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Les TIC dans les pays d’Asie en développement.

OCDE

 

Brahm Prakhah (économiste principal adjoint, banque asiatique de développement)

 

N° 2.832 Problèmes économiques

 

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Les pays asiatiques en développement ‑ tirés par le Japon, la Corée et le Taipei (Chine) ‑ contribuent de façon importante à la diffusion des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans le monde. Chacune de ces économies joue dans le cadre du processus de production des TIC un rôle particulier. La Malaisie, par exemple, produit des composants électroniques, l'Inde participe activement au développement de l'industrie mondiale du logiciel, tandis que la Chine devient progressivement la plaque tournante pour la production du matériel TIC. Cependant, jusqu'à présent, les produits TIC élaborés par les pays asiatiques sont destinés aux marchés d'exportation et ne servent que faiblement d'accélérateur du développement économique.

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Nous étudierons ici l'évolution récente des technologies de l'information et des communications (TIC) et nous nous concentrerons sur le profil de la croissance de ce secteur dans les pays d'Asie (nous nous inspirons largement des travaux récents publiés sur le sujet par Kagami et Tsu]i (2001)). Nous tenterons d'évaluer le potentiel d'expansion des TIC pour les pays en développement de la région, qui rassemblent la plupart des populations pauvres de la planète, et de cerner les principaux défis que ces technologies doivent aujourd'hui relever.

 

Croissance et impact des TIC

 

L'évolution des TIC a modifié l'organisation des activités économiques. Son impact transparaît tout d'abord dans les changements que le secteur a lui-même connus ces dernières années, pour se manifester ensuite dans l'influence des TIC sur les autres activités économiques, comme le secteur manufacturier ou les services.

 

Le secteur des TIC

 

L'apparition des TIC remonte à la naissance d'internet à la fin des années soixante, et à l'introduction des micro-ordinateurs (PC) dans les années soixante-dix. Tel qu'on le conçoit aujourd'hui, le développement des TIC est en fait passé à la vitesse supérieure au début des années quatre-vingt-dix lorsque, avec l'aide des technologies de l'information, le PC et les technologies internet se sont associés pour devenir un outil puissant pour les entreprises et le développement. Depuis, les TIC ont intégré le calcul informatique; les communications et, avec la numérisation, les fonctions graphiques. Leur expansion est alimentée par les sites web et l'utilisation des lignes à fibres optiques à large bande. Ces technologies ont déjà fait une percée dans le domaine du sans fil et s'adaptent toujours mieux aux besoins de chacun ; en témoigne le recours accru aux assistants personnels numériques (PDA). Le rythme du progrès technologique s'est accéléré, entraîné par des innovations matérielles et logicielles (Caties, 1996). Rien ne permet de penser que ce processus est parvenu à son terme et, de fait, ces changements sont si profonds que nous ne sommes même pas conscients de toutes leurs conséquences.

Sur le plan qualitatif, les TIC ont permis une évolution importante : la poursuite de la dissociation entre la mise au point d'un produit et le processus de production (Ernst et Guerrieri, 1998). Ce phénomène n'est pas entièrement nouveau; il s'est amorcé avec la réorganisation élémentaire des tâches dans le cadre de la division du travail (Smith, 1776), pour s'accélérer au moment de la révolution industrielle, qui s'est traduite par des gains d'efficience et de productivité dans les usines (Becker et Murphy (1993) présentent un argument intéressant à cet égard. Ils indiquent que les coûts de coordination déterminent le degré de division du travail et de spécialisation. Au vu des techniques de production modernes engendrées par les TIC, cet argument revêt encore plus de poids qu'ils ne l'avaient peut-être imaginé au départ). Les TIC ont contribué à affiner les méthodes traditionnelles de production en conférant davantage de valeur ajoutée à la conception du produit qu'à la production eIle-même (Talluri et al., 1999). Aujourd'hui, il est nettement plus rentable de planifier un produit, de le concevoir, de mettre en place la logistique de fabrication, de contrôler sa qualité et de gérer l'image de marque plutôt que de le fabriquer. Les TIC ont donné un coup d'accélérateur sans précédent à ce processus, et les délais de développement ont tellement raccourci que l'on parle aujourd'hui d'« ingénierie simultanée ». Cette transformation induite par les TIC s'est diffusée grâce essentiellement aux externalités de réseaux (Katz et Shapiro, 1985); ce qui a abouti aux fameuses économies d'échelle (l'emploi de ressources massives générant une production proportionnellement plus élevée) ainsi qu'à des économies de gamme (fabrication de produits différents grâce à l'utilisation de ressources communes). Le système de production linéaire composé d'étapes successives a été réorganisé : les entreprises se procurent aujourd'hui les pièces à différents endroits, souvent distants de milliers de kilomètres et situés dans plusieurs pays, puis les acheminent vers une unité d'assemblage pour une livraison en flux tendus. C'est ce que l'on appelle la gestion de la chaîne logistique (supply-chain management ‑SCM). L'assemblage final correspond souvent aux configurations spécifiées par le client.

La gestion de la chaîne logistique a radicalement modifié la dynamique de production dans le secteur des TIC : dans le cycle de production, la valeur ajoutée s'est déplacée vers certains éléments techniquement plus complexes, comme les puces et les logiciels, et ne concerne plus l'assemblage de tout le produit. C'est ce que l'on appelle l'effet « Wintel » (Borrus et Zysman, 1997). Cette situation contraste avec les secteurs (automobiles ou montres, par exemple) dans lesquels l'ensemble du produit ou la marque portent la valeur ajoutée.

Les complexités de ce système de production avec approvisionnement extérieur ‑ conception assistée par ordinateur (CAO) et gestion automatisée, conception des produits, spécifications et teneur en matériaux ainsi que mouvements dans le temps et l'espace ‑ sont toutes coordonnées par un système d'information supervisé de près. Impossible sans les TIC, la logistique de ce système de production est devenue une tâche à part entière, connue sous le nom de services de fabrication électro­nique (ou EMS, pour electronic manufacturing services). Ces services font intervenir un ensemble d'entreprises spécialisées chargées de la réception des commandes, de l'achat des matériaux, de la gestion de la chaîne logistique, de la conception et de la réalisation ou des essais de prototypes ainsi que de la distribution des produits finis (Ohki, 2001). Ces évolutions modifient le rôle traditionnel des fabricants d'équipements d'origine (OEM), des fournisseurs de concepts d'origine (ODM) et des sous-traitants. De nombreux secteurs matures ont ainsi perdu de leur valeur ajoutée.

Loin d'être des cas isolés, ces changements qualitatifs sont devenus la norme dans l'ensemble de la branche des TIC, et surtout sur le segment du PC. Le degré de progression des TIC, ces dernières années, permet de comprendre plus concrètement tout l'impact de ces technologies.

 

La croissance des TIC à l'échelle planétaire

 

Le tableau ci-dessous souligne quelques aspects de la croissance des TIC pour les régions et les catégories de pays de la zone Asie-Pacifique. On constate que le secteur des technologies de l'information progresse dans tous les pays et dans toutes les régions étudiés, même si cette avancée est largement inégale. Dans les nouvelles économies industrielles (NEI), on dénombre 287 PC pour 1 000 habitants, ce qui signifie que près de 30 % de leur population totale ont accès à un PC. L'Asie du Sud-Est, l'Asie du Sud et la République populaire de Chine sont largement à la traîne des économies plus numérisées, et représentent moins d'un dixième de la pénétration des PC dans les NEI. II en va de même pour les ordinateurs raccordés à internet et les internautes. Ces chiffres sont alarmants, surtout pour la région Pacifique, la République populaire de Chine et l'Asie du Sud, où l'on compte moins d'un ordinateur connecté pour 10 000 habitants; pour ce qui est des internautes, moins de 1 % de la population du Pacifique surfe sur le web, et à peine plus de 1 % des habitants de l'Asie du Sud. Ces statistiques indiquent une diffusion limitée de cette technologie et témoignent du fait qu'une large proportion de la population ne peut pas tirer parti des TIC, ce qui laisse présager que ces économies en développement auront du mal à rattraper leur retard numérique.

 

 

 

Micro-ordinateurs pour 1000 hab. 1997-2000

Ordinateurs connectés (*) 1998-2000

Internautes (*) 1998-2000

Nouvelles économies industrielles

287

190,6

1 820

Chine

11

0,4

88

Asie de sud-est

25

7,2

227

Asie du sud

3

0,2

11

Rép. d’Asie centrale

Nd

4,6

25

Pacifique

Nd

0,6

3

Pays industrialisés

375

1 113,6

2 578

 

(*) Pour 10 000 habitants

 

Note Les pays suivants ont été pris en compte pour le calcul des moyennes régionales a) nouvelles économies industrielles : Hong Kong (Chine), République de Corée, Singapour et Taipei (Chine) (seulement pour les données relatives aux internautes) b) Asie du Sud-Est Indonésie. Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam ; c) Asie du Sud: Bangladesh, Inde et Pakistan d) républiques d'Asie centrale : Kazakhstan et république Kirghize; e) Pacifique . Papouasie-Nouvelle-Guinée , et t) pays industrialisés : Japon et États-Unis,

 

Sources Banque mondiale (diverses années) et base de données des Indicateurs du développement dans le monde; UIT (2001)

 

 

L'impact des TIC sur les autres secteurs et les services

 

Les TIC sont des technologies à vocation généraliste qui trouvent donc à s'appliquer dans une large palette de secteurs manufacturiers et de services. Elles se caractérisent par un fort effet d'entraînement et de larges interactions avec le reste de l'économie. Leurs potentiels effets de polarisation aval vont jusqu'aux configurations sur mesure tandis que, vers l'amont, ils s'orientent vers les sciences de la matière. Elles sont par conséquent en mesure d'influer sur la quasi totalité des secteurs de l'économie en accroissant la place de l'information et du développement dans les produits et les processus. Plus important encore, elles ont donné naissance à de nouveaux produits et rendu les produits existants plus polyvalents. On peut affirmer que c'est leur emploi dans les autres grands secteurs de l'économie qui détermine leur impact global sur la productivité (Werner et Dedrick, 2001). Les applications CAO, de gestion automatisée et les systèmes de gestion de la chaîne logistique développés au départ pour les TIC sont en train de gagner d'autres branches. Les délais de développement des produits ont été considérablement réduits, des deux tiers parfois. Une fois mis au point, les composants peuvent être fabriqués pratiquement n'importe où, ce qui induit au moins deux grandes évolutions: tout d'abord, le processus de désintermédiation et de gestion de la chaîne logistique est facilité, ce qui a aussi des conséquences, pour la gestion des stocks notamment; ensuite, le processus de production est libéré des contraintes spatiales et permet de fabriquer les différentes pièces dans diverses régions, ce qui accélère la mondialisation (Banque asiatique de développement, 2001).

Étant donné le rythme d'évolution de l'industrie et la rapidité du rattrapage, les « pionniers •> en retirent des gains considérables, ce qui sert d'incitation puissante à innover, à faire barrage à l'arrivée de nouveaux venus et à se démarquer. D'un autre côté, à mesure que le produit approche de la maturité, sa fabrication est délocalisée dans des régions ouvertes à la concurrence, où les coûts sont plus faibles.

L'accès à l'information et son traitement étant facilités, le marché devient, en tant qu'institution, plus concurrentiel et efficient. On observe la disparition progressive d'une grande source de dysfonctionnement du marché ‑ l'absence d'information. De nouvelles formes d'activités économiques commencent à apparaître, comme les transactions entre entreprises (BtoB) ou de l'entreprise au consommateur (BtoC). La sphère du commerce électronique modifie la forme traditionnelle de l'organisation du marché et tous ces processus contribuent à atténuer l'intensité d'utilisation des ressources et les coûts de production.

Autre conséquence importante ‑ ceux qui ne sont pas capables de tirer parti des TIC ou de suivre le rythme du progrès risquent de se retrouver marginalisés. À mesure que les frontières sont repoussées et que les chefs de file tirent le secteur vers l’avant, les concurrents plus lents restent à la traîne. Dans ce sens, les TIC devraient constituer un facteur supplémentaire de clivage entre pays développés et pays en développement.

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