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"Avec le clonage, l'homme devient une marchandise."

L'homme savait déjà reproduire des cellules et des gènes. II peut aujourd'hui se cloner lui-même. Pour le meilleur (le progrès médical) ou pour le pire (la naissance d'un être privé d'autonomie) ?

L'avis du généticien Axel Kahn.

Newbiz n°17 janvier 2002

" Il ne faut pas diaboliser la science, ni lui laisser faire n'importe quoi. " À 57 ans, Axel Kahn est le plus grand généticien français. C'est aussi le militant d'une science à visage humain (1). Directeur d'un laboratoire de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), membre du Comité consultatif national d'éthique et président du Groupe de haut niveau pour les sciences de la vie, à Bruxelles, ce célèbre chercheur prend position contre le clonage humain ou le brevetage des gènes. Alors que la réforme de la loi qui doit encadrer les pratiques des scientifiques-et qu'eux-mêmes demandent- se fait toujours attendre, Axel Kahn décrypte les enjeux scientifiques et économiques des dernières découvertes en matière de thérapie génique. Il nous explique pourquoi le clonage humain est dangereux, dénonce les dérives et rassure ceux que le progrès effraie.

Certains pensent que, dans cinquante ans, grâce aux biotechnologies, les maladies auront disparu du globe. Qu'en pensez-vous ?

Il est illusoire d'imaginer une humanité débarrassée du fardeau des maladies. Bien sûr, les biotechnologies accroîtront les possibilités de la médecine, mais nos recherches s'exercent dans un monde où le Vivant évolue sans cesse. Des formes résistantes aux médicaments apparaissent en permanence, les maladies vaincues sont remplacées par d'autres types d'infections. La résistance des insectes, des parasites, des bactéries, des virus et des cellules cancéreuses aux médicaments actuels témoigne déjà de cette course sans fin.

L'état sanitaire de la population mondiale s'améliorera, tout de même?

Je n'en suis pas si sûr... Les causes majeures de la mauvaise santé de la population mondiale échappent presque totalement au pouvoir des scientifiques. Elles sont plutôt liées aux conditions de vie, à la pauvreté, aux inégalités devant les soins. Croire que l'on va bientôt éradiquer ces inégalités est chimérique.

Beaucoup de maladies sont liées au vieillissement des tissus humains. Peut-on espérer freiner un jour ce processus ?

Les techniques médicales susceptibles de freiner, voire d'inverser les lésions liées au vieillissement-ce qu'on appelle la médecine régénératrice-sont en plein essor. Leur but est de remplacer des cellules âgées qui fonctionnent mal par des cellules jeunes équivalentes. C'est là que résident les promesses de l'utilisation thérapeutique des " cellules souches ". Il en existe deux types. Les cellules " embryonnaires " participent à la constitution du fœtus et peuvent se transformer en ri importe quel type de tissu humain. Les cellules " adultes ", qui se trouvent dans le corps adulte, ont le pouvoir de participer à la régénération de l'organe dont elles sont issues, et on a découvert qu'elles peuvent se transformer en d'autres types de cellules. Ainsi, des cellules souches adultes de la moelle osseuse peuvent se transformer en cellules du sang, mais aussi du foie, du muscle et, peut-être, du cerveau...

Mais, passé un certain âge, le cerveau ne peut plus se renouveler ?

Erreur! Contrairement à ce que l'on pensait autrefois, le cerveau peut se régénérer à partir de cellules souches qui y résident, même chez des sujets âgés. Le potentiel extraordinaire de ces cellules du cerveau a été récemment confirmé par des expériences de greffes intracrâniennes de cellules souches humaines chez des fœtus de singe (2). Ces cellules ont participé à la constitution des différentes régions du cerveau de cet animal. On peut imaginer qu'elles agiraient de la même manière si elles étaient transplantées dans un cerveau humain.

Et les cellules embryonnaires? On ne peut pas les utiliser à des fins thérapeutiques?

Si. Mais pour prélever ces cellules, il faut " fabriquer " un embryon génétiquement identique au malade et interrompre son développement à sept jours. En théorie, cette stratégie pourrait être intéressante, puisque les cellules dérivées du " clone " embryonnaire ne font l'objet d'aucune réaction de rejet de greffe. Mais nous n'en sommes pas là: les chercheurs ne maîtrisent pas encore le processus. De plus, en France, la loi de 1994 interdit formellement de fabriquer des embryons humains, même à usage thérapeutique. Cette manipulation pose, il est vrai, des problèmes d'éthique, ressentis plus ou moins fortement dans les divers pays d'Europe. C'est pourquoi les soutiens européens à la recherche vont presque exclusivement aux travaux sur les cellules souches " adultes ".

Dans ce cas, pourquoi la Commission européenne considère-t-elle que la recherche sur les cellules souches est une priorité ?

Le marché mondial de la pharmacie représente près de 300 milliards de dollars: c'est suffisant pour exciter les convoitises! Reste que la plupart des brevets pertinents en médecine régénératrice appartiennent aujourd'hui à des sociétés américaines - ou font l'objet de licences dont elles bénéficient. Que l'Europe tente d'avoir accès à un marché si prometteur se conçoit aisément. Ne serait-ce que pour ne pas être totalement dépendante des Américains.

Brevets, droits exclusifs... Le Vivant devient donc une marchandise?

Je le crains. Les implications commerciales de nombreuses recherches thérapeutiques se mettent à ressembler à un business ordinaire. Cette tendance à considérer les constituants du corps comme des marchandises brevetables est dramatique. Sans parler des comportements des firmes pharmaceutiques qui, pour s'assurer des droits exclusifs de prospection, agissent comme des compagnies pétrolières...

... En considérant les gènes et les cellules humaines comme des " matières premières " ?

Pis : en faisant courir le risque que le détenteur ultime de ces gènes et de ces cellules, c'est-à-dire l'être humain, ne devienne un jour une source d'exploitation comme une autre. Évidemment, ce sont les populations les plus pauvres qui sont les plus exposées à ce genre de manipulation. Quel bénéfice en tireront-elles ? Aucun. Les systèmes de prélèvement des droits de propriété industrielle renchérissent le prix des traitements et des médicaments au point qu'ils ne deviennent accessibles qu'à la minorité riche. Ainsi, le progrès médical accroît la pire des inégalités: l'inégalité face à la maladie et à la mort...

Où en sont les recherches sur le clonage ?

Le clonage sur des animaux est assez bien maîtrisé. Réalisé en remplaçant le noyau (donc les chromosomes) d'un ovule femelle par le noyau d'une cellule quelconque d'un animal que l'on veut cloner, il a abouti à la naissance de centaines d'animaux de cinq espèces: moutons, chèvres, vaches, souris et porcs.

Et le clonage humain ?

Je sais que le gynécologue italien Antinori et le biologiste américain Zavos ont promis les premiers embryons clonés pour le début de cette année. Ils ont apparemment été coiffés au poteau par la firme américaine Advanced Cell Technology, qui a annoncé en novembre dernier avoir obtenu le premier embryon cloné humain. Mais ce sont surtout des effets d'annonces: on est encore loin d'avoir résolu les difficultés rencontrées dans le clonage des primates, humains ou non-humains.

Quelles sont les applications imaginables dès aujourd'hui ?

Un embryon humain obtenu par cette méthode pourrait soit servir à la préparation des fameuses cellules souches embryonnaires, soit aboutir à la naissance d'un enfant qui serait " le fils jumeau " de la personne clonée...

Quelle est votre position sur les bébés-clones?

Je suis résolument contre. Mais il ne faut pas se leurrer. Le désir de certaines femmes stériles d'avoir des descendants est si puissant et les fantasmes du clonage dans la population sont tels que plusieurs biologistes ont déjà fait savoir qu'ils allaient cloner l'Homme.

Et si un enfant cloné naît demain ?

Un enfant cloné serait, pour l'essentiel, déterminé dans son aspect, la couleur de ses cheveux et de ses yeux, son sexe, voire certaines de ses caractéristiques mentales, par une autre personne, à laquelle il serait dès lors assujetti. Ce pouvoir donné à quelqu'un de créer l'Homme à son image n'est pas justifiable: les hommes doivent naître libres et autonomes.

Quel regard les biologistes portent-ils finalement sur l'homme ?

Au regard de la biologie, l'homme est un primate très banal. Ses gènes sont à 98,6 % identiques à ceux du chimpanzé. D'ailleurs, l'ancêtre commun des chimpanzés et des hommes actuels ne vivait qu'il y a six ou sept millions d'années. Cela dit, les petites modifications biologiques apparues depuis ont permis à l'homme de se construire un gros cerveau qui possède la double capacité d'engendrer de la culture et d'en léguer le secret à ses descendants, lesquels s'en trouvent sans cesse améliorés. Dès lors, comme disait Pascal, tous les hommes sont comme un seul homme qui vivrait indéfiniment et apprendrait continuellement..

Propos recueillis par JEAN-FRANÇOIS PAILLARD jf.paillard@newbiz.fr

(1) Derniers ouvrages parus: Et l'Homme dans tout ça.? (Éd. NiL, 2000), L’avenir n'est pas écrit, dialogue avec le généticien AlbertJacquard (Bayard, 2001).

(2) NDLR : L'expérience a été réalisée en août dernier par une équipe de biologistes américains de la Harvard Medical School de Boston.


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