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NOTES DE LECTURES

 


René Mouriaux
Le syndicalisme en France
Que sais-je ?

4 ème ed. corrigée : 1999, décembre PUF

Pourquoi ce livre ? parce que le syndicalisme est nécessaire dans le monde économique, politique et social. Face à la montée du libéralisme et de la mondialisation il est de plus en plus vital que les salariés, les travailleurs se regroupent pour se défendre face aux multiples agressions : esclavage, travail des enfants, précarisation, conditions de travail, rémunération, remise en causes de droits, etc. Pourtant le syndicalisme semble sur le déclin, c'est pourquoi il faut connaître son histoire pour pouvoir le faire évoluer, en particulier par des regroupements au niveau européen et mondial, puis par une redéfinition du rôle du syndicat et son élargissement aux travailleurs actuels et potentiels, comme les chômeurs !

Nous reviendrons sur ce sujet prochainement avec d'autres notes de lectures consacrées à Pierre Bourdieu et sans doute à Michel Onfray.


Table des matières
Introduction / Internationale / Les origines / 
Généalogie  / la FEN / Les jaunes / L'Europe / 
Conclusion / Du même auteur / Bibliographie

TABLE DES MATIÈRES
Introduction
PREMIÈRE PARTIE
LES FORCES
Chapitre	1 -Les origines 
Chapitre	II - Les cinq grandes confédérations 
Chapitre III - Syndicalisme autonome et indépendant 
DEUXIÈME PARTIE
LES PRATIQUES
Chapitre IV - La vie interne 
Chapitre V - L'action revendicative 
Chapitre VI - La négociation collective 
Conclusion 
Bibliographie indicative

INTRODUCTION
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Plusieurs 
sociologues ont repris l'image baudelairienne tour évoquer 
le comportement du syndicalisme français dans les années 
quatre-vingt-dix. Riche de traditions séculaires, alourdi par 
le poids des habitudes, l'albatros corporatif serait 
embarrassé pour adopter, une démarche neuve ou pour 
prendre un nouvel envol.
Affaibli, divisé, contesté, le mouvement syndical en 
France est confronté depuis 1976 à une remise en cause. 
Travaillé par les transformations qui bouleversent la société 
en son ensemble, il traverse une triple crise. D'abord de 
représentativité. En vingt ans, les effectifs ont fondu de deux 
tiers. A lui seul le constat ne saurait justifier un refus 
patronal de reconnaître l'interlocuteur corporatif. Les 
élections professionnelles manifestent une audience plus 
large que l'adhésion. Le recul de la participation, la montée 
des listes " sans étiquette " dans les consultations pour les 
comités d'entreprise alertent sur la liaison entre syndicalisation 
et consécration électorale. L'affaiblissement 
numérique des organisations syndicales ne résulte pas 
seulement du chômage dont l'importance ne saurait être 
sous-évaluée, il provient d'un processus plus large. Des 
collectifs ouvriers importants ont été détruits. De nombreux 
fonctionnaires ont aussi cessé de cotiser. Le syndicalisme ne 
rassemble pas les sans-emploi, les travailleurs précaires, les 
salariés des PME. environ 8 millions et demi de personnes au 
total. En repli sur les terrains ensemencés, écartées de larges zones du 
salariat, les diverses composantes du mouvement syndical 
peinent à pénétrer les nouvelles couches techniciennes.
Le second défi à relever par le syndicalisme concerne la 
stratégie. Dans la phase précédente, l'action collective 
s'inscrivait, mutatis mutandis, dans le cadre du compromis 
fordiste comportant un certain partage des gains de 
productivité sous forme de salaires direct et indirect, un 
développement du travail en miettes, une insertion dans une 
consommation de masse. La croissance s'effectue de manière 
autocentrée, dans le cadre national. L'épuisement du for-
disme pousse à l'investissement dans des technologies 
sophistiquées, à l'internationalisation de la production. Le 
salariat se fragmente, se dualise. Les fonctions de 
l'Etat-providence se resserrent et se rétractent sous le double 
effet de la régionalisation et de l'européanisation des 
politiques économiques. Face à ces modifications, le 
mouvement syndical tâtonne. Les stratégies antérieures 
tombent en désuétude sans que se dessine avec netteté la 
figure de celles qui suivent.
Rongé à la base, imprécis dans ses objectifs, le 
mouvement syndical est incertain sur sa conception. Le 
courant communiste est frappé de plein fouet par 
l'effondrement de l'URSS et du camp socialiste. Mal en point 
dans ses bastions, la social-démocratie est particulièrement 
affaiblie sous sa version française. La restauration entreprise 
par Jean-Paul II n'empêche pas le catholicisme social de 
demeurer fort atone. Pour le moins, les grands repères 
doctrinaux ne fonctionnent pas. Face au libéralisme 
apparemment triomphant, les oppositions sociales pâlissent.
Intentionnellement nous avons utilisé le pluriel. Le 
syndicalisme est un terme générique, il recouvre des réalités 
diverses. Nous n'entendons pas ici imposer
une bonne définition et écarter ce qui ne s'y conformerait 
pas. Certes, la loi de 1884 stipulait que " les syndicats 
professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la 
défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux 
et agricoles ". La formulation est légèrement modifiée en 
octobre 1982 : " Les syndicats professionnels ont 
exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi 
que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs 
qu'individuels des personnes visées par leurs statuts. " 
Intentionnellement, dans les deux énoncés, le législateur 
écarte de la spécialité de l'objet du syndicat la politique. 
L'approche scientifique ne saurait procéder à une pareille 
réduction normative. Toutes les formes du syndicalisme 
seront ici prises en compte, réformistes et révolutionnaires, 
confessionnelles et laïques, autonomes et confédérées, 
d'action directe, et proches des associations ou des groupes 
de pression.
Une telle attention au polymorphisme relève-t-elle d'un 
agnosticisme peu syndical ou d'un plat positivisme ? Sachant 
que le social investit le chercheur lui-même, il s'agit d'une 
manière critique de pénétrer la matière, de la faire sienne, 
d'en construire la logique.
Nous nous appuierons pour accomplir cette tâche sur les 
travaux déjà disponibles. La littérature consacrée au 
syndicalisme français est fort vaste. L'apport des historiens 
est considérable mais aussi des économistes, des juristes, 
notamment du travail; des sociologues, des politologues 
et même des linguistes. Phénomène 
multidimensionnel, le syndicalisme est étudié par plusieurs 
disciplines qui se rapprochent dès lors qu'on met en oeuvre 
une problématique de rupture avec le sens commun pour 
lequel l'apparence dévoile immédiatement la réalité.
En un premier temps, nous considérerons le processus 
d'élaboration par lequel les forces syndicales 
sont passées et fournirons un panorama des organisations 
contemporaines. Nous examinerons ensuite les pratiques 
pour terminer par le pointage des questions les plus sensibles 
dans la période contemporaine.
.../...
Anti-libéral, centré sur le secteur public, le mouvement 
social de l'automne 1995 qui n'a comporté chez les salariés 
aucune mise en place de coordination a été marqué par un 
double caractère, une puissante aspiration unitaire à la base 
et une division au sommet que l'absence de 
contre-proposition au plan Juppé a consolidée. En se retirant, 
la vague gréviste a accentué les contradictions antérieures au 
sein des centrales comme elle a réactivé les rivalités 
intersyndicales, tout en redynamisant les idées de solidarité, 
démocratie, de grève générale. Après cette mariée de 
vive-eau, le devenir du mouvement syndical insuffisamment 
renouvelé demeure crisique (ou critique), c'est-à-dire ouvert 
sur des possibles contraires.
.../...
LES ORIGINES
Réalisatrice d'une révolution exemplaire après l'anglaise 
du XV siècle et l'américaine de 1774, la France s'est aussi 
singularisée par une histoire sociale intense. Laboratoire de 
la lutte des classes, porté à privilégier la < phrase 
révolutionnaire " aux dépens de la théorie, le mouvement 
ouvrier, en général, et syndical, en particulier, cumule les 
paradoxes. La faiblesse des organisations se double d'une 
capacité de susciter ou d'accompagner les manifestations de 
masse. Si les déséquilibres provoqués par 1789 commencent 
à être amortis autour de 1875, la période de clandestinité 
qu'a traversée le syndicalisme de 1791 à 1884 imprégnera 
longtemps la mentalité et les pratiques des militants.
Les prétendus intérêts communs
Le décret du 21 août 1790 avait reconnu à tous les 
citoyens le droit de s'assembler et de former entre eux ales 
sociétés libres. Le décret d'Allarde en mars 1791 supprime 
les corporations. L'Assemblée constituante
voie le 14 Juin de la même année la loi Le Chapelier qui prohibe 
l'association professionnelle.
" ART. Il. - Les citoyens d'un même état et profession, les 
entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers 
d'un art quelconque ne pourront, lorsqu'ils se trouveront 
ensemble se nommer ni président, ni secrétaire, ni syndics, 
tenir des registres, prendre des arrêtés, des délibérations, 
former des règlements, sur leurs prétendus intérêts 
communs.
" ART. VIII. - Tous attroupements composés d'artisans, 
ouvriers, compagnons, journaliers ou excités par eux contre 
le libre exercice de l'industrie et du travail, appartenant à 
toute sorte de personnes et sous toute espèce de conditions 
convenues de gré à gré ou contre l'action de la police et 
l'exécution des jugements rendus en cette matière, ainsi que 
contre les enchères et adjudications publiques des diverses 
entreprises seront tenus pour attroupements séditieux et, 
comme tels, seront dissipés par les dépositaires de la force 
publique sur les réquisitions légales qui leur seront faites, et 
punis selon toute la rigueur des lois, sur les auteurs, 
instigateurs et chefs des dits attroupements et sur tous ceux 
qui auront commis des voies de fait et des actes de violence."
L'affirmation de l'individualisme étatique, l'obsession du 
maintien de l'ordre inspirent le refus de " prétendus intérêts 
communs ". Entre la liberté d'association et celle du travail, 
l'arbitrage s'effectue en faveur de la seconde. Les relations 
entre maîtres et ouvriers relèvent de conventions libres 
d'individu à individu. Le Code pénal de 1810 prévoit des 
peines rigoureuses contre ceux qui contreviendraient à 
l'interdiction de " cesser en même temps le travail " et en 
particulier contre " les chefs ou moteurs " des délits. Les 
tribunaux se montrent d'ailleurs plus sévères envers les 
ouvriers qu'à l'égard des employeurs.
Une classe minoritaire dangereuse
Si l'on en croit le recensement de 1826, sur près de 32 
millions d'habitants, 22 millions, soit les deux tiers, vivent 
du travail de la terre. Ce qui n'est pas encore désigné par la 
lexie " classe ouvrière " est composé d'ouvriers ruraux, de 
gens de métiers, de prolétaires d'usines ou manufactures.
La faiblesse numérique des travailleurs de l'industrie, la 
fragmentation de cette population rattachée d'un côté à 
l'artisanat et de l'autre à la paysannerie n'empêchent pas la 
formation d'une unité dans la précarité du niveau de vie, 
dans la vulnérabilité à l'égard des crises, dans l'enfermement 
d'une condition sociale pour le plus grand nombre 
indépassable.
Le sentiment de la dignité du travail est associé à la 
revendication politique de l'égalité. Le souvenir de la 
révolution, de Babeuf, le goût de l'indépendance et de la 
liberté sont très partagés. Lorsque Henri Heine décrit dans sa 
Lutèce la visite des ateliers du faubourg Saint-Marceau qu'il 
effectue en 1840, il est frappé par la littérature présente sur 
les établis, discours de Robespierre, pamphlet de Marat, 
histoire de Cabet, Conspiration pour l'égalité de Buonarroti, 
" écrits qui avaient comme une odeur de sang " . Rien 
d'étonnant à ce que la bourgeoisie considère avec inquiétude 
ces " classes dangereuses ", frondeuses, vindicatives, facilement 
inflammables.
Les embryons d'organisations
Pour se défendre contre les aléas de l'existence, en 
premier lieu contre les méfaits de la maladie, les ouvriers 
créent des sociétés de secours. Les unions fraternelles 
échappent à la prohibition de la loi Le Chapelier. Certes, les 
révolutionnaires entendaient instituer l'assistance publique, 
mais, comme le montre avec précision Bernard Gibaud, le 
temps et les moyens manquèrent pour la réalisation de leurs principes.
Les activités d'entraide mutuelle, vivaces sous l'Ancien Régime, se 
prolongent. Elles sont régies par l'article 291 du Code pénal 
qui stipule l'agrément et le contrôle des statuts par 
l'administration. La tolérance sourcilleuse l'emporte à partir 
de la Restauration. Les mémoires de Jacques-Etienne Bédé, 
témoignage important sur les pratiques ouvrières du début du 
XIXe siècle, dépeignent avec habileté comment les ouvriers 
tourneurs en chaise de la rue de Cléry à Paris se dotent en 
1820 d'une société de secours mutuel et comment ils mènent 
à côté une grève contre l'accroissement de leur charge de 
travail. La collusion entre les deux phénomènes, déniée dans 
ce cas, est assez fréquente. Les sociétés de secours servent 
souvent de base à l'action de résistance. D'où des dissolutions 
et des reconstitutions clandestines.
Parallèlement aux réseaux de solidarité et à l'organisation 
de grève, des ouvriers participent aussi à la vie de sociétés 
secrètes, républicaines puis socialistes. Dès 1830, les 
disciples de Saint-Simon envoient des prédicateurs chez les 
ouvriers. Les émigrés allemands fondent à Paris en 1836 la 
Ligue des Justes (Bund der Gerechten). Signe et véhicule 
d'une effervescence sociale, une première presse ouvrière 
apparaît. L'aspiration à l'unité entre les métiers se renforce 
sous la Monarchie de Juillet. Le cordonnier Efrahem le 
proclame en 1833 dans la brochure De l'association des 
ouvriers de tous les corps d'Etat : " Si nous restons isolés, 
éparpillés, nous sommes faibles, nous serons donc facilement 
réduits et nous subirons la loi du maître. " Dix ans plus tard, 
Flora Tristan lance, presque dans les mêmes termes, un appel 
à l'Union ouvrière : " Isolés vous êtes faibles et tombez 
accablés sous le poids des misères de toutes sortes ! Eh bien 
sortez de votre isolement ; unissez-vous ! L'union fait la force.
Vous avez pour vous le nombre et le nombre c'est beaucoup. "
L'internationale
Réactivé par la crise de 1857-1858, le mouvement ouvrier 
français qui comprend un fort courant proudhonien participe 
à la fondation de l'Association internationale des Travailleurs 
en 1864. La Ire Internationale rassemble des partis politiques, 
des organisations professionnelles, diverses associations 
ouvrières (coopératives, mutuelles) et accepte des adhésions 
individuelles. Karl Marx élabore la " Résolution sur les 
syndicats " adoptée au Ie, Congrès de 1866 dont le texte 
connaîtra une large diffusion et la problématique exercera 
une influence au-delà même des rangs de ceux qui se 
désigneront comme marxistes :
" Résolution sur les syndicats de l'Association 
internationale des Travailleurs (1866).
" A) Leur passé. - Le capital est une puissance sociale 
concentrée tandis que l'ouvrier ne dispose que de sa force de 
travail. Le contrat entre le capital et le travail ne peut donc 
jamais reposer sur des conditions équitables, pas même être 
équitable au sens d'une société qui met d'un côté la 
possession des moyens matériels d'existence et de 
production et, du côté opposé, les forces productives 
vivantes.
" L'unique puissance sociale du côté des ouvriers est leur 
masse. Cependant, la puissance de la masse est brisée par la 
désunion. La dispersion des ouvriers est engendrée et 
entretenue par leur concurrence inévitable. Les syndicats 
sont nés tout d'abord de tentatives spontanées de la part 
d'ouvriers pour supprimer ou, du moins, restreindre cette 
concurrence, pour arracher des conditions de travail 
contractuelles les élevant au moins au-dessus de la condition 
de simples esclaves.
" C'est pourquoi l'objectif immédiat s'est borné aux 
revendications journalières, aux moyens de défense contre 
les empiétements incessants du capital, bref, aux questions
de salaires et de temps de travail.
Cette activité des syndicats n'est pas seulement légitime, 
elle est nécessaire. On ne saurait s'en dispenser
tant que subsiste le mode actuel de production. Au
contraire, il faut la généraliser en créant des syndicats
et en les unissant dans tous les pays.
	" D'un autre côté, les syndicats, sans en avoir
conscience, sont devenus des foyers d'organisation de
la classe ouvrière, comme les municipalités et les communes 
du Moyen Age le furent pour la bourgeoisie.
Si les syndicats sont indispensables pour la guerre
d'escarmouches quotidiennes entre le capital et le 
travail, ils sont encore beaucoup plus importants en tant
qu'appareils organisés pour hâter l'abolition du système 
même du salariat.
	" B) Leur présent. - Jusqu'ici, les syndicats ont
envisagé trop exclusivement les luttes locales et immédiates 
contre le capital. Ils n'ont pas encore compris
parfaitement leur force offensive contre le système
d'esclavage du salariat et contre le mode de produc
tion actuel. C'est pourquoi ils se sont tenus trop à
l'écart des mouvements sociaux et politiques généraux. 
Ces derniers temps pourtant, ils semblent
s'éveiller en quelque sorte à la conscience de leur
grande tâche historique, comme on peut l'inférer, par
exemple, de leur participation en Angleterre au mouvement 
politique le plus récent, de leur conception
plus élevée de leur fonction aux Etats-Unis et de la
résolution suivante que la dernière grande conférence
des délégués des trade-unions a prise à Sheffield
	" Cette conférence apprécie tout à fait les efforts de
l'Association internationale pour unir les ouvriers de 
tous les pays dans une fédération fraternelle commune, 
et recommande instamment aux différentes
associations qui sont représentées à la conférence de
devenir membres de cette organisation, convaincue
qu'elle est nécessaire au progrès et au bien-être de la classe 
ouvrière tout entière.
" C) Leur avenir. - En dehors de leurs buts primitifs, il 
faut que les syndicats apprennent à agir dorénavant de 
manière plus consciente en tant que foyers d'organisation de 
la classe ouvrière dans l'intérêt puissant de leur émancipation 
complète. Il faut qu'ils soutiennent tout mouvement social et 
politique qui tend à ce but. En se considérant eux-mêmes et 
en agissant comme les pionniers et les représentants de la 
classe tout entière, ils réussiront nécessairement à attirer à 
eux ceux qui se tiennent encore en dehors du syndicat. Il faut 
qu'ils s'occupent soigneusement des intérêts des couches 
ouvrières les plus mal payées, par exemple, des ouvriers 
agricoles, auxquels des circonstances particulièrement 
défavorables ont enlevé leur force de résistance. Il faut qu'ils 
inculquent au monde entier la conviction que leurs efforts, 
bien loin d'être égoïstes et intéressés, ont au contraire pour 
but l'émancipation des masses écrasées. "
Les grèves illégales
Selon l'image chère à Jean-Noël Chopart, le XIXe siècle 
ouvrier est traversé par " le fil rouge du corporatisme ". La 
solidarité entre gens de même métier prend aussi la forme de 
la révolte. Lors de l'introduction des " mécaniques ", ceux 
qui sont menacés de chômage s'attaquent à la cause immédiate 
de leur malheur. Le " luddisme ", terme forgé 
probablement à partir du nom d'un ouvrier anglais, Ludham, 
qui prit la tête des premières manifestations de ce genre, 
fut pratiquer en France contre les métiers à tisser, 
les machines à fendre le bois, les presses 
mécaniques, les machines à vapeur. L'extension de 
l'industrie entraîne la disparition du bris des machines. En 
revanche, une forme d'action connue depuis
les Pharaons s'affirme, la cessation du travail, quoique la loi 
de 1791 l'interdise.
Les mémoires de Jacques-Etienne Bédé que nous avons 
déjà évoquées laissent entrevoir la manière dont se 
combinent une action publique et une concertation 
clandestine. En 1820, les maîtres de la rue de Cléry à Paris, 
désireux d'accroître leur profit en s'appuyant sur le nouveau 
régime de liberté du travail, n'hésitent pas à diminuer les 
salaires, à supprimer l'usage de fournir des outils et décident 
d'accroître la charge de travail. Corvée nouvelle, la 
manutention des billes de bois qui servent de matière 
première pour les chaises " exposait les ouvriers à recevoir 
des assauts terribles et à être fracturés des bras et des jambes 
".
Après avoir créé une société de secours, JacquesEtienne 
Bédé, le délégué à vie de la mutuelle, est chargé de réclamer 
la suppression des corvées pour les ouvriers à la tâche. 
S'ouvre un long conflit (10 mai -le' septembre 1820). Bédé 
s'applique à établir le bien-fondé des revendications et la 
correction des demandes ouvrières. Il met en valeur la 
solidarité dont font preuve les jeunes ouvriers qui 
abandonnent un temps la capitale afin de laisser l'emploi 
disponible aux pères de famille et aux anciens. Un atelier, 
celui de Mme Cornil, devient un " champ d'asile ", dans des 
conditions qui demeurent obscures. Bédé ne cache pas que 
des ouvriers acceptent de jouer le rôle de briseurs de grève. 
Il mentionne aussi deux personnages douteux, l'un qui 
informe la partie adverse des intentions des grévistes, l'autre 
qui cherche à dévoyer l'action entreprise. Ce dernier est 
qualifié de traître.
Résolus mais attentifs à ne pas se mettre dans l'illégalité, 
dans l'ensemble unis, les ouvriers déplorent le comportement 
des patrons. Ils distinguent d'ailleurs 
entre les anciens maîtres attachés aux traditions de la 
corporation et les nouveaux mus par leurs
seuls intérêts. La morgue des parvenus est soulignée, comme 
si le reniement des origines poussait à plus de dureté. 
Latente, la coalition patronale est contournée par des maîtres 
tourneurs qui ne respectent pas le lock-out décidé par 
l'assemblée des principaux marchands, fabricants. 
Orgueilleux, menteurs, sans scrupule, les meneurs du côté 
patronal recourent aux faux bruits comme l'annonce de la 
mort de Bédé ou aux provocations.
Les pouvoirs publics sont présentés avec prudence. Les 
commissaires et le préfet de police apparaissent soucieux 
d'apaiser la querelle en octroyant des secours et en favorisant 
la suppression des corvées. L'intention des autorités demeure 
cependant inconnue à la plupart des maîtres. Poursuivis pour 
entrave au travail, dix ouvriers sont acquittés le 21 décembre 
1820 mais ils sont condamnés en appel le 31 janvier 1821. Le 
sieur Bédé est gratifié de deux ans de prison. L'avocat 
général lui conseille de déposer un recours en grâce dont la 
femme d'un autre condamné, Maria Bicheux, se fera la zélée 
démarcheuse. Tous ces événements peuvent laisser penser 
que les camarades de Bédé sont des fidèles des Bourbons, 
attachés aux traditions du passé. L'absence de
claires références politiques et religieuses dans le 
témoignage de Bédé incite à la circonspection. Rémi Gossez 
qui a édité le texte résume bien la complexité du conflit : " 
L'affaire tient de la querelle de famille dans le cadre 
traditionnel limité aux hommes du métier et exprime leur 
réaction, celle d'un corps d'Etat manuel, devant les 
spéculations de commerçants qui en font un conflit social, à 
la faveur d'une interprétation du droit postérieur à la 
Révolution mais antérieur au développement du 
machinisme. "
Le récit de Jacques-Etienne Bédé, le plus ancien que nous 
ayons d'un arrêt concerté du travail, éclaire
sur le jeu auquel les ouvriers doivent avoir recours. Malgré 
les vicissitudes de l'activité économique, les grèves sont 
relativement nombreuses sous la Monarchie de Juillet et sous 
le Second Empire. Variable, leur efficacité se manifeste 
surtout dans les moments de prospérité. La répression, dont 
les coalitions sont fréquemment l'objet, alimente une 
opposition à l'égard de la justice consacrée à la défense de la 
propriété et du droit patronal et de l'armée dont l'activité 
entre 1815 et 1870 est concentrée sur les conquêtes 
coloniales et le maintien de l'ordre.
Les trois défaites du prolétariat
français
Trois soulèvements jalonnent l'histoire ouvrière au cours 
du XIXe siècle. Chaque fois, les forces militaires ont sévi 
avec brutalité. L'insurrection des canuts lyonnais les 21, 22 
et 23 novembre 1831 ouvre le cycle de la contestation 
armée.
Après avoir pris part à la Révolution de 1830, les ouvriers 
en soie, déçus par l'instauration d'un cens, sont accablés par 
la baisse du prix de façon. Ils réagissent en réclamant le tarif 
que les fabricants admettent et ne respectent pas. Le 21 
novembre, les canuts se révoltent et les insurgés s'emparent 
de la ville en deux jours. Les victimes, civiles ou militaires, 
s'élèvent à 357. Ne sachant que faire de leur victoire, les 
canuts accepteront le retour des pouvoirs légaux et le tarif 
sera annulé. Episode singulier, l' " affaire de Lyon " est 
perçue dans toute sa dimension sur-le-champ. " La sédition 
de Lyon a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine 
qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et celle 
qui ne possède pas ", commente Saint-Marc Girardin dans Le 
Journal des Débats du 8 décembre 1831. Les canuts 
récidiveront en 1834 avec leur slogan: " Vivre en travaillant 
ou mourir en combattant. " 342 morts et 600 blessés seront 
dénombrés.
En trois journées de février 1848, les Trois Glorieuses, la 
Monarchie de Juillet est emportée, par les combattants de la 
réforme et par des socialistes, par des ouvriers et par des 
bourgeois. La Seconde République naît dans l'illusion de la 
fraternité, dans l'engouement pour le prolétaire
" Chapeau bas devant la casquette,
 A genoux devant l'ouvrier. "
L'oeuvre sociale du gouvernement provisoire est 
contrecarrée. Dénaturés, les ateliers nationaux sont fermés. 
Lors des journées de juin, le général Cavaignac brise la 
révolte populaire : 3 000 morts et 15 000 déportés sans 
jugement. La réaction aboutit à l'Empire autoritaire.
Traumatisé, le mouvement ouvrier ne reprend son essor 
qu'à partir de 1860. Le Second Empire finit, comme il a 
commencé, par une parodie. Par colère nationale contre la 
défaite, par protestation contre la dégradation de sa condition 
de vie, le peuple parisien se soulève le 18 mars 1871 et 
proclame la Commune. Elle durera soixante-douze jours. 
Elle esquisse une politique d'inspiration socialiste. Karl 
Marx lui conférera le statut d' " antithèse de l'Empire ". Ver-
sailles entend écraser l'expérience, anéantir l'espérance. 18 
000 communards périrent dans les combats, 13 000 furent 
condamnés à la déportation ou à la prison, sans parler de 
ceux qui s'exilèrent. La troisième défaite du prolétariat 
français, selon le titre d'une brochure de Benoît Malon, met 
un terme à la pratique des barricades. Elle n'en imprègne pas 
moins la culture ultérieure du mouvement ouvrier. Au VIIIe 
Congrès de la CGTU, en 1935, un ancien combattant de 1871 
peut encore communiquer son message aux délégués : " Mes 
bons amis, je vous apporte mon salut révolutionnaire, de 
communard, ils ne m'ont pas eu, les brigands ! "
La transition vers la reconnaissance
légale du syndicalisme
Dans la seconde période de son règne, Napoléon III a 
tenté, avec l'aide du groupe saint-simonisant dit du 
Palais-Royal et de son cousin le prince Napoléon, de 
conduire une politique sociale. Une délégation ouvrière est 
envoyée à l'Exposition universelle de Londres de 1862. Plus 
important, après la publication du Manifeste des Soixante qui 
plaide pour une expression électorale autonome des ouvriers, 
l'empereur rend légale, le 25 mai 1864, la coalition des 
travailleurs. En février 1868, une circulaire du ministère de 
l'Intérieur recommande aux préfets de tolérer les réunions de 
grévistes. Le 31 mars de la même année, Le Moniteur publie 
un rapport prônant la tolérance à l'égard des chambres 
syndicales que Napoléon III approuve.
Influencés par l'exemple anglais, stimulés par le 
développement du capitalisme, les corps de métiers 
s'organisent en chambres syndicales ou en syndicats. La 
terminologie n'est pas davantage stabilisée que l'idée. Chaque 
" corporation " se dote d'une organisation de défense qui 
traite de ses préoccupations mais aussi des intérêts généraux 
des travailleurs. Une véritable floraison se produit à partir de 
1867, principalement à Paris. Les ébénistes, les cordonniers, 
les typographes, les orfèvres se regroupent mais envisagent 
très vite des coordinations par branches professionnelles et 
localement sur une base interprofessionnelle. En 1870, une 
Chambre syndicale des Ouvriers chapeliers de France se 
constitue, bel exemple de solidarité verticale, et l'année 
précédente s'était formée la Chambre fédérale des Sociétés 
ouvrières de Paris qui manifeste un esprit d'entente 
horizontale, interprofessionnelle. L'ouvrier relieur Eugène 
Varlin (1839-1871) prend une part active à cette double 
structuration et soutient les grèves. Membre de l'AIT, il
 incarne le socialisme révolutionnaire de l'époque, qui lie
progrès économique et liberté. 
A un ami rouennais, il écrit le 8 mars 1870: " Vous 
devez bien comprendre que nous ne pouvons rien faire 
comme réforme sociale, si le vieil état politique n'est pas 
anéanti. " Varlin fut fusillé à la fin de la Commune.
Les massacres de mai 1871 désarticulent le mouvement 
ouvrier qui pourtant renaît très vite. En 1872, le 
gouvernement dissout le Cercle de l'Union ouvrière de Paris 
qui réunit quinze chambres syndicales. Hostile à la 
répression, Léon Gambetta entend favoriser l'expression 
corporative qui contribuera à la limitation des grèves par 
l'affirmation d'un ordre juste et libre. Il charge un journaliste, 
Joseph Barberet, d'organiser un rassemblement des chambres 
syndicales. Le Congrès de Paris tenu du 2 au 10 octobre 
1876 est le premier congrès ouvrier de l'histoire française. Il 
fait preuve d'un réalisme dont la prudence confine à la peur 
d'inquiéter. Le syndicalisme de pacification sociale tel que 
l'envisageaient Gambetta et Barberet, le barberétisme 
comme on l'appela à l'époque, est contesté dès 1878 par la 
(ré)apparition d'un courant collectiviste animé par Jules 
Guesde. La radicalisation, au sens fort du terme, des congrès 
ouvriers, va entraîner leur division entre mutuellistes et 
collectivistes et parmi ces derniers entre guesdistes et 
possibilistes. Bernard Gibaud relèvera là un effet de la loi Le 
Chapelier : souci de la légalité au sein du courant mutuelliste 
et division des tâches.
(La loi sur la mutualité n'interviendra qu'en 1898 et celle sur les 
associations en 1901. L'interdit associatif de 1791 n'est surmonté qu'au prix 
d'une fragmentation du mouvement social.)
Les confrontations au sein du mouvement ouvrier ne 
ralentissent pas l'essor du syndicalisme. C'est le moment où 
les républicains jugent nécessaire de légaliser les
groupements professionnels. La loi du 21 mars 1884,
 fruit de huit années de débat, abroge la loi Le 
Chapelier et les articles du Code pénal napoléonien contre 
les coalitions.
La loi de 1884 et ses effets
Outre la spécialité de l'objet que nous avons évoqué dans 
l'introduction et qui avait pour objectif d'empêcher une 
éventuelle dérive politique, le texte de 1884 définit le 
principe de regroupement.
" ART. 2. - Les syndicats ou associations professionnelles, 
même de plus de vingt personnes exerçant la même 
profession, des métiers similaires ou des professions 
connexes concourant à l'établissement de produits 
déterminés, pourront se constituer librement sans 
l'autorisation du gouvernement. "
La loi accorde aux syndicats professionnels le droit d'ester 
en justice et leur reconnaît la possibilité de se coordonner en 
unions. Obligation est faite aux syndicats de déposer leurs 
statuts et d'indiquer les noms des responsables qui devront 
être français et jouir de leurs droits civils. Une partie des 
militants est opposée à ces dernières dispositions et sur la 
base des données publiées dans l'Annuaire des Syndicats pro-
fessionnels de 1890, un ralentissement des créations s'observe 
dans les années qui suivent immédiatement la promulgation 
de la loi.
La marche en avant reprend cependant très vite. Une 
Fédération nationale des Syndicats est créée à Lyon en 
octobre 1886. Sa structure comporte trois niveaux. Des 
conseils fédéraux locaux sont constitués dans chaque ville ou 
agglomération de communes avec un minimum de cinq 
syndicats. Un échelon régional est prévu par regroupement 
de dix départements. Enfin, le Conseil général fédéral 
comprend un délégué
par département au rôle ainsi défini par les statuts
" ART. 13. - Les délégués au Conseil général fédératif sont 
chargés de rechercher et d'étudier toutes les mesures d'ordre 
public qui peuvent intéresser les travailleurs, telles que les lois 
à abroger, abus de pouvoirs, monopoles non justifiés, etc., et 
de faire parvenir à tous syndicats un avis sur l'urgence de 
prendre des mesures dans un sens indiqué ou motivé par l'avis, 
de présenter et défendre, s'il y a lieu, les décisions prises par 
les syndicats. Enfin, suivant les circonstances, faire un appel 
général ou régional aux membres de la Fédération, pour 
trancher les difficultés qui pourraient surgir. "
La vie interne de la FNS sera assez agitée. Au départ, elle 
est marquée par l'opposition entre barberétistes et guesdistes 
puis par la confrontation entre guesdistes et partisans de la 
grève générale. A partir de 1892, elle est concurrencée par la 
Fédération des Bourses du Travail.
La loi du 5 avril 1884, communément appelée charte 
municipale, permet aux initiatives locales de se déployer. 
Dans ce contexte, le Conseil municipal de Paris prend 
l'initiative, en 1886, de créer une Bourse du Travail. 
L'exemple est imité par Nîmes, Marseille, Saint-Etienne, 
Toulon, Béziers, Montpellier, Sète, Lyon, Bordeaux. Les 
autorités municipales entendent mettre à la disposition des 
chambres syndicales des bureaux, des salles de réunion, une 
documentation. L'aide ainsi apportée n'est pas indemne 
d'arrièrepensées. Il s'agit de modérer le syndicalisme, de 
(intégrer au moins partiellement dans l'appareil d'Etat ou 
d'assurer sa liaison avec le parti politique qui dirige la 
municipalité. Le calcul sera, en partie, déjoué par les 
militants attachés à l'indépendance syndicale et à la lutte 
revendicative.
La conception syndicaliste des Bourses du Travail leur 
assigne une quadruple tâche. D'organisation d'abord. 
La Bourse, intercorporative, a pour mission 
d'implanter partout les syndicats. Soucieuse de la solidarité, 
elle doit irradier dans le milieu ouvrier à travers des 
coopératives et des mutuelles, des services de placement et 
des aides aux travailleurs itinérants (viaticum). Des cours, 
généraux et professionnels, soutenus par la constitution de 
bibliothèques, sont destinés à élever la culture et la 
conscience des syndiqués. Enfin, collectrice d'éléments 
statistiques, la Bourse est un foyer de lutte. Elle aide les 
grèves partielles et prépare la grève générale qui entraînera 
la révolution et l'émancipation des travailleurs.
Le mouvement des Bourses se structure en 1892 à travers 
la Fédération des Bourses du Travail de France et des 
colonies. Le Comité fédéral comprend un délégué par 
Bourse adhérente. Il désigne un bureau de quatre membres. 
L'organisation prévue par les statuts est donc fort simple. 
Malgré l'attachement profond au fédéralisme, la FBd'r est 
animée de manière personnelle par son secrétaire Fernand 
Pelloutier dont l'autorité ira croissant.
Les anarchistes qui ont été écartés de la II, Internationale 
en 1896 et sont en difficulté après la phase des attentats 
(1892-1894) s'investissent dans le mouvement syndical. 
Préoccupé de trouver un abri et de s'assurer un moyen de 
recrutement, ils renforcent le pôle anti-guesdiste. Un certain 
nombre d'entre eux se prend au jeu et contribue à 
l'émergence d'une idéologie originale, le syndicalisme 
révolutionnaire.
La rivalité entre la FNs et la Fédération des Bourses est 
mal vécue par la base. Un processus de rapprochement entre 
les deux organisations est engagé dès 1893 et il aboutit deux 
ans plus tard par la constitution de la première centrale 
syndicale de France, la Confédération générale du Travail.
Tableau des dirigeants syndicaux de 1886 à 1895
FNS
1886	Chavrier
1887	Jean Dormoy
1888	Raymond Lavigne
1890	Alfred Delcluze
1892	Jean Coulet
1895 	Etienne Pédron
FBdt
1892 Bernard Besset
1893 Rieul Cordier
1895 Fernand Pelloutier
.../...

Généalogie

Table des matières
Introduction / Internationale / Les origines / Généalogie
la FEN / Les jaunes / L'Europe / Conclusion
Du même auteur / Bibliographie

.../...
La FEN et la FSU
La première Association des Anciens Elèves de l'Ecole 
normale de la Seine apparaît en 1882. Cinq ans plus tard, 
Eugène Spuller, ministre de l'Instruction publique, 
condamne avec la plus extrême fermeté la formation d'une 
Union des Instituteurs et Institutrices de la Seine. Le refus 
de reconnaître le droit aux fonctionnaires de bénéficier des 
dispositions de la loi de 1884 est justifié au nom de trois 
considérations. Tout d'abord, les pouvoirs publics ne 
sauraient admettre que se forme un contre-pouvoir face à la 
hiérarchie administrative légalement constituée. Ensuite, 
l'association des diverses sociétés corporatives aboutirait à la 
création d'une "grande force sociale capable d'être à 
certains moments une grande force électorale". Enfin, si le 
salaire des ouvriers est débattu de gré à gré entre le patron 
et ses employés, les traitements des fonctionnaires sont fixés 
par la loi et ne peuvent être modifiés que par elle. 
Les enseignants se soumettent à l'interdit de la circulaire 
ministérielle bientôt renforcée par un avis du Conseil d'Etat. 
Ils se regroupent en des associations tolérées, voire 
favorisées par l'administration.
En 1905, des militants transgressent la volonté
gouvernementale et lancent un " Manifeste des Instituteurs 
syndicalistes " qui incite à rejoindre la CGT. La contestation 
ne porte pas seulement sur la faiblesse des traitements qu'un 
Ferdinand Buisson a bien mis en évidence mais sur le 
contenu des programmes, sur la fonction sociale assurée par 
l' " enseignement officiel " à laquelle ils opposent le principe 
d'autonomie et le fédéralisme. Georges Cle-
menceau en prononçant des révocations essaie de tuer le 
mouvement. Il survit cependant et se dote d'un journal en 
octobre 1910, L'Ecole émancipée.
Les répressions et les hésitations du corps enseignant dont 
une partie est attachée à l'amicalisme confèrent une portée 
limitée à la seconde tentative de syndiquer la fraction 
républicaine, laïque, radicale et socialiste de la fonction 
publique. En raison de la part qu'ils ont prise à la guerre de 
1914-1918 et du lourd tribut qu'ils ont consenti à la nation, 
les instituteurs créent un Syndicat national en 1920 sans être 
inquiétés. La tolérance obtenue en 1924 favorise la diffusion 
de l'expression corporative dans tous les ordres de 
l'enseignement.
Comme l'ensemble des fonctionnaires, les enseignants 
hésitent entre l'autonomie et la confédéralisation et lorsqu'ils 
optent pour cette dernière ils se divisent entre la CGT adoptée 
majoritairement et la CGTU choisie par une minorité 
composite. La Fédération unitaire de l'enseignement 
comprenait des syndicalistes révolutionnaires de L'Ecole 
émancipée, des trotskystes et des communistes. A l'instar de 
l'ensemble du mouvement syndical, le processus 
d'unification se produit aussi chez les enseignants. La FUE 
rejoint la Fédération générale de l'enseignement CGT. 
L'entente reste limitée. En particulier, les réformistes animés 
par André Delmas sont portés à soutenir des positions 
pacifistes extrêmes alors que les communistes unitaires 
combattent les accords de Munich. Le pacte 
germano-soviétique achève de délabrer l'unité rétablie en 
1935 chez les enseignants.
A la Libération, la FGE où les rapports de force entre 
courants ne se sont guère modifiés se transforme en 
Fédération de l'Education nationale. La nouvelle 
dénomination vise à marquer une évolution vers une 
fédération d'industrie. La FEN mène alors un triple combat, 
pour le reclassement des enseignants, pour l'essor de 
l'Education nationale sur la base du plan Langevin-Wallon 
(19 juin 1947), pour la défense de laïcité scolaire. 
Elle travaille aussi au développement du 
réseau, notamment par la création de la Mutuelle générale de 
l'Education nationale.
Lorsque la scission de la CGT se produit, la FEN, en 
conséquence du choix effectué par sa principale composante 
le SNI, se prononce pour le passage à l'autonomie. Certes, 
une FEN-CGT se constitue avec les enseignants du technique, 
une FEN-Fo aussi avec ceux de l'Association française pour la 
Promotion des Adultes.
(Ces structures changent leur dénomination pour devenir respectivement
 Fédération de l'Enseignement, de la Recherche et de la Culture 
(FERC-car) au début des années quatre-vingt et Fédération nationale de 
l'Enseignement et de la Culture (FNEC-FO) au début de, années soixante-dix.)
L'essentiel des forces se retrouve 
dans une organisation unitaire certes, mais sans référence 
confédérale. Les socialistes et les syndicalistes révolutionnaires 
de L'Ecole émancipée ont conjugué leurs affects 
contre les communistes favorables à la CGT et 
majoritairement décidés à accepter une décision que 
beaucoup jugent provisoire.
Dans les années contiguës à la scission confédérale, des 
militants de la FEN " autonome " pratiquent la double 
affiliation, les uns avec la FEN-CGT, les autres avec la FEN-FO. 
La double appartenance est abolie en 1954 par une décision 
du bureau politique du Pc h rapidement imitée par le bureau 
confédéral de Fo. La pérennité de l'autonomie est en voie de 
devenir un fait établi, d'autant que la majorité socialisante de 
la fédération a dès 1949 imposé l'homogénéité de l'exécutif. 
La FEN accroît ses effectifs, le courant majoritaire améliore 
ses scores. L'expansion scolaire sous la V' République 
apporte son lot d'épreuves. La FEN ne parvient pas à 
empêcher la concrétisation de la loi Debré en faveur de 
l'enseignement privé. Pendant la guerre d'Algérie, le courant 
majoritaire se fragmente et hésite. La dilatation du système
 scolaire modifie les 
équilibres internes. Le comportement hégémonique du SNI 
est mal supporté. Georges Lauré, secrétaire général de la 
Fédération, démissionne en septembre 1966 pour alerter sur 
l'urgence de rénover la vie fédérale.
La mise en garde du second secrétaire général de la FEN 
ne suffit pas. Le Syndicat national de l'Enseignement 
secondaire (sNEs) est conquis en 1967 par le courant Unité 
et Action, continuateur de la tendance cégétiste. La forte 
mobilisation des enseignants pendant le mouvement de 
mai-juin 1968 ne trouve pas les dirigeants de la F EN 
totalement au diapason. Le Syndicat national de 
l'Enseignement supérieur (sNE-Sup) et le Syndicat national 
des Chercheurs scientifiques (sNCS), après avoir eu une 
direction gauchiste, se dotent d'une direction Unité et 
Action. Un nouveau courant " Rénovation syndicale " 
apparaît, réunissant diverses minorités, militants du Parti 
socialiste unifié (psu), maoïsants.
Les responsables du courant majoritaire décident 
d'inverser le cours des choses. En 1971, le courant se 
réorganise et prend pour dénomination Unité, Indépendance 
et Démocratie. Le 11 mai 1973, le Ps organise une journée 
d'études à Clichy qui aboutit à la consigne, pour les 
enseignants socialistes, de rejoindre tous le courant UID. En 
1975, une réforme de structure assure un meilleur contrôle 
de la direction fédérale sur les sections départementales. 
Comme les cinq centrales représentatives, la FEN reçoit des 
crédits du ministère du Travail pour la formation de ses militants 
à partir de 1976.
La contre-offensive de la majorité socialiste au sein de la 
FEN s'avère d'autant plus efficace que le courant Unité et 
Action se trouve à son tour en difficulté avec la rupture de 
l'union de la gauche et les soubresauts
qui affectent les pays communistes. L'avènement du 
gouvernement Mauroy calme le jeu. La FEN se rapproche 
même de la CGT en 1982 contre l'austérité. La majorité 
fédérale va cependant se plier à la rigueur salariale. Elle 
essuiera un grave échec pour son projet d'unification des 
deux réseaux scolaires, d'autant plus grave que la loi sur la 
régionalisation est adoptée. Une scission l'affecte. Des 
militants du courant Front unique ouvrier quittent la 
fédération pour constituer des syndicats concurrents à Force 
ouvrière en 1983. Les effectifs du sNi reculent alors que 
ceux du SNES se stabilisent.
Les motifs d'inquiétude s'accumulent pour la majorité 
fédérale. Jean-Pierre Chevènement énonce l'objectif de 80 % 
d'une tranche d'âge au niveau du baccalauréat. La croissance 
à venir du système scolaire bénéficiera au secondaire et au 
supérieur. Le primaire, compte tenu des évolutions 
démographiques, est destiné à plafonner.
Tenant compte de l'échec du gouvernement socialiste 
remplacé par la droite en 1986, jugeant que l'heure est 
sonnée de s'accaparer les dépouilles du courant communiste 
condamné par le naufrage de l'l'RSS, le courant Unité, 
Indépendance et Démocratie envisage la recomposition 
syndicale, la constitution d'un grand pôle réformiste avec la 
CFDT et Fo. Le projet se heurte au refus de Fo qui choisit 
Marc Blondel en 1989 et aux résistances internes. La FEN 
expulse de ses rangs le sNes et le SNEP en octobre 1992. Mal 
conduite, l'opération bénéficie aux opposants, regroupés au 
sein d'une Fédération syndicale unitaire (Fsu) fondée en 
avril 1993 et majoritaire aux élections professionnelles de 
décembre. En pointe dans la lutte contre la loi Bayrou le 16 
janvier 1994 contre le CIP, la Fsu prend une part active au 
mouvement social de 1995. Elle se situe en tête du scrutin de
décembre 1996 aussi bien dans le primaire que dans le 
secondaire. L'ascension de la Fsu rencontre un premier frein 
avec des tensions internes provoquées par son syndicat du 
technique, le SNETAA, dont la culture héritée d'UIL) est 
fréquemment révulsée par la dominante Unité et Action et 
l'influence de l'Ecole émancipée. Ministre de l'Education 
sous la gauche plurielle, Claude Allègre, tout en dénonçant 
la cogestion qui se serait établie sous François Bayrou, 
s'ingénie à dresser le SNUIPP contre le SNES, à opposer une 
coalition SE FEN - SGEN CFDT contre le syndicat du secondaire 
de la FSU. Dans le mouvement des enseignants de la 
Seine-Saint-Denis au printemps 1998, l'alan de la fédération 
s'avère émoussé et les affrontements internes conduisent 
Michel Deschamps à démissionner le 11 mars 1999. II est 
remplacé le 7 avril par Monique Vuaillat et Daniel Le Bret.

.../...
Les jaunes
Avant de traiter du syndicalisme " indépendant " , "<i 
retour en arrière s'impose. Dans le cas français, il n'est pas 
exagéré d'avancer que le syndicalisme est lié à gauche, avec 
la multiforméité que cette dernière comporte. Des réactions 
se sont produites contre cet état de fait. Contre les " rouges 
", la première concurrence d'importance provient 
précisément des jaunes ".
Le mouvement naît en 1899 au Creusot et à Mont-
ceau-les-Mines. Des mineurs créent un syndicat indépendant. 
La diffusion du modèle permet en 1901 la création 
d'une Union fédérative des Syndicats et Groupements 
ouvriers professionnels de France et des colonies. 
L'organisation reçoit l'appui du patronat, d'hommes 
politiques comme Jules Méline, Emile Loubet, Président de 
la République, d'intellectuels tels Jules Lemaitre et Barrès, 
d'ecclésiastiques. Le 1- Congrès national des jaunes de 
France, dénomination qui s'est finalement imposée, réuni en 
1902 à Saint-Mandé rassemble 203 délégués de 201 745 syndiqués 
(100 000 en réalité). Les responsables sont 
dynamiques, Paul Lanoir, des chemins de fer, Pierre Bietry, 
des mineurs. Leur mésentente se traduit très
vite par une scission. Paul Bietry qui surmonte l'épreuve 
avec l'aide de Gaston Japy se fait élire député en 1906. Il 
quitte l'organisation syndicale en 1908 et dès 1909 la 
Fédération des jaunes commence à dépérir. Abandonné par 
la droite radicale et par la droite modérée, le mouvement 
s'efface l'année suivante, comme une création artificielle 
peut le faire, construite sur le sable des illusions et des faux-
semblants.
" Jaunes " : le mot, infamant, ne parvient pas à s'imposer 
en positif par un retournement volontariste. Les partisans du 
mouvement se réfèrent souvent au papier de couleur jaune 
qui avait remplacé les vitres brisées par les rouges du 
premier local à Montceau. D'autres évoquent la fleur de 
genêt que les militants fixaient à leur boutonnière. Ces 
explications de circonstance ne suppriment pas l'origine 
adverse, l'imputation par les cégétistes de cet adjectif 
dévalorisant, annonciateur de traîtrise, de parjure. Maurice 
Tournier estime que, pour une petite part, l'échec des jaunes 
provient de la dénomination qu'ils ont choisie. " 
Contradiction symbolique d'ouvriers anti-ouvriers, de rejetés 
rejetants, ils se sont empêtrés dans leur propre toile " (Mots, 
n° 8, mars 1984).
Les tensions de l'idéologie jaune interviennent aussi dans 
son effondrement. D'un côté, comme le montrent Les Cahiers 
de l'ouvrier rédigés par Théophile (1904), le réformisme 
prôné s'attache aux différentes formules d'amélioration de la 
condition ouvrière, coopérative de consommation, jardins et 
logements, participation au bénéfice et au capital. De l'autre, 
l'anti-socialisme, l'anti-marxisme, l'antiinternationalisme 
prennent une telle place dans le discours jaune que les 
objectifs visés sont noyés dans un libéralisme intégral. Autre 
manière d'énoncer la contradiction :les jaunes se réclament 
de l'apolitisme
populiste et s'inscrivent dans la stratégie de la droite 
prolétarienne.
La place des syndicats jaunes est reprise en 1910 par une 
Union professionnelle des Syndicats libres à l'existence 
également éphémère. En 1918, elle se transforme, sans plus 
de succès, en Confédération nationale du Travail. Une Union 
générale des Syndicats réformistes se créé en 1920.
.../...
L'esquisse d'une vie contractuelle 
à l'échelon européen
La construction d'un espace social à l'intérieur de la 
Communauté économique européenne est une option qui 
n'est pas partagée par les douze membres. La 
Grande-Bretagne en 1991 a refusé tout accroissement des 
prescriptions contenues dans le traité de Rome et l'Acte 
unique. Si la voie réglementaire en matière sociale est 
facilitée par l'annexe du traité de Maastricht pour onze pays, 
elle laisse place à une démarche contractuelle qui comporte 
trois registres.
D'abord au niveau central. La Confédération européenne 
des Syndicats, à laquelle sont affiliées la CFDT, F'o et la CFTC 
dialogue à Val-Duchesse depuis 1986 avec l'Union des 
Confédérations de l'Industrie et des Employeurs d'Europe 
(UNICE) et le Centre européen de l'Entreprise publique (CEEP). 
De ces rencontres sont sortis des " avis communs ", sorte de 
documents programmatiques, sur la stratégie de coopération 
pour l'emploi et la croissance (1986), les nouvelles 
technologies, la formation, l'information et la consultation 
(1987), le rapport économique annuel (1987), la formation et 
l'éducation (1990), les perspectives du marché de travail 
(1990) et un accord sur le rôle des partenaires sociaux dans 
la dimension sociale du Marché intérieur (1991).
Une négociation sectorielle européenne s'amorce. Le VII' 
Congrès de la CES (1991) a renforcé le rôle des Comités 
syndicaux européens qui ont en charge
un secteur d'activité économique. L'agriculture l'élevage 
fournissent un exemple d'entente européenne: sur la durée du 
travail. Un accord semblable avait é
obtenu dans les transports : le règlement adopté par le 
Conseil des ministres s'en est écarté. Un accord européen sur 
la formation professionnelle dans le secteur du commerce 
de détail a été conclu le 19 octobre 1988. En 1991, on 
compte neuf branches doté de comités paritaires et seize 
autres procédant à des rencontres informelles tripartites. Le 
14 décembre 1995, un accord-cadre sur le congé parental a été 
signé entre la CES, l'UNICE et le CEEP. Le document
sympathique mais 
peu contraignant pour le patron a été suivi de deux autres 
sur le travail à temps partie (6 juin 1997) et sur le travail à 
durée déterminée (14 janvier 1999) qui relèvent assurément 
de la flexibilisation du droit du travail.
Un troisième niveau de négociation européenne, ci, tout 
cas de concertation, est apparu dans des groupe 
multinationaux. La directive communautaire dU
22 septembre 1994 prévoit la constitution de Comité: 
d'entreprise européens, ce qui devrait concerne 122 
entreprises françaises.
Efficacité syndicale et compromis
Le refus du compromis traduit l'incapacité syndicale de 
s'adapter. L'incapacité de s'adapter nourrit la crise du 
syndicalisme. Le refus du compromis nourrit la crise du 
syndicalisme. Sous diverses formes, nous avons entendu 
depuis dix ans ce syllogisme qui fonde a contrario la 
proposition :l'acceptation du compromis sortira le 
syndicalisme de sa crise. Le raisonnement n'est pas sans 
rappeler celui dont Montaigne invite à se méfier dans ses 
Essais (I, XXVI) : " Manger du jambon fait boire, 
le boire désaltère ; par quoi manger 
du jambon désaltère. "
La notion d'adaptation est en elle-même assez molle. 
Elle renvoie à la conception d'un acteur relativement 
autonome dont le comportement est invité à se modifier 
en raison d'une évolution de son environnement. En 
réalité, le mouvement syndical français est confronté à 
une transformation de sa base sociale et à un changement 
profond de l'univers économique. Pour dire vite, le 
compromis fordiste s'est délité. Quelle réponse apporter à 
la crise économique ? Cette question se subdivise en 
d'autres interrogations : de quelle marge économique 
dispose la France ? Est-il possible de l'accroître ? 
Qu'est-ce qu'une revendication légitime ? Faut-il 
hiérarchiser les revendications et qui est en droit de le 
faire ? Comment faut-il défendre les acquis ? Quelle place 
tient la proposition économique dans la démarche 
revendicative ? Qu'estce qu'un bon compromis ? Lorsque 
le grain à moudre diminue, les salariés s'écartent d'un 
syndicalisme perçu comme inefficace. S'il concède trop 
au patronat, son < réalisme " le dessert. Le syndicalisme 
est au rouet s'il ne parvient pas à articuler mobilisation et 
négociation, critique sociale et solution tangible.
.../...
CONCLUSION
Longtemps hanté par la Révolution française, marqué 
par trois défaites sanglantes (1831, 1848, 1871), le 
mouvement ouvrier français s'est singularisé par une 
composante syndicale qui a récusé majoritairement le 
modèle social-démocrate et le trade-unionisme. Le rôle 
prépondérant du syndicalisme révolutionnaire
puis du courant communiste se perçoit et se construit à 
travers un long cortège de luttes revendicatives et de 
grèves générales. L'hégémonie des pratiques con-
flictuelles n'a pas empêché, elle a favorisé même, par 
réaction, l'apparition de forces concurrentes sur une base 
confessionnelle ou catégorielle. L'intrication entre le 
champ partisan et le champ syndical provoque des 
scissions (1921, 1939, 1947) ou des réunifications qui 
dépassent souvent le cas français.
En dehors de périodes fusionnelles où mobilisation et 
adhésion coïncidaient (1919, 1936, 1944 et dans une 
mesure beaucoup plus faible 1968), le syndicalisme 
français n'a jamais organisé qu'une minorité des salariés. 
Des sociologues ont même érigé le taux de 20-25 % en 
norme. Un certain élitisme qui préside à la phase de 
constitution, la pluralité organisationnelle à partir de 
1919-1921, les règles admises par le patronat et les 
pouvoirs publics ont contribué à la faiblesse
de la syndicalisation qui a été expliquée par 
l'individualisme de la culture nationale. La crise économique 
n'a pas ébranlé l'édifice syndical comme en 
Grande-Bretagne ou en Allemagne. Elle l'a violemment 
démantelé. Pertes de syndiqués, de militants, de 
permanents, d'électeurs, diminutions des grèves et des 
manifestations.
Selon des rythmes distincts, chacune des composantes du 
mouvement syndical français est touchée par la récession 
organisationnelle. Aucune famille idéologique n'est 
épargnée, laïque ou confessionnelle, réformiste ou 
révolutionnaire, catégorielle ou interprofessionnelle. Les 
dénégations n'ont pas manqué. La CGT a refusé l'expression 
de " crise syndicale " de 1980 à 1991. La CFDT l'a admise 
très tôt pour justifier son recentrage. La récusation 
volontariste comme la lucidité tactique n'ont pas mis à l'abri 
d'un dépérissement dont l'interprétation reproduit les lignes 
de clivage internes au mouvement syndical.
Sans entrer dans les discussions techniques - un syndiqué 
se définit-il par l'achat de 8, 10 ou 12 timbres mensuels ? - 
un ordre de grandeur est énonçable. En vingt ans, le 
mouvement syndical a perdu plus de la moitié de ses 
cotisants. De 20 % en 1974, le taux de syndicalisation est 
passé en 1991 à moins du 10 %. Les estimations varient 
entre 7 et 9 %. La comparaison avec le syndicalisme des 
autres pays européens place la France dans la position de 
lanterne rouge. Alerter sur les différences des incitations à se 
syndiquer qui existent selon les types de syndicalisme - la 
France ignore le closed-shop, le check-off et ne dispose guère 
de services fournis aux seuls adhérents - ne supprime pas la 
pertinence du constat alarmiste sur l'état de ses organisations 
syndicales. Le chômage, les privatisations, la 
déréglementation (le démantèlement du droit du travail) 
concourent à l'affaiblissement du syndicalisme qui ne 
parvient pas à se renouveler. Les facteurs externes de 
destructuration forment système avec les causes internes 
d'épuisement.
Patents, les maux dont souffrent les syndicats français 
sont cumulatifs. Moins d'adhérents entraîne une
diminution du nombre de militants qui, à son tour, conduit à 
une diminution des effectifs. La réduction des moyens 
financiers provoque une capacité d'intervention réduite qui 
amplifie la désaffection.
En période de crise, selon une remarque de Hegel, l'état 
du monde n'est pas encore connu. C'est pourquoi, plus 
encore que dans d'autres temps, les interprétations illusoires 
fleurissent, les démarches à contretemps abondent. Si l'on 
s'applique à dépasser les explications immédiates, 
unilatérales et descriptives - le syndicalisme français meurt 
de la montée de l'individualisme, de sa politisation, etc. - on 
perçoit qu'il est confronté à deux grands défis.
D'une part, il est sommé d'exprimer le salariat tel qu'il est, 
dans sa diversité, dans sa complexité. Or le mouvement 
syndical français reste attaché aux figures du compromis 
fordiste, avec l'ouvrier qualifié et l'ouvrier spécialisé, 
l'employé de commerce et de banque, le fonctionnaire de 
l'Etat keynésien. La crise économique a non seulement 
diminué l'importance numérique de ce qui a pu être présenté 
de manière mythologique comme des bastions syndicaux, 
elle a engendré une zone de désert syndical avec près de trois 
millions de chômeurs, un million de contrats précaires et 
trois millions de salariés des petites entreprises, elle a 
renforcé la montée de couches techniciennes et intellectuelles 
extérieures à la culture du travail antérieure. Face à cette " 
déouvriérisation ", à la dualisation du marché du travail, le 
syndicalisme n'a pas seulement à générer la stratégie 
appropriée pour faire face, il est en position de missionnaire 
dont la tâche première consiste à s'introduire dans les zones " 
barbares ", à comprendre la mentalité des populations à 
conquérir, à participer à leur vie, à obtenir leur confiance 
pour finalement les entraîner dans ses rangs. Un travail 
diversifié est à conduire en
direction des chômeurs, des précaires. des jeunes. des femmes, 
des immigrés, des techniciens, des Intellectuels sans 
abandonner les professions déjà sensibilisées, sans négliger 
le socle ouvrier qui assure la production pour tous.
(Stephen S. Cohen, John Zysman, Manufacturing Matters. The Llvth of 
the Post Industrial Economv, New York, Basic Books Inc., 1987, 297 p.)
Coordonner les revendications réclame l'élaboration 
d'objectifs communs prenant appui sur les différents 
besoins. Une tâche considérable attend donc les militants.
Le syndicalisme hexagonal est, d'autre part, incité de 
manière urgente à développer une action qui réponde aux 
données de la division internationale du travail. La 
croissance fordiste du second après-guerre s'effectuait pour 
une grande part dans un cadre national, selon une logique 
autocentrée. La construction de la Communauté 
économique européenne et plus largement le renforcement 
des firmes multinationales ont rompu l'équilibre antérieur. 
Désormais, l'économie " ouverte " sur le monde exige des 
coopérations internationales. Des pratiques se sont 
esquissées dans le cadre des groupes et des branches. A 
l'échelle européenne, une concertation intersyndicale se 
forge lentement. La CFE-CGc a contribué à la constitution de 
la Confédération européenne des Cadres (CEC). La FEN est 
active au sein du Secrétariat professionnel international de 
l'Enseignement (sPIE). La CFDT, Fo, la CFTC sont adhérentes de 
la Confédération européenne des Syndicats (CES). La 
demande d'adhésion de la CGT à la CES écartée depuis 1979 
se pose en de nouveaux termes avec la disparition de la 
Fédération syndicale mondiale (Fstvt). Son absence prive la 
CES d'une composante difficile à ignorer. D'une manière 
générale, le resserrement des liens internationaux est à 
l'ordre du
jour, même si les problèmes à résoudre sont considérables et 
ne relèvent pas que de la seule responsabilité du mouvement 
syndical français. La transformation de la CES en véritable 
acteur requiert un effort de toutes les organisations qui la 
composent. Elle pose la question d'une stratégie commune 
dont la formulation, faible litote, se heurte à des obstacles de 
taille.

.../...
En phase de renouvellement, le syndicalisme français 
reste divisé sur la réponse à apporter à la crise économique. 
Le modernisme CFDT hésite à reproduire le modèle allemand, 
qui réclame un patronat apte au compromis et le poids d'un 
parti social-démocrate fort. Fo se définit par la revendication 
qui écarte tout projet de société. La CGT recherche à tâtons la 
refondation d'un syndicalisme de lutte de classe. La 
démarche de l'albatros corporatif demeure incertaine et 
maladroite. Rien n'autorise à penser que son affaiblissement 
est enrayé ni que son recul va se poursuivre. Le retour de la 
gauche au pouvoir lors de la
troisième cohabitation s'accompagne d'une reprise de la vie 
contractuelle qui reste dissociée d'une véritable mobilisation 
sociale. Vivant sous le signe de l'incertitude, le mouvement 
syndical de l'hexagone est face
à un avenir difficile et encore indécis, d'autant plus ouvert 
qu'il saura, selon le conseil d'Antonio Gramsci, conjuguer le 
pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté.
Dans un monde profondément marqué par l'inter-
nationalisation, la financiarisation, la flexibilisation, le 
syndicalisme est placé devant ses responsabilités rassembler, 
élaborer (débattre-proposer), coordonner.
FIN

Table des matières
Introduction / Internationale / Les origines / Généalogie
la FEN / Les jaunes / L'Europe / Conclusion
Du même auteur / Bibliographie

Du même auteur
René Mouriaux
L'ouvrier Jionçais en 1970 (en collaboration avec Gerard .\da;n ci ul.). Pans. Armand Colin, 
1971.
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Presses de la Fondation nationale des Sciences politique,. 1980.
Les syndicats européens et la crise (en collaboration avec Klaus Armingc, n et al.), Grenoble, 
Presses Universitaires de Grenoble, 1981.
Lu parole syndicale (en collaboration avec Alain Bergounioux et al.), Par'.. Presses 
Universitaires de France, 1982.
La CGT, Paris, Editions du Seuil, 1982.
Les syndicats dans la .société française, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences 
politiques, 1983.
La forteresse enseignante. La Fédération de l'Education nationale (en collaboration avec Véronique Aubert et al.), Paris, Fayard, 1985.
Syndicalisme et politique, Paris, Editions Ouvrières, 1985.
Le syndicalisme face à la crise, Paris, La Découverte, 1986.
Moi 68. L'entre-deux de la modernité (en collaboration avec Jacques Capdevielle), Paris, 
Presses de la Fondation nationale des Sciences politique:,. 1988.
La CFDT (en collaboration avec Guy Groux), Paris, Economica, 1989.
Petits boulots et grand marché européen (en collaboration avec Jacques Capdevielle et Hélène 
Y. Meynaud), Paris, Presses de la Fondation national, des Sciences politiques, 1990.
Les syndicats européens à l'épreuve (en collaboration avec Geneviève Bibes c r al.), Paris, 
Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 19911.
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L e syndicalisme dans le monde, Paris, PUF, coll. " Que sais-je ? ", 1993.
Le syndicalisme en France depuis 1945, Paris, La Découverte, 1994.
Comment nous ferons la révolution, réédition critique du roman d'Emile Pataud et Emile 
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(en collaboration avec Pierre Cours-Salies), Syllepse, 1995.
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1seN 2 13 044954 9
Dépôt légal - l" édition :1992
-t` édition corrigée : 1999, décembre
Presses Universitaires de France, 1992
1(18, boulevard Saint-Germain. 75006 Paris

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
	Inévitablement sommaires, ces indications bibliographique visent à
Fournir au lecteur les références les plus utiles et les plus nourrissante,
OUVRAGES GÉNÉRAUX
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