ouest france du 28 avril 2006 Point de Vue par Henri Froment-Meurice L'homme précaire L'un des reproches majeurs faits au CPE est qu'il aggrave la précarité de l'emploi pour les jeunes. Mais, dans ce bas monde, qu'est-ce qui n'est pas précaire ? À commencer par le bas monde lui-même. Les savants ne nous apprennent-ils pas que, si la galaxie Andromède venait à rencontrer la voie lactée, notre système solaire tout entier disparaîtrait et notre petite planète Terre avec lui ? Précaire aussi notre Humanité ! Entre les variations du climat, le réchauffement, les sécheresses, les tremblements de terre, les tsunamis, les épidémies, les risques possibles d'emploi d'armes nucléaires, biologiques, chimiques, l'existence durable de l'espèce humaine dans son ensemble est loin d'être assurée. Mais elle peut aussi disparaître peu à peu par simple extinction due à une démographie de plus en plus faible. Et l'homme lui-même, quoi de plus précaire ? À tout instant, la mort guette chacun de nous, par l'accident, la maladie. En politique, le pouvoir est de plus en plus précaire ; même les pires dictatures se mettent à trembler et, dans les démocraties, le pouvoir, si légitime qu'il soit, est à la merci de la rue. En économie, hier c'était le plein emploi, aujourd'hui c'est 10 % de chômeurs. N'est-ce pas, en vérité, la condition humaine qui est placée sous le signe de la précarité. N'est-ce pas, d'ailleurs, le sens profond de l'histoire d'Adam et Ève chassés du Paradis ? Contre cette précarité, nous essayons, certes, de nous prémunir autant que possible. En fonction des menaces probables, menaces que l'homme lui-même, d'ailleurs, ne cesse d'accroître par ses propres excès, digues, dispositifs antisismiques, paratonnerres, vaccins, assurances, retraites. À première vue, ces mesures produisent d'heureux effets : la population mondiale n'a cessé de s'accroître, l'espérance de vie de s'allonger, le niveau de vie moyen de s'élever. Mais, à y mieux regarder, il y a comme une sorte de course entre la montée des risques et la capacité à s'en prémunir, course qui est loin, très loin, d'être gagnée. Mais l'emploi, l'emploi qui donne du travail, faut-il qu'il soit, lui aussi précaire ? Pendant des siècles et des siècles, il le fut et c'est seulement depuis peu que la société s'efforce de diminuer cette précarité. Cependant, il s'établit ainsi une sorte d'injustice au profit de ceux qui disposent d'un emploi garanti, comme les fonctionnaires ou les employés des services publics, et ceux qui acceptent ou subissent les aléas de la conjoncture économique. Alors, tous fonctionnaires, tous " sous l'État " ? Ce serait la logique ultime de la disparition de la précarité. Mais ce serait aussi celle de l'apparition de l'État totalitaire. Le choix est là. À chacun, à chaque jeune de le faire. Espérons que sa réflexion ne procédera pas du lamentable et pervers préjugé selon lequel tout entrepreneur, tout patron est, par nature, un adversaire agissant de manière arbitraire. L'entrepreneur, le patron, lui aussi, est soumis à la précarité, celle de la conjoncture économique, de l'apparition soudaine de nouvelles technologies, de la montée en puissance de nouveaux concurrents, toutes menaces contre lesquelles il ne peut tenter de se prémunir qu'en ayant recours à des constants progrès de productivité, eux-mêmes liés à l'emploi d'une main-d'œuvre de mieux en mieux qualifiée. Soumis, autant l'un que l'autre, à la précarité, l'employeur et son salarié ne peuvent l'affronter avec quelque chance de succès qu'en se faisant mutuellement confiance. Confiance ! Le mot clef !