l'acquis. »(Leçon sur la leçon, pp.30
et 31, Minuit, 1982)
DÉTERMINATION
« Celui
qui est déterminé contribue à sa propre détermination, mais
à travers des propriétés, comme les dispositions ou les
capacités, qu'il n'a pas déterminées. »(Science de la science
et réflexivité, Raisons d'Agir, 2001, p.120)
DICTIONNAIRES
« Les
dictionnaires de la sociologie, de l'ethnologie, de la
philosophie, etc. sont souvent des coups de force dans la
mesure où ils permettent de légitimer en faisant mine de décrire;
instruments de construction de la réalité qu'ils feignent
d'enregistrer, ils peuvent faire exister des auteurs ou des
concepts qui n'existent pas, passer sous silence des concepts ou
des auteurs qui existent, etc. »(Science de la science et réflexivité,
Éds. Raisons d'agir, 2002, p.77)
DIFFAMATION
« Très
efficace contre un capital qui, comme le capital symbolique, est
fama, réputation. »(Science de la science et réflexivité,
Raisons d'Agir, 2001, p.124)
DISTINCTION
« La
distinction n'implique pas nécessairement, comme on le croit
souvent, à la suite de Veblen et de sa théorie de la
conspicuous consumption, la recherche de la distinction. Toute
consommation, et plus généralement, toute pratique est
conspicuous, visible, qu'elle ait été ou non accomplie afin d'être
vue ; elle est distinctive, qu'elle ait été ou non inspirée
par l'intention de se faire remarquer, de se singulariser (to
make oneself conspicuous), de se distinguer ou d'agir avec
distinction. À ce titre, elle est vouée à fonctionner comme
signe distinctif et, lorsqu'il s'agit d'une différence reconnue,
légitime, approuvée, comme signe de distinction (aux différents
sens). Il reste que, étant capables de percevoir comme
distinctions signifiantes les différences « spontanées » que
leurs catégories de perception les portent à tenir pour
pertinentes, les agents sociaux sont aussi capables de redoubler
intentionnellement ces différences spontanées de style de vie
par ce que Weber appelle la « stylisation de la vie » (Stilisierung
des Lebens). La recherche de la distinction qui peut se
marquer dans les manières de parler ou dans le refus de la mésalliance
produit des séparations destinées à être perçues, ou
mieux connues et reconnues comme différences légitimes, c'est-à-dire
le plus souvent comme différences de nature (en français on
parle de distinction naturelle). »(« Espace social et genèses
des "classes" », in Langage & pouvoir symbolique,
Paris, Seuil, Collection Points-Essais, 2001, p.305)Voir : Goût;
Style de vie; Distingué.DISTINCTION (profit de)
DISTINGUÉ
« Qu'il
suffise de dire mais c'est beaucoup plus compliqué
que les dominants n'apparaissent comme distingués que parce que,
étant en quelque sorte nés dans une position positivement
distinguée, leur habitus, nature socialement constituée, est
immédiatement ajusté aux exigences immanentes du jeu, et qu'ils
peuvent ainsi affirmer leur différence sans avoir besoin de le
vouloir, c'est-à-dire avec le naturel qui est la marque de la
distinction dite « naturelle » : il leur suffit d'être ce
qu'ils sont pour être ce qu'il faut être, c'est-à-dire
naturellement distingués de ceux qui ne peuvent pas faire l'économie
de la recherche de la distinction. »(Choses dites, 1987, pp.21-22)Voir
aussi : Distinction.
DOMINATION
« Bourdieu
rejette l'alternative de la soumission et de la résistance qui a
traditionnellement défini la question des cultures dominées et
qui, à ses yeux, nous empêche de penser adéquatement des
pratiques et des situations qui se définissent bien souvent par
leur nature intrinsèquement double et trouble...S'il est bon de
rappeler que les dominés contribuent toujours à leur propre
domination, il est nécessaire de rappeler dans le même
mouvement que les dispositions qui les inclinent à cette
complicité sont aussi un effet incorporé de la domination.
Ainsi la soumission des travailleurs, des femmes et des minorités
raciales n'est-elle point, dans la majeure partie des cas, une
concession délibérée et consciente à la force brute des
cadres, des hommes et des Blancs. Elle trouve sa genèse dans la
correspondance inconsciente entre leur habitus et le champ dans
lequel ils opèrent. Elle se loge au plus profond du corps
socialisé ; elle est, pour tout dire, l'expression de la
somatisation des rapports sociaux de domination. »(Loïc
Wacquant : Introduction in Réponses, Seuil, 1992, pp.28-29)«
Nous sommes à travers cet habitus, à travers cette histoire
incorporée, toujours exposés à être complices des contraintes
qui s'exercent sur nous, à collaborer à notre propre domination.
Je pense que le centre de mon travail, c'est d'analyser les
fondements des formes symboliques de domination... Ce sont des
pouvoirs qui sont dans les structures objectives..., et qui sont
en même temps dans les têtes des agents. Ces structures ne
peuvent fonctionner qu'avec la complicité d'agents qui ont intériorisé
les structures selon lesquelles le monde est organisé. Toutes
les luttes symboliques commencent toujours par une dénonciation
que j'appelle objectiviste, dénonciation des formes objectivées
de la domination parce qu'elles se voient, parce qu'on peut les
toucher. On dit : « À bas l'État ! » Or l'État n'agit
qu'avec ce qu'il a mis de lui-même dans notre cerveau, et il y a
donc une sorte de psychanalyse de l'esprit humain qui est la
condition d'une lutte organisée. Disons qu'une lutte politique
organisée commence par soi-même. »(Entretien mené par Antoine
Spire assisté de Pascale Casanova et de Miguel Benassayag (1989-1990),
Éditions de l'Aube, 2002, pp.19-20. Sur le site www.00h00.com)DOMINATION(effet
de)« Une production idéologique est d'autant plus réussie
qu'elle est plus capable de mettre dans son tort quiconque tente
de la réduire à sa vérité objective : le propre de l'idéologie
dominante est d'être en mesure de faire tomber la science de
l'idéologie sous l'accusation d'idéologie : l'énonciation de
la vérité cachée du discours fait scandale parce qu'elle dit
ce qui était « la dernière chose à dire ». » (Langage et
pouvoir symbolique, Seuil, 2001, p.368)Voir aussi : Violence
symbolique.
DON
Voir
: Échange de dons.
DON QUICHOTTE
(Effet)«
Don Quichotte, c'est celui dont l'habitus correspond à un état
dépassé de l'ordre social et qui perpétue des dispositions qui
tournent à vide. Il y a bizarrement du Don Quichotte chez tout
vieillard : le ronchonnement des vieillards, c'est la nostalgie
d'un ordre disparu dans lequel l'habitus était comme un poisson
dans l'eau et, inversement les moments de bonheur, d'euphorie
sont les moments où il y a coïncidence entre l'habitus et le
monde, quand le monde répond au quart de tour aux attentes de
l'habitus. »(Entretien avec Roger Chartier, in « Les lundis de
l'histoire », France Culture, mai 1997 (à la publication des Méditations
pascaliennes). Rediffusé sur France Culture le 3 août 2002)
DOXA
« La
doxa est un point de vue particulier, le point de vue des
dominants, qui se présente et s'impose comme point de vue
universel; le point de vue de ceux qui dominent en dominant l'État
et qui ont constitué leur point de vue en point de vue universel
en faisant l'État. » (Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.129)
DROIT D'ENTRÉE
(dans
les champs de production)« Pour échapper à l'alternative de l'élitisme
et de la démagogie, il faut à la fois défendre le maintien et
même l'élévation du droit d'entrée dans les champs de
production je disais tout à l'heure que je souhaiterais
qu'il en soit ainsi pour la sociologie, dont les malheurs
viennent pour la plupart du fait que le droit d'entrée y est
trop bas et le renforcement du devoir de sortie, accompagné
d'une amélioration des conditions et des moyens de sortie. [...]
Il faut défendre à la fois l'ésotérisme inhérent (par définition)
à toute recherche d'avant-garde et la nécessité d'exotériser
l'ésotérique et de lutter pour obtenir les moyens de le faire
dans de bonnes conditions. En d'autres termes, il faut défendre
les conditions de production qui sont nécessaires pour faire
progresser l'universel et en même temps, il faut travailler à généraliser
les conditions d'accès à l'universel, pour faire en sorte que
de plus en plus de gens remplissent les conditions nécessaires
pour s'approprier l'universel. »(Sur la télévision, Liber-Raisons
d'Agir, 1996, p.76-77)
ECHANGE DE DONS
(et
intervalle temporel)« Mauss décrivait l'échange de dons comme
suite discontinue d'actes généreux; Levi- Strauss le définissait
comme une structure de réciprocité transcendante aux échanges,
ou le don renvoie au contre-don. Quant a moi, j'indiquais que ce
qui était absent dans ces deux analyses, c'était le rôle déterminant
de l'intervalle temporel entre le don et le contre-don, le fait
que, pratiquement dans toutes les sociétés, il est tacitement
admis qu'on ne rend pas sur-le- champ ce qu'on a reçu ce
qui reviendrait à refuser. Puis je m'interrogeais sur la
fonction de cet intervalle : pourquoi faut-il que le contre-don
soit différé et différent ? Et je montrais que l'intervalle
avait pour fonction de faire écran entre le don et le contre-don,
et de permettre à des actes parfaitement symétriques d'apparaître
comme des actes uniques, sans lien. Si je peux vivre mon don
comme un don gratuit, généreux, qui n'est pas destiné à être
payé de retour, c'est d'abord qu'il y a un risque, si minime
soit-il, qu'il n'y ait pas de retour (il y a toujours des ingrats),
donc un suspense, une incertitude, qui fait exister comme tel
l'intervalle entre le moment ou l'on donne et le moment ou l'on
reçoit. [...] Tout se passe donc comme si l'intervalle de temps,
qui distingue l'échange de dons du donnant- donnant, était là
pour permettre à celui qui donne de vivre son don comme un don
sans retour, et à celui qui rend de vivre son contre-don comme
gratuit et non déterminé par le calcul initial. »(Raisons
pratiques, Seuil, 1994, p.179)Voir aussi : Économie des biens
symboliques; Mise en forme (et dénégation de l'intérêt).
ECOLE
Voir
: Système scolaire; Verdict(s) Scolaire(s); Effet de destin;
Examen; Femmes.
ECONOMIE DES BIENS SYMBOLIQUES
« On
touche là un problème très difficile : la sociologie, si elle
s'en tient à la description objectiviste de l'échange de dons,
réduit l'échange de dons au donnant- donnant, et ne peut plus
fonder la différence entre un échange de dons et un acte de crédit.
Ainsi, ce qui est important dans l'échange de dons, c'est en
fait qu'à travers l'intervalle de temps interposé, les deux échangeurs
travaillent, sans le savoir et sans se concerter, à masquer ou
à refouler la vérité objective de ce qu'ils font. Vérité que
le sociologue dévoile, mais avec le risque de décrire comme un
calcul cynique un acte qui se veut désintéressé et qu'il faut
prendre comme tel, dans sa vérité vécue, vérité dont le modèle
théorique doit aussi prendre acte et rendre compte. [...]
L'ambiguïté des pratiques constitutives de l'économie des
biens symboliques fait que le sociologue se trouve confronté à
deux vérités exclusives qui sont toutes les deux présentes
dans la réalité et entre lesquelles il n'a pas à choisir.
[...] Il faut prendre acte de cette dualité et, de manière plus
générale, on ne peut comprendre l'économie des biens
symboliques que si l'on accepte d'emblée de prendre au sérieux
cette sorte d'ambiguïté qui n'est pas le fait du savant, qui
est dans la réalité-même, cette sorte de contradiction entre
la vérité subjective et la réalité objective (que le
sociologue obtient par la statistique et l'ethnologue par
l'analyse structurale). »(« L'économie des biens symboliques
», Cours du Collège de France à la Faculté d'Anthropologie et
de Sociologie de l'Université Lumière Lyon, Cahiers du Groupe
de Recherche sur la Socialisation, N°13, 2e trim. 1994, Lyon,
Université Lumière Lyon 2, p.12)« Et l'on rencontre là une
autre propriété de l'économie des échanges symboliques :
c'est le tabou de l'explicitation (dont la forme par excellence
est le prix). Dire, c'est détruire. Dire ce qu'il en est, déclarer
la vérité de l'échange, ou, comme on dit parfois, « la vérité
des prix » (quand on fait un cadeau, on enlève l'étiquette...),
c'est anéantir l'échange. On voit en passant que les conduites
dont l'échange de dons est le paradigme posent un problème très
difficile pour la sociologie ; si la sociologie a beaucoup de mal
à décrire correctement ce genre de conduites, c'est que précisément,
par définition, elle explicite. Elle est obligée de dire ce qui
va de soi et qui doit rester tacite, non-dit, sous peine d'être
détruit en tant que tel. »(« L'économie des biens symboliques
», Cours du Collège de France à la Faculté d'Anthropologie et
de Sociologie de l'Université Lumière Lyon, Cahiers du Groupe
de Recherche sur la Socialisation, N°13, 2e trim. 1994, Lyon,
Université Lumière Lyon 2, p.13- 14)Voir aussi : Échange de
dons.
ECONOMIE LIBÉRALE
« L'économie
néo-libérale, dont la logique tend, aujourd'hui, à s'imposer
au monde tout entier par l'intermédiaire d'instances
internationales telles que la Banque mondiale ou le FMI et des
gouvernements auxquels elles dictent, directement ou
indirectement, leurs principes de « gouvernance », doit un
certain nombre de ses caractéristiques, prétendument
universelles, au fait qu'elle est immergée, embedded, dans une
société particulière, c'est-à-dire enracinée dans un système
de croyances et de valeurs, un ethos et une vision morale du
monde, bref, un sens commun économique, lié en tant que tel,
aux structures sociales et aux structures cognitives d'un ordre
social particulier. Et c'est à cette économie particulière que
la théorie économique néo- classique emprunte ses présupposés
fondamentaux, qu'elle formalise et rationalise, les constituant
ainsi en fondements d'un modèle universel. Ce modèle repose sur
deux postulats (que leurs défenseurs tiennent pour des
propositions démontrées : l'économie est un domaine séparé
gouverné par des lois naturelles et universelles que les
gouvernements ne doivent pas contrarier par des interventions
intempestives ; le marché est le moyen optimal d'organiser la
production et les échanges de manière efficace et équitable
dans les sociétés démocratiques. »(Les structures sociales de
l'économie, Seuil, 2000, pp.23-24)Voir aussi : Néolibéralisme.
L'ÉCONOMIE À l'ENVERS DU CHAMP
LITTÉRAIRE
« La
révolution symbolique par laquelle les artistes s'affranchissent
de la demande bourgeoise en refusant de reconnaître aucun autre
maître que leur art a pour effet de faire disparaître le marché.
Ils ne peuvent, en effet, triompher du « bourgeois » dans la
lutte pour la maîtrise du sens et de la fonction de l'activité
artistique sans l'annuler du même coup comme client potentiel.
Au moment, où ils affirment, avec Flaubert, qu'une uvre
d'art [...] est inappréciable, n'a pas de valeur commerciale, «
ne peut se payer », qu'elle est sans prix, c'est à dire étrangère
à la logique ordinaire de l'économie ordinaire, on découvre
qu'elle est effectivement sans valeur commerciale, qu'elle n'a
pas de marché. L'ambiguïté de la phrase de Flaubert, qui dit
les deux choses à la fois, oblige à découvrir cette sorte de mécanisme
infernal, que les artistes mettent en place et dans lequel ils se
trouvent pris : faisant eux-mêmes la nécessité qui fait leur
vertu, ils peuvent toujours être soupçonner de faire de nécessité
vertu . »(Les règles de l'art, Seuil, 1992, Réédition Points-essais,
1998, p.139)Voir aussi : Champ littéraire.
EFFET DE DESTIN
Dit
aussi : Effet d'dipe« [
] les confrontations avec le
préjugé raciste ou avec les jugements classificatoires, souvent
stigmatisants, des personnels d'encadrement, scolaire, social ou
policier, qui à travers l'effet de destin qu'ils exercent,
contribuent puissamment à produire les destinées énoncées et
annoncées. »(La misère du Monde, Seuil, 1993, p.85-86)Voir
aussi : Verdict(s) scolaire(s). EFFET DE NATURALISATION (voir :
Historicisation)
ESPACE SOCIAL
/ CHAMPS«
L'espace social global tel qu'on peut le construire, tel que j'ai
essayé de le construire dans La Distinction repose sur l'hypothèse
d'un certain état des rapports, des taux de conversion, entre
les différentes espèces de capital. Il faudrait prolonger, mais
j'ai indiqué la direction dans laquelle il faudrait chercher, je
crois, pour articuler les analyses en termes d'espace social
global (comme on les voit dans La Distinction) et les analyses en
termes de champs que j'ai développées ailleurs, mais dans mon
esprit, il n'y a pas de contradiction. Je suis à la recherche
d'une articulation dont j'ai donné le schème. »(in Lire les
sciences sociales 1989-1992, volume 1, p.324, Éditions Belin,
1994)
MAIN GAUCHE DE L'ÉTAT
« [...] tous ceux qu'on appelle les « travailleurs
sociaux » assistantes sociales, éducateurs, magistrats
de base et aussi, de plus en plus, professeurs et instituteurs
constituent ce que j'appelle la main gauche de l'État,
l'ensemble des agents des ministères dits dépensiers qui sont
la trace, au sein de l'État, des luttes sociales du passé. Ils
s'opposent à l'État de la main droite, aux énarques du ministère
des Finances [...] »(Contre-feux I, Liber-Raisons d'Agir, 1998,
p.9)« [...] ceux que l'on envoie en première ligne remplir des
fonctions dites « sociales » et suppléer les insuffisances les
plus intolérables de la logique du marché sans leur donner les
moyens d'accomplir vraiment leur mission. »(ibid, p.11)
ETAT PÉNAL
« Aux
États-Unis, on assiste à un dédoublement de l'État, avec d'un
coté un État qui assure des garanties sociales, mais pour les
privilégiés, suffisamment assurés pour donner des assurances,
des garanties, et un État répressif, policier, pour le peuple.
Dans l'État de la Californie, un des plus riches des États-Unis,
il a été un moment constitué par certains sociologues
français en paradis de toutes les libérations , et des
plus conservateurs aussi, qui est doté de l'université sans
doute la plus prestigieuse du monde, le budget des prisons est
supérieur, depuis 1994, au budget de toutes les universités réunies.
Les Noirs du ghetto de Chicago ne connaissent de l'État que le
policier, le juge, le gardien de prison et le parole officer,
c'est-à-dire l'officier d'application des peines devant qui ils
doivent se présenter régulièrement sous peine de repartir en
prison. On a affaire là à une sorte de réalisation du rêve
des dominants, un État qui, comme l'a montré Loïc Wacquant, se
réduit de plus en plus à sa fonction policière. » (Contre-feux,
Raisons d'Agir,1998, p.37)
ETHNOMÉTHODOLOGUES
« Et
ceux d'entre les ethnométhodologues qui s'en tiennent à la
description de cette expérience (l'expérience doxique du monde
social. Ndlr), sans s'interroger sur les conditions sociales qui
la rendent possible c'est-à-dire l'adéquation des
structures sociales et des structures mentales, des structures
objectives du monde et des structures cognitives à travers
lesquelles il est appréhendé , ne font que reconduire les
interrogations les plus traditionnelles de la philosophie la plus
traditionnelle sur la réalité de la réalité; et, pour mesurer
les limites des apparences de radicalisme que leur confère
parfois leur populisme épistémologique (lié à la réhabilitation
de la pensée ordinaire), il suffit par exemple d'observer qu'ils
n'ont jamais vu les implications politiques de l'expérience
doxique du monde qui, en tant qu'acceptation fondamentale, située
hors des prises de la critique, de l'ordre établi, est le
fondement le plus sûr d'un conservatisme plus radical que celui
qui vise à instaurer l'orthodoxie politique (comme doxa droite
et de droite). »(Réponses, p.216, Seuil, 1992)
ETIQUETTE CLASSIFICATOIRE
(L')«
Vous sentez- vous marxiste, durkheimien ou weberien ? Je
n'ai jamais pensé en ces termes. Et j'ai l'habitude de récuser
ces questions. D'abord parce que, quand on les pose d'ordinaire,
c'est presque toujours dans une intention polémique,
classificatoire, pour cataloguer, katègoresthai, accuser
publiquement... La logique de l'étiquette classificatoire est très
exactement celle du racisme, qui stigmatise en enfermant dans une
essence négative. »(Choses dites, p.39, Minuit, 1987)Voir aussi
: Insulte.
EXAMEN
« Si
le système scolaire réussit à la fois à conserver le privilège
culturel et à le consacrer en dissimulant qu'il le conserve,
rien n'est mieux fait que l'examen pour procurer aux agents
l'illusion de la responsabilité en conduisant ceux qui s'éliminent
à s'assimiler à ceux qui échouent et en permettant à ceux qui
sont élus parmi un petit nombre d'éligibles de voir dans leur
élection l'attestation d'un mérite ou d'un « don » qui les
aurait fait préférer à tous les autres. Il faut donc
apercevoir que, par sa seule existence, l'examen dissimule l'élimination
sous la sélection, pour comprendre complètement que, dans son
fonctionnement même comme procédure de sélection, il obéit
encore à la logique régissant l'élimination qu'il dissimule.
»(Bourdieu (Pierre) et Passeron (Jean-Claude), « L'examen d'une
illusion. », Revue Française de Sociologie, IX, N° spécial,
1968, pp.227-253)
FAIT(S) DIVERS
« Faits
qui font diversion. »(Sur la télévision, Liber-Raisons d'Agir,1996,
p.16)
FAMILLE
« Cette
réalité dite privée d'origine publique. »(Raisons pratiques,
Seuil, 1994, p.144)
FEMMES
« Les
filles incorporent, sous forme de schèmes de perception et
d'appréciation difficilement accessibles à la conscience, les
principes de la vision dominante qui les portent à trouver
normal, ou même naturel, l'ordre social tel qu'il est et à
devancer en quelque sorte leur destin, refusant les filières ou
les carrières d'où elles sont exclues, s'empressant vers celles
auxquelles elles sont en tout cas destinées. »(La domination
masculine, Seuil, 1998, p.102)
FÉMINISME
(et
État social)« Pour les femmes, il y a des lieux de luttes, on
peut assigner des objectifs. Au lieu de dire : « Où est la
lutte ? Dans le foyer domestique. Alors, on va lutter pour savoir
qui fait la vaisselle. » C'est pas mal, mais il y a d'autres
lieux de luttes plus importants. Quand on dit : « On va détruire
le public. », on détruit le domaine où il y a le plus de
femmes et le domaine dont elles bénéficient le plus : la Sécurité
sociale, les mutuelles, les hôpitaux, les crèches, les écoles,
les services d'assistance, etc.Les femmes ont partie liée avec
l'État social, avec la main gauche de l'État. Elles ont plus de
chances que les hommes d'être profs, infirmières, assistantes
sociales, donc elles doivent défendre l'État. Voilà un exemple
pour le mouvement féministe, s'il prenait ça pour objectif au
lieu de faire du bla-bla... »(In La sociologie est un sport de
combat, un film de Pierre Carles, 2001)Voir aussi : Main gauche
de l'État.
FINALISMES
« Nous
avons une théorie spontanée de la délibération volontaire :
l'action comme examen des possibles. Eh bien cette théorie est
fausse ! Alors pourquoi avoir une bonne théorie ? D'abord, on écrit
autrement, on échappe à des finalismes naïfs, le finalisme des
individus : il a fait ça pour, en vue de. Quant on parle "d'en
vue de", il faut faire très attention. Qu'est-ce que c'est
que cette vue ? Vue de quoi ?, d'un possible, d'un futur ? A
fortiori quand on fait du finalisme des collectifs, quand on
parle de l'État, des grands corps, etc. Quand on fait tout ça,
on commet des erreurs théoriques qui entraînent des erreurs
empiriques. Je crois qu'il y a des choses que l'on n'interroge
pas, des questions que l'on ne pose pas au réel, des questions
que l'on ne pose pas aux informateurs et aux documents et qu'on
leur poserait si l'on avait une théorie juste. »(Entretien avec
Roger Chartier, in « Les lundis de l'histoire », France
Culture, mai 1997 (à la publication des Méditations
pascaliennes). Rediffusé sur France Culture le 3 août 2002)
FINKIELKRAUT
Voir
aussi : Pauvres blancs (de la culture).
GOÛT
(LE)«
Le goût, propension et aptitude à l'appropriation (matérielle
et/ou symbolique) d'une classe déterminée d'objets ou de
pratiques classés et classants, est la formule génératrice qui
est au principe du style de vie, ensemble unitaire de préférences
distinctives qui expriment, dans la logique spécifique de chacun
des sous-espaces symboliques, mobilier, vêtement, langage ou
hexis corporelle, la même intention expressive. »(La
Distinction, Minuit, 1979, p.193)« Le goût est l'opérateur
pratique de la transmutation des choses en signes distincts et
distinctifs, des distributions continues en oppositions
discontinues ; il fait accéder les différences inscrites dans
l'ordre physique des corps, à l'ordre symbolique des
distinctions signifiantes. Il transforme des pratiques
objectivement classées dans lesquelles une condition se signifie
elle-même (par son intermédiaire) en pratiques classantes,
c'est-à-dire en expression symbolique de la position de classe,
par le fait de les percevoir dans leurs relations mutuelles et en
fonction de schèmes de classements sociaux. » (La Distinction,
Minuit, 1979, p.194-195)« [Le goût] est ce qui fait que l'on a
ce que l'on aime parce qu'on aime ce que l'on a, c'est-à-dire
les propriétés qu'on se voit attribuer en fait dans les
distributions et assigner en droit dans les classements. » (La
Distinction, Minuit, Paris, 1979, p.195)Voir aussi : Style de
vie; Artiste (L')
HABITUS
(L')(structure)«
Structure structurante, qui organise les pratiques et la
perception des pratiques, l'habitus est aussi structure structurée
: le principe de division en classes logiques qui organise la
perception du monde social est lui-même le produit de
l'incorporation de la division en classes sociales. »(La
Distinction, Minuit, 1979, p.191)(capacité)« L'habitus est [
]
à la fois principe générateur de pratiques objectivement
classables et système de classement (principium divisionis) de
ces pratiques. C'est dans la relation entre les deux capacités
qui définissent l'habitus, capacité de produire des pratiques
et des uvres classables, capacité de différencier et
d'apprécier ces pratiques et ces produits (goût), que se
constitue le monde social représenté, c'est-à-dire l'espace
des styles de vie. »(La Distinction, Minuit, 1979, p.190)(et
conditionnement)« Les conditionnements associés à une classe
particulière de conditions d'existence produisent des habitus,
systèmes de dispositions durables et transposables, structures
structurées prédisposées à fonctionner comme structures
structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs
et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent
être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée
consciente de fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires
pour les atteindre, objectivement « réglées » et « régulières
» sans être en rien le produit de l'obéissance à des règles,
et, étant tout cela, collectivement orchestrées sans être le
produit de l'action organisatrice d'un chef d'orchestre ».(Le
sens pratique, Minuit ,1980, p.88)(Principe d'unification)«
Principe d'unification et d'explication de cet ensemble de
conduites, en apparence disparates, qui constituent une existence
une ».(« Postface », in Panofsky, E. (1970) : Architecture
gothique et pensée scolastique, trad. et postface de Pierre
Bourdieu, Paris, Éditions de Minuit, Le Sens Commun, p.164)(correctifs
historiques et effets de champ)« J'avais la conviction que par
la réflexion et surtout la réflexion collective, on pouvait maîtriser
les obstacles sociaux à la pratique scientifique, et en
particulier ceux qui tiennent à l'origine sociale. Et je me réjouissais
souvent de voir des équipes composées d'une jeune femme issue
de la noblesse et une autre du sous-prolétariat ou d'un type du
7e arrondissement et d'un autre de la banlieue de Marseille. En
fait, les habitus sont très puissants et je les avais sous-estimés...
Y compris dans un groupe de gens qui ont pour préoccupation le
monde social. Par exemple, c'était la seule règle que j'avais
énoncée, il était entendu qu'on ne se servait jamais de la
sociologie pour régler des comptes entre nous : la notion
d'habitus (ou de trajectoire) est très dangereuse dans l'usage
quotidien, parce qu'elle est utilisée selon les vieux réflexes
PC : "Tu n'es qu'un fils de...". Ça donne très
facilement ça et ça conduit à ignorer les correctifs
historiques de l'habitus, ainsi que les effets de champ (selon le
principe qu'un habitus produit des choses différentes selon le
champ auquel il est exposé, etc.). Donc, il y a un danger de régression
vers l'explication déterministe, simpliste, mono-factorielle,
par l'origine sociale contre lequel je ne peux pas grand-chose.
»(in Lire les sciences sociales, de Gérard Mauger et Louis
Pinto, volume 3, 1994-1996, pp.220-221, Hermes Science, Paris,
octobre 2000)(et habitude)« L'habitus, comme le mot le dit,
c'est ce que l'on a acquis [
]. Mais pourquoi ne pas avoir
dit habitude ? L'habitude est considérée spontanément comme répétitive,
mécanique, automatique, plutôt reproductive que productrice.
Or, je voulais insister sur l'idée que l'habitus est quelque
chose de puissamment générateur. »(Questions de sociologie,
Minuit, 1980, p.134)(et actions)« Étant le produit de
l'incorporation de la nécessité objective, l'habitus, nécessité
faite vertu, produit des stratégies qui, bien qu'elles ne soient
pas le produit d'une visée consciente de fins explicitement posées
sur la base d'une connaissance adéquate des conditions
objectives, ni d'une détermination mécanique par des causes, se
trouvent être objectivement ajustées à la situation. »(«
Fieldwork in philosophy », in Choses dites, Minuit, 1987, p.21)«La
notion d'habitus a été inventée [
] pour rendre compte de
ce paradoxe : des conduites peuvent être orientées par rapport
à des fins sans être consciemment dirigées vers ces fins,
dirigées par ces fins. »(« Fieldwork in philosophy », in
Choses dites, Minuit, 1987, p.20)« Construire la notion
d'habitus comme système de schèmes acquis fonctionnant à l'état
pratique comme catégories de perception et d'appréciation ou
comme principes de classement en même temps que comme principes
organisateurs de l'action, c'était constituer l'agent social
dans sa vérité d'opérateur pratique de construction d'objets.
» (« Fieldwork in philosophy », in Choses dites, Minuit, 1987,
p.24)(et sujet)« On peut comprendre rétrospectivement le
recours à la notion d'habitus, vieux concept aristotélicien-thomiste
[
] comme une manière d'échapper à cette alternative du
structuralisme sans sujet et de la philosophie du sujet. [
]
Malheureusement, on applique à mes analyses [
] les
alternatives mêmes que la notion d'habitus vise à écarter,
celles de la conscience et de l'inconscient, de l'explication par
les causes déterminantes ou par les causes finales. »(«
Fieldwork in philosophy », in Choses dites, Minuit, 1987, p.20)«
Parler d'habitus, c'est poser que l'individuel, et même le
personnel, le subjectif, est social, collectif. L'habitus est une
subjectivité socialisée. »(Réponses, Seuil, 1992, p.101)«
L'habitus n'est pas le destin que l'on y a vu parfois. Étant le
produit de l'histoire, c'est un système de dispositions ouvert,
qui est sans cesse affronté à des expériences nouvelles et
donc sans cesse affecté par elles. Il est durable mais non
immuable. Cela dit, je dois immédiatement ajouter que la plupart
des gens sont statistiquement voués à rencontrer des
circonstances accordées avec celles qui ont originellement façonné
leur habitus, donc à voir des expériences qui viendront
renforcer leurs dispositions ».(Réponses, Seuil, 1992, p.108109)«
L'habitus peut aussi être transformé à travers la
socioanalyse, la prise de conscience qui permet à l'individu
d'avoir prise sur ses dispositions. Mais la possibilité et
l'efficacité de cette sorte d'auto-analyse sont elles-mêmes déterminées
en partie par la structure originelle de l'habitus en question,
en partie par les conditions objectives sous lesquelles se
produit cette prise de conscience ». (Réponses, Seuil, 1992, p.239)Voir
aussi : Habitus clivé; Inconscient; Sens pratique; Stratégie;
Don Quichotte (efet).
HABITUS CLIVÉ
« Pour
éviter de surcharger indéfiniment l'analyse, je voudrais en
venir rapidement à ce qui m'apparaît aujourd'hui, dans l'état
de mon effort de réflexivité, comme l'essentiel, le fait que la
coïncidence contradictoire de l'élection dans l'aristocratie
scolaire et de l'origine populaire et provinciale (j'aurais envie
de dire : particulièrement provinciale) a été au principe de
la constitution d'un habitus clivé, générateur de toutes
sortes de contradictions et de tensions...Cette ambivalence est
au principe d'une double distance par rapport aux positions opposées,
dominantes et dominées, dans le champ. »(Science de la science
et réflexivité, Cours du Collège de France 2000-2001, Raisons
d'agir, p.214)
HAUT-PARLEURS
« Dans
la lutte contre le discours des haut- parleurs, hommes
politiques, essayistes, journalistes, le discours scientifique a
tout contre lui. »(Questions de sociologie, Minuit, 1984, p.8)
HISTORICISATION
« Pour
ne pas être l'objet des problèmes que l'on prend pour objet, il
faut faire l'histoire sociale de l'émergence de ces problèmes,
de leur constitution progressive, c'est-à-dire du travail
collectif souvent accompli dans la concurrence et la lutte
qui a été nécessaire pour faire connaître et reconnaître
ces problèmes comme légitimes, avouables, publiables, publics,
officiels : on peut penser aux problèmes de la famille, du
divorce, de la délinquance, de la drogue, du travail féminin,
etc. »(Réponses, Seuil, 1992, p.210)« La science sociale, qui
est condamnée à la rupture critique avec les évidences premières,
n'a pas de meilleure amie pour l'opérer que l'historicisation
qui permet de neutraliser, au moins dans l'ordre de la théorie,
les effets de la naturalisation, et en particulier l'amnésie de
la genèse individuelle et collective d'un donné qui se donne
toutes les apparences de la nature et demande à être pris pour
argent comptant, taken for granted. Mais et c'est ce qui
fait la difficulté extrême de l'enquête anthropologique
l'effet de naturalisation s'exerce aussi, il ne faut pas
l'oublier, sur la pensée pensante elle-même : l'incorporation
de l'ordre scolastique sous forme de dispositions (habitus) peut,
on l'a vu, imposer à la pensée des présuppositions et des
limitations qui, s'étant faites corps, sont enfouies hors des
prises de conscience. »(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997,
p.217)
HOLISME
« Samir
(élève de Terminale ES ) : On vous présente comme un
sociologue « holiste ». Qu'en pensez-vous ?- P.Bourdieu :
D'abord ce mot « holiste » ne veut pas dire grand chose. Il
vient du grec holos qui veut dire tout, totalité. C'est un mot
qu'un certain nombre de gens parmi les économistes et les
sociologues opposent au concept « individualiste ». En général,
« holiste » est un mauvais mot, une insulte. C'est au fond tout
ce que les économistes néoclassiques n'aiment pas. Le «
holiste » par excellence, pour eux, c'est Marx, leur bête noire.
Les gens qu'on met dans cette case expliqueraient les phénomènes
sociaux comme une totalité par opposition à ceux qui partent
des individus. C'est une opposition qui n'a pour moi aucun sens
comme l'opposition entre individu et société. Elle est partout,
sert de sujet de dissertation mais elle ne veut strictement rien
dire dans la mesure où chaque individu est une société devenue
individuelle, une société qui est individualisée par le fait
qu'elle est portée par un corps, un corps qui est individuel. Même
un individu économique est un être, un sujet collectif : qu'il
soit un citoyen quelconque qui va faire son marché ou un
entrepreneur, il a une tête collective, un langage collectif. Ce
qui est embêtant, c'est que ce genre d'oppositions archi-fausses
existent, continuent à circuler et à retarder la recherche. »(«
Paris-Bourdieu-Marseille », "Une classe de première ES
d'un lycée de ZEP de Marseille rencontre Pierre Bourdieu au Collège
de France", in Documents pour l'Enseignement Économique et
Social, n°127, 2002, p.21)Voir aussi : Individu et société.
HONTE
« La
honte corporelle et toutes les espèces de honte culturelle,
celles qu'inspire un accent, un parler ou un goût, sont en effet
parmi les formes les plus insidieuses de la domination, parce
qu'elles font vivre sur le mode du pêché originel et de l'
indignité essentielle, des différences qui, même pour les plus
naturelles en apparence, comme celles qui touchent au corps, sont
le produit de conditionnements sociaux, donc de la condition économique
et sociale. »(« Le couturier et sa griffe : contribution à une
théorie de la magie. », Actes de la recherche en sciences
sociales, n°1, janvier 1975, p.36)
HUMANISME
« Accorder
à tous, mais de manière purement formelle, l'« humanité »,
c'est en exclure, sous des dehors de l'humanisme, tous ceux qui
sont dépossédés des moyens de la réaliser. »(Méditations
pascaliennes, Seuil, 1997, p.80)
IDÉOLOGIE
« Une
production idéologique est d'autant plus réussie qu'elle est
plus capable de mettre dans son tort quiconque tente de la réduire
à sa vérité objective : le propre de l'idéologie dominante
est d'être en mesure de faire tomber la science de l'idéologie
sous l'accusation d'idéologie : l'énonciation de la vérité
cachée du discours fait scandale parce qu'elle dit ce qui était
« la dernière chose à dire ». »(Langage et pouvoir
symbolique, Seuil, 2001, p.368)
IDÉOLOGIE DE LA COMPÉTENCE
« L'idéologie
de la compétence convient très bien pour justifier une
opposition qui ressemble un peu à celle de maîtres et des
esclaves : avec d'un coté des citoyens à part entière qui ont
des capacités et des activités très rares et surpayées, qui
sont en mesure de choisir leur employeur (alors que les autres
sont choisis par leur employeur, dans le meilleur des cas), qui
sont en mesure d'obtenir de très hauts revenus sur le marché du
travail international, qui sont sur- occupés, hommes et femmes (j'ai
lu une très belle étude anglaise sur ces couples de cadres fous
qui courent le monde, qui sautent d'un avion à un autre, qui ont
des revenus hallucinants qu'ils ne peuvent même pas rêver de dépenser
en quatre vies, etc.), et puis, de l'autre coté, une masse de
gens voués aux emplois précaires ou au chômage. »(Contre-feux,
Liber-Raisons d'agir, 1998, p.48-49)
ILLUSIO
« L'illusio
comme adhésion immédiate à la nécessité d'un champ a
d'autant moins de chances d'apparaître à la conscience qu'elle
est mise en quelque sorte à l'abri de la discussion : au titre
de croyance fondamentale dans la valeur des enjeux de la
discussion et dans les présupposés inscrits dans le fait même
de discuter, elle est la condition indiscutée de la discussion...L'illusio
n'est pas de l'ordre des principes explicites, des thèses que
l'on pose et que l'on défend, mais de l'action, de la routine,
des choses que l'on fait, et que l'on fait parce qu'elles se font
et que l'on a toujours fait ainsi. Tous ceux qui sont engagés
dans le champ, tenants de l'orthodoxie ou de l'hétérodoxie, ont
en commun l'adhésion tacite à la même doxa qui rend possible
leur concurrence et lui assigne sa limite : elle interdit de fait
la mise en question des principes de la croyance, qui menacerait
l'existence même du champ. Aux questions sur les raisons de
l'appartenance, de l'engagement viscéral dans le jeu, les
participants n'ont rien à répondre en définitive, et les
principes qui peuvent être invoqués en pareil cas ne sont que
des rationalisations post festum destinées à justifier, pour
soi-même autant que pour les autres, un investissement
injustifiable. »(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, pp.122-123)«
Pour qu'un champ marche, il faut qu'il y ait des enjeux et des
gens prêts à jouer le jeu, dotés de l'habitus impliquant la
connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du jeu, des
enjeux, etc.On oublie que la lutte présuppose un accord entre
les antagonistes sur ce qui mérite qu'on lutte et qui est refoulé
dans le cela va de soi, laissé à l'état de doxa, c'est-à-dire
tout ce qui fait le champ lui-même, le jeu, les enjeux, tous les
présupposés qu'on accepte tacitement, sans même le savoir, par
le fait de jouer, d'entrer dans le jeu.Et de fait, les révolutions
partielles dont les champs sont continûment le lieu ne mettent
pas en question les fondements mêmes du jeu, son axiomatique
fondamentale, le socle de croyances ultimes sur lesquelles repose
tout le jeu. Au contraire, elles contribuent à rendre impensable
pratiquement la destruction pure et simple du jeu. »(Exposé «
Quelques propriétés des champs » fait à l'École normale supérieure
en novembre 1976 à l'intention d'un groupe de philologues et
d'historiens de la littérature, in Questions de sociologie,
Minuit, 1984, pp.114-116)« L'espace des possibles caractéristique
de chaque champ, religieux, politique ou scientifique, etc.,
fonctionne, en vertu du principe de division (nomos) spécifique
qui le caractérise, comme un ensemble structuré de licitations
et de sollicitations, et aussi d'interdits [...]. Et l'on
pourrait montrer de la même façon comment le désir se spécifie
et se sublime, en chacun des univers proposés à son expression,
pour revêtir des formes socialement approuvées et reconnues,
celles de la libido dominandi ici ou celles de la libido sciendi
sciendi ailleurs. »(La misère du monde, Seuil, 1993, pp.1101-1102)Voir
: Nomos; Illusio (libido; investissement)ILLUSIO(dans le jeu)« [
]
les jeux sociaux sont des jeux qui se font oublier en tant que
jeux et l'illusio, c'est ce rapport enchanté à un jeu qui est
le produit d'un rapport de complicité ontologique entre les
structures mentales et les structures objectives de l'espace
social. C'est ce que je voulais dire en parlant d'intérêt :
vous trouvez importants, intéressants, des jeux qui vous
importent parce qu'ils ont été imposés et importés dans votre
tête, dans votre corps, sous la forme de ce que l'on appelle le
sens du jeu. »(Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.151)ILLUSIO(libido,
investissement) « Libido serait aussi tout à fait pertinent
pour dire ce que j'ai appelé illusio, ou investissement. [...]
Une de taches de la sociologie est de déterminer comment le
monde sociale constitue la libido biologique, pulsion indifférenciée,
en libido sociale, spécifique. Il y a en effet autant d'espèces
de libido qu'il y a de champs : le travail de socialisation de la
libido étant précisément ce qui transforme les pulsions en intérêts
spécifiques, intérêts socialement constitués qui n'existent
qu'en relation avec un espace social au sein duquel certains
choses sont importantes et d'autres indifférentes, et pour des
agents socialisés, constitués de manière à faire des différences
correspondant à des différences objectives dans cet espace. »(Raisons
pratiques, Seuil, 1994, p.153)
IMPÉRATIF DE RÉGULARISATION
« Parmi
les forces qui soutiennent les règles sociales, il y a cet impératif
de régularisation, manifeste dans le fait de « se mettre en règle
», qui conduit à présenter comme accomplies conformément à
la règle des pratiques qui peuvent être en transgression complète
de la règle, parce que l'essentiel est de sauver la règle (et
c'est à ce titre que le groupe approuve et respecte cette
hypocrisie collective). »(Science de la science et réflexivité,
Raisons d'agir, 2001, p.53)
INCONSCIENT
(L')«
L'inconscient n'est jamais en effet que l'oubli que l'histoire
elle-même produit en réalisant les structures objectives
qu'elle engendre dans ces quasi-natures que sont les habitus.
Histoire incorporée, faite nature, et par là oubliée en tant
que telle, l'habitus est la présence agissante de tout le passé
dont il est le produit. »(Le sens pratique, Minuit,1980, p.94)
Voir aussi : Stratégies.
INCORPORATION
« On
parle toujours d'« imaginaire », mais l'imagination, c'est la
représentation que l'on a du monde social lorsqu'on est dressé,
socialisé à accepter le monde social tel qu'il est par la fréquentation
longue et continue du monde. Nous sommes étatisés, ajustés...
L'ordre social est du côté des corps. Par exemple, la
domination masculine n'est pas liquidée avec la conscience de la
domination. Il y a une contribution des viscères à la
domination. Il faut transformer les corps, mais ça prend du
temps, ça suppose des rééducations du corps. »(Entretien avec
Roger Chartier, in « Les lundis de l'histoire », France
Culture, mai 1997 (à la publication des Méditations
pascaliennes). Rediffusé sur France Culture le 3 août 2002)
INDIVIDU
ET
SOCIÉTÉ« Tout travail de dépassement des oppositions
canoniques est exposé à la régression pédagogique ou
politique (un des enjeux majeurs étant évidemment l'usage
politique d'auteurs ou de concepts emblématiques). L'exemple le
plus typique est l'opposition, tout à fait absurde
scientifiquement, entre individu et société, que la notion
d'habitus en tant que social incorporé, donc individué, vise à
dépasser. On aura beau faire, la logique politique relancera éternellement
la question : il suffit en effet d'introduire la politique dans
le champ intellectuel pour faire exister une opposition , qui n'a
de réalité que politique, entre tenants de l'individu («
individualisme méthodologique ») et tenants de la « société
» (catalogués comme « totalitaires »). »(Choses dites,
Minuit, 1987, pp.42- 43)Voir aussi : Holisme.
INSULTE
« L'étiquetage,
qui est l'équivalent « savant » de l'insulte, est aussi une
stratégie commune, et d'autant plus puissante que l'étiquette
est à la fois plus stigmatisante et plus vague, donc irréfutable.
»(Choses dites, p.169, Minuit,1987)Voir aussi : Étiquette
classificatoire.
INTELLECTUELS
MÉDIATIQUES«
[
] Il faudrait analyser comment s'est opéré le travail
continu de démolition de la figure de l'intellectuel qui s'était
élaborée, en France, de Zola à Sartre ; comment s'est constitué
peu à peu un univers d'évidences, de thèses indiscutées, que
l'on colporte en toute bonne foi ; comment les journalistes,
condamnés au renouvellement permanent de leurs admirations
provisoires en sont venus à voir la vie intellectuelle sur le
modèle de la mode (oubliant que, tant dans le domaine de la
science que dans le domaine de l'art, les ruptures supposent la
continuité). Patrons en mal de pensée et journalistes ou «
intellectuels » en mal de pouvoir pensent les uvres de
l'esprit selon la catégorie chic/non chic, nouveau/dépassé (et
non vrai/faux, ou original/banal, beau/laid, etc.). Dire de telle
thèse de Dumézil sur les sociétés indo-européennes qu'elle
est fausse, c'est se mettre en demeure d'apporter des preuves.
Mais on peut aussi se contenter de dire : c'est dépassé, c'est-à-dire
non chic. Et le non- chic, à Paris, c'est la mort sans phrases.
On peut même redoubler la condamnation esthético-mondaine par
une condamnation éthico-politique, comme aux plus beaux jours du
stalinisme, en disant que c'est « marxiste » ou, comme dans le
cas de Dumézil récemment, « fasciste ». »(Libre- échange,
entretien avec Hans Haacke, Seuil/Presses du réel, 1994, p.57)«
Ils veulent redéfinir la figure et la fonction de l'intellectuel
à leur image, c'est-à-dire à leur mesure. Ce sont des Zola qui
lanceraient des « J'accuse » sans avoir écrit « L'Assommoir
» ou « Germinal », ou des Sartre qui signeraient des pétitions
ou mèneraient des manifestations sans avoir écrit « L'Être et
le Néant » ou « La critique de la raison dialectique ». Ils
demandent à la télévision de leur donner une notoriété que
seule, autrefois, une vie, souvent obscure, de recherche et de
travail pouvait donner. Ils ne gardent du rôle de l'intellectuel
que les signes extérieurs, la partie extérieure, visible, les
manifestes, les manifestations, les exhibitions publiques. Tout
cela, après tout, serait sans importance s'ils n'abandonnaient
pas l'essentiel de ce qui faisait la grandeur de l'intellectuel
à l'ancienne, c'est-à-dire les dispositions critiques qui
trouvaient leur fondement dans l'indépendance à l'égard des
demandes et des séductions temporelles et dans l'adhésion aux
valeurs propres du champ littéraire ou artistique. Comme ils
prennent position sur tous les problèmes du moment sans
conscience critique, sans compétence technique et sans
conviction éthique, ils vont à peu près toujours dans le sens
de l'ordre établi. »(Libre-échange, entretien avec Hans
Haacke, Seuil/Presses du réel, 1994, pp.58-59)Voir aussi :
Pauvres blancs (de la culture); FINKIELKRAUT; SOLLERS; LÉVY.INTELLECTUEL
TOTAL (Voir Sartre (Jean-Paul))INTELLECTUEL NÉGATIF (Voir Lévy
(Bernard- Henri))
INVESTISSEMENT
Voir
: Croyance; Illusio.
JDANOVISME
(Loi
du)[Loi] « selon laquelle les plus démunis de capital spécifique,
c'est-à-dire les moins éminents selon les critères proprement
scientifiques, ont tendance à en appeler aux pouvoirs externes
pour se renforcer, et éventuellement triompher, dans leurs
luttes scientifiques. »(Science de la science et réflexivité,
Raisons d'Agir, 2001, p.116)
JEU
Voir
: Sens du jeu.JEU (marge de) : Voir : Stratégie
LANGUE
« Produite
par des auteurs ayant autorité pour écrire, fixée et codifiée
par les grammairiens et les professeurs, chargés aussi d'en
inculquer la maîtrise, la langue est un code, au sens de chiffre
permettant d'établir des équivalences entre des sons et des
sens, mais aussi au sens de système de normes réglant les
pratiques linguistiques. »(Ce Que Parler Veut Dire, Fayard, 1995,
p.27)Voir aussi : Marché linguistique.
LÉGITIME
« Que
veut dire légitime ? Ce mot est un mot technique du vocabulaire
sociologique que j'emploie sciemment, car seuls des mots
techniques permettent de dire, donc de penser, et de manière
rigoureuse, les choses difficiles.Est légitime une institution,
ou une action, ou un usage qui est dominant et méconnu comme
tel, c'est-à-dire tacitement reconnu. Le langage que les
professeurs emploient, celui que vous employez pour me parler (une
voix : « Vous aussi vous l'employez ! ». Bien sûr. Je
l'emploie, mais je passe mon temps à dire que je le fais !), le
langage que nous employons dans cet espace est un langage
dominant méconnu comme tel, c'est-à-dire tacitement reconnu
comme légitime. C'est un langage qui produit l'essentiel de ses
effets en ayant l'air de ne pas être ce qu'il est [
] »(Intervention
au Congrès de l'AFEF, Limoges, 30 octobre 1977, parue dans Le
français aujourd'hui, 41, mars 1978, pp.4-20 et Supplément au n°
41, pp.51-57. Repris dans Questions de sociologie, Minuit, 1984,
pp.95-112.)
LÉVY
(Bernard-Henri)(L'intellectuel
négatif)« Deux articles écrits au terme d'un voyage sous
escorte, programmé, balisé, surveillé par les autorités ou
l'armée algériennes, qui seront publiés dans le plus grand
quotidien français, quoique bourrés de platitudes et d'erreurs
et tout entiers orientés vers une conclusion simpliste, bien
faite pour donner satisfaction à l'apitoiement superficiel et à
la haine raciste, maquillée en indignation humaniste. Un meeting
unanimiste regroupant tout le gratin de l'intelligentsia médiatique
et des hommes politiques allant du libéral intégriste à l'écologiste
opportuniste en passant par la passionaria des « éradicateurs
». Une émission de télévision parfaitement unilatérale sous
des apparences de neutralité. Et le tour est joué. Le compteur
est remis à zéro. L'intellectuel négatif a rempli sa mission :
qui voudra se dire solidaire des égorgeurs, des violeurs et des
assassins, surtout quand il s'agit de gens que l'on désigne,
sans autre attendu historique, comme des « fous de l'islam »,
enveloppés sous le nom honni d'islamisme, condensé de tous les
fanatismes orientaux, bien fait pour donner au mépris raciste
l'alibi indiscutable de la légitimité éthique et laïque ?Pour
poser le problème en des termes aussi caricaturaux, il n'est pas
besoin d'être un grand intellectuel. C'est pourtant ce qui vaut
au responsable de cette opération de basse police symbolique,
antithèse absolue de tout ce qui définit l'intellectuel, la
liberté à l'égard des pouvoirs, la critique des idées reçues,
la démolition des alternatives simplistes la restitution de la
complexité des problèmes, d'être consacré par les
journalistes comme intellectuel de plein exercice. »(«
L'intellectuel négatif. », janvier 1998, repris in Contre Feux,
Liber-Raisons d'Agir, 1998, p.106)Voir aussi : Intellectuels médiatiques.
LOI
DES
CÉCITÉS ET DES LUCIDITÉS CROISÉES « S'il a fallu repenser de
fond en comble la sociologie des intellectuels, c'est que, du
fait de l'importance des intérêts en jeu et des investissements
consentis, il est suprêmement difficile, pour un intellectuel,
d'échapper à la logique de la lutte dans laquelle chacun se
fait volontiers le sociologue au sens le plus brutalement
sociologiste de ses adversaires, en même temps que son
propre idéologue, selon la loi des cécités et des lucidités
croisées qui règle toutes les luttes sociales pour la vérité.
»(Leçon sur la leçon, Minuit, 1982, pp.21-22)
LUTTE DES CLASSEMENTS
« Pour
rompre avec l'ambition, qui est celle des mythologies, de fonder
en raison les divisions arbitraires de l'ordre social, et d'abord
la division du travail, et de donner ainsi une solution logique
ou cosmologique au problème du classement des hommes, la
sociologie doit prendre pour objet, au lieu de s'y laisser
prendre, la lutte pour le monopole de la représentation légitime
du monde social, cette lutte des classements qui est une
dimension de toute espèce de lutte des classes, classes d'âge,
classes sexuelles ou classes sociales. »(Leçon sur la leçon,
Minuit, 1982, pp.13-14)
MAIN GAUCHE DE L'ÉTAT
« [...] tous ceux qu'on appelle les « travailleurs
sociaux » assistantes sociales, éducateurs, magistrats
de base et aussi, de plus en plus, professeurs et instituteurs
constituent ce que j'appelle la main gauche de l'État,
l'ensemble des agents des ministères dits dépensiers qui sont
la trace, au sein de l'État, des luttes sociales du passé. Ils
s'opposent à l'État de la main droite, aux énarques du ministère
des Finances [...] »(Contre-feux I, Liber-Raisons d'Agir, 1998,
p.9)« [...] ceux que l'on envoie en première ligne remplir des
fonctions dites « sociales » et suppléer les insuffisances les
plus intolérables de la logique du marché sans leur donner les
moyens d'accomplir vraiment leur mission. »(ibid, p.11)
MARCHÉ LINGUISTIQUE
(profit
de distinction, compétence légitime, capital linguistique,
position-espace social)« La constitution d'un marché
linguistique crée les conditions d'une concurrence objective
dans et par laquelle la compétence légitime peut fonctionner
comme capital linguistique produisant, à l'occasion de chaque échange
social, un profit de distinction. [...] Étant donné que le
profit de distinction résulte du fait que l'offre de produits (ou
de locuteurs) correspondant à un niveau déterminé de
qualification linguistique (ou, plus généralement, culturelle)
est inférieure à ce qu'elle serait si tous les locuteurs
avaient bénéficié des conditions d'acquisition de la compétence
légitime au même degré que les détenteurs de la compétence
la plus rare, il est logiquement distribué en fonctions des
chances d'accès à ces conditions, c'est-à-dire en fonction de
la position occupée dans la structure sociale. »(Langage et
pouvoir symbolique, Seuil, 2001, pp.84-85)Voir aussi : Langue.
MISE EN FORME
(et
dénégation de l'intérêt)« On sait que « la manière de
donner vaut mieux que ce qu'on donne », que ce qui sépare le
don du simple donnant-donnant, c'est le travail nécessaire pour
mettre des formes, pour faire de la manière d'agir et des formes
extérieures de l'action la dénégation pratique du contenu de
l'action et transmuer ainsi symboliquement l'échange intéressé
ou le simple rapport de force en une relation accomplie « pour
la forme » et « dans les formes », c'est-à-dire par respect
pur et désintéressé des usages et des conventions que reconnaît
le groupe. » ( « Les modes de domination. », Actes de la
recherche en sciences sociales, 2-3, juin 76, p.130)
MISÈRE
PETITE-BOURGEOISE«
Cette misère n'inspire pas spontanément la sympathie, la
compassion ou l'indignation que suscitent les grandes rigueurs de
la condition prolétarienne ou sous- prolétarienne. Sans doute
parce que les aspirations qui sont au principe des
insatisfactions, des désillusions et des souffrances du petit-bourgeois,
victime par excellence de la violence symbolique, semblent
toujours devoir quelque chose à la complicité de celui qui les
subit [...]. En s'engageant dans des projets souvent trop grands
pour lui, parce que mesurés à ses prétentions plus qu'à ses
possibilités, il s'enferme lui-même dans des contraintes
impossibles, sans autre recours que de faire face, au prix d'une
tension extraordinaire, aux conséquences de ses choix, en même
temps que de travailler à se contenter, comme on dit, de ce que
les sanctions du réel ont accordé à ses attentes : il pourra
ainsi passer toute une vie à s'efforcer de justifier, à ses
propres yeux et aux yeux de ses proches, les achats ratés, les démarches
malheureuses, les contrats léonins ou, sur un autre terrain
privilégié de ses investissements, celui de l'éducation, les
échecs et les demi-réussites, ou pire, les succès trompeurs
conduisant à des impasses royales, celles que l'École réserve
souvent à ses élus et dont la plus remarquable est sans doute
la carrière professorale elle-même, vouée au déclin
structural.[...] Et pourtant, parce qu'il s'est trouvé entraîné
à vivre au- dessus de ses moyens, à crédit, il découvre,
presque aussi douloureusement que les travailleurs de l'industrie
en d'autres temps, les rigueurs de la nécessité économique
[...]. C'est sans doute ce qui explique que, bien qu'il soit,
pour une part , le produit d'un libéralisme visant à l'attacher
à l'ordre établi par les liens de la propriété, il continue
à faire crédit, dans ses votes, aux partis qui se réclament du
socialisme. » (« Un signe des temps », Actes de la recherche
en sciences sociales, n°81/82, mars 1980, p.2. Repris dans Les
structures sociales de l'économie, Seuil, 2000, p.223-224)Voir
aussi : Misère de position.MISÈRE DE POSITION« La pièce de
Patrick Süskind, La Contrebasse, fournit une image particulièrement
réussie de l'expérience douloureuse que peuvent avoir tous ceux
qui, comme le contrebassiste au sein de l'orchestre, occupent une
position inférieure et obscure à l'intérieur d'un univers
prestigieux et privilégié, expérience d'autant plus
douloureuse sans doute que cet univers, auquel ils participent
juste assez pour éprouver leur abaissement relatif, est situé
plus haut dans l'espace social. »(La misère du monde, Seuil,
1993, p.11)
MONDE
PHYSIQUE
/ MONDE SOCIAL « Le monde physique a des tendances immanentes,
et il en va de même du monde social. »(Science de la science et
réflexivité, Raisons d'Agir, 2001, p.121)
MONOPOLE DE LA RAISON
(rationalisme
scientiste)« Le rationalisme scientiste, celui des modèles mathématiques
qui inspirent la politique du FMI ou de la Banque mondiale, celui
des Law firms, grandes multinationales juridiques qui imposent
les traditions du droit américain à la planète entière, celui
des théories de l'action rationnelle, etc., ce rationalisme est
à la fois l'expression et la caution d'une arrogance
occidentale, qui conduit à agir comme si certains hommes avaient
le monopole de la raison, et pouvaient s'instituer, comme on le
dit communément, en gendarmes du monde, c'est-à-dire en détenteurs
auto- proclamés du monopole de la violence légitime, capables
de mettre la force des armes au service de la justice universelle.
La violence terroriste, à travers l'irrationalisme du désespoir
dans lequel elle s'enracine presque toujours, renvoie à la
violence inerte des pouvoirs qui invoquent la raison. »(Contre-feux,
Liber-Raisons d'agir, 1998, p.37)
NATURALISATION
(Voir
Historicisation)
NÉOLIBÉRALISME
« Utopie
(en voie de réalisation) d'une exploitation sans limites [...].
Programme de destruction méthodique des structures collectives
capables de faire obstacle à la logique du marché pur. »( «
L'essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars
1998, p.3. Repris dans Contre-feux I, Liber-Raisons d'Agir, 1998,
p.108)
NOMOS
« Nomos
vient du verbe némo qui veut dire opérer une division, un
partage ; on le traduit d'ordinaire par « la loi », mais c'est
aussi, plus précisément, ce que j'appelle le principe de vision
et de division fondamental qui est caractéristique de chaque
champ ».(Conférence : « Le champ politique », Lyon, Université
Lumière-Lyon 2, jeudi 11 février 1999, in Propos sur le champ
politique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, p.63)
OBJECTIVATION
« Qu'est-ce
que regarder du dehors, comme un objet, ou, selon le mot de
Durkheim, « comme des choses », les choses de la vie, et, plus
précisément, de la vie intellectuelle, dont on fait partie,
dont on participe, en rompant le lien de complicité tacite que
l'on a avec elles, et en suscitant la révolte des personnes
ainsi objectivées, et de tous ceux qui se reconnaissent en elles
? Qu'est-ce que cette opération qui consiste à rendre visible
l'invisible déjà vu et à faire apparaître comme scandaleuses
des choses qu'on voit et lit tous les jours dans les journaux ?
».(« À propos de Karl Kraus et du journalisme », Actes de la
recherche en sciences sociales, n°131-132, 2000, p.124)Voir
aussi : Tabou de l'explicitation; Paradoxe de l'objectivation.
PARADOXE
DE
L'OBJECTIVATION« Qu'est-ce que regarder du dehors, comme un
objet, ou, selon le mot de Durkheim, « comme des choses », les
choses de la vie, et, plus précisément, de la vie
intellectuelle, dont on fait partie, dont on participe, en
rompant le lien de complicité tacite que l'on a avec elles, et
en suscitant la révolte des personnes ainsi objectivées, et de
tous ceux qui se reconnaissent en elles ? Qu'est-ce que cette opération
qui consiste à rendre visible l'invisible déjà vu et à faire
apparaître comme scandaleuses des choses qu'on voit et lit tous
les jours dans les journaux ? »(« À propos de Karl Kraus et du
journalisme », Actes de la recherche en sciences sociales, n°131-132,
2000, p.124)
PAUVRES BLANCS
(de
la culture)« Le problème que je pose en permanence est celui de
savoir comment faire entrer dans le débat public cette communauté
de savants qui a des choses à dire sur la question arabe, sur
les banlieues, le foulard islamique... Car qui parle (dans les médias)
? Ce sont des sous-philosophes qui ont pour toute compétence de
vagues lectures de vagues textes, des gens comme Alain
Finkielkraut. J'appelle ça les pauvres Blancs de la culture. Ce
sont des demi-savants pas très cultivés qui se font les défenseurs
d'une culture qu'ils n'ont pas, pour marquer la différence
d'avec ceux qui l'ont encore moins qu'eux. [...] Actuellement, un
des grands obstacles à la connaissance du monde social, ce sont
eux. Ils participent à la construction de fantasmes sociaux qui
font écran entre une société et sa propre vérité. »(« Les
intellectuels ont mal à l'Europe», entretien avec Michel Audémat,
L'Hebdo, 14 Novembre 1991, repris dans Interventions 1961-2001,
Marseille, Agone, 2002, p.233)Voir aussi : Intellectuels médiatiques.
PORTE-PAROLE
:
Voir : À quoi sert la sociologie ?
POUVOIR SYMBOLIQUE
« Le
pouvoir symbolique est un pouvoir qui est en mesure de se faire
reconnaître, d'obtenir la reconnaissance ; c'est-à-dire un
pouvoir (économique, politique, culturel ou autre) qui a le
pouvoir de se faire méconnaître dans sa vérité de pouvoir, de
violence et d'arbitraire. L'efficacité propre de ce pouvoir
s'exerce non dans l'ordre de la force physique, mais dans l'ordre
du sens de la connaissance. Par exemple, le noble, le latin le
dit, est un nobilis , un homme « connu », « reconnu ». »(«
Dévoiler les ressorts du pouvoir », in Interventions
Science sociale et action politique, Agone, 2002, pp.173-176)
RACISME
DE
L'INTELLIGENCE« Ce racisme est propre à une classe dominante
dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission
du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d'être
un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné.Le racisme
de l'intelligence est ce par quoi les dominants visent à
produire une « théodicée de leur propre privilège », comme
dit Weber, c'est-à-dire une justification de l'ordre social
qu'ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent
justifiés d'exister comme dominants ; qu'ils se sentent d'une
essence supérieure. »(Questions de sociologie, Minuit, 1984, p.264)RACISMES«
Dénoncées, condamnées, stigmatisées, les passions mortelles
de tous les racismes (d'ethnie, de sexe ou de classe) se perpétuent
parce qu'elles sont chevillées aux corps sous forme de
dispositions (habitus) et aussi parce que le rapport de
domination dont elles sont le produit se perpétue dans
l'objectivité, apportant un renforcement continu à la
propension à l'accepter qui, sauf rupture critique (celle qu'opère
le nationalisme « réactif » des peuples dominés par exemple),
n'est pas moins forte chez les dominés que chez les dominants.
»(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, p.216)
RÉFLEXIVITÉ
« La
forme de réflexivité que je préconise est paradoxale en ce
qu'elle est fondamentalement anti-narcissique. L'absence de
charme, l'allure un peu triste de la vraie réflexivité
sociologique tient à ce qu'elle nous fait découvrir des propriétés
génériques, partagées par tous, banales, communes. Or, dans la
table des valeurs intellectuelles, il n'y a rien de pire que le
commun et le moyen. Ce qui explique en grande partie la résistance
que la sociologie, et en particulier une sociologie réflexive,
suscitent parmi les intellectuels. »(Réponses, Seuil, 1992, p.51-52)Voir
aussi : Science : Réflexivité et vérité.
RÉVOLTE
ET
RÉVOLUTION« Ceux qui, comme on dit, n'ont pas d'avenir, ont peu
de chances de former le projet, individuel, de faire leur avenir
ou de travailler à l'avènement d'un autre avenir collectif.
C'est dans le rapport à l'avenir objectivement inscrit dans les
conditions matérielles d'existence que réside le principe de la
distinction entre le sous- prolétariat et le prolétariat, entre
la disposition à la révolte des masses déracinées et démoralisées
et les dispositions révolutionnaires des travailleurs organisés
qui ont une maîtrise suffisante de leur présent pour
entreprendre de se réapproprier l'avenir. »(Algérie 60, Préface,
Paris, décembre 1976, Minuit, 1976 (édition 1999), p.8)«
L'analyse des variations des pratiques économiques et des représentations
de l'économie en fonction de la position occupée dans le système
économique permet d'établir les conditions économiques de
possibilité des dispositions économiques dont la théorie économique
crédite décisoirement tous les agents. Elle établit aussi les
conditions économiques de la révolte contre les conditions économiques,
apercevant dans la possession du minimum d'assurances sur
l'avenir qui est la condition d'une appropriation rationnelle de
l'avenir le principe de la différence entre les projets révolutionnaires
des prolétaires et les attentes eschatologiques des sous-prolétaires.
»(Algérie 60, Minuit,1976 (édition 1999), 4ème de couverture)«
Je pense qu'il faut un mouvement social, c'est la seule façon.
Tant qu'on brûlera les voitures, on enverra les flics. Il faut
un mouvement social qui peut brûler les voitures mais avec un
objectif. »(in La sociologie est un sport de combat, film de
Pierre Carles, 2001)
RÉVOLUTION
SCIENTIFIQUE«
Une des particularités des révolutions scientifiques, c'est
qu'elles introduisent une transformation radicale tout en
conservant les acquis antérieurs. Ce sont donc des révolutions
qui conservent les acquis sans être des révolutions
conservatrices, visant à bouleverser le présent pour restaurer
le passé. Elles ne peuvent être accomplies que par des gens qui
sont en un sens des capitalistes spécifiques, c'est-à-dire des
gens capables de maîtriser tous les acquis de la tradition. »(Science
de la science et réflexivité, Raisons d'Agir, 2001, p.126-127)
RITE
D'INSTITUTION«
Parler de rite d'institution, c'est indiquer que tout rite tend
à consacrer ou à légitimer, c'est-à-dire faire méconnaître
en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime,
naturelle, une limite arbitraire ; ou, ce qui revient au même,
à opérer solennellement, c'est-à-dire de manière licite et
extra-ordinaire, une transgression des limites constitutives de
l'ordre social et de l'ordre mental qu'il s'agit de sauvegarder
à tout prix comme la division entre les sexes s'agissant
des rituels de mariage. En marquant solennellement le passage
d'une ligne qui instaure une division fondamentale de l'ordre
social, le rite attire l'attention de l'observateur vers le
passage (d'où l'expression rite de passage), alors que
l'important c'est la ligne. Cette ligne, en effet, que sépare-t-elle
? Un avant et un après, bien sûr : l'enfant non circoncis et
l'enfant circoncis ; ou même l'ensemble des enfants non
circoncis et l'ensemble des adultes circoncis. En réalité [
]
L'effet majeur du rite est celui qui passe le plus complètement
inaperçu : en traitant différemment les hommes et les femmes,
le rite consacre la différence, il l'institue, instituant du même
coup l'homme en tant qu'homme, c'est-à-dire circoncis, et la
femme en tant que femme, c'est-à-dire non justiciable de cette
opération rituelle. »(« Les rites d'institution », in Langage
& pouvoir symbolique, Seuil, Collection Points-Essais, 2001,
p.176)Voir aussi : Légitime.
RUPTURE
« Un
des instruments les plus puissants de la rupture est l'histoire
sociale des problèmes, des objets et des instruments de pensée,
c'est-à-dire l'histoire du travail social de construction
d'instruments de construction de la réalité sociale (comme les
notions communes, rôle, culture, vieillesse, etc.)... »(Réponses,
Seuil, 1992, p.209)Voir aussi : Historicisation.RUPTURE(Intention
de)« L'intention de rupture, plutôt que de « transgression »
s'orientait chez moi vers les pouvoirs institués, et notamment
contre l'institution universitaire et tout ce qu'elle recelait de
violence, d'imposture, de sottise canonisée, et, à travers
elle, contre l'ordre social. Cela peut-être parce que je n'avais
pas de compte à régler avec la famille bourgeoise, comme
d'autres, et que je me trouvais donc moins porté aux ruptures
symboliques qui sont évoquées dans « Les Héritiers ». Mais
je crois que la volonté de « nicht mitmachen », comme disait
Adorno, le refus des compromissions avec l'institution, à
commencer par les institutions intellectuelles, ne m'a jamais
quitté. »(Choses dites, Minuit, 1987, p.14)
SARTRE
(Jean-Paul)(L'intellectuel
total)« Comment Sartre, l'intellectuel (français) par
excellence, a-t-il été possible ? Quelles ont été les
conditions sociales de possibilité de l'intellectuel total, présent
sur tous les fronts de la pensée, philosophe, critique,
romancier, homme de théâtre ? Questions typiquement anti-sartriennes
: Sartre, créateur de l'intellectuel comme créateur incréé,
n'a pas cessé d'affirmer à travers les auto-analyses toujours
recommencées, sa capacité d'épuiser la connaissance de sa
propre vérité, en tant que personne individuelle et en tant
qu'intellectuel. Du même coup, il a d'avance récusé comme réductrice
toute tentative pour contourner l'incontournable, pour classer
l'inclassable, pour penser objectivement le penseur de toute pensée
objectivante.La singularité de Sartre a consisté à rassembler
un ensemble de manières jusque là disjointes d'accomplir la
fonction d'intellectuel. Seule une histoire sociale approfondie
pourrait montrer que tous les éléments du personnage social de
l'intellectuel existaient antérieurement à l'opération de
concentration de capital par laquelle Sartre les a réunis en sa
personne. Ce que l'on peut évoquer rapidement, c'est la logique
du travail d'accumulation grâce auquel Sartre a fait converger
sur lui un faisceau de traditions et de manières d'être
intellectuel qui s'étaient progressivement inventées et instituées
tout au long de l'histoire intellectuelle de la France. »(«
Sartre, l'invention de l'intellectuel total », Libération, 31/03/1983.
Repris in Agone, n°26/27, 2002, pp.225- 226)
SCIENCE
« Le
discours de la science ne peut paraître désenchanteur qu'à
ceux qui ont une vision enchantée du monde social. Il se tient
aussi éloigné de l'utopisme qui prend ses désirs pour la réalité
que du sociologisme qui se complaît dans l'évocation rabat-joie
des lois fétichisées. »(Actes de la recherche en sciences
sociales, n°1, janvier 1975, p.3) Voir aussi : Révolution
scientifique.SCIENCE : RÉFLEXIVITÉ ET VÉRITÉ« Je sais que je
suis pris et compris dans le monde que je prend pour objet. Je ne
puis prendre position, en tant que savant, sur les luttes pour la
vérité du monde social sans savoir que je le fais, que la seule
vérité est que la vérité est un enjeu de luttes tant dans le
monde savant (le champ sociologique) que dans le monde social que
ce monde savant prend pour objet (chaque agent a sa vision
idiotique du monde qu'il vise à imposer, l'insulte étant, par
exemple, une force d'exercice sauvage du pouvoir symbolique) et
à propos duquel il engage ses luttes de vérité. En disant
cela, et en préconisant la pratique de la réflexivité, j'ai
aussi conscience de livrer aux autres des instruments qu'ils
peuvent m'appliquer pour me soumettre à l'objectivation,
mais en agissant ainsi, ils me donnent raison. »(Science de la
science et réflexivité, Raisons d'agir, 2001, p.221.)Voir aussi
: Réflexivité; Vérité.
SENS DU JEU
« Art
d'anticiper l'avenir du jeu qui est inscrit en pointillé dans l'état
présent du jeu. » (Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.45) « Un
des privilèges liés au fait d'être né dans un jeu, c'est
qu'on peut faire l'économie du cynisme puisqu'on a le sens du
jeu ; comme un bon joueur de tennis, on se trouve placé non pas
là où est la balle mais là où elle va tomber ; on se place et
on place non là où est le profit, mais là où il va se trouver.
»(Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.154.)Voir aussi : Stratégie.
SENS DE SA PLACE
« Chaque
agent a une connaissance pratique, corporelle, de sa position
dans l'espace social, un « sense of one's place », comme dit
Goffman, un sens de sa place (actuelle et potentielle) , converti
en un sens du placement qui commande son expérience de la place
occupée, définie absolument et surtout relationnellement, comme
rang, et les conduites à tenir pour la tenir (« tenir son rang
»), et s'y tenir (« rester à sa place », etc.). La
connaissance pratique que procure ce sens de la position prend la
forme de l'émotion (malaise de celui qui se sent déplacé, ou
aisance associée au sentiment d'être à sa place), et elle
s'exprime par des conduites comme l'évitement ou des ajustements
inconscients des pratiques tels que la correction de l'accent (en
présence d'une personne de rang supérieur) ou, dans les
situations de bilinguisme, le choix de la langue adaptée à la
situation. »(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, p.220)
SENS PRATIQUE
« [
] Le fait que les pratiques rituelles soient
le produit d'un « sens pratique », et non d'une sorte de calcul
inconscient ou de l'obéissance à une règle, explique que les
rites soient cohérents, mais de cette cohérence partielle,
jamais totale, qui est celle des constructions pratiques. »(«
Fieldwork in philosophy », in Choses dites, Minuit, 1987, p.20)Voir
aussi : Habitus; Stratégie.
SCOLASTIQUE
(biais)«
Le modèle que nous construisons pour rendre compte d'une
pratique n'est pas le modèle réel de la pratique. C'est une
erreur, une « fallacy » tellement commune que celle de mettre
au principe des pratiques le modèle que l'on a dû construire in
abstracto, en situation scolastique, pour rendre raison des
pratiques. Mais celui qui pratique n'agit pas selon les modèles.
»(Entretien avec Roger Chartier, in « Les lundis de l'histoire
», France Culture, mai 1997 (à la publication des Méditations
pascaliennes). Rediffusé sur France Culture le 3 août 2002)
SOCIÉTÉ DIFFÉRENCIÉE
« Dans
les sociétés hautement différenciées, le cosmos social est
constitué de l'ensemble de ces microcosmes sociaux relativement
autonomes, espaces de relations objectives qui sont le lieu d'une
logique et d'une nécessité spécifiques et irréductibles à
celles qui régissent les autres champs. »(Réponses, Seuil,
1992, p.73)Voir aussi : Champ.
SOCIOANALYSE
« L'habitus
peut aussi être transformé à travers la socioanalyse, la prise
de conscience qui permet à l'individu d'avoir prise sur ses
dispositions. Mais la possibilité et l'efficacité de cette
sorte d'auto- analyse sont elles-mêmes déterminées en partie
par la structure originelle de l'habitus en question, en partie
par les conditions objectives sous lesquelles se produit cette
prise de conscience ».(Réponses, Seuil, 1992, p.239)Voir aussi
: Habitus.
SOLLERS
(Philippe)«
Celui qui se présente et se vit comme une incarnation de la
liberté a toujours flotté, comme simple limaille, au gré des
forces du champ. Précédé, et autorisé par tous les
glissements politiques de l'ère Mitterrand, qui pourrait avoir
été à la politique, et plus précisément au socialisme, ce
que Sollers a été à la littérature, et plus précisément à
l'avant-garde, il a été porté par toutes les illusions et
toutes les désillusions politiques et littéraires du temps. Et
sa trajectoire, qui se pense comme exception, est en fait
statistiquement modale, c'est-à-dire banale, et à ce titre
exemplaire de la carrière de l'écrivain sans qualités d'une époque
de restauration politique, et littéraire : il est l'incarnation
idéaltypique de l'histoire individuelle et collective de toute
une génération d'écrivains d'ambition, de tous ceux qui, pour
être passés, en moins de trente ans, des terrorismes maoïstes
ou trotskistes aux positions de pouvoir dans la banque, les
assurances, la politique ou le journalisme, lui accorderont
volontiers leur indulgence.Son originalité, parce qu'il
en a une : il s'est fait le théoricien des vertus du reniement
et de la trahison, renvoyant ainsi au dogmatisme, à l'archaïsme,
voire au terrorisme, par un prodigieux renversement auto-
justificateur, tous ceux qui refusent de se reconnaître dans le
nouveau style libéré et revenu de tout. Ses interventions
publiques, innombrables, sont autant d'exaltations de
l'inconstance ou, plus exactement, de la double inconstance,
bien faite pour renforcer la vision bourgeoise des révoltes
artistes , celle qui, par un double demi-tour, une double
demie révolution, reconduit au point de départ, aux impatiences
empressées du jeune bourgeois provincial, pour qui Mauriac et
Aragon écrivaient des préfaces. »(« Sollers tel quel. », Libération,
27/01/1995, Repris in Contre-Feux, Liber- Raisons d'Agir, 1998,
pp.18-20)Voir aussi : Intellectuels médiatiques.
SOCIOLOGIE
« La
sociologie ne mériterait peut-être pas une heure de peine si
elle avait pour fin seulement de découvrir les ficelles qui font
mouvoir les individus qu'elle observe, si elle oubliait qu'elle a
affaire à des hommes, lors même que ceux-ci, à la façon des
marionnettes, jouent un jeu dont ils ignorent les règles, bref,
si elle ne se donnait pour tâche de restituer à ces hommes le
sens de leurs actes. »(« Célibat et condition paysanne », Études
rurales, n°5/6, 1962, p.109. Repris dans Le bal des célibataires,
Seuil, 2002, p.128)« La sociologie n'a pas pour fin d'épingler
les autres, de les objectiver, de les mettre en accusation parce
qu'ils sont par exemple « fils de tel ou tel ». Tout au
contraire, elle permet de comprendre le monde, d'en rendre raison
ou, pour utiliser une expression de Francis Ponge que j'aime
beaucoup, de le « nécessiter » ce qui n'implique pas
qu'il doive être aimé ou conservé comme tel. Comprendre
pleinement la conduite de l'agent agissant dans un champ,
comprendre la nécessité sous laquelle il agit, c'est rendre nécessaire
ce qui apparaît d'abord comme contingent. C'est une manière non
de justifier le monde, mais d'apprendre à accepter des foules de
choses qui autrement paraîtraient inacceptables. »(Réponses,
Seuil, 1992, p.171)SOCIOLOGIE (À QUOI SERT LA ?)« Aujourd'hui,
parmi les gens dont dépend l'existence de la sociologie, il y en
a de plus en plus pour demander à quoi sert la sociologie. En
fait, la sociologie a d'autant plus de chances de décevoir ou de
contrarier les pouvoirs qu'elle remplit mieux sa fonction
proprement scientifique. Cette fonction n'est pas de servir à
quelque chose, c'est-à-dire à quelqu'un.Demander à la
sociologie de servir à quelque chose, c'est toujours une manière
de lui demander de servir le pouvoir. Alors que sa fonction
scientifique est de comprendre le monde social, à commencer par
les pouvoirs. Opération qui n'est pas neutre socialement et qui
remplit sans aucun doute une fonction sociale. Entre autres
raisons parce qu'il n'est pas de pouvoir qui ne doive une part
et non la moindre de son efficacité à la méconnaissance
des mécanismes qui le fondent. »(Questions de sociologie,
Minuit, 1980, rééd.1984, pp.26-27)« Mon but est de contribuer
à empêcher que l'on puisse dire n'importe quoi sur le monde
social. Schoenberg disait un jour qu'il composait pour que les
gens ne puissent plus écrire de la musique. J'écris pour que
les gens, et d'abord ceux qui ont la parole, les porte-parole, ne
puissent plus produire, à propos du monde social, du bruit qui a
les apparences de la musique.Quant à donner à chacun les moyens
de fonder sa propre rhétorique, comme dit Francis Ponge, d'être
son porte-parole vrai, de parler au lieu d'être parlé, cela
devrait être l'ambition de tous les porte-parole, qui seraient
sans doute tout à fait autre chose que ce qu'ils sont s'ils se
donnaient le projet de travailler à leur propre dépérissement.
On peut bien rêver, pour une fois... »(Entretien avec Didier Éribon
à propos de « La distinction », Libération, 3 et 4 novembre
1979. pp.12-13. Repris dans Questions de sociologie, Minuit, 1984,
p.18)Voir aussi : Usage clinique/usage cynique de la sociologie.SOCIOLOGIE(La
sociologie est-elle une science ?)« Je pense que l'on est fondé
à parler de science à propos de la sociologie. Nous travaillons
à être vérifiables et falsifiables. Je dis qu'on peut me réfuter
avec des arguments scientifiques. Jusqu'à présent, ça reste
encore à faire. J'en profite pour dire ça, parce que j'y tiens
beaucoup. Jusqu'à présent, j'ai été l'objet d'attaques mais
jamais de réfutations au sens rigoureux du terme. L'une des
raisons de ma tristesse dans le champ intellectuel français,
c'est que j'ai beaucoup d'ennemis mais je n'ai pas d'adversaires,
c'est-à-dire des gens qui feraient le travail nécessaire pour
m'opposer une réfutation. »(Entretiens d'hier et d'aujourd'hui,
avec Roger Chartier, France-Culture, 1988)Voir aussi :
Sociologie; Science.
STRATÉGIE
« La
notion de stratégie est l'instrument d'une rupture avec le point
de vue objectiviste et avec l'action sans agent que suppose le
structuralisme (en recourant par exemple à la notion
d'inconscient). Mais on peut refuser de voir dans la stratégie
le produit d'un programme inconscient sans en faire le produit
d'un calcul conscient et rationnel. Elle est le produit du sens
pratique comme sens du jeu, d'un jeu social particulier,
historiquement défini, qui s'acquiert dès l'enfance en
participant aux activités sociales, notamment, dans le cas de la
Kabylie, et sans doute ailleurs, aux jeux enfantins. Le bon
joueur, qui est en quelque sorte le jeu fait homme, fait à
chaque instant ce qui est à faire, ce que demande et exige le
jeu. Cela suppose une invention permanente, indispensable pour
s'adapter à des situations indéfiniment variées, jamais
parfaitement identiques. Ce que n'assure pas l'obéissance mécanique
à la règle explicite, codifiée (quant elle existe). »(Choses
dites, Minuit, 1987, p.79)« Le langage de la stratégie, que
l'on est contraint d'employer pour désigner les séquences
d'actions objectivement orientées vers une fin qui s'observent
dans tous les champs, ne doit pas tromper : les stratégies les
plus efficaces, surtout dans des champs dominés par des valeurs
de désintéressement, sont celles qui, étant le produit de
dispositions façonnées par la nécessité immanente du champ,
tendent à s'ajuster spontanément, sans intention expresse ni
calcul, à cette nécessité. C'est dire que l'agent n'est jamais
complètement le sujet de ses pratiques : à travers les
dispositions et la croyance qui sont au principe de l'engagement
dans le jeu, tous les présupposés constitutifs de l'axiomatique
pratique du champ (la doxa épistémique par exemple)
s'introduisent jusque dans les intentions les plus lucides. Le
sens pratique est ce qui permet d'agir comme il faut (ôs dei,
disait Aristote) sans poser ni exécuter un « il faut », une règle
de conduite. Manières d'être résultant d'une modification
durable du corps opérées par l'éducation, les dispositions
qu'il actualise restent inaperçues aussi longtemps qu'elles ne
passent pas à l'acte, et même alors, du fait de l'évidence de
leur nécessité et de leur adaptation immédiate à la situation.
»(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, p.166.)« Faut-il se
plier aux habitudes de pensée qui, telle la dichotomie du
conscient et de l'inconscient, portent à poser la question de la
part qui revient, dans la détermination des pratiques, aux
dispositions de l'habitus ou aux volontés conscientes ? [
]
en réalité, le partage n'est pas facile, et nombre de ceux qui
ont réfléchi sur ce que c'est que de suivre une règle ont
observé qu'il n'est pas de règle qui, si précise et explicite
soit-elle (comme la règle juridique ou mathématique), puisse prévoir
toutes les conditions possibles de son exécution et qui ne
laisse donc inévitablement une certaine marge de jeu ou
d'interprétation, dévolues aux stratégies pratiques de
l'habitus (ce qui devrait poser quelques problèmes à ceux qui
postulent que les comportements réglés et rationnels sont nécessairement
le résultat de la volonté de se soumettre à des règles
explicites et reconnues). »(Méditations pascaliennes, Seuil,
1997, p. 192.)Voir aussi : Sens pratique; Sens du jeu; Habitus.
STYLE DE VIE
« Les
styles de vie sont [
] les produits systématiques des
habitus qui, perçus dans leurs relations mutuelles selon les schèmes
de l'habitus, deviennent des systèmes de signes socialement
qualifiés (comme « distingués », « vulgaires », etc.). La
dialectique des conditions et des habitus est au fondement de
l'alchimie qui transforme la distribution du capital, bilan d'un
rapport de forces, en système de différences perçues, de
propriétés distinctives, c'est-à-dire en distribution de
capital symbolique, capital légitime, méconnu dans sa vérité
objective. »(La Distinction, Minuit, 1979, p.192)« En tant que
produits structurés (opus operatum) que la même structure
structurante produit au prix de retraductions imposées par la
logique propre aux différents champs, toutes les pratiques et
les uvres d'un même agent sont objectivement harmonisées
entre elles, en dehors de toute recherche intentionnelle de la
cohérence, et objectivement orchestrées, en dehors de toute
concertation consciente, avec celles de tous les membres de la même
classe.»(La Distinction, Minuit, 1979, p.192)Voir aussi : Goût;
Capital symbolique.
SYSTÈME SCOLAIRE
« Le
système scolaire [...] maintient l'ordre préexistant, c'est-à-dire
l'écart entre les élèves dotés de quantités inégales de
capital culturel. Plus précisément, par toute une série d'opérations
de sélection, il sépare les détenteurs de capital culturel hérité
de ceux qui en sont dépourvus. Les différences d'aptitude étant
inséparables de différences scolaires selon le capital hérité,
il tend à maintenir les différences sociales préexistantes.
[...]Ainsi, l'institution scolaire dont on a pu croire, en
d'autres temps, quelle pourrait introduire une forme de méritocratie
en privilégiant les aptitudes individuelles par rapport aux
privilèges héréditaires tend à instaurer, à travers la
liaison cachée entre l'aptitude scolaire et l'héritage
culturel, une véritable noblesse d'État, dont l'autorité et la
légitimité sont garanties par le titre scolaire. »(« Le
nouveau capital », in Raisons pratiques, Seuil, 1994)
TABOU DE L'EXPLICITATION
« Et
l'on rencontre là une autre propriété de l'économie des échanges
symboliques : c'est le tabou de l'explicitation (dont la forme
par excellence est le prix). Dire, c'est détruire. Dire ce qu'il
en est, déclarer la vérité de l'échange, ou, comme on dit
parfois, « la vérité des prix » (quand on fait un cadeau, on
enlève l'étiquette), c'est anéantir l'échange. On voit en
passant que les conduites dont l'échange de dons est le
paradigme posent un problème très difficile pour la sociologie
; si la sociologie a beaucoup de mal à décrire correctement ce
genre de conduites, c'est que précisément, par définition,
elle explicite. Elle est obligée de dire ce qui va de soi et qui
doit rester tacite, non-dit, sous peine d'être détruit en tant
que tel. »(Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.181)Voir aussi : Économie
des biens symboliques.
TRAJECTOIRE
« Série
des positions successivement occupées par un même agent (ou un
même groupe) dans un espace lui-même en devenir et soumis à
d'incessantes transformations. Essayer de comprendre une vie
comme une série unique et à soi suffisante d'événements
successifs sans autre lien que l'association à un « sujet »
dont la constance n'est sans doute que celle d'un nom propre, est
à peu près aussi absurde que d'essayer de rendre raison d'un
trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau,
c'est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes
stations. [
] C'est dire qu'on ne peut comprendre une
trajectoire [
] qu'à condition d'avoir préalablement
construit les états successifs du champ dans lequel elle s'est déroulée
[
]. »(Raisons pratiques, Seuil, 1994, p.88-89)
TRANSGRESSION
« Il
faut que la transgression formelle c'est comme en art,
c'est exactement pareil soit imposée par des nécessités
qui ne se réduisent pas à la forme; qu'elle ne soit pas à elle-même
sa justification, sinon c'est de l'académisme de la
transgression, comme ce que nous avons en France très souvent
sous le nom « d'avant-garde ». On a de l'académisme de la
transgression, des gens qui savent qu'il faut transgresser. Alors
que les grands transgresseurs, Manet, Flaubert et même Heidegger
dans son ordre, sont des gens qui transgressent pour rendre
possible l'expression de quelque chose, qu'il n'était pas
possible d'exprimer sans opérer un changement de forme : il y a
donc une solidarité entre ce qui est à dire et la manière de
le dire. »(in Lire les sciences sociales, de Gérard Mauger et
Louis Pinto, volume 3, 1994-1996, p.219, Hermes Science, Paris,
octobre 2000)
TRAVAIL
(la
double vérité du)« Comme le don, le travail ne peut se
comprendre dans sa double vérité, dans sa vérité
OBJECTIVEMENT double, que si l'on opère le DEUXIÈME
RENVERSEMENT qui est nécessaire pour rompre avec l'erreur
scolastique consistant à omettre d'inclure dans la théorie la vérité
« subjective » avec laquelle il a fallu rompre, par un premier
renversement para-doxal, pour construire l'objet de l'analyse. Le
coup de force objectivant qui a été nécessaire pour constituer
le travail salarié dans sa vérité objective a fait oublier que
cette vérité a dû être conquise contre la vérité subjective
qui, comme Marx lui-même l'indique, ne devient vérité
objective que dans certaines situations exceptionnelles :
l'investissement dans le travail, donc la méconnaissance de la vérité
objective du travail comme exploitation, qui porte à trouver
dans le travail un profit intrinsèque, irréductible au simple
revenu en argent, fait partie des conditions réelles de
l'accomplissement du travail, et de l'exploitation. »(Méditations
pascaliennes, Seuil, 1997, p.241)
USAGE CLINIQUE
/USAGE
CYNIQUE(de la sociologie)« Malheureusement on peut toujours
faire deux usages différents des analyses sociologiques du monde
social, et, plus spécifiquement du monde intellectuel : des
usages que l'on peut appeler cliniques, tels que ceux que j'évoquais
à l'instant en parlant de socioanalyse, en ce qu'ils consistent
à chercher dans les acquis de la science les instruments d'une
compréhension de soi sans complaisance ; et des usages que l'on
peut dire cyniques et qui consistent à chercher dans l'analyse
des mécanismes sociaux des instruments pour « réussir » dans
le monde social (c'est ce qu'ont fait certains lecteurs de La
distinction en traitant ce livre comme un manuel de savoir-vivre)
ou pour orienter ses stratégies dans le monde intellectuel. Il
va de soi que je m'efforce constamment de décourager les
lectures cyniques et d'encourager les lectures cliniques. »(Réponses,
Seuil, 1992, p.182)
VERDICT
(S)
SCOLAIRE(S)« C'est contre ce fanatisme, enraciné dans un
aveuglement fétichiste, que travaille spontanément la science
sociale lorsque, obéissant en cela comme ailleurs à sa vocation
de dénaturalisation et de défatalisation, elle dévoile les
fondements historiques et les déterminants sociaux de principes
de hiérarchisation et d'évaluation qui doivent leur efficacité
symbolique, manifeste notamment dans l'effet de destin exercé
par les verdicts scolaires, au fait qu'ils se vivent et
s'imposent comme absolus, universels et éternels. »(La Noblesse
d'État, Minuit, 1989, p.15)« Les jugements scolaires, au
travers de l' « effet d'dipe » qu'ils exercent, sont sans
doute aujourd'hui un des facteurs déterminants de la
construction de l'identité personnelle : à ces verdicts le plus
souvent totaux, et brutaux, dans la célébration comme dans la
condamnation, et presque toujours relayés et renforcés par le
groupe de pairs et surtout par la famille, les enfants, spécialement
les plus démunis, ne peuvent opposer aucun recours, aucune
instance d'appel sinon le psychologue pour enfants ou le
psychiatre. »(La Noblesse d'État, Minuit, 1989, p.165)Voir :
Effet de destin.
VÉRITÉ
« S'il
y a une vérité, c'est que la vérité est un enjeu de luttes.
»(« Une classe objet », Actes de la recherche en sciences
sociales, n°17/18, 1977, pp.1-5)« Je sais que je suis pris et
compris dans le monde que je prends pour objet. Je ne puis pas
prendre position, en tant que savant, sur les luttes pour la vérité
du monde social sans savoir que je le fais, que la seule vérité
est un enjeu de luttes tant dans le monde savant (le champ
sociologique) que dans le monde social que ce monde savant prend
pour objet [...] et à propos duquel il engage ses luttes de vérité.
En disant cela, et en préconisant la pratique de la réflexivité,
j'ai aussi conscience de livrer aux autres des instruments qu'ils
peuvent m'appliquer pour me soumettre à l'objectivation,
mais en agissant ainsi, ils me donnent raison.Du fait que la vérité
du monde social est un enjeu de luttes dans le monde social et
dans le monde (sociologique) qui est voué à la production de la
vérité sur le monde social, la lutte pour la vérité du monde
social est nécessairement sans fin, interminable. »(Science de
la science et réflexivité, Cours du Collège de France 2000-2001,
Raisons d'Agir, 2002)
VIOLENCE
SYMBOLIQUE«
La violence symbolique, c'est cette violence qui extorque des
soumissions qui ne sont même pas perçues comme telles en
s'appuyant sur des « attentes collectives », des croyances
socialement inculquées. Comme la théorie de la magie, la théorie
de la violence symbolique repose sur une théorie de la croyance
ou, mieux, sur une théorie de la production de la croyance, du
travail de socialisation nécessaire pour produire des agents dotés
des schèmes de perception et d'appréciation qui leur
permettront de percevoir les injonctions inscrites dans une
situation ou dans un discours et de leur obéir. »(Raisons
pratiques, 1994, p.188)« Le pouvoir symbolique, pouvoir de
constituer le donné en l'énonçant, d'agir sur le monde en
agissant sur la représentation du monde, ne réside pas dans les
« systèmes symboliques » sous la forme d'une « force
illocutionnaire ». Il s'accomplit dans et par une relation définie
qui crée la croyance dans la légitimité des mots et des
personnes qui les prononcent et il n'opère que dans la mesure où
ceux qui le subissent reconnaissent ceux qui l'exercent. »(Réponses,
Seuil, 1992, p.123)« Autrement dit, la violence symbolique peut
faire beaucoup mieux que la violence politico-policière, sous
certaines conditions et à un certain prix (c'est une des grandes
faiblesses de la tradition marxiste de ne pas avoir fait de place
à ces violences douces qui sont agissantes, même dans le
domaine économique). »(Réponses, Seuil, 1992, p.141)« Je
voudrais faire remarquer toute la différence qui sépare la théorie
de la violence symbolique comme méconnaissance fondée sur
l'ajustement inconscient des structures subjectives aux
structures objectives, de la théorie foucaldienne de la
domination comme discipline ou dressage, ou encore, dans un autre
ordre, les métaphores du réseau ouvert et capillaire d'un
concept comme celui de champ. »(Réponses, Seuil, 1992, p.142)Voir
aussi : Capital symbolique; Domination; Légitime.
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