http://www.atheles.orgediteur000000000fe16d75.htm
Observatoire de l'Europe industrielle
Europe Inc. - Liaisons dangereuses entre institutions & milieux d'affaires européens
Belén Balanyá, Ann Doherty, Olivier Hoedeman, Adam Ma'anit, Erik Wesselius
Préface de Susan George
Traduit de l'anglais par Mickey Gaboriaud Collectif
* Susan George Préface
* Collectif Introduction
* Chapitre I- L'Europe des grandes firmes
* Chapitre II- Travaux de fondation
* Chapitre III- Rédaction du script : la Table Ronde des industriels européens
* Chapitre IV- L' UNICE, une machine de pression bien huilée
* Chapitre V- L'AmCham au diapason des choeurs industriels de Bruxelles
* Chapitre VI- L'AUME, la brosse à reluire de l'Union monétaire
* Chapitre VII- Faire des affaires : le traité & les lobbies
* Chapitre VIII- De l'huile dans les rouages : l'infrastructure européenne des transports
* Chapitre IX- L'Europe gavée par le lobby biotechnique
* Chapitre X- La mondialisation régie par l'industrie
* Chapitre XI- La connexion transatlantique
* Chapitre XII- L'Amigalomanie : L'agenda mondial d'investissement industriel & l'opposition des mouvements de citoyens
* Chapitre XIII- L'OMC rédige la constitution de l'économie mondiale
* Chapitre XIV- Débarquement sur Planète Inc.
* Chapitre XV- Rencontres de l'élite mondiale : les rejetons du groupe Bilderberg
* Chapitre XVI- Détournement du développement durable par les lobbies industriels
* Chapitre XVII- Comment l'industrie profite des menaces des modifications climatiques
* Chapitre XVIII- Quand l'ONU drague l'industrie
* Chapitre XIX- Alternatives économiques & politiques
* Annexe I- Dans le labyrinthe bruxellois
* Annexe II- Brève histoire de l'Union européenne
* Annexe III- Liste des entreprises dont les dirigeants participent à la Table Ronde
* Annexe IV- Sources
* Annexe V- Glossaire des abréviations
* NotesPréface
Un journaliste d’un grand quotidien économique français est venu récemment m’interroger au sujet de ceux qui s’opposent à la mondialisation, qu’il appelait les « anti-mondialisation ». Avant toute chose, il a fallu lui expliquer qu’à mon avis, la notion de « mondialisation » n’avait aucun sens si on ne lui associait pas un qualificatif tel que « impulsée et imposée par les multinationales », car ce sont elles qui façonnent les règles du nouvel ordre mondial.
Croyais-je alors, me demanda-t-il, à quelque conspiration fomentée par ces firmes ? Pas du tout : nul besoin de conspiration. En revanche, ces entreprises géantes savent parfaitement définir ensemble leurs priorités économiques et politiques pour les faire triompher grâce à l’action efficace de leurs multiples lobbies.
Ah bon ? des lobbies ? Lesquels ? Eh bien, par exemple, lui disais-je, la Table Ronde des industriels européens [ERT] [voir chap. III], dont les 45 membres, PDG des plus importantes multinationales européennes, exercent une immense influence sur les décisions de la Commission européenne ; ou encore le Dialogue sur le commerce transatlantique [TABD] [voir chap. XI], qui réunit dirigeants de grandes firmes des deux côtés de l’océan et responsables politiques nationaux et internationaux.
Voulait-il que je lui parle de Burson-Marsteller, compagnie de relations publiques dont l’accès aux dirigeants est réputé sans égal [voir chap. III] ? ou encore de la pénétration par le monde des affaires des Nations unies, associées à la Chambre de Commerce International dans le Geneva Business Dialogue ? ou peut-être du réseau des transports européens [TER] [voir chap. VIII] déjà réalisé aux trois-quarts, précisément selon les indications des firmes transnationales européennes ?
Mon interlocuteur, pourtant payé pour être au courant des affaires économiques et sociales européennes, n’avait jamais entendu parler d’aucune de ces organisations. Il n’est hélas pas le seul.
Si les organisateurs du Forum de Davos ne sont heureux que sous le feu des projecteurs, d’autres – qui influencent en permanence les grandes décisions politiques en Europe et ailleurs – cultivent une admirable discrétion. J’avoue qu’avant de lire, vers 1997, les premiers travaux des auteurs de ce livre, je me trouvais, comme la quasi totalité des citoyens européens, dans le même état d’ignorance crasse que le journaliste précité.
Les cinq auteurs de ce livre, membres du Corporate Europe Observatory, sont – je pèse mes mots – les meilleurs jeunes chercheurs que j’ai rencontrés depuis de longues années. Cette équipe a réussi à déchirer le beau rideau de soie qui protégeait les lobbies européens des regards curieux. Ou, pour choisir une autre image, ils ont découvert sous des tonnes de broussailles et de camouflages en tous genres un riche filon dont ils ont su extraire du métal pur. De ce métal, il faut s’empresser de fabriquer des balles qui portent car, comme le dit mon collègue George Monbiot, préfacier de l’édition anglaise de ce livre, « le conflit le plus important du XXIe siècle sera la bataille entre les entreprises géantes et la démocratie ».
Sans information, la démocratie périclitera. Et les citoyens commencent à comprendre qu’ils ne peuvent compter sur les médias classiques pour être informés. À travers les luttes contre l’Accord multilatéral sur l’investissement [AMI], les organismes génétiquement modifies [OGM] ou l’Organisation mondiale du commerce [OMC], les citoyens ont appris que c’est à eux d’informer les médias – pour ne pas parler des autres citoyens et des parlementaires qui les représentent. Ce qui n’est pas de tout repos.
Mais nous disposons enfin d’un allié de taille, car les connaissances que nous fournit ce livre sur le vrai fonctionnement des instances qui nous gouvernent sont parfaitement étayées, incontestables et littéralement sans prix car elles nous permettent enfin de viser juste. Il s’agit de rien moins que de prendre les armes pour construire la démocratie internationale que les multinationales redoutent et repoussent de toutes leurs forces. Grâce à ce livre, ces armes sont à portée de la main et de l’esprit. Reste aux citoyens du monde à s’en saisir.
SUSAN GEORGE
Introduction
Cet ouvrage est une entreprise collective de l’Observatoire de l’Europe industrielle [Corporate Europe Observatory : CEO], groupe militant et de recherche basé à Amsterdam, qui expose les menaces que le pouvoir économique et politique des grands groupes industriels et de leurs lobbies font planer sur la démocratie, l’équité, la justice sociale et l’environnement. Nous divulguons le fruit de nos recherches sur les objectifs et les activités de l’industrie ainsi que sur son influence sur les politiques nationales et internationales au moyen de rapports, de communiqués et d’un bulletin périodique d’information. Avec la même attention, l’Observatoire s’efforce de soutenir les associations progressistes de citoyens dont les intérêts sont menacés par le comportement des entreprises transnationales.
Ce livre est le résultat d’une enquête menée pendant plus de six ans sur les activités et l’influence des lobbies industriels. Défenseurs de l’environnement et de la solidarité internationale, nous avons agi contre la politique pro-industrielle de l’Union européenne [UE]. Le scandaleux projet de 12 000 kilomètres de nouvelles autoroutes annoncé en 1991, assorti du programme mégalomaniaque et indéfendable de réseaux transeuropéens [TEN], fut l’une de nos premières cibles. Nous avons vite découvert que ce projet figurait au programme de la Table Ronde des industriels européens [ERT], rassemblement de 45 pontes de l’industrie représentant les plus importantes firmes transnationales européennes. Nos recherches ont révélé la démesure des ambitions de ce groupe de pression : accélérer le processus de l’unification européenne et, simultanément, le remodelage en profondeur des sociétés européennes dans l’intérêt de l’industrie. Nos premiers articles et communiqués sur la Table Ronde et les effets négatifs de son influence furent rédigés en 1993.
Observateurs critiques du processus d’unification européenne, nous avons été témoins d’une série de victoires remportées par les lobbies industriels encourageant des projets socialement et écologiquement sujets à controverse – tels que la monnaie unique, la promotion de semences et autres produits génétiquement modifiés, la restructuration des systèmes d’éducation, etc. Comment ne pas s’inquiéter en constatant que ces lobbies avaient pu poursuivre leurs objectifs sans attirer l’attention des médias critiques ou des associations de citoyens ? En 1996, quand les gouvernements des pays membres de l’UE ont entamé les négociations qui, l’année suivante, aboutirent au Traité d’Amsterdam, nous avons été surpris de découvrir à quel point le dispositif des lobbies de l’ERT était déjà opérationnel. Nous nous sommes mis au travail pour dévoiler les manœuvres en coulisses des industriels bénéficiant d’un accès privilégié aux décideurs de l’Union européenne. Nous espérions ainsi amorcer le débat sur les conséquences de l’influence disproportionnée des groupes industriels sur la politique européenne, sur la partialité de sa ligne de conduite et de ses traités.
Rares sont les Européens conscients de la façon dont les entreprises internationales, à travers des organismes comme l’ERT, influencent en profondeur la politique européenne. Aucune analyse de l’actuelle stratégie néolibérale de l’UE – encourager la déréglementation et la privatisation et tout assujettir à un objectif de compétitivité internationale – ne peut se permettre d’ignorer les activités des groupes de pression industriels. La nature pour le moins problématique de leur influence a pourtant été totalement ignorée lors du débat sur la révision du Traité de Maastricht et l’avenir de l’Europe. En mai 1997, un mois avant le sommet crucial d’Amsterdam, nous avons publié un rapport du même nom, qui traitait des principaux relais des groupes industriels en Europe et fournissait de nombreuses informations sur leur stratégie, leurs succès et leurs activités dans les négociations sur le processus de révision du traité. Le présent ouvrage en est une version réactualisée et largement développée. Tout en ayant toujours pour point de mire l’influence des groupes industriels sur la politique européenne, il est également consacré au pouvoir grandissant des firmes au sein d’autres institutions internationales telles que l’Organisation pour le commerce et le développement économique [OCDE], l’Organisation mondiale du commerce [OMC] et les Nations unies. Depuis l’après-guerre, des réseaux élitaires constitués de membres des gouvernements nationaux, d’institutions internationales et du monde des affaires ont mis en œuvre des politiques favorisant la mondialisation économique. Passé presque totalement inaperçu et assez peu débattu publiquement, ce travail a renforcé la position des multinationales. Nous décrivons ici les principaux forums consacrés à la formation d’un consensus d’élite et les pratiques institutionnelles qui facilitent le processus de mondialisation économique.
Nous présentons d’abord les principaux groupes de pression industriels de l’Union européenne et la manière dont ils ont contribué à lui donner son actuel visage néolibéral. Il est difficile d’évaluer combien les lobbies interviennent dans certaines prises de décisions politiques du fait de la complexité des mécanismes de prise de décision, qui impliquent de nombreux intervenants aussi bien nationaux qu’européens. Les institutions européennes – le Conseil, la Commission et le Parlement – sont elles-mêmes loin d’être monolithiques. Bien que ce système favorise les manœuvres industrielles, le pouvoir excessif des groupes de pression n’est pas uniquement un problème bruxellois. Les gouvernements nationaux ont, eux aussi, tendance à placer au même niveau les intérêts des entreprises transnationales et ceux de la société européenne dans son ensemble. Cette première partie propose également des études de cas illustrant l’influence des groupes industriels sur les politiques plus spécifiques des transports et des biotechnologies.
La deuxième partie de ce livre explique le rôle joué par l’Union dans la promotion d’un modèle de mondialisation économique fondé sur des intérêts industriels. Nous y examinerons sa place dans les institutions clés de la mondialisation économique pour des projets tels que le Partenariat économique transnational [Transatlantic Economic Partnership : TEP] ; expliquant la promotion, le niveau de participation et l’influence des lobbies industriels dans ces processus. Nous indiquerons également comment les mouvements de citoyens gagnent peu à peu du terrain, ceux qui contestent la mondialisation économique, la désagrégation de la démocratie et exigent des relations économiques internationales équitables et raisonnables.
Enfin, nous présenterons les plus importantes multinationales opérant au niveau mondial – les tentatives hardies de la Chambre internationale de commerce d’augmenter son contrôle sur les institutions de l’ONU seront données en exemple. En conclusion, nous indiquerons un certain nombre de moyens permettant de faire reculer le pouvoir économique et politique des entreprises transnationales pour laisser place aux politiques progressistes et à la démocratisation réelle de nos sociétés. Nous partons du constat que la mondialisation économique ne se fait pas actuellement dans l’intérêt de la majorité des citoyens européens, et en particulier de ceux d’un Sud de plus en plus marginalisé. Une déréglementation accrue du marché mondial provoquera une concurrence toujours plus féroce ainsi qu’une baisse des salaires et un recul des protections sociale et écologique.
Dans ce processus, la capacité des gouvernements nationaux et supranationaux à réglementer et à intervenir dans le fonctionnement du marché dans l’intérêt général est progressivement amoindrie. Les femmes en particulier paient cher le prix de la restructuration néolibérale des sociétés et sont les premières victimes de l’augmentation du chômage qui en résulte, de la déqualification des emplois et des réductions de salaire. Le démantèlement de l’État providence frappe aussi les femmes plus durement puisqu’elles supportent, de manière prédominante, au sein de leur famille, le poids de ce qui, auparavant, était du ressort des gouvernements.
En outre, par la combinaison de ses nombreux effets, la mondialisation économique constitue une menace fondamentale pour l’écosystème aux nivaux local, national et mondial (1). Pour mener à bien des programmes de production et de consommation totalement irrationnels, d’abord dans les pays riches et industrialisés, puis, de plus en plus et de façon accélérée à l’échelle mondiale, les industries continuent d’exploiter les ressources naturelles précieuses et irremplaçables dans les rares régions du monde jusque-là préservées. Des méthodes intensives et destructrices d’agriculture et de pêche, causant d’énormes dégâts écologiques et menaçant localement la sécurité alimentaire, sont pratiquée dans le monde entier. La distance de plus en plus longue qui séparent producteur et consommateur crée des conditions de transport et d’hygiène dangereuses pour des marchandises qui subissent plusieurs changements de climat.
Les seules à être certaines de bénéficier de cette expérience économique parfaitement irresponsable sont les multinationales dont, sans cesse, l’étau se resserre sur les économies européenne et mondiale. L’accroissement de la domination économique des grandes entreprises est un véritable sujet d’inquiétude. Fortes de leur souplesse et en toute inconscience, les entreprises transnationales profitent des économies d’échelle. Elles centralisent et automatisent la production et se réimplantent dans des régions aux salaires plus bas et aux législations plus laxistes. Elles sont passées maîtres en l’art de faire croître la production tout en détruisant des emplois. Dans une économie mondialisée, les gouvernements n’ont guère d’autres choix que d’attirer les investissements. Cela les conduit à adapter leurs réglementations et à libérer les ressources économiques pour servir les besoins des multinationales au détriment des populations et de l’environnement. Les groupes de pression industriels travaillent activement à enseigner aux politiciens les meilleures façons d’y parvenir.
Bien que le lobbying industriel ne soit pas une conspiration, il est par nature difficile à détecter. Par conséquent, cet ouvrage ne traite que de la partie émergée de l’iceberg. Nous espérons que notre travail incitera les journalistes à se plonger dans ces affaires ; elles sont restées bien trop longtemps absentes des médias. Nous espérons également déclencher une réaction de la part des politiciens qui restent sincèrement dévoués aux principes démocratiques. Plus encore, nous espérons que cela catalysera l’action des associations de citoyens qui travaillent pour plus de justice sociale et écologique. Cette action ne devra pas seulement viser les structures antidémocratiques qui ont permis et encouragé les lobbies industriels à jouer ce rôle prédominent.Elle devra également souligner les effets négatifs des pouvoirs économique et politique de l’industrie.
Notes
1. Voir The Environmental Impacts of Economic Globalisation, étude à paraître de l’International Forum on Globalisation (San Francisco).
Nous aimerions remercier Christian Walter, Aart Van de Hoek, Johan Frijus, Stéphanie Howard (et toute l’équipe de A SEED Europe) Kees Kodde et Joshua Karliner pour avoir lu notre manuscrit et pour leur soutien inestimable. Nos remerciements vont également à Susan George et George Monbiot (qui a sympathiquement préfacé la version originale de ce livre), Ramon Fernandez Duran, Thomas Wallgren, Martin Khor, Iza Kruzewska, Colin Hines et Ralista Payanotova (CEO Advisory Board) pour leur participation et leur soutien pendant sa rédaction. Coordination against Bayers Dangers, Corporate Watch, Critical Shareholders Association, Ethieal Consumer, IBFAN, Oilwatch Europe, Northwatch et bien d’autres ont été de précieuses sources d’information sur le dossier social et écologique des entreprises transnationales constituant l’ERT. Ceux qui ont soutenu notre travail au cours des années passées sont trop nombreux pour être tous cités mais nous leur sommes profondément reconnaissants. Pour finir, merci à Pluto Press (éditeur de la version originale) pour son soutien, ses encouragements et sa patience.CHAPITRE I
L’Europe des grandes firmes
Les multinationales, qui agissent aussi bien individuellement qu’au sein de divers lobbies, sont devenues d’importants partenaires politiques dans le processus de prise de décision de l’Union européenne [UE]. Au cours des 15 dernières années, avec la réalisation du Marché unique, l’adoption de la monnaie unique et l’accroissement du pouvoir de ses institutions, l’unification européenne est passée à la vitesse supérieure. Ce processus s’est accéléré sous la pression des lobbies représentant les plus importantes entreprises européennes. La première partie de cet ouvrage offre un aperçu général de quelques-unes des firmes les plus influentes à Bruxelles et analyse certaines des situations dans lesquelles la politique européenne a été (dé)formée par les manœuvres industrielles. Bruxelles regorge aujourd’hui de manœuvriers. Plus de 10 000 professionnels du lobbying hantent les couloirs de la Commission, du Conseil et du Parlement, la grande majorité d’entre eux issu d’agences de relations publiques, de lobbies de l’industrie ou de compagnies indépendantes (1). À l’image de Washington, berceau du lobbying industriel intensif, Bruxelles est devenue le foyer d’un nombre croissant de départements d’entreprise spécialisés dans les politiques gouvernementales, de lobbies, de bureaux d’études, de cabinets conseils politiques et d’agences de relations publiques (2).
L’éclosion de l’industrie du lobbying date de la fin des années 1980 et du début des années 1990, période durant laquelle la Commission européenne était essentiellement occupée à rédiger les quelque 300 directives qui allaient former le squelette du Marché unique. Les groupes industriels sautèrent sur cette occasion de modeler cet énorme travail d’harmonisation selon leurs intérêts particuliers, concentrant de plus en plus leurs efforts sur Bruxelles (3).
Actuellement, plus de 200 grandes firmes ont des départements de politiques européennes à Bruxelles. Parmi elles, beaucoup sont américaines ou japonaises (4). Pas moins de 500 lobbies allant de groupes importants et puissants tels la Table Ronde des industriels européens [ERT], la Fédération européenne de l’industrie chimique [CEFIC] aux groupements plus modestes et spécialisés tels que les Fabricants européens de bougies (5). Nous présentons dans ce livre certaines des firmes les plus influentes, mais, en raison de l’incroyable ampleur du phénomène, on ne trouvera ici que la partie émergée de l’iceberg lobbyiste.
Les relations entre la Commission européenne et les grandes entreprises ont changé de façon spectaculaire au cours des 25 dernières années. En 1973, face à l’inquiétude généralisée devant le pouvoir industriel, Altiero Spinelli, alors membre de la Commission industrielle, avait proposé de « se pencher sur les problèmes économiques et sociaux générés par les activités des entreprises transnationales » (6). Cette approche critique envers les multinationales s’est cependant progressivement transformée en la parfaite symbiose qui règne aujourd’hui entre les principaux acteurs politiques et économiques de l’Union. La Commission commença à tisser avec l’industrie des alliances stratégiques au début des années 1980. Elle encourage, depuis, la participation des grandes entreprises et des associations industrielles paneuropéennes au dispositif politique de Bruxelles. Ces partenariats ajoutent du poids aux initiatives de l’UE et tendent à renforcer la position de la Commission vis-à-vis des gouvernements des États membres. De plus, de telles alliances politico-industrielles sont déjà bien établies au niveau national dans la plupart des pays. Le nombre et l’intensité des connexions avec le monde des affaires varient d’un service à l’autre de la Commission, mais le phénomène ne fait, selon toute évidence, qu’augmenter. Souvent, les grandes entreprises et leurs groupes de pression fournissent d’utiles renseignements à une administration déconnectée et manquant de personnel. En fait, on peut dire que les lobbies industriels agissent en lieu et place de la base citoyenne dont la Commission est dépourvue. Le système politique européen est un véritable paradis pour les activités de ces lobbies : on y prend derrière des portes closes des décisions lourdes de conséquences, en petits comités, invisibles et inaccessibles à ceux qui en subissent les effets. Malgré de légères améliorations apportées par les traités de Maastricht et d’Amsterdam, la Commission européenne et le Conseil des ministres restent un grand mystère pour les électeurs alors que leur contrôle par les parlements tant nationaux qu’européen reste, lui, insuffisant.
Début 1999, un comité parlementaire enquêtant sur les soupçons de fraude au sein de la Commission européenne en est arrivé à l’amère conclusion qu’il est difficile de trouver un fonctionnaire responsable au sein de cette institution. En fait, le Conseil, encore plus opaque que la Commission, a tendance à se draper dans le secret, allant même jusqu’à refuser de rendre public l’ordre du jour de ses réunions. Les importantes décisions sont livrées aux ministres, clés en mains, par d’occultes comités de diplomates nationaux opérant dans les méandres du labyrinthe bruxellois.
Bien qu’au cours de ces dernières années, les mouvements sociaux se soient invités à Bruxelles, l’état des forces reste radicalement déséquilibré. La complexité de l’administration européenne est telle qu’il est impossible d’en suivre les développements politiques sans de solides connaissances ou les compétences d’un expert. Tandis que les entreprises peuvent se permettre de payer des milliers d’agents pour représenter leurs intérêts à Bruxelles, les coalitions européennes d’organisations citoyennes et les syndicats sont relativement pauvres et manquent tant de personnel que de moyens.
Franchir l’énorme fossé qui les sépare des décideurs n’est pas moins ardu. La centralisation du pouvoir à Bruxelles, qui s’est développée aux dépends des démocraties nationales, a donné aux grands groupes industriels un énorme avantage dans l’arène politique européenne. Il est clair que des organisations telles que la Table Ronde des industriels européens bénéficient d’une situation extrêmement privilégiée puisque les prestigieux dirigeants de leurs puissantes multinationales accèdent en toute facilité aux Commissaires européens et aux hauts fonctionnaires gouvernementaux. Sans opinion ni débat publics au niveau européen, il devient facile aux groupements industriels brumeux de s’immiscer entre citoyens et institutions pour promouvoir des décisions indiscutablement totalement antidémocratiques.
Les mouvements sociaux qui constituent souvent, au niveau local et national, une véritable force d’opposition aux lobbies industriels, sont comparativement bien faibles au niveau européen. D’où de nombreuses batailles perdues. Le Marché unique et l’Union économique et monétaire sont des exemples de constructions dans lesquelles les problèmes sociaux, écologiques et démocratiques ont été largement négligés. Les syndicats, les mouvements sociaux et les organisations écologiques tentent de rattraper leur retard, mais ils demeurent entravés par leur faible représentation au niveau européen.
Bien que les pouvoirs du Parlement européen aient été accrus par le Traité de Maastricht et celui d’Amsterdam, cette instance reste, comparativement, plus faible que les Parlements nationaux des États membres. Néanmoins, ses nouvelles compétences ont attiré des hordes de lobbyistes industriels. Glyn Ford, député britannique du parlement européen, explique que « 80 % des amendements du Parlement sont acceptés en tout ou en partie par la Commission et le Conseil des ministres » (7). Aujourd’hui, on estime à 3 000 le nombre de personnes qui font pression sur le Parlement, presque toutes directement employées par l’industrie. Une moyenne, donc, de cinq par député européen. Bien que, pour un œil non exercé, cette domination puisse paraître exagérément pointilleuse, Glyn Ford explique que, pour les grands groupes industriels, « les points, les virgules et les virgules décimales, valent des milliers de livres ». Nous donnerons, ici, des exemples de lobbying industriel auprès du Parlement ayant pesé « avec succès » sur des décisions soulevant des problèmes éthiques et écologiques majeurs tels que la Directive européenne sur le brevetage du vivant [voir chap. IX]. Quatre des principaux groupements industriels présents sur la scène politique européenne font ici l’objet d’une attention particulière. Parmi ceux-ci, l’ERT [voir chap. III] qui réunit 45 dirigeants des plus grandes entreprises européennes est, sans aucun doute, la plus influente. Depuis le début des années 1980, elle joue, au niveau européen, un rôle d’organisateur d’agenda, poussant dans le sens de la déréglementation, de la libéralisation et autres mesures supposées améliorer la compétitivité internationale de l’industrie européenne. Grâce à son accès privilégié aux gouvernements nationaux et à la Commission, l’ERT est parvenue à introduire plusieurs de ses projets dans l’agenda de l’UE. Ses membres sont fréquemment représentés dans les groupes de travail de haut niveau de la Commission tel que le Groupe consultatif de compétitivité [CAG] [voir chap. III]. Ces liens étroits sont consolidés par la pratique aussi courante que répandue du « pantouflage » chez les membres de la Commission quittant régulièrement leur position officielle pour rejoindre le secteur privé – et vice versa. Par exemple, Étienne Davignon (Société Générale), personnalité prééminente du monde des affaires, et Peter Sutherland (BP et Goldman-Sachs), anciens membres de la Commission ; ou Ricardo Perrisich (Pirelli) ancien directeur général de la Commission pour l’industrie (8).
L’élite industrielle réunie au sein de l’ERT a constitué d’autres organismes dans le but d’exercer une pression politique optimale pour leurs projets communs. Le Centre européen d’études d’infrastructure [ECIS] [voir chap. VIII] et l’Association pour l’Union monétaire en Europe [AMUE] [voir chap. VI] illustrent cette tactique à la perfection. Par ailleurs, le message de l’ERT est repris à Bruxelles par un chœur de lobbies dirigé par l’Union des confédérations industrielles et patronales européennes [UNICE] [voir chap. IV] et le comité européen de la Chambre américaine de commerce [AMCHAM] [voir chap. V]. Bien que moins entreprenantes que l’ERT, l’UNICE et l’AMCHAM ont réussi, grâce à un contrôle vigilant et des plaidoiries en faveur ou défaveur des politiques commerciales de l’Union, à modeler la législation européenne naissante.
Les groupes de pression ont aussi su donner leurs directives à l’occasion de la révision du traité de Maastricht entre 1996 et 1997. Leurs principales exigences – parmi lesquelles le renforcement des pouvoirs de la Commission, l’accélération de l’Union monétaire et l’expansion vers l’Europe centrale et orientale – ont été entièrement satisfaites. De plus, le lobbying industriel a réussi à éliminer tout ce qui aurait pu sérieusement menacer l’agenda de l’Union européenne consacré à la compétitivité en faisant systématiquement barrage, par exemple, dans le nouveau Traité d’Amsterdam, au chapitre étendu de l’emploi. Les lobbies ont également joué un rôle majeur dans l’orientation de la politique de transports, dont le but, auquel elle ne saurait déroger, est de faciliter l’expansion du transport commercial résultant de la politique de marché libre. La pièce centrale de cette politique consiste en un projet ambitieux de nouvelles infrastructures des réseaux de transports transeuropéens [TEN] [voir chap. VIII], traversant l’Europe de part en part et s’étendant vers l’Est. La politique de l’Union vis-à-vis de l’industrie génétique offre un exemple supplémentaire de la façon dont les problèmes sociaux, écologiques et éthiques sont sacrifiés à la cause du marché libre et à celle de la compétitivité internationale. Les groupements industriels de biotechnique, efficacement structurés sur le modèle d’Europabio [voir chap. IX] ont travaillé en étroite collaboration avec la Commission pour encourager le développement des biotechnologies malgré une forte opposition de l’opinion publique. Après une gigantesque campagne de promotion, menée en 1997 et 1998 – qui a coûté quelque 150 millions de francs –, le Parlement européen a finalement cédé aux exigences de l’industrie biotechnique et autorisé la « privatisation du vivant ».
Jusqu’où peut-on descendre ?
C’est vraiment le moment de vérité. La mondialisation a provoqué choc après choc. Cependant, l’Allemagne a refusé de s’adapter. Une nouvelle génération de dirigeants industriels ne demande rien de moins qu’une révolution et le gouvernement devra y répondre ou bien les compagnies s’expatrieront, et, progressivement, l’économie s’effondrera.
THOMAS MAYER (9)
L’insistance des entreprises et de leurs lobbies pour que la compétitivité internationale soit considérée comme la priorité numéro un des décideurs est un des thèmes récurrents de ce livre. Dans de nombreux cas, cette exigence s’accompagne de menaces de réimplantation dans des régions plus propices aux affaires. Bien que les entreprises transnationales ne soient pas totalement inconscientes ou « apatrides », des décennies de libéralisation du marché et des investissements ont augmenté leur mobilité géographique, leur offrant la capacité d’employer la menace de délocalisation avec un succès dévastateur. Ainsi, dans la logique extravagante du marché mondial déréglementé qui tient d’une main de fer les décideurs européens, maintenir la compétitivité internationale est devenue une question de survie politique. La quête de compétitivité a entraîné les pays de l’UE dans une spirale de concurrence fiscale. Pour attirer les investissements ou éviter le départ des entreprises mécontentes, les gouvernements réduisent les impôts des grandes entreprises ou distribuent des subventions sous forme d’infrastructures gratuites ou d’exonérations fiscales temporaires. Alors que dans la plupart des États membres, les impôts des travailleurs n’ont pas cessé d’augmenter progressivement au cours des 20 dernières années, ceux des groupes industriels continuent de diminuer. Ce déplacement du fardeau fiscal sur les travailleurs a eu des effets extrêmement négatifs sur l’emploi. En se réimplantant sous des climats plus hospitaliers, les compagnies laissent dans leur sillage des citoyens au chômage et créent généralement sur leurs nouveaux sites des emplois incertains et moins bien rémunérés.
En 1998 et 1999, Ericsson et de nombreuses autres multinationales ont annoncé leur intention de fermer leurs sièges sociaux en Suède si les impôts industriels et divers autres taxes n’étaient pas baissés. On s’attend à ce que le gouvernement de centre-gauche, élu sur des promesses de préserver l’État providence, cède sous la pression et accorde, dans les années à venir, des réductions fiscales (10). Début 1999, les entreprises allemandes ont lancé, contre les projets de réformes de la fiscalité sociale et écologique du gouvernement « rouge-vert », une offensive de grande envergure (11). Une vingtaine d’entreprises poids lourds ont pris les devants, menaçant le gouvernement allemand d’un exode en masse si celui-ci abandonnait ses généreuses réductions d’impôts ou ses subventions. L’Allemagne a perdu près d’un million d’emplois depuis 1995, après que Siemens, DaimlerChrisler, Hœchst, Wolkswagen et d’autres grandes firmes ont transféré leurs activités dans des pays aux salaires et aux impôts plus bas (12).
En mars 1999, le ministre des finances, Oskar Lafontaine, qui avait été le principal architecte de la réforme fiscale et la cible de cette campagne industrielle, annonçait sa démission (13). À ce propos, Die Zeit, le plus grand hebdomadaire allemand, avait alors fait sa une en posant la question : « Qui dirige la République ? » (14). Lafontaine a finalement été remplacé par le très « droitier » Hans Eichel qui a recruté comme secrétaire d’État le chef du service fiscal de Bayer, responsable de la réforme fiscale allemande. Manfred Schneider, directeur exécutif de Bayer, déclara à ce propos : « Nous avons envoyé notre meilleur homme et nous l’avons mis au courant, donc tout ira bien (15). »
Avec sa faible fiscalité industrielle, l’Irlande est l’actuel chouchou des multinationales européennes. En effet, grâce à un taux d’imposition d’à peine 10 % pour les entreprises de production de biens comme de services, elle a réussi à détourner les investisseurs européens d’autres États membres plus onéreux. Malgré la pression de ses partenaires et celle de la Commission, le gouvernement irlandais a refusé d’augmenter les impôts des entreprises, cette situation ayant permis des taux de croissance s’élevant jusqu’à 7 % par an (16).
L’Union économique et monétaire européenne n’a réussi à fournir, en guise de bulletin de vote, que la possibilité aux grandes firmes d’aller voir ailleurs. Celles-ci peuvent maintenant délocaliser leurs sites d’activité ou leurs sièges sociaux dans des pays aux salaires plus bas et aux réglementations gouvernementales plus propices aux affaires sans encourir de risque cambial. Dans le monde libre de la libre circulation des capitaux, les rênes restent aux mains de l’industrie.
La restructuration de l’europe industrielle
Avec des marchés européens et mondiaux contrôlés par un nombre sans cesse décroissant de méga-groupes industriels, la concentration du pouvoir économique et politique atteint un niveau tel qu’elle met gravement en péril la démocratie. Les cinq plus grandes firmes de chaque secteur de la nouvelle économie européenne contrôlent presque seules les marchés de leurs secteurs. Malgré l’image de « dynamiteuse » de trust qu’elle veut se donner, la Commission européenne a encouragé, depuis les années 1980, un ensemble de mesures favorisant les fusions d’entreprises transnationales et l’asphyxie des entreprises locales de moindre calibre. Les « effets secondaires » de ce processus – énormes pertes pour l’activité économique locale et taux de chômage croissant dans de nombreuses régions – sont soit ignorés, soit présentés comme les conséquences inévitables du progrès. La politique du marché libre européen a contribué à élargir le fossé entre zones riches et déshéritées. Les régions les moins favorisées ont été supplantées par quelques centres économiques hautement industrialisés et en pleine expansion, depuis lesquels les grandes firmes approvisionnent la totalité du marché européen. Une grande partie des 20 millions de chômeurs européens vit dans ces régions « périphériques » soumises à un perpétuel état de crise économique. La raideur des politiques (avec la suppression des subventions au développement local, de l’investissement public et les politiques d’acquisition) ne laisse aux régions les plus faibles que très peu de possibilité de développement tout en augmentant leur pouvoir d’attraction sur les investisseurs internationaux. Les importantes sommes d’argent versées dans l’infrastructure de transports ultra-rapides encouragent la centralisation de la production tout en aggravant, bien souvent, la situation des régions périphériques, les « moins favorisées ».
Dans les années 1980, le but explicite de la politique industrielle de la Commission était de faire des grands groupes industriels des « euro-champions » capables d’affronter, d’égal à égal, les concurrences américaine et japonaise. Dans cette optique, des subventions pour la recherche et le développement ainsi que diverses formes d’autres aides aux entreprises furent généreusement distribuées. De plus, la nouvelle réglementation du Marché unique décourageant les politiques de protection des économies locales, les entreprises transnationales sont favorisées par rapport aux compagnies spécialisées dans les marchés locaux.
Enfin, des années 1980 au début des années 1990, la définition des normes applicables aux produits mis sur le marché européen fut complètement dominée par les grandes entreprises transnationales [TNC] (17). Ainsi alimentés par les institutions européennes et encouragés par une importante augmentation des fusions, les euro-champions sont devenus des géants industriels d’envergure mondiale.
La fusion-mania
Depuis la fin des années 1980, les politiques de libéralisation, déréglementation et privatisation promues par l’UE ont facilité les vagues de fusions et d’acquisition responsables de la concentration industrielle. Aujourd’hui, les grandes firmes européennes luttent de vitesse, plus frénétiquement encore, pour acheter leurs concurrents ou fusionner avec eux afin d’augmenter les économies d’échelle. Le record de 1997 (soit 384 milliards de dollars dépensés en fusions européennes – une augmentation de près de 50 % en un an) fut dépassé l’année suivante (18). Ces fusions sont motivées par la concurrence à l’intérieur du Marché unique, devenue de plus en plus féroce avec la chute des derniers obstacles qui la contenait. La monnaie unique a, elle aussi, accéléré la concentration du pouvoir économique dans les mains d’un nombre limité de méga-groupes industriels [voir chap. VI]. La dernière tendance révèle une augmentation vertigineuse des fusions et des acquisitions transatlantiques, qui ont atteint le record de 256,5 milliards de dollars en 1998 – presque quatre fois le résultat de 1995 (69,4 milliards de dollars) (19) .
Parallèlement à leur aspect socialement, économiquement et écologiquement nuisible, ces continuelles monopolisations et concentrations industrielles affaiblissent progressivement la démocratie en Europe. Les méga-fusions – qui, du jour au lendemain, créent des Goliath industriels européens ou mondiaux – ne font qu’augmenter les capacités disproportionnées de chantage dont disposent les multinationales « européennes » et, par conséquent, leur influence sur les prises de décisions politiques. La façon dont ces firmes sont parvenues à occuper aussi bien les champs politiques qu’économiques afin de s’assurer influence et bénéfices optimaux fera l’objet des chapitres suivants.
CHAPITRE II
Travaux de fondation
Le caractère nouveau de la construction politique de l’« Europe » a provoqué l’apparition à Bruxelles de deux importants produits d’importation américaine : les bureaux d’études industrielles et les agences de relations publiques (1). Ce dispositif s’est déployé, au cours de la dernière décennie, dans le sillage des groupes de pression industriels qui ont fleuri dans la « capitale » européenne.
Les agences de relations publiques ayant flairé, tapies dans la complexité bureaucratique de Bruxelles, les possibilités d’un activisme lucratif, elles fournissent aujourd’hui aux grandes entreprises et à leurs groupes de pression des services tels que campagne d’influence, collecte d’informations, médias et conseils.
Au demeurant, l’industrie des relations publiques pratique parfaitement l’art de transformer, de manipuler voire de créer des informations ou des images pour avantager ses clients. Subventionnés par de grandes entreprises, les bureaux d’études jouent également un rôle déterminant dans l’organisation des agendas politiques, faisant ainsi valoir aux yeux des décideurs, des médias et du public, certains aspects de l’unification européenne.
Agences de relations publiques & bureaux d’études européens
Né aux États-Unis, le secteur des relations publiques a vite réussi à se faire une niche confortable dans l’exceptionnel climat de lobbying de Bruxelles. L’absence de transparence – due aux manœuvres industrielles comme aux mécanismes de prises de décisions compliqués et souvent antidémocratiques de Bruxelles –, offre un terrain fertile, non seulement aux lobbyistes des grandes entreprises mais également à leurs fidèles serviteurs de ce nouveau secteur. Les « conseils en influence », comme se présentent souvent elles-mêmes les agences bruxelloises, font des affaires florissantes en aidant leurs clients à établir des contacts importants, à naviguer dans l’infrastructure administrative et à en comprendre les subtilités culturelles. À Bruxelles, l’imprécision des lois et des réglementations concernant les lobbies favorise des pratiques qui seraient perçues comme douteuses voire inacceptables aux États-Unis ou dans d’autres capitales européennes.
Ces agences, officiellement en affaires avec la Commission et le Parlement européens, ne sont pas tenues, par exemple, de révéler le nom de leurs clients et peuvent, par conséquent, représenter d’un jour sur l’autre, comme il leur plaît, des intérêts industriels différents. « À Bruxelles, on peut sans complexe dire d’un cabinet-conseil qu’il exerce des pressions, assure Laurentien Brinkhorst, sous-directrice d’Edelman Europe, cabinet de conseils en affaires publiques. Il n’y a rien de mal à cela (2). »
Les honoraires astronomiques demandés par ces agences – dont les employés les plus expérimentés réclament environ 5 000 francs de l’heure pour leurs expertises (3) – ne permettent qu’aux seules grandes firmes de s’offrir leurs services. On comprend pourquoi, sur des places fortes de la politique aussi importantes que Bruxelles ou Washington, les intervenants sociaux et écologiques, qui représentent en général plutôt des intérêts publics que privés, ont peu de chance de rivaliser avec le pouvoir financier et organisationnel des groupes de pression industriels.
Les rouages des relations publiques
Le conseil en lobbying n’est qu’un des services proposés par l’industrie des relations publiques. Ses principaux critiques américains pensent qu’elle est délibérément conçue pour « modifier la perception, remodeler la réalité et fabriquer du consensus (4) ». Il est ainsi souvent fait appel à ces agences pour créer ou transformer l’image d’une entreprise et en fidéliser les consommateurs. Quand l’opinion publique se méfie d’une compagnie ou d’un produit particuliers, les agences de relations publiques prennent en charge la « gestion de crise », étouffent la critique et rétablissent l’image de leur client. La plupart des grandes agences proposent également des conseils médias et Internet.
Aux États-Unis, voilà déjà plusieurs dizaines d’années que ces pratiques ont cours. Dans les années 1970, après que le mouvement « vert » était parvenu à faire promulguer une nouvelle vague de législations écologiques, les entreprises mécontentes se réunirent dans le but d’éliminer ces menaces pesant sur leurs intérêts économiques. Des organismes tels que la Table Ronde des affaires américaine (US business Round Table) ont été créés et des groupes déjà existants comme la Chambre américaine de commerce [AMCHAM] furent renforcés (5). Dans le but d’assouplir les nouvelles réglementations, ces groupes se sont adjoint les services de l’industrie des relations publiques, faisant la démonstration, toujours d’actualité, d’un travail d’équipe particulièrement efficace.
D’année en année, aux États-Unis et ailleurs, l’industrie des relations publiques vole de succès en succès – ainsi, récemment encore, en « verdissant » l’image des multinationales pour les faire paraître plus soucieuses d’écologie et donner l’illusion d’une conscience sociale. Ces agences sont également passées maîtres dans l’art de couvrir de boue les observateurs critiques de la grande industrie et de la libéralisation économique. Pratiquant notamment la désinformation scientifique, les campagnes d’« anti-publicité » destinées à saboter les initiatives écologiques et progressistes dans le domaine de la santé ou de la lutte contre la politique des grands groupes industriels comptent parmi leurs plus odieuses pratiques. Ainsi, aux USA, des sociétés lancent-elles des fausses campagnes très élaborées, montrant des « citoyens de base » faisant « pression » sur la législation dans l’intérêt de l’industrie. Pour faciliter ces campagnes « pseudo-vertes », des fronts industriels puissants et bien subventionnés sont dévolus à des problèmes aussi divers que l’alimentation, les produits chimiques ou les transformations climatiques et le traitement des déchets toxiques. Ainsi, l’industrie chimique et l’Alliance nationale des fumeurs subventionnent-elles généreusement le Conseil américain pour la science et la santé. En 1997, l’anti-écologique « projet d’information sur le climat mondial », conçu par l’agence de relations publiques Shanwick à la demande de grandes compagnies pétrolières et minières, lança, sur les changements climatiques, une campagne publicitaire de désinformation de plusieurs millions de dollars.
Europe nous voilà !
Bien que ces stratégies ne soient pas encore très répandues en Europe, l’industrie des relations publiques continuant de s’ancrer à Bruxelles, on peut s’attendre à les voir traverser l’Atlantique. Ainsi, avec l’aide d’agences de relations publiques, des compagnies énergétiques allemandes ont déjà monté de toutes pièces des groupes d’activistes bidons qui « militent » contre la construction d’éoliennes (6). De son côté, l’industrie du traitement des déchets a créé un faux groupe de pression, nommé « Waste to Energy », dont les membres se sont infructueusement « battus comme des lions » pour convaincre la Commission européenne de recycler les déchets en énergie (7).
Aujourd’hui, plusieurs centaines d’agences de relations publiques sont installées dans la « capitale » européenne et le nombre de leurs employés a doublé au cours des cinq dernières années (8). Les principaux acteurs dans ce domaine viennent d’Amérique du Nord ou d’Europe – notamment Burson-Marsteller, Shanwick, Hill & Knowlton et Edelman –, et le nombre de rivaux de moindre ampleur augmente également. Ces agences se sont aménagé un espace confortable au sein du petit monde bruxellois où, par exemple, Unilever partage un immeuble de bureaux avec Burson-Marsteller et Hill & Knowlton.
Selon un spécialiste des affaires publiques, Bruxelles conserve « toujours une touche de mystère » (9)… contexte propice à l’industrie des relations publiques pour fournir les groupes de pression en services d’informations et de médias. Comment une agence de relations publiques aide-t-elle ses clients à naviguer dans la bureaucratie bruxelloise ? Le professeur Alan Watson, président européen du cabinet-conseil Burson-Marsteller et ancien fonctionnaire de la Commission, nous donne un aperçu de la façon dont une entreprise ayant une cause à plaider devrait entamer ses démarches : « Tout d’abord, [les dirigeants] doivent commencer par comprendre le système. Cela signifie qu’ils s’adresseront probablement à une compagnie comme Burson-Marsteller, qui pourra le leur expliquer. S’adresser directement à leur élu local ne serait pas la bonne méthode… Il ou elle n’aura qu’une perspective très limitée du problème et pratiquement aucune influence dans ce domaine… Nous suggérerons, par exemple, que c’est au président de tel comité particulier du Parlement de Strasbourg qu’il faut s’adresser. Nous pouvons les éclairer sur la façon d’exposer leur requête par écrit. Nous pouvons leur désigner les membres du comité qui seront intéressés et leur indiquer à qui parler. D’une certaine façon, donc, nous leur dressons une carte, une sorte de carte routière indiquant où aller, à qui parler et ce qu’il faut savoir… Nous n’exerçons pas de pression personnellement… Tout ce que nous faisons, c’est de donner à l’entreprise les moyens de traiter l’affaire elle-même (10). »
Les agences investissent énormément de temps et de moyens à pourchasser les informations juridiques qui circulent entre la Commission, le Parlement, le Conseil et les divers comités – une tâche que même les plus grandes firmes trouvent intimidantes. Selon Michael Berendt, de Burson-Marsteller, « Bruxelles, après tout, est très loin de beaucoup de gens et très loin également de beaucoup d’entreprises. Les entreprises ont bien des difficultés à savoir ce qui s’y passe, ce qui va les affecter, ce qu’elles doivent savoir pour changer quelque chose et comment réagir. Et c’est là que nous entrons en jeu (11). » Comme les plus influents lobbies industriels, les agences de relations publiques sont parfaitement conscientes que c’est à la Commission que l’essentiel se décide. « Ce que nous essayons de faire dans notre travail, c’est d’apprendre aussi tôt que possible ce que la Commission envisage de faire avant que cela ne prenne la forme d’une proposition, poursuit Berendt. Il faut savoir où sont situées les choses à l’intérieur du système, qui sont les responsables aux différents niveaux du système puis enfin… trouver la porte d’entrée, les moyens de pression et comment exercer une influence sur les mesures à venir (12). » Le secret semble résider dans les contacts personnels : « Bien sûr, nous finissons par connaître du monde. Nous connaissons les gens personnellement. Nous discutons avec eux et récoltons tous les renseignements que nous pouvons (13). »
Burson-Marsteller, qui est la plus grande agence de relations publiques au monde, avec ses 60 bureaux répartis dans 32 pays, affirme se spécialiser dans la « gestion d’image (14)». On compte parmi les plus notables de ses réussites la « gestion de crise » de Union Carbide (à la suite du désastre de Bophal, en Inde) et celle d’Exxon (après la marée noire due au naufrage de l’Exxon Valdez). Burson-Marsteller a également aidé des dictatures à améliorer leur image, comme en Argentine, en Indonésie et en Corée du Sud. L’agence fut également partie prenante dans ce qui reste, à ce jour, comme l’une des plus coûteuses stratégies industrielles en Europe : la campagne de désinformation qui parvint à convaincre les politiciens de légiférer en faveur de la biotechnologie et du brevetage du vivant. En 1998, Burson-Marsteller a conçu, pour le lobby industriel EuropaBio, une stratégie de communication qui voulait, d’une part, apaiser les craintes publiques vis-à-vis des nouvelles biotechnologies et, d’autre part, faire jouer les sympathies politiques à Bruxelles. Ces pratiques nous donnent un aperçu révélateur des mécanismes d’une véritable machine de propagande [voir chap.IX].
Autre florissante agence de relations publiques officiant à Bruxelles, Edelman a été fondée en 1995. Ses clients sont des firmes multinationales américaines et, de plus en plus souvent, européennes. Sa principale activité est « le lobbying au plus haut niveau (15)». Fille de Laurens-Jon Brinkhorst, ancienne assistante de Stanley Crossick au European Policy Centre, sous-directrice générale d’Edelman à Bruxelles, Laurentien Brinkhorst souligne à quel point il est devenu complexe d’exercer des pressions au sein de l’UE : « Autrefois, il suffisait de connaître un membre de la Commission ou un directeur général. Maintenant, c’est devenu beaucoup plus compliqué… Il y a plusieurs strates d’intervention, il y a les groupements d’intérêt tels que les associations industrielles, les organisations non-gouvernementales [ONG] qui jouent un rôle très important, les entreprises, les syndicats… Et l’Union européenne est maintenant compétente dans beaucoup plus de domaines qu’auparavant… Les médias jouent aussi un rôle incroyablement important. Il y a 20 ans, les relations avec les médias n’étaient absolument pas nécessaires (16). »
L’une des spécialités d’Edelman est le traitement des problèmes compliqués « face auxquels les compagnies sont encore dans le noir le plus complet. (17) » L’agence suit attentivement les activités de l’OMC et, ce qui est stupéfiant, se vante d’avoir ses entrées auprès du très privé « Comité de l’Article 133 » (ex-113) dans lequel les États membres élaborent les politiques commerciales (18). Quand les États-Unis, incités par Kodak, ont fait comparaître le Japon devant l’OMC sous le prétexte que Fuji protégeait inéquitablement son marché intérieur, c’est Edelman qui représentait cette dernière. Bien qu’ayant finalement obtenu gain de cause, Edelman n’a pas manqué l’occasion de se faire bien voir de l’UE – qui « pour certaines raisons politiques (19) » se tenait aux côtés des États-Unis dans ce cas précis –, en informant régulièrement la Commission européenne de l’évolution de l’affaire. « Bien qu’elle ait été dans la partie adverse, nous avons tenu informé la Commission de façon régulière, expliquait Laurentien Brinkhorst d’Edelman. Ils ont beaucoup apprécié cela, car nous avions souvent les renseignements bien avant eux (20). » Laurentien Brinkhorst est fermement convaincue des avantages du partage d’informations : « Si vous faites du bon travail vous pouvez réellement aider à formuler des politiques, estime-t-elle. Je pense que de nombreux membres du Parlement européen, ne seraient pas en mesure de faire aussi bien leur travail sans les renseignements qu’ils obtiennent auprès des groupes de pression (21). » Un autre domaine dans lequel les représentants d’Edelman se targuent d’exceller est ce qu’ils appellent l’« entreprise citoyenne », qui consiste à aider « les multinationales à mieux comprendre les ONG et les syndicats (22)». Ce qui implique, bien sûr, d’améliorer l’image ternie de certaines multinationales : « Nous avons travaillé, et nous travaillons encore, avec un certain nombre de multinationales américaines considérées comme de mauvais exemples d’“entreprises citoyennes” en ce qui concerne, par exemple, des problèmes comme le droit des travailleurs, les conditions de travail ou leur comportement vis-à-vis de l’écologie (23). » Edelman, qui affirme prendre très au sérieux le problème de l’influence des ONG et des syndicats, s’est fait une spécialité de faciliter le « dialogue » entre les industriels et les secteurs non-gouvernementaux.
Politiques de pression
D’autres agences de relations publiques ont cependant une approche très différente de leur relation avec les intervenants sociaux et les organisations écologiques. En juin 1998 par exemple, Entente internationale communications, l’une des principales agences basées à Bruxelles, a organisé avec le journal European Voice une conférence sinistrement intitulée « Les politiques de pression : la réponse de l’industrie au défi des groupes de pression ». Si l’on en croit le carton d’invitation, « les lobbies exploitent le déficit de démocratie ressenti dans la société européenne pour mobiliser progressivement les citoyens européens autour d’une série de problèmes de consommation ou d’environnement causant ainsi souvent des torts commerciaux aux entreprises (24). » Participants et conférenciers provenaient de firmes très connues (Exxon, Ford Europe, Hœchst, McDonald’s, Mitsubishi, Monsanto, Nestlé, Pétrofina, Philips, Price Waterhouse, Rio Tinto, Shell, Smith Kline Beechman, etc.) et d’agences de relations publiques (Edelman, Shanwick, The Communications Group et Master Media). Des membres de la Commission et du Parlement européens étaient présents.
L’observateur critique verra peut-être dans cette conférence sur les « groupes de pression » un peu plus qu’une tentative de la part d’Entente de racoler des clients en exploitant une nouvelle opportunité du marché. En fait, « l’augmentation continuelle des services de conseils et de groupes de pression politique disponibles durcit la concurrence dans l’industrie bruxelloise de relations publiques. Les cabinets de conseils se font par conséquent plus combatifs pour obtenir des contrats leur permettant d’effectuer leur lobbying pour les entreprises (25). »
Au cours de ces dernières années, les conflits entre industries et mouvements de citoyens ont, sans aucun doute, augmenté en fréquence et en intensité. Shell, par exemple, a été durement frappé par la vague de publicité négative causée par l’épisode de Brent Spar et par son rôle dans l’Oganiland au Nigéria. La réputation de McDonald’s a, quant à elle, été sérieusement ternie lors du procès Mc Libel au Royaume-Uni (26). De nombreuses compagnies ont donc entrepris d’adopter une politique de « dialogue » avec les ONG et la société civile, et pour cela ont recherché les conseils d’agences spécialisées.
Toutefois lors de cette conférence sur « Les politiques de pression… », il est clair que négocier et trouver des solutions satisfaisant les deux parties intéressait moins Entente que de faire naître l’inquiétude chez les industriels. Cette volonté apparaît dans les déclarations déstabilisantes qui figuraient à l’ordre du jour préparé par ses soins. Par exemple, selon Peter Hamilton, directeur du conseil d’Entente, le nombre croissant d’activistes « qui vocifèrent et parfois manifestent physiquement pour attirer l’attention » allait « finir par mener au désordre, au chaos ou même à l’anarchie. » L’accablant message lancé par Entente (l’absence de stratégie par rapport aux groupes de pression citoyens revient à suivre la politique de l’autruche et refuser une aide extérieure dans ce domaine est potentiellement dangereux) était clairement motivé par le profit. Mais le plus troublant reste que de telles propagandes émanant des agences de relations publiques alimentent une perception fausse des objectifs réels et des pratiques des groupements de citoyens.
Les bureaux d’études industrielles
Notre orientation, c’est l’action et nous croyons que l’industrie doit s’impliquer plus activement dans les politiques publiques.
STANLEY CROSSICK (27)
Le financement par l’industrie de bureaux d’études conservateurs est un phénomène courant en Amérique du Nord depuis les années 1970. Des instituts tels que l’Heritage Foundation et l’American Entreprise Institute, bien qu’ostensiblement de nature plus neutre que les groupes de pression ordinaires, ont joué, dans l’intérêt de leurs sponsors industriels, un rôle majeur dans le modelage des débats publics et des politiques gouvernementales. Focalisés sur l’unification européenne, les bureaux d’études, dont certains ne sont rien d’autre que la façade de groupements industriels, ont également trouvé à Bruxelles une terre hospitalière : la centralisation du pouvoir politique dans une Union européenne bien peu démocratique et l’absence d’un vrai débat public sur l’Europe leur offrent des conditions de travail idéales. Dans une large mesure, leur influence et leur autorité dérivent du large écho que leur ont accordé les médias européens. Le CEPS (Centre for European Policy Studies) et l’EPC (European Policy Centre) offrent deux exemples de cabinets d’études utilisant des stratégies différentes pour des objectifs similaires.
Fondé en 1982, le CEPS est un des bureaux d’études les plus efficaces et le plus respecté à Bruxelles. Il dispose d’un réseau de succursales réparties sur plusieurs pays européens, de 40 employés à Bruxelles, et son chiffre d’affaires annuel s’élève approximativement à 4 millions d’euros (28). Les frais d’adhésion annuelle vont de 24 000 euros pour les industriels ordinaires à 60 000 euros pour les membres du très privé « Cercle central » (29).
Le CEPS organise des réunions pour l’élite des directeurs exécutifs, décideurs de haut niveau de l’UE et universitaires conservateurs, et il produit des rapports percutants sur divers sujets d’actualité européens. Sur son site Internet, le groupe affirme que « ses rapports politiques et ses sessions de travail sur l’Union monétaire européenne [UME], la réforme de la politique agricole commune [PAC], les politiques fiscales, la réforme institutionnelle et l’expansion de l’UE ont contribué à faire naître des idées qu’on retrouvait par la suite dans les mesures prises par la Commission, le Conseil et le Parlement européens et les gouvernements des États membres (30). » Les connexions, comme l’explique son directeur Peter Ludlow, sont vitales : « Le CEPS est perçu comme un organisme institutionnel, et cela est crucial. Nous agissons de façon qu’il soit clairement établi que nous sommes là pour nous exprimer au plus haut niveau de la discussion (31). »
Fondé en janvier 1997 par un trio composé de Stanley Crossick, le parrain du lobbying à Bruxelles (32), Max Kohnstam, ex-vice-président du comité d’action Jean Monnet, et John Palmer, ancien rédacteur en chef de l’édition européenne du journal The Guardian, EPC est presque un nouveau venu à Bruxelles. Il se donne pour mission de « contribuer à la construction européenne (33) ». Son parti-pris pro-industriel se reflète dans la composition de son conseil d’administration où siègent les PDG de firmes telles que Philips et Mars, des industriels influents tels que Peter Sutherland (ex-membre de la Commission européenne, ancien directeur du GATT et actuel président de BP et de Goldam Sachs International Associate) ; Keith Richardson (ancien et actuel secrétaire général de l’ERT par ailleurs conseillé spécial à l’EPC – tout comme Julian Olivier, ancien président du Comité européen de l’AMCHAM) ; le secrétaire général de l’UNICE Dirk Hudig, un membre du conseil d’administration de la Banque centrale européenne, six membres du Parlement européen, cinq anciens directeurs généraux et un vice-président de la Commission européenne, ainsi que des journalistes de publications telles que Le Monde ou le Financial Times. L’EPC jouit de l’important soutien financier de ses partenaires industriels parmi lesquels figurent des membres de l’ERT, BAP, BP, British Telecom et Solvay mais encore Dow, Dupont, Philip Morris et Smith Kline Beecham. En contrepartie, les entreprises donatrices bénéficient d’un contact régulier avec les décideurs. Les industriels assistent aux conférences de l’EPC pour y discuter des thèmes d’intérêt commun dont, par exemple, l’Union monétaire européenne, l’expansion à l’Est et les politiques fiscales européennes. L’EPC publie des rapports et des communiqués sur ces questions ainsi que sur d’autres, comme le sommet de l’UE à Cardiff en juin 1998, qui lui parut pleinement satisfaisant par sa volonté de mener à bien le Marché unique et d’encourager « un ensemble de mesures favorables à l’industrie (34). » L’EPC projette également l’élaboration d’une stratégie industrielle européenne en vue des prochaines négociations avec l’OMC : en d’autres termes, les moyens de pousser plus efficacement dans le sens de plus de libéralisation du commerce et de l’investissement (35). Des études sont également conduites à la demande et avec le soutien financier de la Commission européenne.
La partie émergée de l’iceberg
Les agences de relations publiques et les bureaux d’études observés dans ce chapitre offrent un aperçu de l’immense réseau de soutien qui s’est formé et qui continue de s’étendre à Bruxelles pour matérialiser les rêves des industriels. La mise à nu et à jour de ces solides fondations, qui aident les entreprises transnationales et leurs lobbies à installer des politiques concurrentielles et néolibérales, révèlent aux ONG et aux mouvements sociaux un terrain qui, en grande partie, reste à défricher. Un long travail de désignation des intervenants et de leurs activités au grand public doit se poursuivre. Sans une prise de conscience publique de la partialité des rôles joués, auprès de l’Union européenne, par ces agences et les divers bureaux d’études conservateurs, il est illusoire d’espérer une transparence démocratique ou un quelconque accès réel aux décisions prises à Bruxelles.
CHAPITRE III
Rédaction du script :
la Table Ronde des industriels européens
L’accessibilité, c’est pouvoir téléphoner à Helmut Kohl pour lui recommander de lire un rapport. C’est aussi John Major téléphonant à l’ERT pour la remercier de ses points de vue ou bien déjeuner avec le Premier ministre suédois juste avant que la Suède ne se déclare sur sa candidature à la CEE.
KEITH RICHARDSON 1
Bien que pratiquement inconnu du grand public, la Table ronde des industriels européens [ERT] constitue depuis plus de dix ans l’une des principales forces de la scène politique européenne. La facilité d’accès de ce lobby aux politiciens les plus hauts placés, tant aux niveaux nationaux qu’européen, est la clef qui lui permit de participer à l’élaboration du programme de l’Union européenne. Les effets de son influence crèvent les yeux : un mouvement progressif vers des politiques toujours plus favorables aux grandes firmes et à la mondialisation économique.
Ce mouvement s’est particulièrement accéléré à la fin des années 1980 et au début des années 1990, lorsque les souhaits de la Table Ronde quant au Marché unique et aux réseaux de transports européens ont été exaucés. Son empreinte est également clairement visible dans le Traité de Maastricht de 1991, qui déterminait les bases de l’Union monétaire. Ce groupe de pression a en outre prouvé sa remarquable souplesse d’adaptation aux nouvelles circonstances, engendrant des rejetons tels que le Centre européen pour les études d’infrastructure [ECIS] [voir chap. VIII] ou l’Association pour l’union monétaire européenne [AMUE] [voir chap. VI] chargés de mieux transmettre certains messages.
Au cours de ces dernières années, l’ERT a suivi le train de l’expansion de l’Union, recommandant avec ferveur l’adaptation structurelle des pays d’Europe centrale et orientale susceptibles d’en devenir membres. En 1995, son accès officieux aux structures décisionnelles a été institutionnalisé grâce au Groupe consultatif de compétitivité [Competitiveness Advisory Group : CAG] [voir la fin de ce chapitre], qui double efficacement sa voix. Aujourd’hui encore, ce lobby continue sa croisade pour la compétitivité, soutenant avec succès des idées telles que « l’évaluation comparative » ou « l’innovation » comme principes de base des prises de décisions de l’Union européenne. Les appellations technicistes de ces concepts dissimulent, d’une part, une froide stratégie visant à soumettre toutes les couches de la société aux bouleversements produits par les forces du marché et, d’autre part, la pression croissante de la concurrence économique mondiale.
La table ronde mise à nu
Fondé en 1983, ce groupe de pression est constitué de quelque 45 « capitaines d’industrie », dirigeants de multinationales européennes dont « l’importance tant aux niveaux de la production que des technologies est notable à l’échelle mondiale 2. » On y adhère, exclusivement sur proposition et en son nom propre plutôt qu’en celui de sa compagnie. Parmi les firmes actuellement représentées figurent Investor AB, Bayer, BP, DaimlerChrysler, Ericsson, Fiat, Nestlé, Nokia, Petrofina, Philips, Renault, Shell, Siemens, Solvay, Total et Unilever [voir la liste complète dans l’appendice III].
Plus qu’un énième groupe de pression désireux de profiter de l’intégration européenne, l’ERT est une organisation dont l’intention expresse est de stimuler le processus d’unification et de le modeler dans l’intérêt des grandes firmes européennes. Elle use sans repos de son influence pour « changer la façon dont l’Europe est dirigée », prétextant que « l’industrie a droit à un système qui donne des résultats : une Europe qui fonctionne comme système économique intégré avec un centre unique de prise de décisions générales 3. » Au cours des 15 dernières années, la Table Ronde a, en toute logique, soutenu le renforcement de l’Union en approuvant, par exemple, la suppression des droits de veto nationaux et celle d’autres causes de « fragmentation ». « Le problème, explique Caroline Walcot, secrétaire générale adjointe de l’ERT, c’est que, dans leur pays d’origine, les politiciens doivent obtenir des voix. Tandis qu’au sein de l’Union européenne, ils peuvent avoir une vision d’ensemble 4. »
Contrairement à la plupart des autres lobbies bruxellois, l’ERT ne s’est jamais donnée la peine d’exercer son influence sur les points de détails de la législation. Elle s’attache, au contraire, à tracer les grandes lignes et à faire mettre à l’ordre du jour de nouveaux projets de grande envergure. Keith Richardson, son ex-secrétaire général, le confirme : « Nous ne traitons pas des problèmes sectoriels. Nous ne traitons pas des problèmes nationaux. Nous nous contentons de parler des questions générales 5. » La familiarité de ses membres avec ceux de la Commission européenne est indéniable, tandis qu’elle bénéficie de connexions privilégiées avec les élus d’un Parlement européen aux pouvoirs accrus. Venant conforter les relations déjà anciennes entre les multinationales membres de l’ERT et leurs gouvernements, cette connaissance approfondie de la bureaucratie bruxelloise est un élément déterminant du succès de ses activités de lobbying.
Les pères fondateurs
Au début des années 1980, la Communauté européenne s’est montrée incapable de répondre à une crise économique généralisée, fruit d’une décennie d’inflation galopante, de montée du chômage et de croissance en chute libre. En 1982, Pehr Gyllenhammar, alors directeur exécutif de Volvo, tira la sonnette d’alarme et mena une campagne pour un projet d’ensemble qui « stimulerait la croissance et bâtirait [au sens propre] une industrie et une infrastructure » 6. En étroite collaboration avec Étienne Davignon – alors chargé de l’industrie à la Commission européenne – et avec le soutien d’Umberto Agnelli de Fiat et de Wisse Dekker de Philips, Gyllenhammar rassembla des PDG issus de divers secteurs. Inspiré de l’influente Business Roundtable américaine 7, ce nouvel organisme industriel d’élite avait l’objectif ambitieux de « relancer l’Europe 8». Tenue en avril 1983, sa réunion inaugurale – connue sous le nom de Roundtable of Industrialists – regroupait 17 dirigeants industriels européens et 2 membres de la Commission, Davignon et François-Xavier Ortoli (Finances) 9.
Naissance du marché unique
Cette nouvelle alliance entre la Table Ronde et la Commission a joué un rôle historique dans l’élaboration de l’Acte unique européen de 1986.
À l’automne 1984, la Commission présenta un ensemble de propositions visant à éliminer les barrières commerciales au sein de la Communauté européenne. Inquiets pour leur souveraineté, les États membres étaient peu enthousiastes, tandis que le milieu des affaires considérait ces propositions comme « peu souples » et « manquant de précision quant au planning » 10. En janvier 1985, juste après la mise en place d’une nouvelle Commission européenne, le président de l’ERT Wisse Dekker fit la proposition plus ambitieuse encore d’un projet sur cinq ans visant à faire tomber les barrières commerciales, harmoniser les réglementations et abolir les frontières fiscales. Cette proposition, « Europe 1990 : un agenda pour l’action », figurait dans un document envoyé aux chefs d’État et au gouvernement européen ainsi qu’à de nombreux officiels de haut niveau 11.
Cet accent mis par les dirigeants industriels sur l’unification des marchés européens fut précisément l’impulsion attendue par la Commission pour accélérer l’intégration européenne. Trois jours après que Wisse Deker eut présenté son initiative « Europe 1990 », le tout nouveau président de la Commission, Jacques Delors, prononçait devant le Parlement européen un discours étroitement inspiré de son Livre blanc. Quelques mois plus tard, Lord Cockfield, chargé de l’Industrie à la Commission, publiait le Livre blanc, devenu la base de l’Acte unique européen de 1986, lui-même cadre juridique du Marché unique. La seule différence, insignifiante d’ailleurs, entre le rapport de l’ERT et le Livre blanc consistait dans le report à 1992 de la date limite pour la réalisation du Marché interne – initialement prévu par la Table Ronde, dans un excès d’optimisme, à 1990.
La codification par Delors, début 1985, des propositions d’inspiration industrielle, fut promue par une campagne de l’ERT durant laquelle ses membres ont exercé une pression vigoureuse sur les dirigeants indécis des différents gouvernements nationaux. Selon Richardson, « Wisse Dekker, de Philips, a fait du Marché unique sa principale priorité pendant quatre ans. Souvenons-nous que les gouvernements n’étaient pas très enthousiastes lorsque l’idée a été lancée, nous l’avons beaucoup aidé à passer 12. » Après que l’Acte unique européen fut entré en vigueur, en juillet 1987, la Table Ronde s’assura de la rapidité de sa mise en œuvre. Entre 1987 et 1992, ses membres participèrent à une profusion de réunions avec les représentants des gouvernements et de la Commission 13. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de ce groupe dans ces nouveaux développements impressionnants à l’échelle européenne : Lord Cockfield reconnut par la suite que le Livre blanc avait été influencé par le plan d’action de l’ERT 14; et Delors admit lui aussi, lors d’un entretien télévisé en 1993, la « pression continuelle » de l’ERT, qui se vantait d’être « l’une des principales forces décisionnelles derrière le Marché unique » 15.
Dans leur empressement à se conformer au plan d’action de l’industrie, les membres de la Commission ignorèrent les autres sons de cloche émanant parfois de rapports critiques issus de leurs propres rangs. En 1989 par exemple, la Commission ordonna un examen des conséquences du Marché unique sur l’environnement. Le « Rapport sur la force tactique » qui en résulta dressait un inventaire inquiétant d’effets négatifs potentiels, dont le transport de déchets sur une grande échelle, l’acceptation inévitable de produits moins rigoureusement contrôlés, la difficulté de mettre en place au niveau national un impôt environnemental ou l’intensification du trafic routier et les conséquences qu’on lui connaît. Après plus de six ans de Marché unique, nombre de ces avertissements se sont avérés pertinents, mais ils étaient tombés dans des oreilles de sourds. Finalement, l’ERT obtint sa zone de marché libre avec ses 340 millions de consommateurs, et la Commission réussit, comme elle le désirait, à relancer l’intégration européenne.
Chaînons manquants, réseaux manquants
Triomphante, la Table Ronde s’est alors tournée vers la priorité suivante : le développement de « l’infrastructure européenne… Un système interactif unique ou plutôt un mégaréseau avec un seul objectif : la mobilité 16. » Prétextant que l’infrastructure existante constituait une barrière à la libre circulation des produits au sein du Marché unique et, par conséquent, entravait la croissance économique de l’Europe, l’ERT s’est battue aux côtés de la Commission pour l’adoption des très écologiquement contestables Réseaux transeuropéens [TEN] [voir chap. VIII].
Le TEN est le plus grand projet d’infrastructures de transports jamais conçu. On lui doit un certain nombre de monstres déjà construits ou à construire : le tunnel sous la Manche, le pont d’Øresund entre le Danemark et la Suède, plusieurs lignes de trains à grande vitesse, de nombreux élargissements d’aéroports et 12 000 kilomètres de nouvelles autoroutes. Ces ambitieux projets d’infrastructures ont été présentés dans des rapports tels que « Missing Links » (1984) et « Missing Networks » (1991). Grâce à une campagne de lobbying intensive ciblant tout particulièrement les ministres des Transports, l’ERT contribua à faire figurer le TEN à l’ordre du jour de l’Union. La cerise sur le gâteau fut sa prise en compte dans le Traité de Maastricht de 1991.
L’étape suivante devait permettre d’obtenir des fonds supplémentaires pour la mise en œuvre de ces projets. « Missing Networks » annonçait la création d’un organisme qui « placerait l’infrastructure en tête de l’agenda politique » et « agirait en chien de garde, bienveillant vis-à-vis des autorités européennes, nationales et municipales ». Cet organisme, le Centre européen pour l’étude des infrastructures [ECIS], fut fondé en 1993, et la plupart des travaux de la Table Ronde sur ce sujet furent transférés vers ce nouvel organisme hybride, mi-public, mi-privé. Jusqu’à 1997, l’ECIS a travaillé de concert avec la Commission pour faire tomber les derniers obstacles aux grands projets d’infrastructures. Aujourd’hui, la grande majorité de ces projets est soit réalisée, soit en cours de l’être [voir chap. VIII].
Le traité de maastricht & l’union monétaire
L’ERT s’est montrée extrêmement active lors de la négociation du Traité de Maastricht à la Conférence intergouvernementale de 1990-1991, dont les membres retrouvaient régulièrement ceux de la Commission tels que son vice-président Frans Andriessen (Commerce extérieur), Ray MacSharry (Agriculture), Leon Brittan (Concurrence) et le président de la Commission lui-même, Jacques Delors 17. Pendant ce temps, certains membres rencontraient de puissants décideurs de leurs pays respectifs.
Pour la Table Ronde, l’un des résultats les plus tangibles du Traité de Maastricht a été le projet d’Union monétaire européenne. En 1985 déjà, le groupe de pression avait demandé que le Marché interne s’accompagne d’une monnaie unique. Dans son rapport de 1991, « Remodeler l’Europe », elle proposait un calendrier pour la mise en place de l’Union monétaire qui présentait de notables similitudes avec celui qu’on retrouverait, quelques mois plus tard, dans Traité de Maastricht. Le puissant triumvirat formé par les dirigeants industriels, les gouvernements nationaux et les membres de la Commission s’était, de toute évidence, avéré efficace. Keith Richardson raconte : « Nous avons envoyé à tous les chefs d’État un courrier officiel disant : “Lorsque vous vous rencontrerez au Sommet de Madrid, veuillez, s’il vous plaît, prendre une bonne fois pour toutes la décision de commencer l’Union monétaire à la date convenue à Maastricht et selon les critères convenus à Maastricht.” Nous leur avons écrit. Nous leur avons demandé de faire cela. Et ils l’ont fait. Ils ont fait, à Madrid, une déclaration disant mot pour mot ceci : “Nous le ferons.” 18 » Cependant, le plus gros de la préparation du terrain pour l’Union monétaire n’a pas été effectué par l’ERT mais bien par l’Association qui porte son nom [AMUE] [voir chap. VI], fondée en 1987 par cinq grandes firmes internationales, toutes également représentées à l’ERT.
Delors, la table ronde & le livre blanc
L’exemple le plus révélateur de l’amicale collaboration entre des lobbies et un président de la Commission est peut-être le célèbre Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l’emploi de Jacques Delors.
Approuvé en 1993 par les chefs d’État et de gouvernement au Conseil de l’UE, le Livre blanc fut préparé en étroite coopération avec l’ERT – qui préparaient alors son rapport « Vaincre la crise ». Lors de la présentation du Livre Blanc à la presse, Jacques Delors remercia le groupe de pression de son soutien pendant les préparations 19, et une semaine plus tôt seulement, il avait pris part à la conférence de presse inaugurale de « Vaincre la crise ». Rien de surprenant donc à ce que ces document présentent tant de ressemblances, aussi bien dans l’analyse des problèmes rencontrés que dans les solutions préconisées : déréglementation, flexibilité du marché du travail, investissements dans l’infrastructure des transports et compétitivité internationale.
Le vent tourne pour les multinationales
Cette étroite coopération n’a rien d’accidentel. Alors qu’il n’y avait eu que peu de contacts entre les entreprises transnationales et la Commission tout au long des années 1970, une mutation spectaculaire s’opéra la décennie suivante. Sous la présidence de Jacques Delors, les relations entre dirigeants industriels européens et membres de la Commission se sont resserrées jusqu’à l’intrication totale. Selon le très reconnaissant secrétaire général adjoint de l’ERT, « la Commission est le moteur de l’Europe. Une révolution interne s’est déroulée sous Delors. Elle est maintenant moins bureaucratique. Elle est plus à l’écoute 20. »
Alors que la Table Ronde des années 1980 était divisée en deux groupes, l’un préférant soigner ses euro-champions par des politique industrielles protectionnistes et l’autre favorable à la mondialisation de l’économie, le groupe pousse aujourd’hui unanimement vers l’ouverture des marchés à travers le monde. Ainsi qu’il était prévisible, l’ERT s’est montrée très favorable à l’Uruguay Round de l’Accord général sur les tarifs et le commerce [GATT]. En 1993, Caroline Walcot déclarait : « Nous avons parlé à tout le monde. Nous avons fait des déclarations à la presse. Nous avons mis en œuvre tout ce à quoi nous avons pu penser pour essayer de faire pressions à la fin de l’Uruguay Round 21. » Ses pressions se sont entre autres exprimées par des rencontres régulières avec les dirigeants nationaux, dont un déjeuner avec le Premier ministre français, Édouard Balladur, en septembre 1993, au cours duquel 14 membres de l’ERT l’ont exhorté à cesser de faire barrage enfin d’empêcher que les négociations commerciales soient menées à bien 22.
Les relations avec santer
Les bonnes relations entre la Table Ronde et la Commission mises en place durant les dix ans de présidence de Jacques Delors se sont maintenues sous la présidence plus influençable encore de Jacques Santer. « Les relations sont bonnes parce que nous avons des intérêts communs sur de nombreux points, expliquait Richardson. Dans l’ensemble, nos priorités sont les mêmes. Nous coopérons, nous débattons divers sujets avec la Commission et, de temps en temps, nous leur écrivons pour nous assurer qu’ils connaissent nos opinions. Et je pense qu’ils sont parfaitement au courant de nos préoccupations 23. » Suite à une requête d’accès à l’information déposée auprès du secrétariat de la Commission, nous avons obtenu huit lettres du président Santer à l’ERT rédigées entre 1995 et 1999 [voir chap. XIX]. Le ton amical et chaleureux de cette correspondance montre combien les opinions de ce groupe de pression étaient hautement appréciées : « J’aimerais vous répéter une nouvelle fois, suite à notre dernière rencontre, à quel point j’ai apprécié votre présidence exceptionnelle de la Table Ronde européenne 24. » On découvre qu’il en était ainsi même quand l’ERT n’était pas a priori l’allié le plus probable de la Commission – comme, par exemple, pour l’amélioration des perspectives économiques et financières des PME 25.
Les relations symbiotiques du groupe de pression et de la Commission continuent de porter leur fruits. Plusieurs initiatives de cette dernière ont trouvé une impulsion dans le soutien des dirigeants de l’industrie en faveur d’une intégration européenne plus poussée et d’une Commission plus puissante. L’accès de la Table Ronde aux structures décisionnelles s’est, lui, progressivement institutionnalisé, notamment par sa participation accrue aux groupes de travail de l’UE, dont certains ont été créés à la demande même des lobbies. L’exemple le plus digne d’intérêt reste celui du Groupe consultatif de compétitivité [CAG] [voir la fin de ce chapitre], un organisme doté d’un statut officiel qui amplifie efficacement la voix de l’ERT. La forte emprise de cette dernière sur le CAG n’est pas le fruit du hasard : quand, en février 1994, chargé de l’Industrie auprès de la Commission, Bangemann réunit un groupe de travail sur les télécommunications, six des vingt membres provenaient de l’ERT 26 – en revanche, ne figurait aucun représentant des associations de consommateurs, des syndicats ou des PME.
La table ronde au travail
Bien que les 45 membres de l’ERT proviennent de gigantesques multinationales au chiffre d’affaires total de 800 milliards d’euros avec plus de 4 millions d’employés à travers le monde, son bureau, au cœur de Bruxelles, n’emploie, assez modestement, que 7 personnes 27. Avec l’administration et la coordination pour seules fonctions, le secrétariat n’est, finalement, guère plus qu’un point de contact entre les membres de la Table Ronde. Celle-ci tire sa force de ses prestigieux membres : industriels extrêmement influents qui ont su s’ouvrir l’accès aux décideurs nationaux et européens. L’organisation mentionne également comme l’un des ses atouts les « moyens substantiels que les firmes représentées à l’ERT peuvent mobiliser 28. » Et pour conclure, on apprend que « l’ERT est, en fait, un club d’individus. Et ces individus ont à cœur de travailler dans l’intérêt de l’économie et de la compétitivité européennes, explique Wim Philipa. Cela signifie qu’ils sont prêts à placer leur organisation dans certaines actions visant à améliorer une situation concrète 29. »
Un comité de direction, formé du président de l’ERT, des deux vice-présidents et de cinq autres membres élus, coordonne le travail d’organisation et détermine les nouvelles priorités 30. Ce comité passe en revue les activités du groupe et expose ses propositions durant les séances plénières bi-annuelles, souvent organisées dans le pays membre détenteur de la présidence de l’Union. Les participants à ces séances déterminent les priorités générales, le programme de travail et le budget de la Table ronde ; ils approuvent les rapports et les propositions préparés par les groupes de travail attachés à des problèmes spécifiques 31. Une grande partie des activités de terrain sont menées par les groupes de travail qui se consacrent à des problèmes aussi divers que les normes comptables, l’éducation, les politiques d’emploi, les politiques sociales ou les relations économiques internationales 32. Présidé par un membre de l’ERT, chacun des groupes emploie des experts appartenant aux firmes regroupées dans la Table Ronde ; il est fréquent que des consultants extérieurs soient invités 33.
Les priorités : la croisade pour la compétitivité
Ayant obtenu le Marché unique, les réseaux transeuropéens et la monnaie unique, ce groupe concentre désormais ses efforts sur la mise en avant de thèmes complémentaires tels que compétitivité, évaluation comparative des politiques publiques ou, suivant son nouveau mot fétiche, sur l’« innovation ». Par ailleurs, l’appât de nouveaux marchés devenant irrésistible, ils concentrent leurs efforts sur l’expansion de l’Union vers l’Europe centrale et orientale.
Renforcer la compétitivité économique de l’Europe au sein de l’économie mondiale a toujours été le principal objectif de la Table Ronde : faire pression pour une concurrence et une compétitivité à l’échelle européenne à l’intérieur d’un système économique fermement intégré. Un bloc économique d’une telle puissance aurait la capacité de stimuler l’investissement, d’augmenter la production et de créer de nouveaux emplois 34.
Il est important de noter que ces mesures de l’ERT pour une « pleine réalisation du Marché unique » figuraient dans le « Plan d’action pour le Marché unique », adopté par le Conseil de l’UE en 1997 à Amsterdam, actuellement mis en œuvre par les États membres. En février 1997, plus de trois mois avant le sommet d’Amsterdam, Keith Richardson était déjà persuadé que leur plan d’action serait adopté : « La Commission est vraiment très intéressée par le lancement d’une nouvelle initiative pour la réalisation du Marché unique – elle agira à Amsterdam parallèlement à la Conférence intergouvernementale. Ceci est d’une importance immense pour l’industrie, et nous discutons avec la Commission pour savoir comment nous pouvons combiner nos forces 35. »
La mise en œuvre du « Plan d’action pour le Marché unique » a conduit à un accroissement de la libéralisation des marchés des télécommunications, des transports et de l’énergie, au brevetage du vivant, à la concession de monopoles dans le domaine des biotechnologies et au processus d’harmonisation de la fiscalité industrielle en Europe.
La bible de l’évaluation comparative
Pour ces lobbies, presque tout finit par se rapporter à la compétitivité, y compris les politiques écologiques et sociales. C’est la raison pour laquelle l’ERT encourage l’« évaluation comparative », c’est-à-dire l’utilisation de la comparaison quantitative des effets des politiques de compétitivité pour déterminer les nouvelles mesures à adopter. L’évaluation comparative, cela signifie « scruter le monde afin d’y découvrir ce que les autres ont de meilleur, où que ce soit, pour ensuite, essayer de l’égaler ou de le surpasser 36. »
L’évangile selon l’évaluation comparative s’est propagé jusqu’à être finalement adopté par la Commission européenne 37. Comme l’explique Santer dans un courrier du 20 décembre 1996 adressé au membre de l’ERT et président de Solvay, Baron Daniel Janssen, la Commission est prête à utiliser l’évaluation comparative comme outil d’amélioration de la compétitivité industrielle. Santer encourage une plus grande collaboration entre l’ERT et la Commission en ce qui concerne cette « technique » et souligne l’intérêt que lui porte Bangemann, le délégué de la Commission à l’Industrie. Intérêt sincère de Bangemann qui, peu de temps après, constitua un groupe de travail faisant de l’évaluation comparative l’un des principes primordiaux des prises de décisions au sein de l’Union européenne. Les conséquences sont de taille : la compétitivité se trouve institutionnalisée comme critère premier, et les politiques adoptées le sont en fonction de spécificités techniques plutôt que par délibération politique.
Selon la définition de l’ERT, l’évaluation comparative semble s’appliquer à tous les domaines imaginables. Ainsi compare-t-on à cet exercice les critères de l’Union monétaire, qui exercent une pression énorme sur les gouvernements européens « pour qu’ils améliorent la situation de leurs finances et la maintiennent à ce niveau 38».
L’évaluation comparative est également utilisée pour encourager la libéralisation du commerce et de l’industrie. Ainsi, avant la crise financière de 1997, l’ERT colportait activement la rumeur d’une économie européenne moins compétitive que celle de certains pays du Sud – manœuvres d’intimidation pour forcer les gouvernements à entrer dans une course effrénée à la compétitivité. Dans son rapport de novembre 1996, l’ERT conclut que l’Europe prend du retard (dans la course à la compétitivité) : « Les pays en voie de développement ont réalisé à quel point faire entrave aux investissement privés, étrangers ou locaux pouvait être néfaste à leur propre compétitivité. Les changements de politique, offrant aux investisseurs étrangers un meilleur accès au marché et plus d’espace de manœuvre aux hommes d’affaires locaux transforment, actuellement, les anciennes faiblesses de certains pays en formidable défi compétitif. Ce défi gagne même en puissance du simple fait que, dans un nombre croissant de cas, ces pays agissent avec un temps d’avance sur l’Europe 39. » Enfin, l’affirmation selon laquelle l’Europe serait dangereusement à la traîne est étayée par la privatisation dans les pays du Sud, qui entraîne en « un accès pratiquement sans restriction aux marchés des services infrastructurels tels que le traitement des eaux, les systèmes d’épandage ou les réseaux de télécommunications 40. »
L’un des dangereux effets secondaires de la mondialisation économique est la compétition entre régions, pays et blocs industriels pour la détermination des politiques à adopter dans des domaines aussi sensibles que la protection sociale et écologique. Cette course effrénée à la déréglementation bénéficie évidemment aux grandes firmes du type de celles que l’on trouve représentées à l’ERT. Et la compétition dérégulée est le plus beau rêve de ces lobbies : « La déréglementation et l’évaluation comparative se sont révélées être les moteurs très efficaces des actuels processus de libéralisation de l’économie, de déréglementation et de modernisation des institutions qui régissent l’investissement industriel privé 41. » Les aspects cauchemardesques du marché libre mondial déréglementé – une arène mondiale aux normes sociales et écologiques réduites, transformée en mêlée générale dans laquelle ne survivent que les plus forts – sont le cadet des soucis de l’ERT.
La conquête de l’est
Depuis l’écroulement des régimes communistes d’Europe centrale et orientale, la Table Ronde a encouragé l’expéditive intégration européenne de ces économies nouvellement tournées vers le marché. Avec la réserve énorme d’une main-d’œuvre hautement qualifiée mais à bas salaire, l’addition de 150 millions de consommateurs au marché promet une perspective d’expansion qui excite au plus haut point l’intérêt de nos lobbyistes : « C’est comme si nous avions découvert une nouvelle Asie du Sud-Est à notre porte », s’emballe un expert comme Richardson 42.
En 1997, l’ERT a intensifié ses activités dans ce domaine avec la création d’un groupe de travail sur l’extension de l’UE à l’Est, présidé par son vétéran Percy Barnevik, de la compagnie d’investissements suédoise AB. En décembre de la même année son plan d’action pour l’élargissement fut présenté au sommet de Luxembourg. L’ERT incitait les dirigeants à rapidement « intégrer tous les pays candidats dans une Union européenne revigorée, plus vaste et plus compétitive » et demandait « une transformation économique radicale dans les pays candidats à l’adhésion », qui serait facilitée par le fait que les firmes de ses membres « coopéreraient directement avec la Commission et au sein des bureaux de conseil industriel actuellement en cours d’installation dans les pays candidats » 43.
En février 1999, ce groupe de travail spécial a produit un rapport intitulé « L’infaillible succès du commerce Est-Ouest ». Rédigé sur un ton enthousiaste, ce rapport veut « encourager l’intégration » et inspirer des actions renforçant les relations économiques entre l’Est et l’Ouest. Un certain nombre d’études de cas soi-disant sans risques, tirées des propres expériences des compagnies de l’ERT dans la région, y sont présentées pour soutenir l’idée que l’investissement des compagnies occidentales ne peut avoir que des retombées bénéfiques tant pour l’UE que pour les pays d’accueil 44.
Cette présentation paradisiaque est toutefois fondée sur des analyses erronées, tandis que sont omis les effets négatifs sur l’environnement et l’emploi que produit la dépendance de ces pays vis-à-vis des investissements étrangers 45– en Hongrie, par exemple, les entreprises transnationales participent jusqu’à 30 % du PNB. Dans toute cette région, les entreprises locales se débattent – souvent en vain – pour concurrencer les grandes firmes, qui bénéficient d’énormes avantages d’échelle, d’un accès moins onéreux aux capitaux, d’une technologie supérieure et de très gros budgets publicitaires. Rien d’étonnant donc à ce que sur le sillage des multinationales on trouve un lourd contingent de chômeurs.
Unilever et Protec & Gamble sont deux exemples de compagnies ayant profité de ce combat inégal. Ces firmes se sont tout simplement partagé le marché des cosmétiques de l’Europe centrale et de l’Est, provoquant la fermeture des compagnies locales. En outre, alors que ces industries utilisent plutôt des technologies non polluantes en Europe de l’Ouest, elles profitent des normes de production moins sévères de ces régions pour abandonner de telles exigences. Enfin, même la baisse globale des émissions polluantes par unité de produit se trouve annulée par l’accroissement considérable des volumes de production.
Jamais à cours d’innovations, l’ERT a déjà créé des Conseils en expansion commerciale [BEC] en Hongrie, en Roumanie et en Bulgarie, respectivement sous la direction de Shell, de la Lyonnaise des Eaux et de Solvay. D’autres organismes de ce type, rassemblant des officiels gouvernementaux de haut rang et des dirigeants industriels provenant aussi bien de grandes firmes que de compagnies locales sont sur le point de faire leur apparition. Les compagnies membres de ces organismes « ont, évidemment, des intérêts commerciaux certains pour agir de la sorte, explique Wim Philipa. C’est un processus de formation par lequel, en collaboration étroite et avec le soutien des gouvernements nationaux, nous guidons, formons et accompagnons les entreprises nationales vers une situation leur permettant d’intégrer rapidement l’Union européenne 46. »
En insistant sur les nécessaires modifications structurelles des pays d’Europe centrale et de l’Est, les Conseils en expansion diffusent ce message sur la compétitivité qui attire tant les investissements étrangers. La recette préférée de l’ERT offre en particulier comme ingrédients la libéralisation du marché dans les secteurs de l’énergie, des transports et des télécommunications et l’augmentation de l’investissement public dans les infrastructures de transports. « La participation du milieu des affaires constitue une garantie que les fonds servent bien les intérêts prioritaires », explique Eberhard von Kœrber 47. Finalement, cette approche reflète aussi bien le schéma prescrit par l’Union pour les pays en attente d’intégration que la façon dont les subventions européennes ont été canalisées dans le très controversé programme « Phare » – qu’on a reproché de tourner plus à l’avantage des grandes firmes et des consultants d’Europe occidentale qu’à celui des pays postulants 48.
Exigence préalable à leur intégration, les pays postulants sont soumis à des contrôles rigoureux de leur totale acceptation du schéma de développement économique du marché libre européen : restructuration des économies et des infrastructures nationales, adoption en bloc de la législation de l’UE, réduction du rôle de l’État et augmentation de la dépendance vis-à-vis des investissements directs étrangers. Bien que ces critères et l’inévitable domination économique des multinationales occidentales soient débattus par les pays concernés, les négociations ne laissent de place à aucune alternative. Ce qui est, sans nul doute, une expérience dégrisante pour ceux qui, dans cette zone, imaginaient une démocratisation progressive de l’économie après la chute du rideau de fer.
Bien qu’il soit admis que la restructuration brutale de ces sociétés engendrera des problèmes, l’ERT relègue ces maux au rang de petites choses du quotidien dans un monde en voie de mondialisation. « Des changements structurels signifient inévitablement des changements dans les schémas d’emploi ; des emplois sont détruits dans certains secteurs et protégés ou créés dans d’autres. Les effets négatifs à court terme pour tous les pays européens seront probablement similaires à ceux résultant de la récente restructuration de l’industrie provoquée par les changements technologiques et la mondialisation 49. » Les maux engendrés par l’élargissement ne sont en aucun cas, comme l’explique Keith Richardson, le souci premier de l’ERT : « Notre travail consiste à dire que les gains probables ont beaucoup plus d’importance… Notre rôle n’est pas de faire des discours sur l’unité politique de l’Europe 50. » Actuellement, les investissements occidentaux vers l’Est se multiplient rapidement, avec des apports d’investissement direct à l’étranger [IDE] qui totalisaient neuf milliards d’euros en 1997 51. Cette même année, les entreprises de l’Union se taillaient la part du lion, comptabilisant les deux-tiers de l’IDE en Hongrie et en République tchèque et la moitié en Pologne 52. Les compagnies membres de l’ERT jouent évidemment un rôle particulièrement actif dans le chiffre des exportations de l’Union vers l’Europe centrale et de l’Est qui a triplé en dix ans, atteignant aujourd’hui 80 milliards d’euros, dont un investissement cumulatif depuis 1989 de plus de 50 milliards d’euros 53.
Par l’innovation, restructurons l’europe
Tant au niveau européen que national, les décideurs sont très réceptifs au mantra industriel selon lequel la compétitivité est le véritable chemin vers la création d’emplois. Mais aujourd’hui, grâce au concept d’« innovation », la Table Ronde pense avoir trouvé le chemin le plus rapide vers le nirvana de l’emploi. En novembre 1998, son groupe de travail sur la compétitivité, présidé par Janssen de Solvay, a produit un nouveau rapport intitulé : « La création d’emplois et la compétitivité par l’innovation ». On y lit le portrait d’une économie en pleine ébullition, offrant « un flot incessant de produits et de services toujours plus récents, plus performants ou moins chers qui, constamment, rendent les produits plus anciens, moins économiques, voire obsolètes – de même que les emplois qui y sont liés. » L’adaptation à ce processus de destruction créative doit se faire à tous les niveaux de la société : chez les gouvernements, les compagnies de toutes tailles et les particuliers, car, « lutter contre la restructuration revient simplement à faire obstacle au changement et à la création d’emplois 54. »
Le rapport s’enfle des habituels souhaits de l’Europe industrielle pour l’installation d’un climat d’affaires idéal par la déréglementation et la flexibilité du marché du travail ainsi que par la réforme des enseignements. L’ERT a toujours insisté sur la nécessité de confier l’éducation aux bons soins de l’industrie plutôt qu’à des gens « qui, selon toute évidence, n’ont aucun dialogue avec l’industrie, ne la comprennent pas et ne comprennent pas non plus la voie du progrès 55. » Ce nouveau rapport insiste donc sur le fait que les Européens doivent se plier à une « éducation permanente 56» pour avoir une chance de rester employés malgré les changements et les restructurations constantes qu’exige une concurrence mondiale toujours plus féroce. Les décideurs devraient stimuler et accélérer le processus de changement mais également alimenter l’innovation en lui procurant finances, éducation, recherche et conditions réglementaires favorables à l’industrie et au développement économique. Présentant ces principes cliquants comme incontestables, les compagnies de l’ERT ont déjà complètement adapté leurs stratégies à ce processus tout entier motivé par le profit.
Le rapport sur « la création d’emplois et la compétitivité par l’innovation » exige également des réglementations et des mesures financières pour soutenir les petites entreprises… mais seulement celles qui peuvent résister aux constants changements des conditions économiques mondiales. Ainsi, les PME innovatrices, qui utilisent des techniques de pointe notamment du secteur biotechnologique – « l’une des technologies clé du nouveau millénaire 57 » – sont-elles considérées comme méritant un traitement financier particulier. Cette insolite démonstration de générosité de la part de la Table Ronde s’explique par le fait que, si les grandes firmes préfèrent toujours se concentrer sur les entreprises les plus lucratives, elles sous-traitent avec les PME une partie de plus en plus importante de leurs activités.
Dans l’étroite vision du monde des lobbies, les mesures politiques qui vont dans l’intérêt immédiat des plus grandes firmes internationales sont également, par transitivité, dans l’intérêt de tous. Ainsi, selon Wim Philipa, les membres de l’ERT « font tout simplement abstraction des souhaits spécifiques de leurs propres compagnies et pensent macro-économiquement. Qu’est-ce qui est bénéfique à l’industrie européenne, PME comme grandes firmes ? 58 » Que devient cette « abstraction » pour la création d’emploi : malgré ses bavardages incessants sur le sujet, l’ERT affirme, fidèle à elle-même, ne pas savoir que les grandes firmes sont responsables d’un très grand nombre de suppressions d’emplois. La centralisation de la production et de la distribution catalysées par le Marché unique ont permis aux multinationales de diminuer les coûts en réduisant considérablement leur main-d’œuvre. Deux exemples : sur une durée de cinq ans à partir de 1989, la compagnie d’électronique hollandaise Philips a réduit son personnel de 22 % – environ 68 000 emplois 59 ; British Telecom a pu se glorifier d’avoir réduit son effectif de 235 000 à 125 000 entre 1985 et 1996 60. À la fin des années 1990, une nouvelle vague de fusions, d’acquisitions et de restructurations industrielles a encore eu pour résultat d’engendrer à la fois des bénéfices record et d’importantes suppressions d’emplois. La compagnie Ericsson, membre suédois de l’ERT, a par exemple annoncé début 1999 son projet de supprimer 11 000 emplois – soit 10 % de sa main-d’œuvre mondiale. Pilkington, géant de la verrerie et membre de l’ERT, basé au Royaume-Uni, a supprimé 9 000 emplois en 1998 et prévoit finalement de diminuer de moitié sa main-d’œuvre par rapport à 1990. Annonçant ces suppressions, Paolo Scaroni, directeur exécutif de la compagnie, a expliqué que cette mesure faisait partie du processus de « restructuration » en cours pour diminuer les coûts et augmenter les profits. À la même époque, il déclarait fièrement à la presse que Pilkington empochait un minimum de 20 % de bénéfices sur ses investissements de capitaux et 12 % sur les ventes 61.
De tels chiffres sont devenus la norme puisque les multinationales se concentrent de plus en plus sur les profits à court terme et l’investissement de haut rapport. Après avoir réorganisé sa compagnie, Jürgen Schremp, patron de DaimlerChrysler, a hérité du surnom de « Neutron Jürgen », référence flatteuse à « Neutron Jack » Welch de General Electric, tristement célèbre pour son aptitude à détruire des emplois en laissant les bâtiments intacts. Bien que Schremp soit, à l’heure actuelle, l’un des noms les plus en vogue dans le milieu européen des affaires, cette gloire a été acquise au prix de très nombreuses suppressions d’emplois. Et l’ERT regarde froidement tout cela comme partie intégrante du processus de restructuration auquel la société européenne doit s’adapter.
Le groupe consultatif de compétitivité [CAG]ou la voix de son maître
Le Groupe consultatif de compétitivité [CAG], inauguré par le président de la Commission, Jacques Santer, en février 1995, est l’un des plus impressionnants exemples de l’institutionnalisation de l’accès aux structures décisionnelles de l’UE dont jouissent les lobbies. Défini par Santer, son mandat originel consistait à produire un rapport semestriel « sur l’état de compétitivité de l’Union [… et des] conseils sur les priorités en matière de politiques économiques et des lignes directrices ayant pour objectif de stimuler la compétitivité et d’en récolter les bénéfices. 62 » Le groupe fut sélectionné soigneusement par Santer : parmi ses 13 membres, figurent Floris Maljers (Unilever), Percy Barnevik (Asea Brown), David Simon (BP) et J. Olilla (Nokia), tous de l’ERT ; des directeurs exécutifs de multinationales ou de banques ; l’ancien président de Treuhand (agence d’État allemande qui privatisa les entreprise de l’ex-Allemagne de l’Est) ; trois syndicalistes et un certain nombre de politiciens dont Carlo Ciampi, ex-Premier ministre italien et directeur de la Banque d’Italie 63. Cette première équipe fut remplacée après l’expiration de son mandat de deux ans.
Dans les médias, le CAG est dépeint comme un groupe consultatif indépendant, composé d’industriels de haut vol, de syndicalistes et d’officiels. Bien qu’il n’apparaisse pas , le lien avec l’ERT est indéniable : s’inspirant du Conseil de compétitivité du président américain Clinton, la création d’un tel organisme fut pour la première fois proposée par la Table Ronde dans son rapport « Vaincre la crise » (décembre 1993), suggestion renouvelée l’année suivante. Comme l’expliquait Richardson, alors secrétaire général de l’ERT : « L’idée de départ a fondamentalement été élaborée par Floris Maljers [d’Unilever] et moi-même. La première idée n’a pas été acceptée, nous en avons donc changé la forme et l’idée finale a été adoptée au Sommet d’Essen 64. »
Débitons le mantra de la compétitivité
Pendant son premier mandat de deux ans (1995-1996), le CAG a produit quatre rapports sur le thème « améliorer la compétitivité », chacun publié quelques semaines seulement avant les sommets semestriels de l’Union européenne. Les séries de nouvelles idées et de recommandations faites aux décideurs rappellent invariablement celles de l’ERT, et de nombreuses propositions sont finalement apparues dans le calendrier politique de l’Union ou en ont influencé les décisions d’une manière ou d’une autre.
Publié en juin 1995, juste avant le sommet de l’UE à Cannes, le premier rapport en arrivait à la conclusion que l’amélioration de la compétitivité générale de l’Union était d’une urgente nécessité. Faisant écho aux prescriptions habituelles de l’ERT, les remèdes du CAG comprenaient le financement par partenariat semi-public semi-privé de l’infrastructure des transports [TEN] [voir chap. VIII], la prompte expansion de l’Union vers l’Est ainsi que la mise en place de l’éducation permanente et de la « société en formation » (formation continuelle des employés pour leur permettre de s’adapter aux variations des besoins de l’industrie). Le second rapport, publié six mois plus tard, juste à temps pour le sommet de Madrid, recommande aux États un nouveau rôle important. Selon le CAG, les gouvernements devraient faciliter la déréglementation et la privatisation du secteur public, particulièrement dans des domaines tels que l’énergie, les transports et les télécommunications. En ce qui concerne les mesures écologiques, il est conseillé aux gouvernements d’utiliser des instruments fondés sur le marché plutôt que d’user des réglementations. Dans son troisième rapport, paru en juin 1996 et discuté au sommet de Florence, le CAG s’inquiète des débats très animés sur le chômage généralisé en Europe et demande des pactes sociaux entre employeurs, travailleurs et gouvernements pour « contrer la menace de désagrégation 65». Il propose la modernisation du marché du travail par l’assouplissement des horaires de travail, la modération des salaires et plus de mobilité entre les entreprises, les régions et les États. Il est enfin recommandé aux pays membres de réviser les législations sociales en fonction de l’analyse coût-bénéfice qui placera probablement les besoins des entreprises transnationales avant l’intérêt public. Le quatrième et dernier rapport du premier CAG parut en décembre 1996 avant le sommet de Dublin. Il avait pour thème principal la position de l’Europe dans la mondialisation économique, et évaluait ses performances en matière de commerce international et d’investissements en les comparant en particulier aux marchés, alors en pleine croissance, de l’Asie. Il demandait également la poursuite de la libéralisation du commerce et de l’investissement dans le cadre de l’OMC, la pleine réalisation de l’AMI [voir chap. XII] et la modification de l’Article 133 du Traité de Maastricht sur la politique commerciale commune, qui permettrait à la Commission de négocier sur les services, la propriété intellectuelle et l’investissement direct étranger.
La même chose en couleur : le second CAG
En mai 1997, Santer annonça les noms des 13 membres du second CAG. Malgré l’emphase mise sur le fait « qu’une fois encore, un panel bien équilibré de politiciens, d’hommes d’affaires, de syndicalistes et d’officiels éminents constitue ce groupe 66», un examen plus méticuleux révèle un groupe loin d’être neutre : présidé par l’ancien secrétaire général de l’OCDE, on y trouve les firmes membres de l’ERT British Telecom, Pirelli et Repsol ; les deux représentants de l’industrie proviennent de l’organisation allemande des employeurs et de la compagnie portugaise BFE-Investimentos ; enfin, trois syndicalistes, d’Italie, du Royaume Uni et de Suède.
Cette nouvelle équipe mandatée pour deux ans publia, en novembre 1997, « La compétitivité pour l’emploi ». Dans ce rapport, paru à temps pour le soi-disant Sommet sur l’emploi de Luxembourg, la mondialisation économique est défendue avec enthousiasme et présentée comme un processus irréversible impliquant de rapides mais nécessaires modifications dans tous les pays. Malgré toutes les palabres sur la nécessité de préserver la cohésion sociale, les nombreuses mesures proposées n’ont rien de très nouveau et penchent lourdement du côté de la compétitivité. Les propositions sur l’accélération des réformes structurelles, l’assouplissement de l’environnement juridique des affaires, des systèmes de retraite, de santé et de chômage faisant plus appel à la « responsabilité individuelle » ne sont pas exactement ce qu’il convient d’appeler des mesures de cohésion sociale. Paru en juin 1998 avant le Sommet de Cardiff, le rapport suivant, « Marchés des capitaux pour la compétitivité », met l’accent sur les réformes des marchés des capitaux en relation avec la monnaie unique.
L’appel à la compétitivité
Keith Richardson fut tout à fait satisfait du travail du CAG : « Ils ont fait beaucoup de bon travail. Ils ont produit quatre excellents rapports et forment actuellement une nouvelle équipe pour deux autres années. Nous sommes tout le temps restés en contact étroit avec eux 67. » Contrastant avec la forte présence de l’ERT au CAG, l’Union des confédérations industrielles et patronales européennes [UNICE] n’est représentée dans aucun de ces groupes [voir chap. suivant]. L’ancien secrétaire général de l’UNICE, Zigmunt Tyszkiewicz, a expliqué pourquoi son groupe n’a pas soutenu la proposition originale de l’ERT : « Nous étions totalement persuadés que le message de compétitivité ne devait pas être dilué puisque l’Europe n’était en effet pas compétitive. La situation était grave. Mais nous ne voulions pas que ce message soit abâtardi par un compromis entre employeurs, syndicats, universitaires et politiciens, ce que le CAG a fini par faire 68. » Les craintes de l’UNICE se sont cependant avérées sans fondements. Commentant la présence des trois syndicalistes au CAG, Richardson fait remarquer que « le fait qu’ils aient signé les rapports du CAG donne [aux rapports] un supplément de poids. 69 »
Le CAG a permis aux industriels membres de l’ERT de présenter leurs recommandations à travers un organisme reconnu, disposant d’un statut officiel à l’Union européenne. C’est pourquoi, l’emportant sur tous les autres problèmes, la compétitivité industrielle est devenue le principal objectif dans l’orientation des mesures prises par les administrations européenne. Le besoin en publicité de nos lobbyiste diminua en conséquence, comme le nombre de rapports publiés sur l’orientation générale des politiques : l’ERT peut désormais continuer son œuvre en coulisses et rester assurée que sa voix est relayée par un organisme élevé au statut de conseiller officiel de l’Union européenne.
CHAPITRE IV
L’UNICE, une machine de pression bien huilée
Alors que l’ERT projette avec maîtrise, discrétion et subtilité sa grande vision de l’Europe en collaboration avec la Commission, un autre lobby européen basé à Bruxelles traite activement des points de détail, moins prestigieux mais tout aussi critiques. Maniaque du détail et suprêmement efficace, l’Union des confédérations industrielles et patronales européennes [UNICE] est, quant à elle, un lobby réactif : ses groupes de travail dissèquent chaque proposition, réglementation, directive ou article émanant de Bruxelles avant de renvoyer des rapports qui influenceront le dispositif de détermination des politiques. Ses efforts mènent souvent à l’adoption d’initiatives favorables aux milieux d’affaires et au blocage des législations socialement ou écologiquement progressistes. Malgré des méthodes de travail complètement différentes, l’ERT et l’UNICE ont un but commun : augmenter la compétitivité industrielle dans l’Union européenne.
L’UNICE incarne la voix officielle de l’industrie auprès de l’UE depuis 1958 (1), ce qui lui donne carte blanche et un accès ouvert et sans entraves aux institutions européennes. « Notre mission est d’influencer les décideurs au niveau européen. Bien sûr, le mot “lobby” n’est pas utilisé mais c’est pourtant bien ce dont il s’agit, confie son directeur de communication. On peut voir l’UNICE comme une usine à produire des documents. Et mon travail, ici, au service communication, est de les vendre aux décideurs (2). » L’image d’usine convient bien à l’atmosphère des bureaux principaux de ce groupe à Bruxelles, où des piles de papiers remplissent de sobres salles grises.
Cette « famille » de 33 fédérations d’employeurs provenant de 25 pays européens parle fièrement au nom de « millions de petites, moyennes et grandes entreprises (3). » Elle se glorifie d’une lignée de dirigeants disposant d’un crédit impressionnant dans le milieu de l’industrie. Le président actuel, George Jacobs, a travaillé pour le Fonds monétaire international [FMI] avant de rejoindre la compagnie pharmaceutique UCB Group, pour finalement en devenir le président du comité exécutif. Son prédécesseur, François Périgot, qui fut un temps à la tête d’Unilever France, est aujourd’hui membre du conseil de l’Association pour l’union monétaire [AMUE] [voir chap. VI]. Dick Hudig, secrétaire général actuel de l’UNICE, a d’abord travaillé à l’UE pour la firme ICI (membre de l’ERT), sur les relations avec le gouvernement ; il fut également coordinateur européen du groupe de travail sur les produits chimiques au Dialogue sur le commerce transatlantique [Transatlantic Business Dialogue : TABD] [voir chap. XI].
La micro-approche ponctuelle de l’UNICE quant à l’élaboration des politiques européennes a prouvé son efficacité au cours du temps. « Il y a environ 19 000 experts à la Commission et nous leur faisons savoir notre position par rapport à tous les problèmes pouvant avoir une importance pour l’industrie… Notre secrétaire général écrit aux membres de la Commission, nos directeurs discutent avec les directeurs de services et notre personnel communique avec les experts (4). » Selon son ex-secrétaire général Zigmunt Tyszkiewicz, l’UNICE bénéficie même d’un accès régulier à la Commission : « Nous restons en contact. La Commission est une administration très ouverte, elle est très accessible. Et ils sentent que nous pouvons les aider (5). »
Les diverses fédérations nationales que réunit l’UNICE jouent un rôle important dans la séduction des ministres de leurs pays respectifs : « Après qu’ils aient tous été approchés de la même manière, on espère que, lorsqu’ils siégeront au Conseil des ministres pour prendre la décision finale, ils tiendront compte de ce que le milieu des affaires leur a dit (6). » Une approche décentralisée du même type est utilisée pour influencer les euro-parlementaires : « Si l’on veut influencer un député espagnol, il sera plus efficace de le faire en espagnol par l’intermédiaire de notre fédération espagnole (7). » Néanmoins, garder l’œil sur 626 députés européens qui vont et viennent entre leur pays d’origine, Strasbourg et Bruxelles, n’est pas chose facile. Le lobby travaille donc avec une agence de relations publiques qui garantit la présence permanente de « quelqu’un portant les couleurs de l’UNICE au Parlement européen (8). »
Courtiser les médias est également important pour ce groupe de pression : « Si l’on veut se faire entendre, il faut savoir que les politiciens lisent les journaux et qu’ils sont plus influencés par le Financial Times que par l’UNICE (9). »
Le réseau bruxellois des patrons
Le regard que les bureaucrates de l’UNICE porte sur les membres de l’ERT est à la fois admiratif et suffisant : « L’ERT sélectionne quelques sujets sur lesquels elle veut intervenir activement – l’éducation, par exemple, bien que ce domaine ne figure aucunement à l’agenda de la Commission. C’est ainsi qu’elle fonctionne parce qu’il s’agit d’un club restreint de personnalités (10). » Comme pour justifier leurs méthodes de travail pédantes et décentralisées au regard de celles, plus élitistes, de l’ERT, Christophe de Callatäy précise : « ici, on ne fait pas dans l’émotion. L’UNICE est très rationnelle et nous gardons, entre toutes les fédérations, un dénominateur commun qui mène forcément à un style difficile à lire, aucunement séduisant et pas du tout propice à la médiatisation. » Si les vertus du volontarisme de l’ERT en vue d’influer sur l’ordre du jour européen n’échappent pas aux bureaucrates de l’UNICE, ces derniers soulignent leurs propres points forts, dont leur statut officiel, et par conséquent légitime, de partenaire du dialogue social de l’UE (11) : « Intervenir en amont est idéal, déclare de Callatäy, mais il serait stupide de penser que l’on peut intervenir en amont tout le temps (12). »
Malgré ces différences, les objectifs des deux lobbies se chevauchent souvent : le président de l’UNICE et le secrétaire général de l’ERT se rencontrent régulièrement. « Au quotidien, ils sont amis. Et, bien sûr, nous nous appelons lorsqu’il y a un problème », avoue de Callatäy (13). L’UNICE est également en contact régulier avec le comité européen de l’AMCHAM [voir chap. V], le TABD [voir chap. XI] et des groupes sectoriels tels que la CEFIC. « Ce réseau est très, très important, explique Zigmunt Tyszkiewicz. Il y a peut-être plusieurs voix mais l’important est qu’elles font toutes passer le même message (14). »
Les très grandes multinationales dont les sièges sont situés dans des États membres de l’UE clament avec force ce message de compétitivité industrielle dans une Europe globalisée. Les compagnies plus modestes et moins internationales tirent moins profit de cette profession de foi. Par conséquent, les relations de l’UNICE avec l’UEAPME – le plus important des lobbies représentant les PME en Europe – ne sont pas toujours parfaitement harmonieuses. Cette dernière a longtemps rêvé d’être reconnue à l’égal des autres partenaires officiels du dialogue social. En 1998, l’UEAPME menaça de traîner l’UNICE devant la Cour européenne de justice si elle n’était pas intégrée au dialogue social ; elle abandonna finalement contre la promesse que ses propositions seraient présentées à chaque réunion du dialogue. « Ils prétendent que nous ne représentons que les grandes firmes et non les PME, reconnaît de Callatäy. Nous avons donc eu un conflit assez long. La stratégie de l’UNICE consiste aujourd’hui à leur accorder un siège au dialogue social et cela va nous permettre de représenter le milieu des affaires dans son ensemble. C’est ce que nous voulons (15). » Le « siège » de l’UEAPME n’étant cependant pas officiel, celui-ci ne bénéficie d’aucun droit réel.
Bien que le personnel de l’UNICE à Bruxelles ne se compose que de 40 personnes, Tyszkiewicz proclame qu’elle peut « mobiliser mille personnes pour l’aider à faire son travail (16). » En fait, politiques et propositions sont élaborées par un réseau complexe de comités (affaires économiques et financières, sociales, industrielles, des entreprises ; relations extérieures ; etc.) et d’environ 60 groupes de travail composés d’experts provenant des fédérations nationales adhérentes. Bien qu’il n’élabore pas lui-même de politiques, le secrétariat de l’UNICE joue un rôle crucial dans la détermination de l’agenda général : « Nous pointons les problèmes parce que nous connaissons le plan d’action de la Commission. Nous savons ce que fait le Parlement, nous savons ce que fait le Conseil et nous savons quels sujets importants sont sur le point d’être discutés. Nous en rendons donc compte à nos fédérations (17). » Les ébauches de politiques des groupes de travail sont envoyées au comité exécutif pour approbation finale ; « ensuite, explique Tyszkiewicz, c’est notre travail et celui de nos fédérations de faire connaître cette politique autour de nous, d’en parler, de l’expliquer et de la présenter aux décideurs politiques (18). »
Les priorités de l’UNICE ne diffèrent pas beaucoup de celles de l’ERT : renforcement de la compétitivité européenne, mise en place effective du Marché unique et de l’Union monétaire, expansion vers l’Est, évaluation comparative et libéralisation du commerce mondial et de l’investissement.
L’évaluation comparative de la compétitivité
L’UNICE rabâche elle aussi depuis des années le mantra de la compétitivité industrielle. Le message que transmettent ses rapports sur la compétitivité (1994) et sur les réformes réglementaires (1995) est toujours le même : si seulement les autorités de l’Union œuvraient à la création d’un climat favorable aux affaires, l’Europe obtiendrait de meilleurs résultats en matière de croissance économique, d’emploi, de conditions sociales et accéderait à un meilleur niveau de vie. Un rapport récent réitère sa rengaine sur les réformes structurelles et réglementaires (19). Il conclut que le fossé séparant l’analyse de l’action est principalement le fait du concept de « compétitivité », trop incompris du public, auquel on doit substituer celui d’« évaluation comparative » [voir chap. III] assorti de 20 conditions nécessaires au bon fonctionnement de l’activité industrielle en Europe. Ces conditions s’étendent à la plupart des domaines politiques : de la mise en place du Marché unique et de l’Union monétaire à la fiscalité. « Il faut agir maintenant, et cesser d’analyser (20). »
Marché unique & union monétaire européenne
En ce qui concerne le Marché unique, bien que très satisfaite de ses progrès, l’UNICE réclame encore à grands cris la libéralisation des services publics et l’ouverture de plusieurs autres services d’intérêt général à une concurrence plus grande. Simultanément, ses bureaucrates se plaignent bruyamment de la mise en place de nouvelles réglementations concernant l’environnement ou la santé qui pourraient porter atteinte à la compétitivité industrielle.
Maintenant que l’Union monétaire européenne [UME] [voir chap. VI] est solidement en place, l’UNICE demande des réformes structurelles et la flexibilité des marchés afin que ses « bienfaits » puissent être pleinement récoltés. Ces réformes ont pour objectif de réduire de façon drastique la dépense publique, « particulièrement dans les domaines de la consommation publique, de la retraite, des soins médicaux, des allocations sociales et des subventions (21). » Les politiques en faveur des populations ne sont en aucun cas une priorité de l’UNICE : « essayer de favoriser l’industrie, c’est de cela qu’il s’agit. C’est une suite logique à l’UME », déclare de Callatäy (22). Il n’est donc pas surprenant que l’UNICE s’oppose farouchement à des initiatives telles que celle proposée par le gouvernement italien visant à autoriser des entorses au Pacte de stabilité si les dépenses publiques sont consacrées à la création d’emplois (23): « Nous sommes pour des politiques publiques saines et des finances saines, ce qui signifie que le déficit public doit être proche de zéro. Et il ne faut pas trouver d’excuses pour créer un déficit public (24). »
Fiscalité & emploi
Le rapport de l’UNICE sur l’évaluation comparative demande également de façon pressante une réduction de la fiscalité industrielle : « Les systèmes fiscaux devraient être restructurés de façon à encourager l’entreprise et l’emploi au lieu de les pénaliser. Dans une économie mondialisée, des solutions de modifications fiscales illusoires telles que de nouveaux impôts sur les produits d’énergie ou une plus forte imposition sur le capital devraient être rejetées parce qu’elles réduiraient la compétitivité européenne et la force d’attraction de l’Europe en tant que lieu d’investissement (25). » Pour l’UNICE, comme pour les autres lobbies au service des entreprises transnationales, la solution idéale n’exclut pas des politiques sociales ou écologiques qui avantageraient les économies locales mais impose en revanche une réduction drastique des coûts salariaux et de production par le biais de la diminution des charges. « La fiscalité constitue une menace pour l’industrie. Nous craignons beaucoup que chaque proposition provenant de la Commission soit une coordination de mesures fiscales mais en terme de plafond seulement. Nous préférerions parler de plancher (26). »
L’UNICE proclame que les hauts taux de chômage en Europe peuvent être résorbés par la création d’un marché du travail toujours plus flexible : « Il est devenu presque impossible de créer des emplois. La main-d’œuvre est tellement chère. Il est si difficile de licencier du personnel qu’on préfère ne pas en employer (27). » Dans le même état d’esprit, l’UNICE préfère que les politiques d’emploi soient gérées par les États membres plutôt que par la Commission, de peur que cette dernière « aille trop loin dans la détermination de buts, d’objectifs, etc. (28). » Évidemment, le groupe rejette tout autant vigoureusement l’idée de convention collective au niveau européen : « C’est ce que voudraient les syndicats. Les employeurs, eux, veulent transférer les processus de négociation au niveau des détaillants, des entreprises (29). »
L’expansion : plus c’est gros, plus c’est beau
L’expansion de l’Union vers l’Est, accompagnée de celle du Marché unique, représente une perspective alléchante pour les industriels de l’UNICE : « Le marché interne de l’UE sera augmenté de plus de 100 millions de consommateurs aux revenus en hausse. Pour rattraper les économies de l’Europe des Quinze, les pays d’Europe centrale et orientale doivent énormément investir dans les infrastructures et les moyens de production. L’Europe des Quinze prévoit un excédent commercial avec les pays candidats pour les 10 prochaines années au moins (30)» – une prophétie peu surprenante de la part de l’UNICE.
Si l’intégration du plus grand nombre possible de candidats dans les négociations d’expansion fait le bonheur de l’UNICE, cette dernière considère néanmoins comme une condition sine qua non que ces pays soient en mesure de se conformer à chaque aspect de la législation du Marché unique. Par conséquent, l’UNICE propose des négociations avec les pays n’ayant pas été admis au premier tour dans le but de parvenir à un accord sur les implications essentielles du Marché unique.
La mise en place des réformes institutionnelles et financières, discutées mais non adoptés lors de la conférence intergouvernementale d’Amsterdam en juin 1997, est également l’une des grandes préoccupations de l’UNICE, qui espère, en particulier, clarifier l’Article 133 consacré au commerce extérieur de l’Union. Selon l’UNICE, la Commission devrait obtenir l’entière liberté de négocier les accords internationaux sur les services et la propriété intellectuelle – à défaut de quoi, l’unanimité actuellement exigée pour la ratification de ces décisions sera automatiquement étendue aux nouveaux membres.
Pour faciliter le processus d’accession à l’adhésion, l’UNICE a établi une stratégie d’expansion. Des experts sont assignés à chaque pays candidat : « Ils se rendent sur place et essaient, d’un côté, d’aider nos fédérations ou les représentants locaux du milieu des affaires à s’adapter à l’« acquis communautaire (31) », et de l’autre, d’aider les réseaux de l’UNICE à mieux comprendre les problèmes spécifiques pour donner des recommandations à la Commission (32). » Aujourd’hui, l’UNICE s’inquiète cependant de la perte d’élan du processus d’expansion : « Au départ, il y a toujours beaucoup d’enthousiasme mais les gens prennent aujourd’hui conscience de l’ampleur du problème (33). »
Les groupies de sir léon
L’UNICE s’investit donc avec ardeur dans la libéralisation du commerce mondial et de l’investissement, soutenant activement, dans les forums internationaux, les initiatives de l’OMC [voir chap. XIII], l’OCDE et les négociations sur le libre échange transatlantique. Le délégué au Commerce de la Commission, Sir Leon Brittan a certainement trouvé en l’UNICE l’une de ses plus ardentes groupies et une alliée digne de confiance dans sa croisade pour le libre échange. « L’UNICE a toujours soutenu Sir Leon. Donc, quoiqu’il dise, l’UNICE répond : “D’accord, c’est bien, faites-le ! (34) », déclare de Callatäy. Cependant, il regrette également amèrement que les initiatives de Brittan finissent toujours par être édulcorées, citant pour exemples l’échec des négociations de l’Accord multilatéral sur l’investissement [AMI] à l’OCDE [voir chap. XII] et celui du Nouveau marché transatlantique [voir chap. XI].
L’UNICE place maintenant ses espoirs dans le partenariat économique transatlantique [TEP] et le Round du Millenium à l’OMC [qui a eu lieu depuis (NdT)]. Afin d’éviter les obstacles potentiels à la création de ce partenariat, elle recommande « une grande campagne d’information pour s’assurer les faveurs de l’opinion publique, soulignant les bienfaits en termes de croissance, d’emploi, de santé et sécurité du consommateur et de développement durable (35). » L’UNICE a également demandé à être « totalement impliquée dans la prise de décision finale de l’UE, considérant que des problèmes concernant une telle initiative avaient été identifiés conjointement par des compagnies tant européennes qu’américaines, et faisaient l’objet de travaux au sein du Dialogue sur le commerce transatlantique [TABD] (36). »
Pour la prochaine série de négociations, l’UNICE a clairement exprimé sa préférence pour une session spécifiquement axée sur les accords sur l’investissement international et les droits de propriété intellectuelle. Elle espère, de plus, que les thèmes de l’ouverture du marché, les services, l’agriculture, le service public et le commerce électronique seront abordés, et que l’on parviendra à un consensus sur des mesures commerciales consécutives aux accords internationaux sur l’environnement et la conformité écologique qui n’entravent pas la libéralisation (37).
Le monstre absolu
La campagne couronnée de succès de la société civile contre l’AMI semble avoir ébranlé la suffisance de l’UNICE. Depuis, celle-ci essaie de prendre en compte les préoccupations des ONG dans son discours en faveur de la mondialisation. Ainsi recommande-t-elle, par exemple, que les négociateurs de l’OMC garantissent « la plus grande adhésion possible de l’opinion publique [tout en] réconciliant la libéralisation du commerce international et de l’investissement avec d’autres objectifs d’intérêt général tels que le développement économique des pays moins développés, l’application de normes de travail acceptées internationalement et la protection des consommateurs ou de l’environnement (38). »
Pourtant, au moins lorsqu’il s’agit d’environnement, il est clair que ces sentiments attentionnés sont superficiels. Un « monstre absolu », c’est ainsi qu’un lobbyiste écologique basé à Bruxelles qualifie l’UNICE : « Le nombre de ses membres est phénoménal et ils sont présents à pratiquement tous les débats sur l’eau, les produits chimiques, les déchets, etc. Ils prennent des positions épouvantables par rapport à l’emballage, l’incinération ou le recyclage et affirment considérer les technologies non-polluantes comme une plaisanterie. Ils bataillent vigoureusement en faveur d’accords ponctuels de sorte que les politiques écologiques ne puissent être, en fin de compte, déterminées que par l’industrie (39). »
L’UNICE prend, de fait, très au sérieux les conférences mondiales sur l’environnement. Elle l’a prouvé en dépêchant une délégation de neuf personnes à Buenos Aires, en novembre 1998, pour la IVe Conférence des parties, consacrée à la Convention sur le climat. Comme toujours, sa position par rapport aux transformations climatiques [voir chap. XVII] est d’accorder la priorité aux affaires : pour éviter toute réglementation destinée à réduire les émissions polluantes, sa délégation s’est démenée pour promouvoir l’idée d’une mise en conformité volontaire de l’industrie. Au même moment, l’UNICE ne perdait pas de temps pour saisir les opportunités économiques implicites contenues dans les solutions répondant aux lois du marché promu avec succès par le lobbying industriel au cours des négociations sur le climat.
Finalement, dans quelle mesure l’UNICE parvient-elle à atteindre ses buts ? Complètement, selon Tyszkiewicz : « Il est impossible d’énumérer les cas dans lesquels la législation a été soit complètement évitée soit très sérieusement amendée grâce au travail effectué par l’UNICE (40). » Et en effet, si l’on évalue la réussite de ce lobby industriel par son aptitude tant à influencer la législation européenne au bénéfice de ses membres qu’à contrecarrer les tentatives des mouvements écologiques et sociaux pour faire figurer leurs problèmes à l’ordre du jour, on peut dire qu’elle s’en sort avec brio.
CHAPITRE V
L’AMCHAM au diapason des chœurs industriels de Bruxelles
Aussi étrange que cela puisse paraître, l’un des plus importants acteurs industriels de la scène politique bruxelloise est un représentant des multinationales basées aux États-Unis : le comité européen des Chambres américaines de commerce [AMCHAM], qui importa le lobbying industriel à l’américaine. Il imposa d’abord sa présence quelque peu léthargique dans la « capitale » européenne au cours des années 1970, avant de connaître un regain de vigueur au début des années 1980, pour devenir l’un des premiers lobbies industriels à surveiller et systématiquement influencer l’élaboration des politiques de la Commission européenne.
Bien que les fusions transatlantiques et la mondialisation rendent les identités nationales industrielles de plus en plus confuses, l’adhésion à l’AMCHAM reste principalement réservée aux « entreprises européennes ayant une parenté américaine et à celles dirigées, de fait, depuis les États-Unis (1). » Bœing, Dupont, Exxon, General Motors, McDonald’s, Monsanto et Procter & Gamble figurent parmi les 145 géants de l’industrie rassemblés dans ce groupe de pression. Bien que ces grandes firmes américaines jouissent, depuis les années 1960, d’une part assurée dans les marchés européens, l’avènement du Marché unique et de l’euro ont favorisé de nouvelles vagues d’expansion industrielle américaine en Europe. Au total, les compagnies de l’AMCHAM emploient aujourd’hui approximativement 3 millions de personnes et leurs investissements s’élèvent à 350 milliards de dollars en Europe (2).
Les chœurs de l’industrie
L’AMCHAM travaille en rapport étroit avec les deux plus influents groupements industriels de Bruxelles, l’ERT et l’UNICE [voir chap. III & IV]. Comme l’explique John Russell (3): « Nous échangeons de nombreux renseignements, organisons des réunions en commun et publions même des documents ensemble (4). » Ces trois groupements industriels ont recours à ce que Russell appelle « l’approche chorale », qui renforce et améliore stratégiquement les positions de chacun : « Normalement, il est plus efficace de ne pas tout dire ensemble mais plutôt de faire dire plus ou moins la même chose par différentes personnes aux institutions (5). »
Comme les autres membres de cette chorale industrielle, l’AMCHAM rabâche à quel point il est urgent de modifier les sociétés européennes pour les rendre plus compétitives au niveau international dans une Europe globalisée : afin d’éviter les délocalisations et d’encourager la création d’emplois, l’Union devrait travailler d’arrache-pied dans le sens « d’une main-d’œuvre flexible », « de plus de libéralisation et d’un cadre réglementaire compétitif. […] Si elle tarde à le faire, l’Europe va sentir passer le vent des restrictions », explique Keith Chapple (6). « L’Europe, poursuit-il, va de plus en plus se trouver en concurrence avec les pays en développement qui constituent des bases alternatives attirantes pour l’industrie… Pour être compétitive, l’Europe doit être souple, se débarrasser des coûts inutiles et faire preuve d’ouverture dans ses relations commerciales (7). » En fait, l’AMCHAM laisse rarement passer l’occasion de faire peser la menace de délocalisation industrielle.
Machine de guerre d’influence
L’AMCHAM propose à ses membres une stratégie de lobbying d’un superbe raffinement – ses méthodes ont été une grande source d’inspiration pour ses émules installés à Bruxelles. À la fin des années 1980, l’AMCHAM s’est imposée aux industries en quête de renseignements sur les politiques de l’UE (8). Sa mission est notamment, selon Russell, de surveiller les politiques et les mécanismes de l’UE, de fournir à ses membres des renseignements fiables et d’apporter « une participation constructive au processus législatif ou, pourrait-on dire, de faire pression (9). »
Après avoir repéré une loi de l’UE digne d’intérêt, l’AMCHAM contacte les officiels de la Commission concernés et commence à publier des prises de position et des propositions d’amendements spécifiques. En 1998, le groupe a publié 10 ouvrages, plus de 60 rapports sur les politiques européennes et a pris part à « environ 350 réunions avec la Commission et le Parlement (10)».
L’AMCHAM a également accès à un autre puissant acteur politique de Bruxelles : le Comité des représentants permanents [COREPER], c’est-à-dire le groupe « d’ambassadeurs » auprès de l’Union des pays membres, qui prépare les décisions pour le Conseil des ministres. Outre l’habituelle camaraderie de couloirs, l’AMCHAM est invitée à des séances spéciales semestrielles avec les membres du COREPER qui représentent le pays détenteur de la présidence de l’Union (11).
Le secrétariat de l’AMCHAM, qui emploie à l’heure actuelle 20 personnes – sa taille a doublé depuis 1990 –, travaille en étroite collaboration avec les quelque 650 représentants de ses compagnies adhérentes. Les affaires sont essentiellement traitées par 12 sous-comités se consacrant aux problèmes majeurs tels que le commerce, la consommation, les initiatives fiscales et la politique de compétitivité ; les points de détails sont traités par une quarantaine de groupes de travail spécialisés. Pour ne prendre qu’un exemple, le sous-comité chargé de l’environnement, constitué d’environ 100 entreprises, se divise en dix groupes de travail spécialisés dans des problèmes spécifiques tels que l’emballage, la responsabilité juridique, les déchets ou la fiscalité écologique. Ces groupes tentent continuellement de modifier ou d’empêcher les législations de l’UE qui pourraient être contraires aux intérêts des firmes membres de l’AMCHAM. Au printemps 1999, par exemple, cette dernière exerça une pression acharnée pour modifier les propositions sur le retraitement des déchets, qui prônaient le recyclage plutôt que l’incinération. L’AMCHAM exhorta cyniquement l’Union à « se défaire de son interprétation rigide de la hiérarchie » et à reclasser l’incinération parmi les procédés écologiques (12).
Perçue comme l’un des plus puissants lobbies de Bruxelles, l’AMCHAM est fière de l’accueil chaleureux qui lui est fait et des étroites relations de travail qu’elle entretient avec les institutions européennes. « Je ne dis jamais : “La section européenne de l’AMCHAM a fait ceci… Nous avons influencé cela… Ces amendements sont de nous”, déclare modestement Russel. Mais si la Commission vous contacte pour vous inviter à une réunion ou s’ils se montrent positivement ravis de vous rencontrer lorsque vous les contactez, alors, cela devient très utile (13). »
Les réglementations européennes sur le commerce électronique ne sont que quelques-unes des nombreuses politiques sur lesquelles ont peut reconnaître l’influence de l’AMCHAM. Grâce à d’efficaces manœuvres de pression, elle est parvenue à décourager la mise en place d’une fiscalité défavorable à l’industrie et diverses autres réglementations gouvernementales. La nature transnationale de l’AMCHAM permet une comparaison rigoureuse des lois et des réglementations des pays dans lesquels opèrent ses entreprises adhérantes. Russell explique ainsi avec jubilation que ce club international peut « d’un point de vue global, apporter sa connaissance approfondie de ce qui se passe dans d’autres secteurs… C’est presque une évaluation comparative de ce qui fonctionne bien dans d’autres systèmes (14). »
Pro-mondialisation, pro-ue
La mondialisation économique explique le fait que l’AMCHAM et des lobbies industriels européens tels que l’ERT et l’UNICE soient capables de s’adresser à l’unisson aux décideurs bruxellois. Selon Russell, ceux qui constituent l’AMCHAM « sont généralement ceux qui accompagnent le processus de mondialisation » ; par conséquent, les entreprises transnationales européennes « ont tendance à être nos alliées naturelles » alors que « les secteurs de l’industrie européenne qui demeurent très attachés à l’économie locale » restent sur le bas-côté. Comme ses organisations-sœurs européennes, l’AMCHAM est une fervente enthousiaste de l’unification européenne : « Il se peut que nous ayons des points de désaccord avec la Commission ou le Parlement, déclare Russell, mais la direction stratégique que prend l’Europe – vers plus d’intégration et avec une vraie volonté des compagnies de traiter plutôt avec Bruxelles qu’avec les administrations et les institutions politiques des quinze États membres – va parfaitement dans la bonne direction (15). »
Pour les firmes américaines auxquelles l’accès politique aux États membres de l’Union fait généralement défaut, les pouvoirs grandissants d’une Commission européenne indépendante a, pendant les années 1980, offert une chance en or pour l’exercice de l’influence politique. Leurs efforts ayant tout d’abord été canalisés au travers de l’AMCHAM (16), il n’est pas surprenant que celle-ci soit farouchement favorable à une Union européenne forte et centralisée. Selon Russell, l’AMCHAM demande continuellement « une augmentation des pouvoirs de Bruxelles – avec probablement plus d’insistance encore que l’industrie européenne, qui reste dépendante des intérêts spécifiques de certains États membres (17). »
Quoi qu’il en soit, dans sa fonction de représentante des intérêts des firmes américaines, l’AMCHAM reste contrainte dans certaines limites quant à ce qu’elle peut dire et à sa façon d’opérer : « Nous faisons très attention aux limites, explique Russell. Nous sommes toujours étiquetés étrangers et il faut ménager les susceptibilités (18). » Il est, en effet, plus fréquent que les initiatives d’importance de la Commission soient inaugurées en présence d’un représentant de l’ERT plutôt que d’un PDG de l’AMCHAM. De plus, il est impossible pour les firmes qualifiées « d’européennes avec parenté américaine » de devenir membres de groupes de travail de haut niveau tels que le CAG [voir chap. III]. Il est cependant indubitable que dans les opérations quotidiennes moins visibles de la machine politique bruxelloise, l’AMCHAM représente un réel poids lourd.
CHAPITRE VI
L’AUME
à reluire de l’Union monétaire
Ce soir, je me sens vraiment comme chez moi parmi mes amis. Quand je suis devenu président de la Commission en 1995, l’Association était quasiment le seul organisme à nous soutenir dans notre ferme conviction que la monnaie unique deviendrait une réalité. C’est donc comme jouer sur son propre terrain.
JACQUES SANTER (1)
Basée à Paris, l’Association pour l’Union monétaire européenne [AUME], a été créée en 1987, bien avant la ratification du Traité de Maastricht et l’Union dont elle porte le nom. Officiellement due à l’initiative de l’ancien président français Giscard d’Estaing et de l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, elle fut en réalité fondée par 5 grandes firmes, membres de l’ERT [voir chap. III] : Fiat, Philips, Rhône-Poulenc, Solvay et Total. L’un des personnages clé du Marché unique fut le premier président de l’AUME : Wisse Dekker, alors PDG de Philips et président de la Table Ronde – qui fournit également sept des 30 actuels membres du conseil de l’AUME : le vicomte Étienne Davignon (Société Générale de Belgique), François-Xavier Ortoli (Total), Giovanni Agnelli (Fiat), Jean-René Fourtou (Rhône-Poulenc), André Leysen (Gevaert), Dudley Eustace (Philips) et Karl-Hermann Baumann (Siemens). De plus, environ un tiers des compagnies représentées à l’ERT est également présente à l’AUME, dont la majorité des 300 membres actuels provient des secteurs financier et bancaire de l’Union européenne (2).
Malgré cette évidente imbrication, l’AUME ne fait pas état de tels liens dans ses publications. En réponse à une question sur les rapports entre les deux groupements, le secrétaire général de l’AUME, Bertrand de Maigret, explique : « Nous avons décidé que l’ERT ne travaillerait pas sur les problèmes monétaires et que ce serait nous qui le ferions. Nous avons des rapports amicaux – une sorte de partage des tâches (3). » Étienne Davignon, ex-commissaire européen à l’Industrie, ex-membre de la Table Ronde et président actuel de l’AUME a confirmé ce « partage des tâches » mais en insistant sur le fait qu’« il n’y aucune divergence dans [les] conclusions (4)».
Frappons la pièce
Obsédée par la compétitivité internationale, l’Europe industrielle s’est très tôt fermement exprimée en faveur de l’Union monétaire : « Le Japon a une seule monnaie. Les USA ont une seule monnaie. Comment la Communauté peut-elle vivre avec douze ? », pouvait-on lire dès 1991 (5). Groupe d’action tout entier consacré à ce seul sujet, l’AUME fut donc fondée pour accompagner la campagne de la Table Ronde en faveur de l’union économique et monétaire de l’Europe.
Les fondateurs de l’AUME ont décidé de n’accepter pour membres que des représentants des secteurs industriels et financiers, excluant syndicats, associations de consommateurs et autres groupements d’intérêt. Comme l’a indiqué son président Étienne Davignon, « nous ne parlons pas au nom de tous, nous parlons en notre nom propre. [L’AUME] ne pourra être efficace que si elle est proposée par des gens qui lui sont favorables et sans compromis (6). » La Confédération des employeurs européens [UNICE] en est également membre et ses présidents ancien et actuel, George Jacob et François Périgot, siègent tous deux au conseil d’administration de l’AUME.
L’union monétaire sur les rails
Durant ses premières années d’existence cette association avait une mission claire : faire mettre officiellement l’Union monétaire et économique à l’ordre du jour des réunions des États membres. De nombreux politiciens européens en rêvant depuis longtemps, une forte volonté politique en faveur d’un tel projet préexistait à la création de l’AUME. Cependant, comme l’affirma avec reconnaissance le président Jacques Santer en 1998, « les membres de l’Association ont constitué une force d’impulsion majeure derrière le projet de l’Union monétaire. Nombre de vos entreprises ont joué un rôle décisif en exposant clairement les avantages de la monnaie unique pour le secteur privé comme pour la société dans son ensemble (7). » De plus, les politiciens n’arrivant pas à s’accorder sur des dates précises de mise en place de l’Union monétaire dans le Traité de Maastricht, les lobbies industriels obtinrent par la pression l’adoption d’un calendrier bien défini. Les gouvernements ont été « très heureux de trouver le soutien de l’industrie et du monde bancaire lors des préparations à la rédaction du traité, explique de Maigret. Nous avons eu diverses discussions au plus haut niveau (8). »
Sur le rôle joué par l’AUME dans le soutien des milieux européens des affaires et de la finance à l’Union économique et monétaire, Davignon n’est pas moins enclin à l’autocongratulation : « On ne peut pas s’enorgueillir de cela. Au bout du compte, il faut beaucoup de gouttes d’eau pour faire la mer… Ce qui est important, c’est que nous avons toujours été considérés comme très utiles par la Commission. Ainsi, d’ailleurs, que par les divers États membres qui ont tous, à présent, mis en place des groupes techniques pour traiter ce type de problèmes. Ils demandent toujours que des représentants de l’AUME y assistent (9). »
L’union monétaire & économique étayée
Bien que le Traité de Maastricht ait définitivement mis l’Union économique et monétaire à l’ordre du jour officiel, c’est seulement au sommet de Madrid, en 1995, qu’ont été prises les décisions cruciales relatives aux aspects pratiques de sa mise en place : « Avant le sommet de Madrid, les efforts étaient consacrés à vanter la monnaie unique aux entreprises et aux gouvernements nationaux… Le travail a ensuite consisté à préparer les banques et les entreprises au passage à l’euro (10). »
L’AUME se flatte d’avoir organisé plus de 1 000 conférences et séminaires depuis 1989, dont plus de la moitié entre 1996 et 1998 (11). Des représentants de la Commission ou des pays membres participaient à ces réunions de nature généralement technique ; les efforts se concentrant stratégiquement sur les pays les plus réticents. En 1997 et 1998, par exemple, l’association a organisé 90 réunions en Allemagne « pour gagner l’adhésion à l’euro d’un public souvent sceptique (12)», et presque la moitié d’entre elles auraient été « organisées à la demande et avec la participation active de membres allemands du Parlement (13)». En outre, l’AUME a engagé un cabinet de relations publiques qui conçut pour les presses allemande et autrichienne des bulletins hebdomadaires sur les grandes lignes de l’Union monétaire (14).
La coopération entre l’AUME et les institutions européennes va cependant bien au-delà de simples réunions communes. Dans un rapport de 1994, l’association recommandait à la Commission de mettre en place un comité indépendant pour travailler plus en profondeur le passage à l’Union monétaire (15) – une décision qu’avait en fait déjà prise la Commission : « un comité d’experts indépendants consacré à l’introduction de l’euro en tant que monnaie unique ». Mais ce que la Commission entendait par « indépendant » devint plus claire en 1994 quand la composition en fut rendu publique : sur les 12 experts, un seul représentant des associations de consommateurs pour trois membres du conseil de l’AUME – Étienne Davignon (Société Générale de Belgique), Philippe Lagayette (Caisse des Dépôts et Consignations) et Tom Hardiman (IBM Europe) (16). Se basant sur le travail de ce comité, la Commission a publié, en mai 1995, un Livre vert sur les procédures de passage à la monnaie unique, rapidement suivi d’un rapport de l’Institut monétaire européen [IME] (17) soutenant les propositions du dit livre (18). Les deux rapports ont été utilisés au sommet de Madrid en décembre 1995, pour engager le Conseil européen à lancer rapidement l’Union monétaire et économique (19).
Non contente de prendre part aux groupes d’experts officiels et d’aider à mettre en forme le scénario final de la transition à l’Union monétaire, l’AUME publia des rapports et des études universitaires ayant pour objectif de contrer critiques et scepticisme (20). Avec le soutien financier de la Commission, l’AUME a ainsi rédigé et fait distribué des millions de guides pratiques de préparation.
Pour mieux mesurer encore une telle influence, il faut noter que la Commission et le Parlement font appel à l’AUME pour les soumissions publiques nécessitant une expertise monétaire (21). Officielles ou officieuses, ces consultations sont très fréquentes : « C’est une façon de travailler en toute confiance, explique Bertrand de Maigret. Ils nous appellent, nous les appelons, nous les voyons, nous discutons des problèmes. Ils sont très souples. Je ne fais pas partie de ceux qui critiquent l’administration de la Commission. Ils sont très ouverts au dialogue, au moins en ce qui concerne le monétaire (22). » Les gouvernements nationaux auraient toujours trouvé, selon Étienne Davignon, beaucoup d’intérêt à les entendre : « Ils se rendent avec plaisir à nos assemblées générales dans divers pays. Les Premiers ministres viennent généralement pour y intervenir et les directeurs de banques centrales sont également présents (23). »
Contrairement à ce qui se produit pour d’autres relations symbiotiques entre firmes et politiciens, seuls les groupes industriels et financiers ont prêté attention à la connexion entre l’AUME et la Commission. Selon Davignon, « dans ces domaines, l’industrie inspire nettement moins de suspicion. Il ne s’agit pas, ici, du lobby de l’industrie automobile, de l’électronique, du multimédia, de la déréglementation des banques ou de quoi que ce soit d’autres, mais d’un débat sur une utilisation améliorée du marché interne (24). »
Il est né le divin euro
La naissance de l’euro, le 1er janvier 1999, n’a pas sonné le glas de l’AUME. Bien au contraire, celle-ci semble plus ambitieuse que jamais. Afin de s’assurer que l’industrie et les banques puissent récolter les bénéfices attendus de l’Union monétaire, l’AUME a mis en place un programme spécial d’évaluation comparative pour les entreprises, et elle continue d’assister le monde de l’industrie dans sa préparation à l’euro en organisant des conférences et en divulguant du matériel informatif.
Les détaillants et l’industrie du tourisme ont ainsi fait l’objet d’une assistance particulière pour préparer la transition, et les consommateurs furent submergés d’une propagande destinée à faire accepter l’euro plus rapidement et plus facilement.
En outre, l’AUME projetant d’encourager le Danemark, la Suède, le Royaume-Uni et les pays d’Europe centrale et orientale à intégrer l’Union monétaire, elle informe leurs milieux industriels sur les avantages attendus de la monnaie unique afin qu’ils fassent, à leur tour, pression sur leurs gouvernements nationaux.
Les tentacules de l’aume passent les frontières
La dernière lubie de l’AUME est la dimension planétaire de la nouvelle monnaie. Ces experts s’attendent à ce que l’euro apporte à l’UE un avantage cambial au niveau mondial qui, dans un second temps, augmentera le volume des exportations européennes.
Pour améliorer la stabilité des marchés financiers, un dialogue fut donc entamé avec les industries américaine et japonaise pour prévenir des fluctuations excessives des taux de change de l’euro, du dollar et du yen. À domicile, l’AUME voit dans cet événement l’occasion de redéfinir le marché des capitaux européens. Elle fait donc pression en faveur de l’harmonisation du droit industriel et de la législation des marchés financiers dans l’espoir de catalyser la croissance des marchés financiers européens. Et pour transformer l’entité économique qu’est l’euro-zone en une influente puissance politique mondiale, désireuse de voir l’Union s’exprimer d’une seule voix dans l’arène internationale, l’AUME œuvre pour qu’un seul représentant européen assiste aux réunions du G-8.
De tels rêves planétaires se reflétèrent, pour la 9e réunion annuelle de l’AUME à Francfort, le 1er juillet 1998, en une très clinquante liaison satellite de diverses conférences financières se déroulant simultanément à Londres, Milan, New York, Paris et Tokyo. Une autre conférence avait également été organisée à New York en avril 1998, offrant à plusieurs centaines de financiers américains l’opportunité de débattre de l’euro avec le Commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Yves-Thibault de Silguy, Alexandre Lamfalussy (à l’époque président de l’Institut monétaire européen) et le secrétaire adjoint au Trésor américain Lawrence Summers. Mais le plus flagrant exemple de l’intégration de l’AUME dans le monde financier à l’échelle planétaire reste probablement la date de sa réunion à Hong Kong en septembre 1998, qui coïncidait avec celle des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale.
De ses modestes origines d’enfant spirituel de quelques PDG de l’industrie et de quelques membres de la Commission de l’Union européenne, l’AUME s’est donc hissé au rang d’acteur majeur du jeu de la planification économique et monétaire mondiale.
Marché & monnaie uniques, mais la démocratie ?
L’AUME présente l’Union économique et monétaire comme une étape logique vers l’accomplissement de ce Marché unique qui n’est pas toujours aussi « performant » que le souhaiterait le monde de l’industrie. Selon de Maigret, cette union apportera « une stabilité monétaire et des certitudes à long terme qui augmenteront l’investissement productif, généreront des économies d’échelle et supprimeront certains coûts de production qui, à leur tour, entraîneront compétitivité, ventes, croissance économique et création d’emplois (25). » On se garde donc bien d’évoquer d’autres réalités de l’euro-zone. En fait, nous avons affaire à l’une des expériences économiques de ces dernières décennies à entraînant le plus de conséquences à long terme – d’ores et déjà responsable d’une perturbation sociale et économique à travers toute l’Europe.
Les critiques à l’encontre de l’Union monétaire émises par les mouvements de citoyens ont pour principal objet les critères de convergence imposés par le Traité de Maastricht. Ces critères obligent les pays candidats à ramener leurs dettes publiques, leurs taux d’inflation, leurs déficits budgétaires et leurs taux d’intérêt à long terme au-dessous de certains niveaux repères. Dans la plupart des pays, ces critères ont été remplis grâce à de spectaculaires réductions budgétaires, affectant particulièrement les programmes sociaux, de santé et d’éducation, et en combinaison avec le contrôle des salaires et une privatisation à tout va. Ainsi, le chômage en Europe est nettement plus haut qu’il ne l’était fin 1991, lorsque le Traité de Maastricht a été signé. À elle seule, l’Allemagne a vu plus de trois millions de personnes rejoindre les files d’attente des agences pour l’emploi.
Les critères de convergence ont été renforcés et durcis par le Pacte de stabilité et de croissance adopté en juin 1997 au Conseil d’Amsterdam. Par cet accord, les membres de l’UME se sont engagés à maintenir leur déficit budgétaire national au dessous de 3 % du PNB (26). S’ils s’avèrent incapables de remplir ces conditions, ils s’exposent à de lourdes amendes. Malgré les mouvements sociaux qu’ont déjà engendrés ces révisions structurelles, l’AUME reste toutefois optimiste : « Il semble que le chemin de la convergence pour l’UME ait été un douloureux voyage vers une vie meilleure en Europe. Que le paradis soit éternel n’est pas encore démontré (27). »
L’union monétaire constitue au niveau national une menace à l’encontre de la démocratie qui fut précisément dénoncée : la politique monétaire étant désormais du ressort de la jeune Banque centrale européenne [BCE] (28), les gouvernements des États membres perdent un des instruments politiques les plus cruciaux dont ils disposaient jusqu’alors pour réagir aux crises économiques. Il ne leur appartiendra plus désormais de dévaluer leurs monnaies, de modifier leurs taux d’intérêt ou de s’autoriser des déficits budgétaires temporaires pour revitaliser leurs économies. La monnaie sera régie par un organisme non élu, n’ayant de comptes à rendre à personne, et qui se conformera au type de mesures rigides que la Bundesbank édicte pour lutter contre l’inflation.
La réponse à ce déficit démocratique n’est pas précisément rassurante : la Banque centrale aura besoin de toute sa liberté pour remplir sa mission, qui consiste à garantir la stabilité des prix, et le fait qu’elle n’est responsable devant personne a été approuvé par des chefs d’États élus (29). Sur les dangers de ce déficit démocratique, la réponse du Vicomte Davignon est sans équivoque : « Je trouve que c’est n’importe quoi (30). »
Les « effets secondaires » de l’euro
L’Union monétaire européenne va donner une impulsion phénoménale à la vague de fusions et d’acquisitions qui, depuis quelques années déjà, balaie l’Europe à la suite de la mise en place du marché unique et de l’intensification de la mondialisation économique. Les secteurs bancaire et de l’assurance ont été particulièrement touchés par la fusion-mania, conséquence de la recherche de marchés plus vastes, de réductions de coûts, d’économies d’échelle et de toujours plus de marges bénéficiaires. Les concurrents les plus faibles sont rachetés ou évincés par les nouveaux mastodontes – ainsi, récemment la banque belge BBL reprise par la firme hollandaise ING Group et la fusion des grandes compagnies d’assurance Zurich et Bat. On s’attend à la disparition de dizaines de milliers d’emplois et à la fermeture de la moitié environ des 166 000 agences bancaires européennes. Des effets qui ne se limiteront pas aux services financiers : selon une estimation modérée, la fusion-mania européenne résultant de la monnaie unique pourrait, dans son sillage, mettre au chômage un vingtième des employés de l’industrie (31).
Les entreprises qui organisaient leurs activités pays par pays travaillent de plus en plus à l’échelle européenne. L’euro accélère ce processus en faisant tomber les dernières barrières – telles que les risques de fluctuations cambiales. À la perspective des fabuleuses opportunités d’économies d’échelle promises par ce nouveau marché unitaire encore plus grand que le leur, les multinationales américaines ont également accueilli l’euro à bras ouverts. Ainsi que l’explique Rob Fried – d’Allied Signal, producteur américain d’électronique et d’armes –, la possibilité de travailler sur l’ensemble de l’Europe donne aux grandes firmes un énorme avantage sur les entreprises de moindre envergure produisant pour les marchés locaux car cela « supprime certains frais et entraîne des économies d’échelle (32)». Reebok International, producteur américain d’équipements sportifs, en offre un exemple frappant : les 14 entrepôts de distribution de son marché européen en 1995 ont été réduits à 10 en 1998 ; depuis le 1er janvier 1999, date de la naissance de l’euro, il n’en reste qu’un. Tout le continent est aujourd’hui approvisionné par ce seul centre de distribution situé aux Pays-Bas (33). Cette tendance n’entraîne pas uniquement des pertes d’emplois mais également une augmentation écologiquement dangereuse du transport des produits sur de longues distances.
On attend également de l’Union monétaire qu’elle entraîne une concurrence internationale de plus en plus féroce. L’euro va rendre possible la comparaison instantanée des prix et de la productivité dans toute l’euro-zone, accélérant ainsi la tendance à la délocalisation dans les régions les plus compétitives. On peut facilement prévoir une intensification de la concurrence entre les pays et les régions pour attirer les investisseurs (34). Pour citer un économiste de Morgan Stanley : « Si l’on supprime la devise nationale comme soupape de sécurité, les gouvernements devront se concentrer sur les changements concrets à effectuer pour devenir plus compétitifs : impôts plus bas, flexibilité du marché du travail et cadres réglementaires plus favorables à l’industrie (35). »
Au cours des 10 dernières années, presque tous les États membres de l’UE ont baissé leurs impôts, industriels ou autres dans le but de se rendre plus attractifs aux yeux des investisseurs [voir chap. I]. Il n’est donc guère surprenant que les industriels voient là comme une évolution très positive : « Libérées par l’euro, les forces du marché ne seront pas uniquement prises en compte par les dirigeants des grandes firmes mais aussi par les dirigeants politiques, explique Jürgen Schrempp, PDG de DaimlerChrysler. Confrontés à la concurrence, les élus finiront, pour tenter d’attirer des investissements créateurs d’emplois, par baisser les impôts industriels et moderniser les réglementations (36). » Il est presque inévitable que la concurrence entre les régions de l’euro-zone pour offrir le climat le plus favorable possible à l’investissement aille à l’encontre de politiques sociales progressistes telles que la réduction du temps de travail, la taxe écologique et d’autres mesures en faveur de la protection des populations ou de l’environnement.
L’Union monétaire européenne est en fait très différente de l’autre grande zone à monnaie unique à laquelle elle est souvent comparée : les États-Unis. Mais la mobilité géographique est aux USA beaucoup plus aisée qu’en Europe, où les différences culturelles et linguistiques sont très prononcées : une migration massive de main-d’œuvre de zones sans emplois vers des zones d’emploi y est difficilement concevable. En outre, contrairement au gouvernement fédéral américain, l’UE n’est pas en mesure de procurer un soutien financier aux États confrontés à des problèmes économiques et où subsitent un taux de chômage important. Un mouvement majeur puisqu’il est fort probable que la monnaie unique entraîne de plus grandes disparités entre les différentes régions européennes. La concurrence féroce pour les investissements internationaux fera des gagnants et des perdants… Et nombreux sont les observateurs qui s’attendent à voir les régions « les moins favorisées » – dont certaines parties de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce – de plus en plus marginalisées. Une distribution plus équitable des richesses entre les régions européennes exigerait une forte augmentation de la contribution des États membres au budget de l’Union, qui n’est actuellement que de 1,25 % du PNB.
Le débat, début 1999, sur les politiques de la Banque centrale européenne [BCE] a peut-être constitué l’exemple le plus troublant de la façon dont la monnaie unique, en combinaison avec la déréglementation économique, limite le champ d’action du processus décisionnel démocratique. Des sociaux-démocrates tels que l’ex-ministre des Finances allemand Oskar Lafontaine ont publiquement proclamé que la Banque européenne devrait participer aux efforts de création d’emplois en baissant les taux d’intérêt. Son président Wim Duisenberg a promptement et très négativement réagi en rappelant que cette banque était indépendante et que la stabilité des prix était sa mission première, accusant Lafontaine de la chute du taux de change de l’euro par rapport au dollar – l’intervention du ministre aurait détérioré la confiance des marchés financiers vis-à-vis de la nouvelle devise (37).
Par conséquent, non seulement la BCE échappe à tout contrôle démocratique mais l’idée même d’un débat sur ses politiques est taboue : par crainte d’éventuelles représailles des marchés financiers ! Les analystes économiques comparent à juste titre la monnaie unique à un « cheval de Troie (38)» : une façon sournoise d’introduire de spectaculaires changements structurels porteurs de dangereuses conséquences sociales en éveillant un minimum d’opposition de la part des électeurs et des groupements de citoyens. Les effets négatifs de la monnaie unique ne seront entièrement reconnus que lorsqu’il sera trop tard pour réparer les ravages qu’elle a causés – et continue de causer – sur les sociétés européennes.
CHAPITRE VII
Faire des affaires :
le traité & les lobbies
Dans le froid matinal du 2 octobre 1997, un groupe de manifestants se rassemblait devant le Palais Royal, au centre d’Amsterdam, scandant des slogans anti-euro à l’adresse des chefs d’État qui, l’un après l’autre, émergeaient de leurs limousines pour assister à la cérémonie de signature du nouveau Traité de l’Union européenne. Limousines et manifestants restèrent à attendre que les dirigeants ressortent du Palais. Ils furent peu nombreux à remarquer les hommes qui, par une porte de service, évacuaient et chargeaient hâtivement dans une camionnette plusieurs containers scellés en aluminium. Le véhicule et son précieux chargement – les originaux signés du Traité d’Amsterdam – furent escortés par la police à travers la ville. Cette discrète opération mettait un point final à la tout aussi discrète naissance du nouveau traité.
Les deux principaux lobbies européens, la Table Ronde des industriels [ERT] [voir chap. III] et la Confédération industrielle et patronale [UNICE] [voir chapitre IV], avaient travaillé d’arrache-pied pour peser sur la révision du Traité de Maastricht. Au cours des quinze mois qu’a duré la Conférence intergouvernementale, dont le point culminant fut le sommet d’Amsterdam de juin 1997, ces deux lobbies usèrent pleinement de leur accès privilégié auprès des décideurs du plus haut niveau. Leurs exigences étaient identiques : premièrement, le pouvoir de l’Union européenne – et tout particulièrement le rôle de la Commission – devrait être renforcé au même titre que sa « capacité d’agir » ; deuxièmement, l’UE devrait respecter les programmes précédemment adoptés pour l’Union monétaire et l’expansion vers l’Est ; enfin, la révision du traité ne devrait laisser aucune place à la prise en compte des préoccupations écologiques ou sociales qui pourraient nuire à la compétitivité industrielle. En fait, afin d’éviter des réactions publiques négatives – telles que celles rencontrées cinq ans auparavant lors de la signature du Traité de Maastricht –, le nouveau traité est moins radicalement centrée sur l’unification. Quoi qu’il en soit, il ne s’écarte guère de la voie pro-industrielle tracée par son prédécesseur.
La conférence intergouvernementale
Le traité de 1991 annonçait sa propre révision par une « conférence des représentants des gouvernements des États membres (1)» fixée pour 1996. En prévision, le Conseil européen créa, en juin 1995, un groupe de réflexion ayant pour tâche d’identifier les questions sur lesquelles la conférence intergouvernementale devrait se pencher (2). Ce groupe a présenté son rapport final au Conseil en décembre 1995. Il fixait trois objectifs principaux à la conférence : « Rendre l’Europe plus intelligible à ses citoyens […], permettre à l’Europe de mieux fonctionner, la préparer à l’expansion [et] améliorer les capacités d’action extérieure de l’Union (3). »
Malgré ce prétendu objectif de « rendre l’Europe plus intelligible », la conférence intergouvernementale se caractérisa, dès ses débuts en mars 1996, par son manque total de transparence. Au sommet d’Amsterdam, en juin 1997, considérant que certains problèmes avaient été négligés durant le processus de révision du traité, plus de 500 000 personnes manifestèrent contre le chômage, la précarité et l’exclusion sociale. Le message adressé aux dirigeants politiques était clair : il n’est pas acceptable que 20 millions de chômeurs et plus de 50 millions de citoyens vivent dans la précarité. Mais la réunion se poursuivit dans la sécurité d’un cocon isolé de l’extérieur par des milliers de policiers anti-émeutes qui nettoyèrent les rues de toute opposition à l’Union européenne par de régulières arrestations en masse. Assez symboliquement, les négociations finales se sont déroulées dans l’enceinte du siège social de la Banque nationale des Pays-Bas, dont les faux airs de forteresse étaient encore accentués par les cordons de forces spéciales de police de sécurité qui l’encerclaient.
Les mouvements de citoyens qui avaient rêvé que la conférence accoucherait d’une « Europe sociale et écologique » avaient toutes les raisons d’être déçus. Après quelques maquignonnages lors des dernières heures du sommet d’Amsterdam, le Premier ministre hollandais Wim Kok évoqua, dans la conférence de presse finale, les réussites et avancées obtenues dans des domaines tels que la démocratie, l’emploi et l’environnement. Mais un coup d’œil plus attentif sur le Traité d’Amsterdam inspire de sérieux doutes quant à ces déclarations enthousiastes. Dans le cadre du nouveau traité, l’UE continuera plus ou moins à suivre les lignes tracées par celui de Maastricht. Ainsi, au cours des cinq dernières années, le régime s’est avéré extrêmement avantageux pour le milieu des lobbies industriels. Tout comme son prédécesseur, le nouveau traité accueille chaleureusement les exigences de nouvelles diminutions de la dépense publique, de déréglementation, de privatisation, d’expansion de l’infrastructure, de libéralisation du commerce international, etc. Dans certains domaines, le Traité d’Amsterdam est même plus accommodant encore envers l’industrie, grâce à d’ambitieuses campagnes de pression menées par l’ERT et l’UNICE durant la conférence intergouvernementale.
Troupes d’élite
L’ERT s’était assurée que les décideurs, au niveau européen comme aux niveaux nationaux, étaient bien au fait de ses desiderata pour la conférence. Selon Keith Richardson, son ex-secrétaire, la contribution de la Table Ronde dans cette affaire fut de « rencontrer des politiciens et des représentants gouvernementaux pour les encourager simplement à aller de l’avant (4). » Autrement dit, les manœuvres de pression furent méthodiques et efficaces : « Nous essayons de voir tous les gouvernements qui traitent avec la présidence européenne, explique Richardson. Par exemple, nous avons rencontré Wim Kok et discuté avec lui au début de l’année parce qu’il siège à la présidence (5). » D’autres gouvernements ont également eu droit à des éclaircissements sur le point de vue du monde de l’industrie : « Nous avons parlé aux Espagnols, aux Italiens, aux Irlandais, aux Hollandais et nous avons parlé aux Allemands et aux Français parce que ce sont d’importants acteurs européens (6). »
Dès le début du processus enclenché par la conférence intergouvernementale, la Table Ronde s’est assurée de la participation de l’industrie à la révision du traité. Bien avant le début des négociations, elle avait déjà constitué un groupe de travail spécial, présidé par Helmut Maucher, PDG de Nestlé (7). Ce dernier parvint à rencontrer le président du Groupe de réflexion, Carlos Westendorp, alors qu’il n’en était encore qu’à la préparation de son rapport. En mai 1995, une délégation de l’ERT rencontrait Helmut Kohl, alors chancelier allemand, pour débattre d’un rapport préparatoire rédigé par le groupe de travail sur la conférence. « Toutes sortes de rencontres ont eu lieu, une très grande partie d’entre elles au plus haut niveau, précise Richardson. Le succès de l’ERT s’explique partiellement par le fait que tous [nos membres] sont engagés en permanence dans des discussions particulières. Ils rencontrent souvent leurs propres gouvernements, les journalistes, les groupes industriels. Je rencontre beaucoup de gens à Bruxelles et je transmets les messages à ma façon. Il y a donc eu beaucoup de discussions autour de la conférence intergouvernementale (8). » La raison du traitement spécial dont bénéficient les membres de l’ERT serait, selon Keith Richardson, « que si Wim Kok rencontre l’ERT, il rencontre cinq ou six présidents de grandes firmes. Et tous ont une certaine autorité personnelle (9). »
Une armée de bureaucrates
De son côté, un lobby comme l’UNICE, club de fédérations patronales nationales, influença à son niveau les décisions : « Nous approcherons, quels qu’ils soient, ceux qui présideront la Conférence Intergouvernementale, expliquait Zigmunt Tyszkiewicz, début 1997, alors secrétaire général de l’UNICE. Pour l’instant, ce sont les Hollandais. Avant, c’était les Irlandais. Pour la seconde moitié de l’année, ce sera le gouvernement luxembourgeois… Chacune de nos fédérations parle à son représentant propre à la Conférence intergouvernementale sur la base des politiques que nous élaborons ici (10). »
Selon son habitude, l’UNICE submergea ses cibles, cette fois les intervenants importants de la conférence, sous un déluge de lettres et de rapports. Datant du 23 septembre 1996, un courrier du président de l’UNICE, François Périgot, à John Bruton, alors président irlandais du Conseil européen, dressait, par exemple, la liste des souhaits de son lobby quant à la révision du traité et demandait un entretien avant l’imminente réunion additionnelle du Conseil européen à Dublin – des copies de cette lettre étant en outre adressées à tous les chefs d’État de l’Union, au président de la Commission et aux parlementaires.
Comment obtenir une bonne structure
L’un des principaux objectifs officiels la conférence était la révision en profondeur des procédures de vote et de représentation nationale au sein des institutions européennes afin de se préparer à l’arrivée de nouveaux États membres. Une telle réforme institutionnelle figurait parmi les exigences de l’ERT et l’UNICE, non seulement pour faciliter le processus d’expansion mais également comme constituant une « meilleure façon de diriger l’Europe (11)». Ces lobbies firent aussi pression en faveur d’« institutions plus efficaces » : pouvoirs accrus pour la Commission, vote à majorité qualifiée au Conseil « afin que les décisions essentielles ne soient pas reportées (12)» et simplification des procédures du Parlement « particulièrement en ce qui concerne la codécision (13)». L’industrie n’a pas caché que, de son point de vue, l’héritage institutionnel de Maastricht constituait un obstacle à la compétitivité de l’Europe dans son ensemble : « Nous pensons fortement que l’Europe ne peut pas adapter son pas à celui des plus lents, expliquait Richardson. Les États-Unis ne pourraient rien faire si toutes les décisions devaient être ratifiées par ses 52 États (14). »
En fait, la réforme institutionnelle fut de loin le point le plus controversé lors des négociations, et il y eut nettement moins de transformations structurelles que prévu. Bien que le mandat du Conseil des ministres pour le vote à majorité qualifiée ait été étendu à un certain nombre d’autres secteurs (dont l’emploi, la coopération des douanes, l’adoption de programmes de recherche et la protection de la vie privée), cela ne concernait pas les domaines sur lesquels une telle méthode de vote et la procédure de codécision auraient pu avoir une incidence (comme, par exemple la fiscalité et, par conséquent la taxe écologique). Les pouvoirs du Parlement européen ont été, cependant, un tant soit peu accrus grâce à l’extension de la procédure de codécision à plusieurs nouveaux domaines (15). L’industrie a particulièrement apprécié l’augmentation des pouvoirs du président de la Commission – ce qui, selon Richardson, « va apporter un peu de cohérence au sein de la Commission et rendra la vie plus facile aux milieux industriels (16). »
L’accomplissement du marché unique
Protéger, tout en le perfectionnant, le marché intérieur européen est depuis longtemps l’obsession des lobbies industriels, qui ont, comme on pouvait le prévoir, insisté sur ce point lors des négociations de la conférence intergouvernementale. L’UNICE proposa par exemple le 1er janvier 1999 comme date butoir pour la libéralisation des services publics et des marchés de l’énergie, des transports et des télécommunications ainsi que pour la mise en œuvre du réseau de transport trans-européen [TEN] [voir chap. VIII] et la suppression des barrières fiscales, soulignant notamment que « toute tentation de rétablir de nouvelles barrières commerciales, entre autres pour des raisons écologiques, devrait être combattue (17)».
Une nouvelle fois, les lobbies industriels peuvent être pleinement satisfaits du résultat. Le sommet d’Amsterdam approuva le « plan d’action pour le Marché unique » proposé par la Commission après consultation intensive de l’ERT et autre UNICE. Le « plan d’action » proposait l’ouverture de nombreux nouveaux domaines – dont l’énergie, les transports, les télécommunications et la protection par brevetage des produits biotechnologiques – à la concurrence dans l’ensemble de l’Union européenne avant 1999. Un an et demi plus tard, la plupart de ses objectifs avaient été atteints. Ainsi, en février 1999, un communiqué de presse de la Commission annonçait fièrement que le pourcentage des directives relatives au Marché unique non encore appliquées dans tous les États membres était descendu de 35 à 13,9 %. Et la période qui suivit Amsterdam vit l’adoption des directives sur la suppression des barrières commerciales touchant le commerce électronique, la protection des inventions biotechnologiques et la libéralisation du secteur du gaz (18).
La compétitivité, l’emploi & l’environnement
Améliorer la compétitivité de l’Europe était, selon Richardson, la principale raison de l’intérêt de l’ERT pour les délibérations de la conférence intergouvernementale : « La façon dont l’Europe est dirigée est essentielle pour l’industrie. Nous devons être compétitifs dans le monde entier et nous sommes terriblement préoccupés par la compétitivité de l’Europe. En ce sens, la conférence n’est pas seulement un jeu privé pour les politiciens (19). » Même inquiétude pour Tyszkiewicz : « Il est extrêmement décevant que, jusqu’à présent, la principale mesure recommandée par l’UNICE, à savoir faire figurer la compétitivité parmi les objectifs de l’Union, ait été ignorée. En conséquence, l’équilibre entre objectifs sociaux et objectifs économiques dans le Traité risque d’être bouleversé (20). » L’UNICE est même allée jusqu’à proposer une évaluation des effets sur la compétitivité européenne de chaque proposition, directive ou réglementation de l’Union. Du point de vue de ce lobby, les politiques publiques de création d’emplois, la sécurité sociale, les droits du travail et les droits environnementaux constituent des menaces pour la compétitivité. La seule introduction dans le Traité d’un chapitre sur l’emploi la rendit nerveuse, et la mention des droits des travailleurs déclencha de violentes réactions : « L’UNICE est formellement opposée à l’introduction dans le Traité de la Charte sociale ou de tout autre ensemble de droits sociaux fondamentaux ainsi qu’à l’idée selon laquelle l’Union devrait accepter la Convention européenne sur les Droits de l’homme et les libertés fondamentales (21). »
L’attitude de l’ERT fut plus décontractée : Richardson ne sembla pas troublé par l’idée d’un chapitre sur l’emploi, qui serait toutefois « un gros gaspillage de temps. Si les politiciens trouvent important d’avoir un chapitre où est mentionné le caractère souhaitable du plein-emploi, et si ils pensent que cela les aidera vis-à-vis de l’opinion publique, nous n’y voyons pas vraiment d’objection… Si cela ne favorise pas l’emploi cela ne fera pas grand mal non plus – à condition, bien sûr, que cela reste, dans l’ensemble, en accord avec l’esprit du Traité », concéda-t-il (22). Un tel cynisme peut s’expliquer par les connexions de la Table Ronde avec les politiciens du plus haut niveau : « Pas mal de dirigeants européens ont maintenant compris que ce chapitre est relativement insignifiant. Plusieurs Premiers ministres ont admis qu’ils n’allaient pas créer d’emplois (23). » Ce qui, par contre, a plus nettement alarmé l’ERT, c’est la pression du mouvement écologiste en faveur d’une intégration des problèmes d’environnement à chaque chapitre du traité : « Cela cause vraiment beaucoup de problèmes, remarquait Richardson. Si l’on fait figurer l’environnement à chaque chapitre, on pourrait aussi bien faire tout figurer à chaque chapitre du traité. Je pense qu’ils en demandent trop (24). »
Finalement, le nouveau traité comportait bien un chapitre sur l’emploi mais l’industrie s’est inquiétée pour rien puisque la conclusion stipule que « plus d’attention [devrait] être accordée à l’amélioration de la compétitivité européenne comme condition préalable à la croissance et à l’emploi (25). » De façon prévisible, ce chapitre sur l’emploi fut critiqué pour son « champ d’action trop limité » par la plupart des syndicats réunis au sein de la confédération européenne [ETUC], qui se contentèrent des beaux discours sur la lutte contre le chômage et la précarité (26).
Le chapitre sur l’emploi est, en fait, centré sur la création de « petits boulots » flexibles n’offrant que peu de sécurité aux travailleurs. Les gouvernements de l’Union se sont entendus pour « travailler au développement d’une stratégie coordonnée pour l’emploi et plus particulièrement pour encourager l’apparition une main-d’œuvre formée, qualifiée et adaptable à un marché du travail capable de réagir rapidement aux changements économiques (27). » Alors que sont soulignées la nécessité de la compétitivité, de la réalisation du Marché unique et de la croissance économique, n’est proposée aucune esquisse d’actions concrètes pour la création d’emplois ou de sanctions à l’encontre des gouvernements ne respectant pas leurs engagements.
Et l’UNICE fut finalement tout à fait satisfaite du résultat : « Nous n’avons, au départ, voulu à aucun prix de chapitre sur l’emploi mais si nous devons en avoir un, alors celui-ci n’est pas trop mal (28). » Plus fort encore, Tyszkiewicz est même allé jusqu’à suggérer que le nouvel Article 3.2, qui stipule que « l’emploi devra être pris en considération dans la formulation et la mise en place des politiques et des activités de la Communauté », pourrait agir comme « un frein aux initiatives qui portent tort à la compétitivité européenne, telles que les propositions d’augmenter les impôts sur l’énergie… S’il est appliqué de la bonne façon, bien sûr (29). »
Dans ses propositions pour la conférence intergouvernementale, l’ERT s’est servi de l’emploi comme d’un appât pour rendre le concept de compétitivité plus attirant. Et le Conseil d’Amsterdam a fidèlement entériné la relation très douteuse établie par le lobby entre les principes de compétitivité (déréglementation, libéralisation et croissance) et la création d’emplois. Les États membres reçoivent l’instruction « d’encou- rager une main-d’œuvre qualifiée et adaptable en même temps que des marchés du travail flexibles et capables de réagir rapidement aux changements économiques » afin que l’UE puisse « rester compétitive à l’échelle mondiale ». De son côté, le Conseil européen recommande une « réduction de l’ensemble du fardeau fiscal » et « une restructuration restrictive de la dépense publique » pour « encourager l’investissement en capital humain, la recherche et le développement, l’innovation et l’infrastructure, essentiels à la compétitivité » ; pour préconiser enfin « la formation et l’éducation permanente » afin d’améliorer « l’adaptabilité des travailleurs » (30).
Ce programme est si clairement à l’avantage des industries et au détriment des travailleurs recherchant la sécurité de l’emploi que l’on comprend la satisfaction de Richardson quant au débat d’Amsterdam : « Ils ont parlé de l’emploi, le problème politique le plus important, avec une nette inclination pour les bonnes mesures : compétitivité, innovation, adaptabilité et flexibilité des marchés du travail (31). » La compétitivité internationale figure donc plus clairement que jamais dans la constitution de l’Union en tant que clé de l’emploi et du bien-être social en Europe. On ne prête qu’une attention très faible aux risques induits par l’intensification de la concurrence à l’échelle mondiale en termes de sécurité de l’emploi, de protection sociale, de législation écologique ou dans d’autres domaines fondamentaux. Les chances de succès des mouvements écologistes pour obtenir de l’UE qu’un développement durable soit retenu comme objectif officiel sont, par conséquent, très réduites.
Les nouveaux marchés à l’est
Les principaux lobbies industriels menèrent un campagne vigoureuse en faveur de l’expansion rapide de l’Union vers l’Est. Les firmes basées en Europe occidentale ne voient dans l’Europe centrale et orientale qu’un énorme marché attendant d’être conquis et un réservoir de main-d’œuvre hautement qualifiée pouvant travailler à bas prix. Selon l’ERT, l’expansion est primordiale : « Elle apportera de grands bienfaits économiques. Ces pays vont apporter de nouveaux consommateurs, de nombreuses aptitudes, de la technologie, de l’éducation, du savoir-faire. Ils vont aussi apporter des ressources matérielles, telles que terrain et énergie, ainsi que des marchés pour nos produits (32). » L’UNICE n’est pas moins enthousiaste : « Dans l’Ouest, nos marchés sont arrivés à saturation. Nous consommons déjà tout ce que nous sommes capables de consommer. On ne peut pas conduire deux voitures en même temps. Nous avons donc une croissance économique lente… À l’Est, nous avons environ cent millions de personnes aux goûts sophistiqués qui manquent de tous les produits que nous consommons déjà. Ils ont besoin de ces produits (33). »
Les deux lobbies insistent cependant pour que ces pays subissent d’importantes modifications structurelles avant leur intégration : harmonisation des politiques économiques nationales avec celles de l’Union et ouverture totale des marchés aux produits, services et investissements occidentaux. En d’autres termes, on attend des gouvernements locaux qu’ils abandonnent le contrôle de leurs économies, ce qui revient à sonner le glas des entreprises locales.
Bien que le Traité d’Amsterdam n’ait pas établi toutes les réformes institutionnelles nécessaires à l’expansion vers l’Est, cette dernière a solidement été incorporée à l’ordre du jour avec la présentation de l’« Agenda 2000 », proposition faite par la Commission au Conseil et au Parlement. Cet agenda fut officiellement adopté en mars 1999 par le Conseil durant un sommet spécial à Berlin mais les négociations avec la première vague de pays candidats – Pologne, Hongrie, République tchèque, Estonie et Chypre – avaient commencées un an plus tôt. Ces pays travaillent actuellement à adapter leurs législations aux exigences du Marché unique, servant ainsi le principal objectif des groupements des industries : un marché harmonisé et un régime d’investissements libéralisé sur la totalité du continent européen.
Tout le monde à l’unisson
L’Europe industrielle a particulièrement apprécié la façon dont fut mené l’Uruguay Round, pour lequel la Commission a parlé au nom des 15 États membres, proposant qu’une utilisation plus fréquente de ce type de négociations globales figure dans le nouveau traité. Pour les uns, « la conférence intergouvernementale devrait doter l’UE d’une voix forte et unifiée pour tous les problèmes de relations économiques extérieures… La politique commerciale commune fondamentale devrait être développée afin de présenter des positions communes sur tous les problèmes de commerce extérieur tels que le commerce de services, l’investissement ou la protection de la propriété intellectuelle (34). » De son côté, l’UNICE a fortement soutenu l’extension du champ d’action de l’Article 133 du Traité de Maastricht qui donne à la Commission la capacité de négocier au nom des États membres pour les problèmes concernant le commerce international de produits – ceci pour permettre à l’Europe industrielle d’agir plus efficacement au sein du système commercial établi par l’OMC.
Toutes ces remarques trouvèrent un écho favorable dans l’ébauche de traité préparée par la présidence irlandaise pour le sommet de Dublin en décembre 1996 : on y proposait que le champ d’action de l’Article 133 soit étendu au commerce de services, à la propriété intellectuelle et aux services publics. Les lobbies industriels purent être également tout à fait satisfaits de la lettre adressée aux chefs d’État et de gouvernements par Jacques Santer à la veille du sommet d’Amsterdam. Le président de la Commission y soutenait le type de modifications à l’Article 133 pour lesquelles l’industrie avait tant fait pression, avertissant que « tout affaiblissement ultérieur aboutirait à ce que [cet article] perde toute signification et se révèle même antiproductif (35). »
Cependant, le sommet de Dublin ne parvint finalement pas à satisfaire toutes les ambitions nourries par la Commission et les lobbies pour l’Article 133. En raison de résistances nationales vis-à-vis des modifications proposées, et particulièrement du fait des réticences du président français Jacques Chirac, les nouvelles dispositions prises par l’UE sur le commerce de services, la propriété intellectuelle et les services publics attendent toujours d’être ratifiées par les États membres et le Conseil des ministres (36). Le fait que ce dernier puisse transférer la souveraineté nationale sur les négociations commerciales internationales, les services et les droits de propriété intellectuelle à la Commission sans révision du Traité n’est toujours pas suffisant pour les ambitieux groupes industriels. Keith Richardson s’en indigna : « L’Europe sort appauvrie et affaiblie de cet échec (37). »
L’europe industrielle & le traité d’Amsterdam
Le Traité d’Amsterdam fut négocié à un moment où l’Union monétaire était une priorité européenne absolue. De nombreux gouvernements se trouvaient alors en butte à leur opinion publique du fait des franches coupes faites dans les dépenses publiques pour remplir les critères de l’Union monétaire. Un nouveau traité qui provoquerait une controverse publique et mettrait en péril la ratification devait donc être évité à tout prix (38). En dépit de leurs victoires dans plusieurs domaines, les lobbies industriels furent donc déçus que le traité ne parvienne pas à offrir tous les changements qu’ils désiraient, aussi bien en termes de réforme institutionnelle qu’en ce qui concerne les pouvoirs de la Commission sur les affaires de commerce extérieur. « Un résultat moyen mais positif dans l’ensemble », fut la première conclusion de l’UNICE à l’issue du sommet (39). Mais quelques temps plus tard, son directeur de la Communication, Christophe de Callatäy, se montra plus sceptique : « Nous devons être politiquement corrects. Nous devons déclarer publiquement que c’est un pas dans la bonne direction mais qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire, etc. [Nous devons utiliser] un langage diplomatique qui dissimule le fait que ce n’était pas grand-chose, rien de nouveau après Maastricht (40). » De son côté, Keith Richardson a bien accueilli les progrès du sommet mais remarqua qu’il ne fut pas répondu à « la réelle nécessité de réforme ». Selon lui, « notre économie est en bien des points aussi forte que l’économie américaine, mais nous sommes désavantagés parce que nos structures sont encore trop fragmentées, et parce que notre système politique met du temps à prendre des décisions et se montre obstinément réfractaire à l’innovation (41). »
Après la guerre du Golfe, l’ERT avait intensifié sa campagne pour le renforcement des pouvoirs de l’Union en matière d’affaires étrangères et pour la création de forces militaires collectives : car l’Europe devrait selon ce lobby être capable de défendre les intérêts de son industrie à l’échelle mondiale (42). C’est pourquoi Richardson fut déçu par « les petits progrès vers une politique étrangère unifiée pour protéger les intérêts internationaux de l’Europe, et l’absence totale de progrès en ce qui concerne la défense commune, dont nous avons besoin si nous voulons préserver une industrie de défense compétitive (43). » L’industrie attend sans nul doute avec impatience la prochaine conférence intergouvernementale pour reprendre cette bataille inachevée.
CHAPITRE VIII
De l’huile dans les rouages :
l’infrastructure européenne des transports
Mon objectif […] est de mettre en place les réseaux de transport transeuropéens et leurs extensions en Europe centrale et orientale aussi rapidement que possible afin que nous disposions d’un système de transport européen qui serve efficacement et avec cohérence le Marché unique européen.
NEIL KINNOK (1)
Avec un budget total estimé à 400 milliards d’écus, le réseau transeuropéen [TEN] est le plus important programme d’infrastructures de transport de l’histoire mondiale. Les quelque 150 projets dont la réalisation ne devrait pas dépasser 2010 prévoient des milliers de kilomètres de nouvelles autoroutes, des réseaux de trains à grande vitesse, des lignes de fret ferroviaires, des extensions d’aéroports et des voies navigables. À ce jour, la grande majorité de ces méga-projets est déjà réalisée ou en cours de réalisation (2).
Développement et financement stratégique sont assurés par la Commission tandis que l’extension de cette mégalomanie à l’Europe centrale et orientale est devenue une priorité majeure pour l’UE. Afin de faciliter la prévisible multiplication par quatre ou cinq du transport de fret sur les trajets Est-Ouest, quelque 15 milliards d’euros provenant de divers fonds européens on été mis de côté pour la construction dans l’Est européen d’une nouvelle infrastructure de transport entre 2000 et 2006 (3).
La mise en place du réseau transeuropéen se poursuit bien que, dans tous les pays de l’Union, le trafic augmente actuellement – et particulièrement la circulation routière – bien au-delà des limites écologiquement raisonnables. Entre 1985 et 1995, la quantité de gaz carbonique, responsable de l’effet de serre, générée par le transport routier a augmenté d’un tiers. Les ONG écologistes prévoient que la réalisation du TEN entraînera de graves conséquences sur l’environnement dont, notamment, la destruction de plus de 60 sites naturels de première importance en Europe. Greenpeace estime de 15 à 18 % l’augmentation des émanations de gaz carbonique relatives au secteur des transports (4).
Esquisses
La Table Ronde des industriels européens [ERT] [voir chap. III] a sérieusement contribué à faire figurer à l’agenda politique de l’Union le développement de l’investissement à grande échelle dans les autoroutes, les trains à grande vitesse et autres infrastructures de transport d’envergure européenne. Dès 1984, un premier rapport reprochait au réseau existant d’être « sous-développé » et de constituer « un frein au progrès économique et social de l’Europe ». Un projet « toile d’araignée » de ponts et d’autoroutes reliant l’Allemagne, le Danemark et la Suède, un réseau transeuropéen de trains à grande vitesse et le Tunnel sous la Manche étaient cités comme constituant un grave manque dans l’infrastructure européenne de transport. En 1991, c’est l’urgente nécessité de nouvelles autoroutes franchissant « les barrières des Alpes et des Pyrénées et conduisant en l’Europe de l’Est » qui était au programme (5).
De nombreuses firmes ont un intérêt direct à ce que continue l’expansion des transports en Europe : compagnies pétrolières telles que BP, Petrofina, Shell et Total ; constructeurs automobiles comme DaimlerChrysler, Fiat et Renault ; producteur de composants électroniques et autres pièces détachées pour l’industrie automobile comme Pirelli ou Pilkington ; constructeurs de trains à grande vitesse tels que Siemens et ABB ; et, bien sûr, les compagnies de travaux publics comme Titan Cement. De plus, la construction et l’amélioration de l’infrastructure européenne de transport permet aux firmes transnationales de restructurer leur production à l’échelle du continent. Une infrastructure plus rapide telle que le TEN – notamment pour les autoroutes – est aussi une condition favorable aux nouveaux systèmes flexibles de « production à moindre frais ». Encouragés par les multinationales dès les années 1980, ces programment participent à la production à « flux tendu » effectuée par des sous-traitants spécialisés et soumis directement aux demandes du marché.
C’est avec un incroyable succès que la Table Ronde est parvenue à trouver des soutiens politiques pour la promotion de leur vision du développement des transports en Europe. En 1985, le PDG de Volvo Pehr, Gyllenhammar, se vantait auprès de ses collègues de l’ERT que les ministres des Transports européens « utilisaient [leur rapport] “Missing Links” comme référence pour l’infrastructure européenne (6)». Comme d’habitude, c’est à l’étroite collaboration entre les lobbies de l’ERT et la Commission européenne que nous devons la présence du TEN dans l’agenda politique de l’Union : de son côté, la Commission finança de nombreuses activités de l’ERT relatives au transport – dont l’étude de 1989, « La nécessité de renouveler l’infrastructure de transport en Europe » ; et cette dernière coopéra directement à la mise en forme détaillée du TEN en participant au très officiel Groupe de travail sur les autoroutes, qui établit l’impressionnante liste des projets du réseau routier transeuropéen [TERN].
TEN le terrible
Un projet de 12 000 nouveaux kilomètres d’autoroutes, intégré au programme général, fut présenté en 1991 par la Commission. Plus tard dans l’année, la décision de réaliser trains à grande vitesse, canaux et aéroports fut incorporé au Traité de Maastricht dont les textes ne faisaient bien sûr aucune allusion aux énormes dégâts écologiques qu’une expansion de cette envergure allait obligatoirement causer.
Les grandes lignes de l’élaboration du TEN ne sont apparues pour la première fois dans les débats du Parlement européen qu’en 1995. Bien que le mouvement écologiste ait alors exercé une énorme pression pour attirer l’attention du Parlement sur la catastrophe écologique qui découlerait de l’adoption d’une tel projet, les rares décisions prises pour répondre à ces inquiétudes furent sérieusement édulcorées. Ainsi, une Évaluation stratégique des effets sur l’environnement [SEIA] a bien été intégrée aux directives de la mise en place du TEN en 1996, mais trois ans plus tard, alors que la réalisation du TEN était déjà bien avancée, les travaux de l’Évaluation stratégique étaient à peine commencés…
Bien qu’au rang des objectifs officiels de l’UE dans le Traité de Maastricht en 1991, le réseau transeuropéen n’avançait toujours pas assez vite pour l’ERT. Ainsi, à de nombreuses reprises, le lobby encouragea-t-il les dirigeants européens à « accélérer la construction de l’infrastructure de réseaux transeuropéens – par une plus grande détermination politique [et] en s’engageant à offrir plus de moyens (7). » Comme toujours, quand parle la Table Ronde, les gouvernements écoutent et prennent note. Lorsqu’un courrier adressé aux chefs d’État avant le sommet d’Edimbourgh en 1992 demanda des fonds supplémentaires pour le TEN, les gouvernements s’exécutèrent et un fonds d’investissement spécial de sept milliards d’écus fut mis à disposition.
Oh, le beau centre d’études d’infrastructure !
Après 1993, l’ERT transféra la plupart des ses activités relatives au transport vers son institut, l’ECIS [Centre européen d’études d’infrastructure] : « Nous ne travaillons plus tant que cela sur l’infrastructure, expliquait en 1997 Keith Richardson. Tout ce que nous pouvions dire, nous l’avons dit : l’Europe a besoin d’une meilleure infrastructure. Une bonne partie s’en construit en ce moment même. Dans l’ensemble, nous avons transféré nos intérêts en ce domaine vers une organisation nommée ECIS. […] Il font un sacré bon travail. Mais c’est maintenant une question de détails. Je pense que, dans le principe, nous y sommes. Le Tunnel sous la Manche a été construit, les trains à grande vitesse sont en cours de construction et la jonction entre la Scandinavie et le Danemark est également en cours de construction (8). »
L’idée de créer une nouvelle organisation pour accélérer la construction du TEN est apparue pour la première fois lors d’une conférence de l’ERT à Lisbonne en juin 1992. Selon le fondateur du Centre d’études d’infrastructure, Umberto Agnelli de Fiat, « il y a immédiatement eu une vague de soutien de la part des décideurs internationaux, dont des représentants [des – alors – douze gouvernements de l’Union], des associations européennes de recherche et de transport, de l’industrie et [ce qui n’est pas le moins important] de la part de plusieurs membres de la Commission européenne (9). » Encouragé par un accueil si positif, Umberto Agnelli commença dès l’automne 1993 à sélectionner soigneusement les membres de ce nouveau rejeton de la Table Ronde. Début 1994, un secrétariat était ouvert à Rotterdam : l’ECIS était constitué de gouvernements régionaux et nationaux, de municipalités, d’institutions européennes, d’instituts de recherche, de banques et d’entreprises (10).
L’ECIS à l’œuvre
Les derniers obstacles à la satisfaction des ambitions infrastructurelles de l’ERT étaient désormais principalement d’ordre financier ou technique. Pendant deux années très productives, la Commission européenne et l’ECIS travaillèrent en tandem à l’élimination de ces obstacles. Cette dernière préparait par exemple des rapports pour la Commission et organisait des conférences afin d’« informer les officiels » et autres intervenants (11). Après l’approbation par les chefs d’État du Livre blanc de Jacques Delors en décembre 1993, le TEN était passé à la vitesse supérieure. Puis la Commission mandata le groupe de travail Christophersen (12) pour établir une liste de projets prioritaires et trouver des solutions aux éventuelles difficultés susceptibles d’en empêcher la réalisation.
Le Centre d’études d’infrastructure fut d’une grande aide dans ce processus, proposant par exemple l’attribution à chaque programme international d’« un seul agent » ayant autorité pour rassembler des capitaux privés et faire pression pour la mise en œuvre des projets (13). L’année suivante, « encouragé par la Commission européenne (14)», on créa un semi-officiel Conseil supérieur sur la finance privée, présidé par Umberto Agnelli et Sir Allistair Morton – respectivement fondateur et membre du conseil d’administration de l’ECIS –, dont la mission consistait à faire des propositions lors du sommet européen décisif d’Essen, en décembre 1994 (15).
Pendant ce temps, le groupe Christophersen parvenait à la conclusion que les « structures réglementaires » du système décisionnel européen provoquaient « une importante perte de temps (16)» pour les projets d’infrastrucuture de réseaux. En conséquence, la Commission demanda à l’ECIS d’organiser un atelier sur ces retards à la décision. Aussi en 1994 à Rotterdam, cet atelier vit « des représentants du secteur privé, des États membres et de diverses organisations européennes envisager des pistes susceptibles d’accélérer la mise en œuvre des projets du TEN (17). » Le coup de main de l’ECIS ne fut donc pas vain : au sommet d’Essen, les dirigeants de l’UE accordèrent au TEN de nouveaux fonds substantiels et approuvèrent tant la proposition de partenariat public-privé que celles d’« agents uniques » pour les projets internationaux de l’ECIS. Ces deux principes sont aujourd’hui opérant dans la mise en place des réseaux de transports européens.
Bénéfices économiques ?
La grande réussite suivante de l’ECIS – illustration évidente de l’intimité de ses rapports avec la Commission – date de décembre 1995, quand le Commissaire aux Transports, Neil Kinnock, présenta un rapport sur les avantages économiques du réseau de trains à grande vitesse PBKAL (qui comprend les lignes Amsterdam-Paris et Bruxelles-Cologne) (18). Se basant sur ce rapport, Kinnock expliquait aux médias que ces liaisons ferroviaires rapides – comme, en fait, l’ensemble du TEN –, allaient générer une croissance économique beaucoup plus importante qu’on ne le supposait généralement (19). L’auteur de ce rapport n’est autre que le Docteur Dana Roy de l’ECIS… mais il semble bien qu’aucun journaliste n’ait enquêté sur l’identité de l’institut de recherche « indépendant » qui était parvenu à de si optimistes conclusions.
Une nouvelle fois à la demande de la Commission, l’ECIS publia un rapport, sur les « effets macro-économiques du PBKAL » (novembre 1996), qui encourageait encore une fois les investissements dans le TEN. Comme déjà son rapport de 1996, le rapport spécial de la Commission au Parlement européen sur la création d’emplois qu’entraînait le TEN s’inspire fortement de cette dernière étude de l’ECIS (20).
Fin du centre d’étude mais poursuite du chœur de l’infrastructure
En 1997, alors que les fonds provenant de la Commission et des milieux industriels s’épuisaient, l’ECIS se retrouva en eaux troubles et annonça sa fermeture en fin d’année (21). Mais la disparition de l’ECIS n’a pas réduit au silence le chœur glorieux de l’infrastructure européenne. Ainsi en 1997, la Fédération de l’industrie européenne de construction [FIEC] lança une offensive en vue d’augmenter la part d’investissements des États membres de l’Union dans le TEN (22). Craignant que la course à l’adaptation aux critères de l’Union monétaire ne ralentisse les investissements sur les projets de construction, le président de cette fédération, Ioannis Papaioannou, avertit les politiciens que l’Europe perdrait en compétitivité mondiale si les coffres du TEN n’étaient pas réapprovisionnés, plaidant au passage pour qu’« on offre plus d’opportunité aux firmes privées pour investir dans les routes, les ponts et les tunnels ». La subtilité de l’ECIS faisant part de ses exigences dans un style neutre et scientifique fait très clairement défaut aux industriels européens de la construction… Alors que nombre de propositions de l’ECIS sont devenues des politiques officielles, l’approche frontale de cette fédération ne lui a pas permis de se frayer un chemin dans l’agenda politique de l’Union.
En 1997, les manœuvres destinées à accélérer la réalisation des nombreux projets du TEN encore en attente furent confortées par la création du Forum européen de la construction (23). Cette nouvelle coalition de firmes industrielles européennes de travaux publics, qui annonçait « une approche plus efficace et mieux coordonnée » des projets d’infrastructure, fut « chaleureusement accueillie par le commissaire Kinnock ». Enfin, la Coalition européenne pour des transports cohérents [ECST], un groupe agissant à l’ombre de la virulente Fédération routière internationale [IRF] est le dernier né des acteurs de cette scène (24). Malgré son intitulé aux consonances écologiques, cette coalition soutient le transport routier comme étant le mode de déplacement le plus sensé.
Contrairement à feu l’ECIS et aux constructeurs européens, la Fédération routière internationale [IRF] et sa nouvelle branche européenne [ERF] font pression pour la construction d’un grand nombre d’autoroutes. Il apparaît clairement qu’elles envient les fonds généreux attribués aux réseaux ferroviaires. Leur première action a consisté à « demander une révision pro-routière des lignes directrices du TEN » dans le but d’obtenir l’« extension du réseau routier transeuropéen » (25). Dans une interview accordée à European Voice, le directeur général de l’IRF, Wim Westerhuis, exhorta l’Union et ses États membres à suivre l’exemple du gouvernement américain, qui avait récemment augmenté de 38 % le budget fédéral destiné à la construction de routes : « Cette décision américaine est une leçon à retenir pour les politiciens européens (26). »
Dans sa croisade, le Commissaire aux Transports, Neil Kinnock, a personnellement sollicité l’assistance des lobbies des transports et des travaux publics : « Cela nous aiderait beaucoup si les organisations industrielles – dont beaucoup ont été déjà d’un très grand soutien – pouvaient se faire entendre plus clairement », déclarait-il dans l’une de ses nombreuses protestations contre la réticence des États membres à fournir au TEN des financements supplémentaires (27). En 1998, dans le but de parvenir à achever le réseau de transports avant la date limite de 2010, Kinnock proposa que les gouvernements de l’UE en doublent le budget entre 2000 et 2006 – le portant ainsi à 5 milliards d’écus (28). Kinnock espère également obtenir des fonds supplémentaires d’origine privée grâce au partenariat public-privé initialement proposé par l’ECIS (29).
Le TEN : machine à emploi ?
La Commission européenne et le lobby des travaux publics ont tous deux accueilli avec satisfaction les signes en provenance de certains nouveaux gouvernements sociaux-démocrates européens. En 1998, sous le prétexte habituel de la création d’emplois, les gouvernements italien, allemand et français ont tous soutenu l’idée d’une augmentation des dépenses publiques en faveur du TEN. En novembre, le ministre des Finances allemand, Oskar Lafontaine, et le Premier ministre italien, Massimo D’Alema, souhaitaient l’assouplissement des critères budgétaires de l’Union monétaire, recommandant d’en exempter les dépenses en investissements destinés au transport et aux travaux publics (30). Cette proposition fut toutefois immédiatement rejetée par la Banque centrale européenne, le Commissaire aux Finances Yves-Thibault de Silguy et plusieurs autres monétaristes.
Le Parlement européen a également demandé à plusieurs reprises aux gouvernements des États membres d’augmenter leurs dotations financières dans le secteur des infrastructures de transport. En octobre 1998, les parlementaires demandèrent aux gouvernements de consacrer 1,5 % au moins, de leurs ressources budgétaires totales au TEN. À nouveau, l’argument utilisé était « l’effet multiplicateur d’un tel investissement sur l’économie et l’emploi (31). »
Les réseaux de transport ont toujours tenu une place de choix dans les initiatives européennes en faveur de l’emploi, parmi lesquels le Livre blanc de Delors en 1993 et le « Pacte de confiance pour l’emploi » de Santer en 1996. Outre les emplois immédiats engendrés par les milliards d’écus consacrés à la construction, la stimulation indirecte du commerce international est supposée créer des tonnes d’emplois. Dans son rapport annuel de 1996, la Commission publiait des estimations concernant les effets du TEN : de 130 à 230 000 emplois seraient générés par les 14 projets prioritaires, et 594 000 à 1 030 000 pour le programme dans sa totalité. Ces chiffres étant dans une large mesure basés sur les calculs de l’ECIS, il est permis de douter sérieusement de leur objectivité.
Le mouvement écologiste a mis en cause le bien-fondé de cet espoir placé dans le TEN quant à la création d’emplois, arguant qu’il se basait sur des suppositions erronées. Publié en 1996 par la Fédération européenne du transport et de l’environnement [T&E], le rapport « Routes et économie » évite le débat officiel pour conclure qu’ « il n’existe aucune preuve ni aucune recherche disponible qui permette de conforter la supposition selon laquelle la construction de routes serait génératrice d’emplois à long terme (32). »
Cette position trouva un soutien, en 1998, dans le rapport largement diffusé de l’organisation gouvernementale britannique SACTRA (Standing Advisory Commitee on Trunk Road Assessment), qui critique clairement les chiffres de la Commission européenne, soulignant qu’on ne pouvait être convaincu par les affirmations selon lesquelles le TEN créerait de nombreux emplois. Le doute portait en particulier sur le fait que ces projets puissent être un moteur de développement économique pour les régions périphériques : « Si en certaines circonstances les programmes de transports peuvent générer des bénéfices économiques supplémentaires dans une région ayant besoin d’être régénérée, en d’autres circonstances, l’effet inverse peut se produire (33). »
Ces critiques n’ont cependant pas convaincu la Commission européenne, qui, dans un rapport publié fin 1998 sur la mise en place du TEN, proclamait comme par le passé que les réseaux d’infrastructure créaient des emplois et qu’ils étaient « vitaux pour la compétitivité européenne (34). »
Est-il vrai qu’un fonctionnement plus fluide du Marché unique européen créera de nouveaux emplois ? Le transport des marchandises d’une extrémité à l’autre du continent crée-t-il des emplois ? En fait, le lien supposé entre l’intensification des transports et la création de nouveaux emplois est des moins certains. Ainsi, le nombre de kilomètres parcourus par les poids lourds à travers l’Europe a augmenté de 30 % entre 1991 et 1996 ; sur la même période, le chômage augmentait dans les mêmes proportions. Les projets d’infrastructures de transports rapides sur de longues distances – les autoroutes et les réseaux de trains à grande vitesse en particulier – favorisent généralement une plus grande centralisation de la production. Le TEN procure donc surtout aux grandes firmes un accès facilité aux marchés européens, renforçant leur emprise sur l’économie de l’Union. La perte de nombreux emplois « locaux » et la disparition des petits producteurs « moins efficaces » à travers toute l’Europe constituent les aspects négatifs du processus de centralisation.
Notons également que si le budget du TEN avait été investi dans le transport public local, le logement en milieu urbain et rural ou pour favoriser le travail dans les secteurs de la santé et de l’éducation, de nombreux emplois auraient sans conteste pu être créés. Quant à l’environnement, il aurait été épargné et les économies locales renforcées. Malheureusement, cette solution à la fois logique et rationnelle n’a pas été envisagée par les institutions européennes.
La barrière des Alpes
Le caractère sacro-saint de la libre circulation des marchandises est clairement apparu lors du conflit avec la Suisse – qui n’est pas un État membre – sur le transit des poids lourds provenant des pays de l’Union. Par le biais d’un référendum national « sur la protection des Alpes contre le transit », les Suisses ont décidé en 1994 que tout fret traversant leur pays devrait le faire par voie ferroviaire à partir de 2004. Dans cet objectif, le gouvernement suisse a projeté de taxer lourdement les poids lourds. À l’automne 1998, un second référendum confirma cette mesure.
S’opposant vigoureusement à ces restrictions sur le transit du fret, l’UE soumit le gouvernement suisse à une forte pression pour le faire revenir sur ces mesures, le menaçant par exemple de bloquer six accords commerciaux en cours de négociation. Le ministre des Transports hollandais, Annemarie Jorritsma, menaça même de suspendre les droits d’atterrissage de Swiss Air si la fédération helvétique campait sur sa position. En décembre 1998, la Suisse finit par plier : le nombre de poids lourds européens autorisés à traverser le pays sera de 250 000 en 2000 et 450 000 en 2003, un accès illimité fut accordé aux camions plus légers à partir de 2001 et le tarif maximum prévu de 350 écus par voyage fut réduit à 200 écus. Les organisations écologistes suisses se sont néanmoins vigoureusement opposées à ce marché et l’accord final pourrait encore fort bien être refusé par la population suisse au cours d’un nouveau référendum.
Une récente étude de la Commission européenne note que le transport de fret à travers les Alpes aura augmenté de 75 % entre 1992 et 2010. Le ressentiment et la colère publics grandissent également dans les pays alpins membres de l’Union situés, écologiquement menacés par le nombre croissant de poids lourds traversant de vallées étroites et la construction d’une nouvelle infrastructure de transport pour s’adapter à l’accroissement prévu de la circulation. En juin 1998, des manifestants ont pacifiquement bloqué l’autoroute de Brenner dans le Tyrol autrichien. Un mois plus tard, en France, le tunnel du Mont-Blanc était bloqué par des groupes locaux (35).
Le carburant automobile
Au lieu de s’en prendre à l’augmentation inexorable des volumes transportés, l’Europe semble avoir placé ses espoirs dans la réparation partielle, par certains progrès technologiques, des dégât causés. Ainsi le programme sur le carburant automobile a-t-il pour but de réduire la pollution atmosphérique en soumettant véhicules et carburants à des normes plus strictes. Mais élaboré en collaboration avec les milieux de l’industrie, toute tentative de le rendre plus rigoureux fut réduite à néant.
Les travaux sur ce programme ont débuté en 1993 par trois ans de consultation entre la Commission européenne et les entreprises automobiles et pétrolières pour parvenir à un accord sur les mesures les plus « rentables » de réduction de la pollution. Les gouvernements des États membres et les ONG critiquèrent cette approche ainsi que les conclusions de juin 1996 qui en résultaient : de toute évidence, elles favorisaient particulièrement les intérêts de l’industrie pétrolière. Les ONG firent remarquer que les calculs de « rentabilité » n’étaient pas fiables puisque les estimations de coûts étaient fournies par les entreprises pétrolières et automobiles elles-mêmes. Selon la Commission elle-même, d’importants taux de soufre, de benzène et autres facteurs polluants resteront autorisés dans les carburants jusqu’en 2005, et les réductions ne commenceront qu’en 2010.
Jugeant ce programme trop conciliant, le Conseil des ministres et le Parlement européen le rejetèrent, à la grande surprise de l’industrie pétrolière, qui entama immédiatement une colossale opération de charme pour éviter tout durcissement des normes minimales. L’assaut fut mené par Europia, un lobby représentant 29 compagnies pétrolières travaillant en Europe (36). Selon lui, ces normes signifieraient rien moins que la fin du raffinage européen. Plusieurs gouvernements se laissèrent finalement convaincre.
Début 1998, la Commission présenta au Conseil et au Parlement une version révisée du Programme sur le carburant automobile. Le gouvernement britannique, qui détenait alors la présidence de l’UE, fut l’objet de l’attention toute particulière d’Europia. L’industrie pétrolière prétendit que la proposition révisée était beaucoup trop coûteuse et entraînerait la fermeture de toutes les raffineries du Royaume-Uni. Comme on le sait aujourd’hui, ces menaces ont été inventées dans le seul but d’exercer une pression : certains parlementaires travaillistes issus de circonscriptions accueillant des raffineries (comme celle d’Elf dans le Sud du Pays de Galles) insistèrent pour que le gouvernement Blair accepte la proposition originale de la Commission (37). C’est ainsi que le Conseil des ministres adopta finalement un programme très favorable à l’industrie.
Les décisions concernant le programme sur le carburant automobile ayant été prises selon la procédure de codécision, le Parlement disposait d’un droit de veto. Aucunement impressionné par le lobbying d’Europia, le député finlandais Heidi Hautala présenta un rapport accusant l’industrie pétrolière d’avoir sérieusement surestimé les coûts nécessaires à l’introduction d’une technologie moins polluante. Les appels du Parlement en faveur de normes plus strictes aboutirent à un conflit ouvert avec le Conseil des ministres et un compromis ne fut trouvé qu’après une procédure de conciliation qui dura trois mois : au lieu d’une vague indication, 2005 est devenue la date butoir pour renforcer les normes imposées aux carburants. Néanmoins, le Parlement finit tout de même par entériner les normes laxistes proposées par le Conseil des ministres (38). Ainsi revue à la baisse, le programme sur le carburant automobile, qui interdit notamment l’utilisation d’essence contenant du plomb dans la plupart des pays de l’Union à partir de l’an 2000, ne pourra, dans le meilleur des cas, que diminuer de moitié le taux de pollution par kilomètre parcouru. Mais si l’on ne fait rien par ailleurs pour empêcher la prévisible multiplication par deux de la circulation dans les 15 à 20 prochaines années, la pollution atmosphérique restera un grave problème au siècle prochain.
Le problème du gaz carbonique
Le programme sur le carburant ne prévoit pas de normes relatives aux émanations de gaz carbonique provenant des véhicules. Mais au cours de l’été 1998, la Commission européenne passa un accord sur la réduction du taux moyen d’émanations de gaz carbonique des futurs véhicules avec les industriels réunis à l’enseigne de l’Association européenne des constructeurs automobiles [AECA]. Alors que le Commissaire à l’Environnement, Ritt Bjerregaard, affirmait être « très satisfait de cet accord », les ONG écologistes le considérèrent comme « un pas en arrière dans la lutte contre le réchauffement de la planète » (39). D’autres observateurs critiques ont fait remarquer que sous la pression de l’industrie automobile, la Commission s’était vue contrainte d’abaisser le taux de réduction « cible » des émanations de gaz carbonique et que cet accord inconsistant ne s’appliquait pas aux entreprises individuelles de construction automobile. Ce qui signifie qu’il n’y aura pas de nouvelle législation dans ce domaine avant 2008 même si l’industrie automobile ne parvient pas à atteindre les objectifs prévus.
Cet arrangement avec les constructeurs automobiles est l’un des piliers majeurs de la promesse faite par la Commission de réduire de moitié avant 2010 l’augmentation escomptée d’émanations de gaz carbonique dues aux transports. À la promotion de systèmes combinant plusieurs modes de transport vient également s’ajouter « une tarification juste et efficace » – ce qui pourrait faire croire à une taxe écologique mais va probablement servir au financement des expansions infrastructurelles à venir par le biais des péages routiers (40). Enfin, la réduction des émanations de gaz carbonique par le développement du transport de fret par voie ferroviaire (41) sert d’argument à la Commission pour justifier la privatisation des compagnies de chemin de fer et l’introduction de la concurrence à l’échelle européenne – « compléter le marché interne en transports ferroviaires » : une politique qui a rencontré l’opposition de nombreux États membres de l’Union (42).
Avec le Traité d’Amsterdam, l’Union européenne s’est engagée à tenir compte des problèmes écologiques dans toutes les politiques européennes. Reste à savoir si les ministres européens des Transports vont oser affronter le tabou de la restriction des volumes mis en circulation. Il se pourrait bien qu’ils continuent plutôt de faciliter l’expansion du transport et se contentent de compenser partiellement les dégâts croissants par une technologie moins polluante. Malheureusement, l’histoire récente nous montre que l’influence des intérêts industriels sur la Commission comme sur le Conseil des ministres rend très improbable une révolution dans leur politique de transport.
CHAPITRE IX
L’Europe gavée par le lobby biotechnique
Au cours de ces dernières années, malgré l’opposition d’une majorité d’Européens, les firmes biotechnologiques ont pu inonder le marché d’un nombre alarmant d’organismes génétiquement modifiés [OGM]. La position pro-biotechnologie de la Commission européenne, indubitablement influencée par ses rapports conviviaux avec des coalitions industrielles telles qu’EuropaBio, fut le facteur clé de ce processus. En 1998, grâce à un investissement financier record des lobbies, l’industrie biotechnique a obtenu sa plus grande victoire à ce jour lorsque le Parlement européen approuva une directive autorisant le brevetage du vivant. Il se pourrait cependant que le vent soit en train de tourner : la directive sur le brevetage du vivant a été remise en question par la Cour européenne de justice et la résistance persistante des consommateurs a contraint plusieurs pays de l’Union a interdire les produits génétiquement modifiés. En outre, l’exigence d’un moratoire européen sur les organismes génétiquement modifiés [OGM] continue d’augmenter.
La biotechnologie est sans conteste l’un des problèmes européens les plus délicats du moment. Ses partisans prétendent que nous sommes à l’aube d’une « révolution biologique » qui va, comme la révolution industrielle au tournant du siècle, améliorer grandement notre mode de vie. Des esprits plus critiques pensent, quant à eux, que les risques potentiels, pour la population comme pour l’environnement, de la modification génétique et de l’appropriation du vivant par le brevetage pèsent plus lourd dans la balance que leurs avantages. Une chose est certaine : la grande majorité des Européens demande une législation stricte sur la biotechnologie, qui ne lui inspire aucune confiance. D’après une enquête de 1998 publiée par la Commission européenne, 61 % des personnes interrogées ont déclaré être convaincues que la biotechnologie comportait des risques et qu’elle pourrait avoir pour effet l’apparition de nouvelles maladies graves. Selon les enquêteurs, ces craintes n’étaient pas nécessairement attribuables à un manque d’information sur le sujet : « C’est au contraire un cas dans lequel les plus ignorants ont tendance à être aussi les moins préoccupés. Être mieux informé ne signifie pas obligatoirement être moins inquiet (1). » Un récent sondage organisé par Eurobaromètre a révélé que 5 % seulement de la population avait toute confiance en l’industrie biotechnologique (2).
L’industrie des « sciences de la vie », comme elle se définit elle-même, voit les choses d’un autre œil et combat ardemment sur plusieurs fronts afin de s’assurer une solide emprise sur l’économie européenne. Les fanatiques de la biotechnique méprisent l’inquiétude publique, la considèrent sans fondements et prétendent qu’elle prend ses racines dans l’ignorence et l’émotionnel plutôt que dans la « science pure ». Magré les protestations massives, les batailles juridiques, les débats parlementaires et même la destruction de récoltes d’OGM par des groupements de citoyens partout à travers l’Europe, l’industrie biotechnique européenne continue d’avancer dans la joie et la bonne humeur.
Appuyées par l’un des plus ambitieux et des plus efficaces réseaux de lobbying européens, les politiques de soutien à la biotechnologie constituent, depuis le début des années 1990, le cœur de la stratégie de croissance de l’UE : elles figuraient aussi bien dans le Livre blanc de Delors (1993) que dans le « Pacte de confiance » de Santer (1996). Plutôt que de répondre à l’inquiétude publique par la protection juridique, la Commission affirme la biotechnologie comme un atout pour l’Europe et prend des mesures pour alimenter et maintenir la compétitivité de cette industrie à l’échelle mondiale. En outre, nouvelles orientations dans le financement de la recherche et du développement, avantages fiscaux attractifs pour les petites entreprises récemment créées et approbation rapide des fusions aident les entreprises biotechniques à s’épanouir. Tout cela n’a été rendu possible que grâce à la pression stratégique des puissantes coalitions de la bio-industrie européenne.
EuropaBio : la bio-industrie propulsée
Pratiquement toute l’industrie biotechnologique européenne se trouve rassemblée sous l’étendart d’EuropaBio, organisation née à l’automne 1996 de la fusion du Senior Advisory Group on Biotechnology [SAGB] – groupe de travail de la CEFIC (fédération de l’industrie chimique) – et du Secrétariat européen aux associations nationales de la bio-industrie [ESNBA] (3). Alors président d’EuropaBio mais également chargé de la recherche internationale à Hoffman-LaRoche, Jürgen Drews annonca cette fusion avec la plus grande assurance : « Dorénavant, nous nous exprimerons d’une voix unique et puissante lorsque nous débattrons avec les politiciens européens et nationaux ou les législateurs de la nécessité d’un environnement réglementaire dans lequel l’industrie européenne puisse croître et se développer (4). » EuropaBio est constituée d’environ 600 entreprises, allant des plus importantes compagnies biotechnologiques d’Europe (y compris les sièges européens de firmes américaines telles que Monsanto) à des fédérations biotechniques nationales représentant les PME. Parmi les compagnies adhérentes figurent toutes les principales multinationales européennes intéressées par la biotechnologie comme, par exemple, Bayer, le groupe Danone, Novartis, Monsanto Europe, Nestlé, Novo Nordisk, Rhône-Poulenc, Solvay et Unilever (5).
À partir de la fin des années 1980, le prédécesseur d’EuropaBio avait déjà fait campagne pour que la bio-industrie occupe un rôle plus important dans la détermination des politiques de développement économique de l’Union, plaidant notamment en faveur de la déréglementation des manipulations génétiques (6). Les nombreux et luxueux rapports de ce groupe biotech étaient souvent accompagnés d’une succession de réunions au plus haut niveau avec les institutions européennes. Par exemple, une réunion de novembre 1992 au cours de laquelle les plus hauts dirigeants du lobby rencontrèrent Martin Bangemann (commissaire aux Affaires industrielles), David Williamson (secrétaire général de la Commission) ainsi que d’autres officiels importants avec lesquels ils s’entendirent sur « la contribution vitale de la biotechnologie à la future compétitivité européenne (7). »
Plus récemment, en collaboration avec la Table Ronde des Industriels [voir chap. III], l’ancêtre d’EuropaBio pressa les commissaires européens d’empêcher les États membres d’interdire les produits biotechniques sujets à controverse, tels que le maïs génétiquement modifié (8). Dans la hiérarchie européenne, c’est la Commission qui a le dernier mot lorsqu’il s’agit d’approuver la mise en circulation de tels produits dans le Marché unique. Dans le cas du maïs Novartis, une écrasante majorité des gouvernements européens avait refusé de lui accorder le feu vert. La Commission a décidé, quoi qu’il en soit, d’en autoriser la commercialisation, forçant ainsi tous les pays membres à accepter cet aliment controversé.
La percée de la biotechnologie en tant qu’élément majeur de la stratégie économique de l’Union s’annonçait dès le Livre blanc de Delors en 1993. Il y était fait l’éloge de la biotechnologie, présentée comme « une des technologies les plus prometteuses et importantes pour un développement cohérent au siècle prochain (9). » Dans ce document politique, le président de la Commission claironnait à qui voulait l’entendre que la biotechnologie était le moteur majeur de la croissance économique et de l’emploi au XXIe siècle et qualifiait les craintes du public de « facteurs défavorables » dus à « l’hostilité envers la technologie et à l’inertie sociale » qui s’avèrent « généralement plus prononcées au sein de la Communauté qu’aux USA ou au Japon » (10). Cette position centrale de la biotechnologie a plus tard été confirmée par le « Pacte de confiance » du président Santer et adoptée au sommet du Conseil européen en juin 1996.
La stratégie de relations publiques d’EuropaBio
Aussi rose que la situation ait pu sembler à l’industrie biotechnique européenne au cours de ces dernières années, il restait à déterminer si les consommateurs, craignant pour leur santé ou l’environnement, allaient ou non accepter les produits génétiquement modifiés. En fait, des tempêtes de protestations éclatèrent dans plusieurs pays lorsque les premiers produits contenant des OGM sont apparus sur les présentoirs des magasins. Cette résistance représentait un risque mortel pour les entreprises biotechniques, qui doivent vendre leurs produits pour récupérer les sommes énormes investies dans le développement ou l’acquisition de leurs technologies.
C’est ici que la plus grande firme de relation publique du monde, Burson-Marsteller – qui se définit elle-même comme spécialiste de la « gestion d’image » – fait son entrée [voir chap. II]. Une semaine seulement après la conclusion du sommet européen de juin 1997, Amsterdam accueillait le premier Congrès européen de la bio-industrie : EuropaBio 97. Quelques jours avant la conférence, Greenpeace eut vent de ce que proposait Burson-Marsteller à EuropaBio (11): une stratégie cynique destinée a apaiser l’inquiétude et la colère publiques et à assurer, à grande échelle, un meilleur accueil aux biotechnologies.
Selon Burson-Marsteller, EuropaBio, « fermement établie comme le principal représentant des intérêts bio-industriels européens au sein des structures politiques et régulatrices européennes », joue « un rôle direct et indispensable dans le processus décisionnel ». Cependant, pour répondre à l’inquiétude d’une opinion publique rétive, Burson-Marsteller recommandait « une stratégie et un programme cohérents aptes à générer des perceptions et des opinions favorables au-delà du milieu des décideurs politiques ». Il était expliqué que « les questions d’environnement et de santé sont, en matière de communication, de “véritables traquenards” pour les bio-industries européennes…, tous les résultats de nos recherches confirment que la présomption de n’obéir qu’à des motifs lucratifs détériore fatalement la crédibilité de l’industrie sur tous ces points ». Par conséquent, Burson-Marsteller conseillait à l’industrie biotechnique d’éviter de prendre part à tout débat public sur le sujet et de laisser le soin « à ceux qui sont les plus aptes à capter la confiance publique dans ce domaine – politiciens et législateurs – de garantir au public que les produits biotechnologiques ne sont pas dangereux ». En plus de rester à l’écart de ces « traquenards », Burson-Marsteller proposait de construire des « images positives » autour des produits obtenus par techniques génétiques en omettant de mettre l’accent sur la technologie controversée (12).
Toujours selon notre fabriquant en image, « la colère et le ressentiment publics envers l’introduction sur le marché d’aliments génétiquement modifiés » proviennent « d’un sentiment d’impuissance devant ce qui est perçu comme des forces malveillantes (et étrangères) menaçant des aspects de la vie tenus pour précieux ». Par conséquent, on proposait de faire naître le sentiment général que les entreprises de production alimentaire, les détaillants et les consommateurs pourraient librement choisir d’utiliser, de vendre ou d’acheter des produits génétiquement modifiés ou non. Ceci, affirmaient les grands prêtres de Burson-Marsteller, « diminuerait de beaucoup » le sentiment d’impuissance du public (13).
Ce document auquel Greenpeace eut accès comprenait donc un plan détaillé de relations publiques pour la conférence d’EuropaBio à Amsterdam. Le conseil numéro un de Burson-Marsteller était de tenir les médias à l’écart de l’événement car leur présence « attirerait automatiquement des manifestants de groupements écologistes sur les lieux de la conférence. […] EuropaBio aura mis le couvert et Greenpeace mangé le repas. » Au lieu de cela, les « gestionnaires d’image » conseillèrent de nourrir les médias d’histoires positives toutes bêtes qui « auront pour nous des retombées favorables » (14).
Cependant, aussi bien conçue soit-elle, une campagne de plusieurs dizaines de millions de francs peut faire un flop. Les participants à la conférence d’Amsterdam furent accueillis devant l’élégant bâtiment de l’ancienne bourse par des activistes exprimant haut et fort leurs inquiétudes quant aux risques liés à la biotechnologie. Et le lendemain matin, Greenpeace vidait un camion de germes de sojas devant l’entrée principale du congrès. Comme le déclarait Peter Linton, chargé des relations publiques de la conférence : « Greenpeace est volontairement venu de bonne heure, avant que la conférence ne débute et que les dirigeants de l’industrie ne puissent leur répondre. Maintenant, toutes les chaînes de télévision d’Europe montrent les images d’un monceau de germes de soja devant la conférence de l’industrie. Nous avons raté là une bonne occasion (15). »
Alors que les campagnes d’image de l’industrie biotechnique ont échoué à faire pencher en sa faveur l’opinion publique, elles se sont avérées plus payantes dans l’arène législative : des initiatives proposées directement par l’industrie furent acceptées de bon gré. Tel est le cas de la récente Directive sur le brevetage du vivant.
L’industrie & la directive européenne sur le brevetage du vivant : étude de cas
Stimulés par les multinationales omniprésentes, nos eurocrates sont sur le point de nous cuisiner un repas particulièrement infect. Ils veulent approuver une directive qui, croyez-le ou non, autorise l’industrie à breveter, entièrement ou partiellement, des organismes vivants créés grâce à la technique d’apprenti sorcier qu’est la manipulation génétique.
DARIO FO (16)
Les lobbies ont été semble-t-il surpris par leur succès… Alors que, en 1995, le même Parlement avait refusé une proposition pratiquement identique, ils sont parvenus à complètement renverser son attitude sur la Directive sur la protection juridique des découvertes biotechnologiques, qui fut adoptée à une écrasante majorité en 1998. Cette Directive complétera la législation actuelle, de sorte que seront autorisés le brevetage et, par conséquent, la possession de la vie elle-même. Au cours de la phase finale de la grande bataille bio-industrielle qui a fait rage tout au long des années 1997 et 1998, plusieurs « garde-fous » proposés par le Parlement européen furent démantelés ou tout simplement rejetés en bloc sous la pression de la Commission, des États membres et de l’industrie. Pour cette bataille, les industriels ont même instrumentalisé les préoccupations de groupements de malades, dissimulant de façon pernicieuse qu’il ne s’agissait que d’une campagne de lobbying.
La nouvelle réglementation permettra le brevetage de gènes, de cellules, de plantes, d’animaux, d’organes humains et d’embryons génétiquement modifiés ou clonés. Pour quelle raison le Parlement, seul organisme européen directement élu, a-t-il voté contre l’avis de la majorité des Européens, qui restent sceptiques ou rétifs aux biotechnologies et au brevetage du vivant ? Qu’est-ce qui a retourné l’opinion d’un Parlement qui avait exercé en 1995 son droit de veto sur ces projets ? Selon la généticienne Ricarda Steinbrecher, du Women’s Environmental Network, les députés européens « se sont vendus à l’industrie biotechnique » lorsqu’ils ont approuvé une législation qui affirme que les gènes peuvent être considérés comme des « inventions » (17).
Les mots doux d’EuropaBio
La propriété intellectuelle et le brevetage du vivant étant des phénomènes relativement nouveaux, l’industrie s’est évertuée à s’assurer que les structures juridiques et réglementaires liées à ces problèmes évoluent de façon à servir au mieux ses intérêts. Avec la Commission pour coéquipière, EuropaBio et divers autres groupes de pression sont parvenus à peser fortement sur ce processus dans le but de favoriser l’industrie biotechnique européenne. La législation adéquate fut donc sans tarder introduite dans le système sous le prétexte qu’ils ne pouvaient pas financièrement se permettre d’attendre pour prendre part à la concurrence économique mondiale.
Pendant leur virulente campagne en faveur du brevetage du vivant, les industriels biotech murmurèrent les mots les plus doux à l’oreille des décideurs : « emploi », « croissance » et « compétitivité ». Le brevetage du vivant allait aider les entreprises européennes et donc l’économie et les citoyens européens… un argument qui s’est avéré assez efficace pour faire basculer le vote du Parlement. EuropaBio s’est donc consacrée à convaincre les décideurs européens qu’une bio-industrie compétitive à l’échelle mondiale générerait de nouveaux emplois. Dans son rapport de 1997, « Évaluation comparative de la biotechnologie en Europe », EuropaBio mettait l’accent sur la souplesse relative de l’environnement réglementaire du secteur biotechnologique aux États-Unis et laissait entendre qu’un cadre similaire serait souhaitable pour l’Europe (18). Sans apporter aucune preuve consistante, le rapport proclamait que la biotechnologie générerait trois millions d’emplois avant 2005. Étant donné l’ampleur actuelle du chômage en Europe, cet profession de foi ne pouvait faire que des émules.
Autres groupements industriels
En 1997, EuropaBio rejoint les rangs du Forum pour la coordination de la bio-industrie européenne [FEBC], un organisme rassemblant un éventail impressionnant de groupes industriels de ce secteur, spécifiquement destiné à peser en faveur de la directive sur le brevetage du vivant (19). Pendant la phase de préparation au vote du Parlement, le Forum publia une masse de « documents » parmi lesquels des communiqués exclusivement consacrés aux problèmes scientifiques ou légaux soulevés par la Directive. Étant donné la complexité des thèmes abordés et le peu d’information dont disposaient les députés européens, ces communiqués jouèrent un rôle significatif dans la formation de leurs jugements. Nombre de ces documents proposaient des interprétations du texte de la Directive pouvant prêter à confusion, laissant entendre que tous les sujets d’inquiétude initiaux du Parlement – qui avaient conduit à l’historique veto de 1995 – avaient trouvé une réponse dans l’ébauche révisée de la Commission. Le Forum avertissait que « toute édulcoration de l’ébauche désavantagerait l’Europe et la recherche biotechnologique européenne à l’avantage par rapport aux USA et au Japon » ; il prétendait en outre que, « sans brevetage, il y aurait moins, voire pas du tout de traitements, de remèdes, de produits alimentaires et même de solutions écologiques conçues en Europe et adaptées au code européen » (20).
La Chambre internationale de commerce [CIC] [voir chap. XVIII] et la CEFIC (industries chimiques) ont elles aussi énergiquement milité pour la promotion du brevetage du vivant. En octobre 1997, par exemple, alors que le Conseil des ministres se préparait à prendre une décision importante sur la Directive, la Chambre de commerce a rendu publique une déclaration contenant de nombreuses précisions, qui commentait articles et clauses, allant jusqu’à suggérer que certains passages de ce texte soient incorporés dans la Directive.
De son côté, les industriels de la chimie faisaient connaître leur position sur le brevetage, indiquant au passage que la législation plus simple des USA offrait aux firmes américaines un avantage stratégique certain pour la domination du marché mondial des produits chimiques et que, si le système de brevetage européen ne leur devenait pas plus favorable, ils se trouveraient dans l’incapacité de concurrencer les firmes américaines et seraient par conséquent dans l’obligation de se séparer d’un grand nombre de leurs prétendus deux millions d’employés (21).
Smithkline Beecham : fabriquant de consensus
Les gènes sont la monnaie du futur !
GEORGE POSTE, Directeur de recherche chez SmithKline Beecham
Le géant pharmaceutique SmithKline Beecham s’est montré l’un des plus agressifs supporteurs de la directive sur le brevetage, lançant sa propre campagne de pression avant même la naissance d’EuropaBio. Selon son lobbyiste Simon Gentry, la compagnie a consacré 20 millions de livres sterling (environ 200 millions de francs) à cette campagne (22). La firme a également très efficacement manipulé et instrumentalisé les groupements d’intérêts de malades, se doutant parfaitement que cette cause influencerait plus sûrement les décideurs que celle de l’industrie. L’aide directe accordée à ces groupes et aux diverses organisations caritatives fut donc très utilisée. Ayant constaté, en outre, l’efficacité des groupes de pression écologistes lors du vote initial du Parlement en 1995, SmithKline Beecham engagea au poste de Directeur des affaires politiques européennes l’ancien bras droit du président du Comité parlementaire pour l’Environnement. Ce qui lui ouvrit les portes du Parlement et lui permis d’avoir un aperçu des stratégies du mouvement écologiste.
Les groupements d’intérêt de malades
Assurément, ce sont les malades eux-mêmes qui ont exercé le plus efficacement leur influence en faveur de la Directive, faisant basculer les votes de nombreux députés européens au cours de ce qui fut décrit comme « la plus grande campagne de pression de l’histoire de l’Union européenne ». Le jour du vote, en juillet 1997, s’adressant aux sentiments des députés, des personnes en chaises roulantes manifestèrent à Strasbourg devant le siège du Parlement, clamant le slogan de l’industrie pharmaceutique : « Pas de brevets, pas de remèdes ».
Sensibles à la prise de position forte et unie des groupements d’intérêt de malades en faveur du brevetage du vivant, les parlementaires votèrent dans ce sens. Une enquête plus approfondie révéla cependant que ces manifestations ne reflétaient pas l’opinion de la majorité des groupements d’intérêt de malades et que cette minorité non-silencieuse était, dans une large mesure, soutenue et financées par des compagnies pharmaceutique telles que SmithKline Beecham. Les industriels avaient convaincu ces groupements qu’ils recherchaient activement des remèdes à leurs maladies, insistant sur l’importance primordiale d’une législation favorable au développement de médicaments si vitaux pour eux. En dressant un portrait de la situation dans lequel « le brevetage du vivant » apparaissait comme absolument nécessaire à la découverte « des remèdes à toutes les maladies connues », l’industrie joua finalement sur la corde sensible des députés.
Les lobbies de la génétique
Une organisation britannique, le Groupement d’intérêt pour la génétique [GIG], et l’Alliance européenne des groupes de soutien à la génétique [EAGS] ont exercé une pression particulièrement forte en faveur de la fameuse directive. Mais cela n’avait pas toujours été le cas : jusqu’au premier vote de 1995, Alastair Kent, principal porte-parole de ces deux groupes, faisait régulièrement part de leur opposition au brevetage des gènes. Cependant, Kent changea de position après que SmithKline Beecham eut fait des donations au GIG. Dès lors et sans plus attendre, les deux organisations se lancèrent dans une vigoureuse campagne en faveur de la directive.
L’aide apportée à Kent par SmithKline Beecham consistait également à lui assurer les services du cabinet de consultants GPC Market Access. C’est à cette époque que le slogan « Des brevets pour la vie » est devenu le titre d’une série de « documents » publiés au nom de l’Alliance européenne. Avec l’aide de leur consultant, les deux lobbies menèrent une énorme campagne de désinformation à destinations des décideurs en usant d’une rhétorique de l’émotion : vies à sauver, famines à vaincre et… création d’emplois.
Un autre bureau de conseil, Adamson Associates, également engagé par l’industrie biotechnique pour travailler sur la directive, s’est consacré à des activités à peu près similaires, dont l’organisation d’une conférence sur le brevetage de gènes humains présentée comme une initiative des groupements de malades (23).
Après le vote de 1997, pour lequel les efforts de Kent et de sa machine de lobbying bien huilée avaient rempli leur rôle, certains groupements de malades ont découvert qu’ils avaient été manipulés par l’industrie et ses lobbyistes, prenant conscience de la divergence de leurs intérêts. Le Groupement d’intérêt pour la génétique rendit donc publique une lettre redéfinissant ses positions et réaffirmant son opposition au brevetage du vivant (24). Mais cette réaction survint trop tard pour renverser le vote du Parlement.
L’Europe peut-elle résister ?
Parmi ceux qui critiquent la Directive sur le brevetage du vivant, on trouve des scientifiques, des associations d’agriculteurs, des militants des droits des populations indigènes, des organisations écologistes, religieuses, et bien d’autres. Tous s’insurgent contre le fait que cette législation assurera le monopole des industriels sur la vie elle-même. Tous doutent de la légitimité des multinationales à posséder « les fondements biologiques de la vie » et condamnent les « bio-prospecteurs » qui extorquent aux populations indigènes leur savoir collectif en brevetant leurs plantes médicinales ou même leur propre matériel génétique.
Le brevetage du vivant ouvre aux industries de nouveaux espaces de profits et un marché totalement vierge sur lequel asseoir leur contrôle. Une course s’engage pour breveter du matériel génétique dont personne ne sait encore tirer des applications. La production alimentaire et les services de santé sont, dans le monde, de plus en plus concentrés dans les mains d’un oligopole industriel dans lequel un petit nombre de multinationales décident des produits à cultiver, des médicaments à développer, des tarifs, etc. Les citoyens perdent progressivement le contrôle de la satisfaction de leurs besoins élémentaires. En 1996, les 10 plus grandes firmes agrochimiques assuraient dans leur secteur 82 % des ventes mondiales, les 10 plus grands producteurs de semence contrôlaient 40 % de ce marché et les 20 principales compagnies pharmaceutiques détenaient approximativement 57 % du marché mondial des médicaments (25). Ce processus de concentration s’accélérera tant que les règles économiques seront édictées dans l’intérêt des géants industriels.
Des entreprises multinationales telles que Monsanto, qui impose de force l’entrée des produits biotechnologiques dans le marché alimentaire mondial, proclament que la biotechnique et le brevetage du vivant sont inévitables et que toute résistance est vaine : « Nos gènes [modifiés] sont présents dans approximativement 10 millions d’hectares à travers le monde – couvrant une surface aussi grande que la Suisse et les Pays-Bas réunis, claironne Tom McDermott, responsable du service des Affaires européennes chez Monsanto. L’Europe peut-elle encore résister à cela ? (26) » Du moins l’essaie-t-elle en 1998, l’Europe fut le témoin d’un remarquable retournement contre les biotechnologies. En Grande-Bretagne, des groupements de citoyens menèrent des actions « non-violentes de responsabilité civile » : la destruction des récoltes d’OGM de « champs expérimentaux ». Les médias européens ont soulevés scandale sur scandale dans le milieu de l’industrie biotechnique. Les connexions entre l’industrie et les politiciens sont maintenant surveillées de près, comme le sont les campagnes de propagande telles que ce « blitz » publicitaire d’1 million de livres (environ 10 millions de francs) de Monsanto, récemment condamné par la British Advertising Standards Authority pour informations « fausses, non prouvées, mensongères et déconcertantes (27)».
Parallèlement, un certain nombre de pays européens – dont la Grèce, la France, le Luxembourg et l’Autriche – ont, à l’encontre de la loi européenne, commencé à prendre des mesures visant à restreindre l’importation et la culture de divers OGM. La pression de l’opinion publique en faveur d’un moratoire sur l’approbation de nouveaux OGM pourrait bientôt porter ses fruits dans plusieurs pays. Quelques mois après le vote définitif du Parlement européen, le gouvernement hollandais a engagé une bataille juridique contre la Directive devant la Cour européenne de justice. L’Italie le suivit dans cette voie. Tout cela survient tandis que le public est devenu extrêmement méfiant vis-à-vis des biotechnologies. Et nombreux sont les gouvernements nationaux qui ont commencé à interdire l’importation de certains OGM.
L’avenir de la bio-industrie en Europe repose, de toute évidence, sur des sables mouvants. Reste à savoir comment les lobbies industriels réagiront à cette montée en puissance du mécontentement et aux critiques sur son rôle prééminent dans le soi-disant processus démocratique de prise de décision.
CHAPITRE X
La mondialisation régie par l’industrie
Ces dix dernières années, parallèlement à l’élaboration de son marché unifié, l’Union européenne a commencé de s’intéresser à la mondialisation économique. L’Union est donc en train de remodeler la société européenne pour qu’elle devienne « compétitive au niveau international » et, simultanément, encourager vivement la déréglementation du commerce transatlantique et mondial. Alors que ses recettes de compétitivité intérieure – faits d’ingrédients socialement indigestes tels que déréglementation, privatisation, flexibilité des marchés du travail et réduction des budgets publics – ont provoqué une déferlante de débats et de protestations en Europe même, la croisade pour une libéralisation et une déréglementation accrues des marchés internationaux est, jusqu’à récemment, passée sous silence.
Malgré une bonne dose de propos « rassurants » sur la mondialisation, les objectifs de la politique commerciale internationale et d’investissement de l’UE restent incroyablement rigides. Impulsées par l’appétit vorace des firmes européennes transnationales, ces politiques exigent un accès sans contraintes aux marchés européens et un démantèlement des réglementations locales dans le but de créer une base d’action de niveau mondial. Une logique similaire gouverne les politiques adoptées par les autres grandes puissances mondiales et les principaux blocs politiques ont uni leurs forces au sein de l’OMC pour faire tomber les barrières opposées au commerce et à l’investissement chez les nations moins industrialisées. Comme l’observe Josh Karliner : « On peut, dans une large mesure, considérer la triade Japon-Europe-États-Unis comme trois grands États industriels qui parfois coopèrent et parfois se font concurrence afin de promouvoir les intérêts de leurs entreprises multinationales à travers le monde (1). »
Cette seconde partie présentera trois études de cas significatifs illustrant la façon dont l’UE, entraînée par la Commission, mène sa campagne agressive en faveur de la déréglementation internationale du commerce et des investissements. Elle travaille, pour cela, en étroite collaboration avec les grandes firmes européennes et leurs groupes de pression. Comme cela est clairement apparu lors de la mise en place du marché intérieur européen, la Commission et les milieux industriels partagent des points de vue pratiquement identiques, non seulement en ce qui concerne l’Europe mais également sur son rôle dans le monde.
Traversons l’Atlantique en tépinois
Le Dialogue sur le commerce transatlantique [TABD] constitue un exemple frappant de synergie politico-industrielle. À l’insu de la plupart des citoyens des deux côtés de l’Atlantique, l’UE et les États-Unis sont engagés, depuis 1995, dans la suppression systématique des barrières opposées au commerce et à l’investissement transatlantiques. Depuis le début, le Dialogue – qui rassemble plus de 100 dirigeants industriels européens et américains – joue dans ce processus un rôle majeur. Serviable, celui-ci identifie ce qu’il tient pour un frein au commerce, et les gouvernements, quels qu’ils soient, s’engagent généralement à éliminer les nuisances en question. À Washington comme à Bruxelles, l’accès de ce lobby au processus politique est remarquablement institutionnalisé.
Le Dialogue espère supprimer les « barrières non tarifaires » au commerce telles que les systèmes européens de labellisation écologique des produits, les restrictions de la mise sur le marché de produits génétiquement modifiés ou encore, aux USA, les dépenses publiques destinées à soutenir les économies locales. En 1998, ce processus très informel de déréglementation mutuelle a été actualisé et rebaptisé pour devenir le très officiel Partenariat économique transatlantique [TEP], dont la stratégie d’approche furtive consiste à éviter de parler de zone transatlantique de marché libre – ce dont il s’agit pourtant indéniablement.
L’ami touché & coulé
Alors que le Partenariat transatlantique n’a pas encore été la cible de campagnes concertées des groupements écologiques ni d’autres associations de citoyens, l’Accord multilatéral sur l’investissement [AMI] n’a, quant à lui, pas échappé à ce sort. Ce traité fort discutable fut négocié à l’OCDE entre 1995 et fin 1998, date à laquelle l’animosité publique provoqua sa fin. Négocié secrètement, avec la seule participation de l’industrie internationale, l’AMI aurait fait disparaître un bon nombre de mesures réglementaires liées à l’investissement industriel, à la protection des économies locales, au droit des travailleurs et à l’environnement. Il aurait également permis aux multinationales d’avoir recours à une cour de justice constitutionnelle internationale indépendante lui permettant de demander des compensations financières aux politiques gouvernementales perçues comme « discriminatoires ». On peut voir, dans cette campagne victorieuse de l’opinion publique contre l’AMI un revirement possible de situation par rapport à la déferlante de déréglementations touchant le commerce international et l’investissement qui caractérisent les années 1990.
La Commission européenne a fermement continué de soutenir l’AMI et de pousser à sa ratification jusqu’à ce que la montée en puissance de l’opinion publique devienne incontrôlable, persévérant même tandis que les gouvernements abandonnaient les uns après les autres des négociations vouées à l’échec. La bataille était conduite par le puissant commissaire au Commerce européen, Sir Leon Brittan, qui affiche à la fois un véritable mépris pour la démocratie et un néolibéralisme radical – aux dires de Renato Ruggiero, président de l’OMC, Brittan est « l’un des plus importants avocats du marché libre de la décennie (2). »
Un monde à vendre
En 1998, la Commission européenne batailla pour imposer à l’OMC une nouvelle vague de libéralisation du commerce et de l’investissement connue sous le nom de Millenium Round. En phase de préparation, la Commission réactiva ses relations avec l’industrie européenne pour l’encourager à participer à la définition des positions de l’UE. Cette relation politico-industrielle amicale, renforcée au cours des négociations pour l’Accord sur les services financiers de l’OMC en 1997, s’est abjoint depuis d’un processus opportuniste de « dialogue » avec la société civile.
Le palmarès écologique et social de l’OMC pour ses quatre premières années est plutôt catastrophique : les grandes firmes ont été les bénéficiaires satisfaites des traités qu’on y a signé alors que, à travers le monde, les communautés et les petits agriculteurs ont eu à en souffrir. De plus, son schéma de développement économique est de plus en plus considéré comme écologiquement incohérent. Dans ses directives ayant trait aux conflits sur les bananes, aux bœuf aux hormones et à de nombreux autres produits, l’OMC a fait passer le commerce avant toutes autres considérations écologiques, sociales, médicales ou relatives aux consommateurs. Pourtant, bien que la réaction contre l’OMC et ses directives ait pris de l’ampleur, la Commission espère toujours élargir son champ d’action et renforcer ses pouvoirs.
Déficit démocratique
La prise de décisions en matière de politique commerciale internationale et d’investissement est malheureusement l’un des domaines dans lesquels le déficit démocratique de l’UE est le plus criant. Les États membres ont, en lui déléguant la plupart de leurs pouvoirs, abandonné à la Commission leur liberté de décider de l’agenda politique. Elle négocie pour eux dans les organismes –tels que l’OMC –et détient le droit exclusif de prendre de nouvelles initiatives commerciales. La grande majorité des décisions concernant le commerce et l’investissement européens sont prises par le puissant « Comité 133 (3)», constitué d’officiels des États membres spécialistes du commerce et de représentants de la Commission. Seuls les problèmes d’importance majeure ou sujets à controverse sont soumis aux ministres européens du Commerce extérieur.
« La Commission est comme un chien au bout d’une très longue laisse », observe le député européen Michael Hindley (4)… Une description qui s’applique particulièrement bien au commissaire Leon Brittan, partisan fanatique du marché libre. Bien que le Parlement européen soit informé, il manque de réel pouvoir de décision en matière de commerce extérieur. Les parlements nationaux ne parviennent pas à exercer un contrôle efficace sur leurs ministres du commerce auprès de l’Union par manque d’informations et méconnaissance des problèmes de commerce et d’investissement internationaux. Cela fait bien trop longtemps que ces sujets critiques sont traités comme de simples problèmes techniques. Heureusement, grâce au sursaut de l’opinion publique contre l’AMI et à la crise financière mondiale dévastatrice, les politiques européennes sont de plus en plus sous surveillance.
La crise financière de ces dernières années a démontré l’alarmante instabilité d’une économie mondiale déréglementée. Un dommage sans précédent a été infligé à des millions de citoyens dans les pays les plus durement touchés. L’Organisation international du travail [OIT]) estime que 20 millions de travailleurs ont perdu leur emploi rien qu’entre juillet 1997 et septembre 1998 ; c’est-à-dire, avant même que la Russie et le Brésil soient, à leur tour, gravement touchés par la crise (5). En juin 1999, la Banque mondiale estimait que près de 200 millions de personnes avaient été plongées dans une « indigne pauvreté » suite au krach financier. Faisant passer de ce fait le nombre total de personnes vivant dans la pauvreté à plus de 1,5 milliards (6).
L’Europe refuse cependant de reconsidérer le cours actuel de la mondialisation économique et reproche impitoyablement aux gouvernements des pays touchés de catalyser la crise par une mauvaise gestion financière.Elle nie aussi avec véhémence tout lien possible entre la crise et la libéralisation du commerce et de l’investissement. Il est clair que, étant donné l’ampleur de ses ambitions en ce qui concerne le renforcement de telles politiques par le biais de l’OMC, l’Europe espère éviter un débat sur les effets catastrophiques de la déréglementation débridée de ces dernières années. Ainsi continue-t-elle partout à encourager de façon inadmissible la libéralisation du commerce international au prix d’une misère sociale accrue et d’une dégradation accélérée de l’environnement.
Malgré les promesses de « retombées favorables » de la croissance économique due au commerce international, le fossé entre riches et pauvres continue à se creuser. Sous sa forme actuelle, la mondialisation est responsable d’une aggravation spectaculaire des inégalités à l’échelle planétaire (7). En 1965, le revenu national moyen des pays du G7 était 20 fois plus élevé que celui des 7 pays les plus pauvres du monde. En 1995, il était 39 fois supérieur. Les inégalités et la polarisation des revenus sont également de plus en plus marquées à l’intérieur des frontières : la part des 20 % les plus fortunés de la population a augmenté dans la plupart des pays depuis le début des années 1980 (8). La libération des forces de marché est responsable de ces tendances et cette situation persistera tant que l’économie ne sera pas soumise à de nouvelles réglementations (9).
Pourtant, selon les dirigeants de l’Union européenne, la solution réside dans l’augmentation de la libéralisation et l’expansion du marché. Et ceci bien que la part de la production mondiale exportée soit déjà actuellement de près de 25 % pour 7 % en 1950 (10). Beaucoup de petits pays du Sud sont déjà dépendants du commerce international – certains pour environ 40 % de leur PNB –, ce qui les place dans une position extrêmement vulnérable. L’intensification des inégalités devient même, de façon frappante, un véritable problème dans les riches pays du Nord qui bénéficient généralement le plus du processus de mondialisation conduit par l’industrie. Bien que certains rapports de l’UE reconnaissent qu’à l’époque actuelle de turbulence « les travailleurs non qualifiés risquent de perdre leurs emplois », l’Union persévère dans sa croyance en une mondialisation économique favorable aux sociétés européennes (11).
Qui profite ?
Les évidents bénéficiaires des politiques de commerce et d’investissement de l’Union sont les multinationales basées en Europe, dont les affaires se traitent à l’échelle planétaire. Si des firmes telles que Nestlé, Shell et Unilever, bien établies dans plus de 100 pays à travers le monde, jouissent depuis des années de leur stature internationale, elles sont maintenant rejointes par d’autres compagnies telles qu’Ericsson, Saint-Gobain et Pirelli. Les grandes firmes transnationales basées aux USA, en Europe et au Japon dominent l’économie mondiale émergeante : les 500 plus importantes contrôlent plus des deux tiers du commerce mondial et plus d’un tiers de l’actif de production total de la planète ; presque tous les secteurs de l’économie mondiale se trouvant sous l’emprise d’une poignée d’entre elles.
Cette tyrannie économique ne pourra que s’intensifier au cours des années à venir. Les multinationales vont continuer à tirer profit des économies d’échelle et des avantages technologiques grâce à leurs positions solidement étayées par des politiques et des réglementations déterminées par des institutions internationales telles que l’OMC et le FMI. Pendant que l’économie mondiale croît de 2 à 3 % chaque année, les multinationales croissent, elles, de façon caractéristique, de 8 à 10 % (12). Les perpétuelles fusions et acquisitions, qui représentent 80 % de l’ensemble des investissements internationaux, alimentent également leur croissance (13). En 1997, les fusions et acquisitions internationales ont atteint le record sans précédent de 342 milliards de dollars – et on s’attend à ce que cette tendance s’accentue (14). L’investissement direct à l’étranger [IDE] a fait plus que doubler depuis 1990 et fut multiplié par sept depuis 1980 pour atteindre le nouveau record de 430 milliards de dollars en 1998 (15).
La crise financière n’a fait qu’augmenter l’appétit des multinationales pour les « marchés émergeants » d’Asie de l’Est et d’Amérique latine. De récents « programmes de réajustement » du FMI pour les économies délabrées de la Corée du Sud, de la Thaïlande, de l’Indonésie et du Brésil comportaient des clauses visant à faire tomber pratiquement toutes les obstacles à l’investissement étranger qui auraient pu être directement tirées du texte de l’AMI (16). Dans ces économies plus exposées, les multinationales achètent des firmes locales pour des prix dérisoires et s’approprient par la même occasion de nouveaux marchés (17).
Bien que les multinationales se présentent comme des créateurs de richesse et d’emplois, les chiffres viennent les contredire. En fait, la suppression d’emplois est l’une des caractéristiques principales d’une firme compétitive et rentable. Entre 1993 et 1995, le chiffre d’affaire global des 100 plus importantes multinationales a augmenté de 25 %. Elles ont, dans le même temps, réduit de 4 % leur main-d’œuvre globale de 5,8 millions d’employés – soit plus de 225 000 personnes (18). La volonté des multinationales de fusionner, délocaliser, automatiser et centraliser la production et la distribution constituent autant de modalité de suppressions d’emplois. Une partie de la main-d’œuvre obsolète sera peut-être employée par des sous-traitants, source de main-d’œuvre « flexible » à laquelle les multinationales ont de plus en plus recours. Ces sous-traitants sont souvent adroitement mis en concurrence les uns avec les autres, entraînant des baisses de prix accompagnées de réductions de salaires et du déclin des conditions de travail. Les investissements directs à l’étranger des multinationales ne servent donc qu’à produire toujours plus avec toujours moins d’employés.
Une étude réalisée en 1996 parmi les adhérents du TUAC (le comité syndical consultatif de l’OCDE) a révélé que les multinationales « utilisent de plus en plus fréquemment la menace de délocalisation pour peser sur les résultats des négociations collectives, dissimulent certaines informations aux syndicats et, dans certains cas, vont même jusqu’à dénoncer effrontément les accords tout en affaiblissant les normes écologiques, de sécurité et d’hygiène (19) ». Cette menace provient de la troublante tendance des multinationales à délocaliser une partie de leur production dans des pays à bas salaires et aux normes écologiques plus laxistes. Ainsi, un passage en revue récent des dispositifs de production de 22 compagnies informatiques ayant leur siège dans des pays industrialisés a révélé qu’elles avaient délocalisé la moitié de leurs activités de fabrication et d’assemblage – activités extrêmement polluantes – vers le Sud (20).
La mondialisation et la déréglementation économiques ont engendré une cercle vicieux dans lequel la dépendance vis-à-vis des investissements force les travailleurs, les communautés et les gouvernements à participer à un système de plus en plus dur de concurrence sur les salaires, la fiscalité, l’écologie et tout autre processus susceptible de freiner l’investissement. La compétitivité internationale est en train de devenir le seul et unique indicateur de la santé d’une société. Ce qui va inévitablement provoquer la chute libre des normes sociales et écologiques, retardant ou bloquant les progrès désespérément attendus dans ces domaines. Si l’on tient compte de l’exploitation accrue des ressources naturelles (agriculture intensive, exploitations minières à outrance, pêche, sylviculture, etc.) et des énormes quantités d’énergie dépensées à transporter les produits d’un bout à l’autre de la planète, le caractère fondamentalement indéfendable de la mondialisation régie par l’industrie saute aux yeux.
La désagréable vérité sur les multinationales, c’est que le supplément de croissance, d’investissement, de monopolisation et de concentration sur lesquelles elles se fondent – au même titre que les pertes d’emplois et les dégradations écologiques qui en résultent – sont la preuve d’une déficience structurelle majeure du système économique néolibéral que nous connaissons aujourd’hui. Par chance, cependant, le nombre et l’influence de ceux qui exigent que cesse cette course sans fin à la déréglementation augmentent aussi bien en Europe que dans le reste du monde.
CHAPITRE XI
La connexion transatlantique
En novembre 1998, les ministres européens des Affairestrangères donnèrent leur feu vert à la Commission pour entamer des négociations avec les États-Unis sur le Partenariat économique transatlantique [TEP], un programme visant à éliminer toutes barrières au commerce transatlantique. Ce projet n’est qu’une version retravaillée du Nouveau marché transatlantique [NMT], zone de libre échange entre les USA et l’UE, prévu pour l’an 2010 mais finalement bloqué par le gouvernement français début 1998.
Bien que moins ambitieux que son malheureux prédécesseur et présenté donc comme inoffensif, ce « partenariat » constitue, des deux côtés de l’Atlantique, une sérieuse menace pour la démocratie aussi bien que pour les normes écologiques, de sécurité et d’hygiène. En l’adoptant et en se fondant sur les réalisations du Dialogue sur le commerce transatlantique [TABD] depuis 1995, c’est une place centrale dans la structure étatico-industrielle autonome qu’on a offerte au Partenariat économique [TEP] pour déterminer les politiques économiques, commerciales, industrielles, environnementales, etc. de l’Europe et des États-Unis.
Tuer le nouveau marché transatlantique ?
Né en février 1998, le Nouveau marché transatlantique [NMT] – un des nombreux « bébés-libre échange » de Sir Leon Brittan – proposait l’élimination avant 2010 de toutes les barrières subsistantes au commerce de services et à la tarification des produits (1). Il était prévu que les barrières techniques et non tarifaires tombent grâce à l’harmonisation et à la reconnaissance mutuelle des normes et des réglementations. Les marchés publics, la propriété intellectuelle et l’investissement auraient été entièrement libéralisés. Un système indépendant de gestion des litiges transatlantiques devait également favoriser cette déréglementation. Le gouvernements français, entre autres, estimant que Brittan allait beaucoup trop loin, exprima par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Hubert Vedrine, son « profond désaccord avec le fond même de cette initiative (2) ». La France craignait, entre autres choses, que les USA utilisent les négociations avec la Commission comme prétexte pour peser sur les législations de l’audiovisuel et de l’agriculture. Par ailleurs, les Français s’indignaient de ce que Brittan ait entamé les discussions avec le gouvernement américain avant même d’en avoir reçu mandat des États membres européens. En avril 1998, lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union, les Français bloquèrent le démarrage des négociations (3). Brittan n’a pas semblé cependant particulièrement découragé, indiquant que sa proposition était un « début et non une fin ». La signification de ces propos est rapidement devenue claire.
Lors des deux semaines écoulées entre la réunion d’avril et le sommet UE-USA du mois de mai suivant, d’intenses négociations eurent lieu, tout d’abord entre le Senior High Level Group (qui rassemble des responsables commerciaux et financiers du plus haut niveau provenant des deux côtés de l’Atlantique) et le Comité des représentants permanents de l’Union [COREPER] [voir Appendice 1] ; puis entre le gouvernement britannique (qui détenait alors la présidence européenne) et le gouvernement américain. Lors d’une conférence de presse commune faisant suite au sommet UE-USA, le président américain Bill Clinton, le président de la Commission européenne Jacques Santer et le premier ministre britannique Tony Blair annoncèrent la naissance du Nouveau partenariat économique transatlantique européen – rapidement rebaptisé Partenariat économique transatlantique [TEP] (4). Le TEP a été présenté par le président Clinton comme une nouvelle initiative commerciale globale par laquelle les partenaires allaient « travailler à l’élimination des barrières commerciales, aussi bien bilatérales que multilatérales… dans environ une douzaines de secteurs (5). »
Que cache le TEP ?
Avec le Partenariat, les USA et l’UE ont entamé des négociations sur une coopération renforcée pour parvenir à « des résultats substantiels avant l’an 2000 ». L’attention se portera tout particulièrement sur les services, les tarifs industriels, les droits de propriété intellectuelle, l’investissement, les marchés publics et l’agriculture. On se concentrera essentiellement sur « les barrières vraiment importantes ». En d’autres termes, celles « qui entravent l’ouverture des marchés, aussi bien pour les produits que pour les services (6). » Les premiers objectifs concrets ont été définis en septembre 1998 (7).
À la différence du premier projet de marché transatlantique, bien trop discutable politiquement, il est fort probable que son successeur ne rencontrera pas d’opposition majeure. Malgré des objectifs pratiquement identiques, la nouvelle approche progressive de suppression des barrières opposées au commerce et à l’investissement est efficacement transférée de la sphère politique vers la sphère technique. Des termes sujets à controverse tels qu’« harmonisation », « marché commun » ou « zone de libre-échange » sont soigneusement évités au bénéfice de quelques mots gentils sur la santé et l’environnement. Pourtant, bien que le processus d’élaboration d’une réglementation commune soit dissimulé, le but final est bel et bien l’harmonisation d’un marché commun et l’installation d’une zone de libre-échange : « Éliminer ou réduire de façon substantielle les dernières barrières dues à des exigences réglementaires supplémentaires ou différentes, imposées aux produits importés par l’autre partie, tout en maintenant un haut niveau de protection du consommateur et le souci de la santé humaine, animale ou végétale ou encore de la sécurité et de l’environnement (8). »
Les administrations européennes et américaines ont, sans nul doute, tiré les leçons de l’expérience de l’AMI [voir chap. XII], exemple type de traité « big-bang » engageant les pays signataires vers une libéralisation totale de l’investissement. L’AMI a rencontré une opposition sans précédent née de la coalition à l’échelle mondiale d’un grand nombre de mouvements sociaux et finit par être rejeté dans sa forme initiale. De façon similaire, le premier projet de marché transatlantique était également vulnérable en raison de sa formulation menaçante et de sa brutalité en matière de délais. Stratégiquement présenté, proposant divers dialogues avec les syndicats et les sociétés civiles ainsi que des délais moins rigoureux, le TEP a été conçu pour faire le moins de vagues possible dans l’opinion publique.
UE-USA : partenaires planétaires
Le partenariat transatlantique fait bien plus que construire un marché commun entre Europe et USA. Le second pilier de cet accord est un programme tout aussi ambitieux de part et d’autre pour une « action multilatérale » dans lequel UE et USA réaffirment leur « détermination à maintenir les marchés ouverts, à résister au protectionnisme et à soutenir l’élan de libéralisation. [… Tandis qu’ils] accorderont la priorité à la poursuite de leurs objectifs en collaboration avec d’autres partenaires commerciaux grâce à l’OMC (9). » Il s’agit donc bien d’instaurer officiellement un dialogue régulier et structurel entre les deux partenaires afin d’atteindre leurs objectifs communs au sein de l’OMC (10).
Cette volonté de travailler en tandem à l’OMC va, de fait, officialiser et accélérer un processus en marche depuis le début des années 1990. Les positions communes sur les problèmes traités à l’OMC sont généralement établis au sein du groupe qui rassemble Europe, USA, Japon et Canada ainsi qu’au cours des sommets UE-USA. Après que les plus grandes économies mondiales soient parvenues à un tel consensus sur leurs intérêts communs, dans la plupart des cas, il s’est avéré impossible aux gouvernements des pays du Tiers Monde dont les économies reposent sur la concurrence de résister. Cela explique partiellement pourquoi les accords de l’OMC penchent toujours si fortement en faveur des intérêts des pays du Nord et de leurs multinationales.
Marchés publics & biotechnologie
Dans la longue liste des problèmes du TEP liés au commerce bilatéral, les marchés publics et la biotechnologie figurent parmi les plus importants à contrer. Dans ce qui sera, en réalité, un marché public unique UE-USA, les gouvernements, au niveaux national, régional et local, seront obligés d’offrir aux compagnies européennes ou américaines les meilleures conditions sans tenir compte de leur pays d’origine. Accorder ce « traitement national » à toute firme basée en Europe ou aux USA signifiera la fin de l’« offre publique » et des diverses autres dispositions en faveur du renforcement des économies locales ayant survécu aux vagues de libéralisation précédentes (11).
En ce qui concerne la biotechnologie, le partenariat UE-USA propose « l’installation d’un système de mise en garde préalable pour tenter de minimiser les litiges dans des domaines tels que la sécurité alimentaire et les récoltes génétiquement modifiées (12). » Le gouvernement américain explique que, « les USA ayant les germes de soja, le maïs et l’alimentation ou la nourriture pour animaux pour principaux supports de l’agriculture, [le TEP va] en faciliter l’exportation et réduire les démêlés commerciaux qui caractérisent les transactions agricoles bilatérales et qui représentent aujourd’hui un surcroît de 15 milliards de dollars (13). » Selon le délégué américain au Commerce, le TEP va « améliorer l’efficacité des procédures réglementaires concernant la sécurité alimentaire et l’approbation des produits biotechnologiques ». Bien que tout cela puisse sembler bénin, un regard plus attentif à ce que l’industrie américaine et les partisans de la biotechnologie installés à leur gouvernement tentent de réaliser là laisse présager un scénario plutôt inquiétant.
Les ambitions du gouvernement américain & de l’industrie
Une audience du Congrès en juillet 1998 confirma que l’industrie américaine accueillait avec plaisir le TEP pour les possibilités qu’il offre de supprimer les « encombrantes » réglementations européennes. Adepte du Partenariat transatlantique, Mary Sophos, vice-présidente des Affaires gouvernementales, ne fait aucun secret du fait qu’elle perçoit cet accord comme une opportunité de réduire l’intervention du gouvernement dans le secteur agro-alimentaire (14). Au nom du GMA – Grocery Manufacturers of America, association de producteurs de denrées alimentaires, de boissons et de produits de consommation dont les ventes annuelles américaines s’élèvent à plus de 430 millions de dollars –, Sophos a lancé une offensive contre les réglementations européennes qui régissent l’accès au marché des produits génétiquement modifiés. Plaidant pour l’harmonisation entre les deux partenaires commerciaux, elle a proposé que le TEP commence par « rendre transparents, prévisibles et compatibles les processus réglementaires, américains et européens, concernant ce domaine (15). »
Le sous-secrétaire américain au Commerce, David Aaron, s’est exprimé plus explicitement : « Malheureusement, l’Europe, qui représente un important marché pour les produits alimentaires, les aliments pour animaux et divers autres produits agricoles américains, procède avec lenteur et de façon imprévisible à l’approbation des nouveaux produits agricoles américains développés grâce à des méthodes biotechnologiques de pointe (16). » Aaron décrit ensuite les difficultés rencontrées par certains produits bio-manipulés – tels que les germes de soja Roundup Ready de Monsanto ou le maïs Bt de Novartis – pour obtenir l’accès au marché européen et conclut que « le processus d’approbation de l’UE pour les produits biotechnologiques reste opaque et trop politique. Nous devons travailler en étroite collaboration avec l’UE afin d’achever la mise en place du système d’approbation et de le développer de façon à ce qu’il soit fonctionnel, rapide et transparent pour les futures récoltes biotechnologiques (17). » Aaron s’est toutefois montré optimiste, puisque « la Commission européenne semble comprendre nos frustrations par rapport au processus d’approbation de l’UE et s’efforce, en proposant cette année, plus d’offres pour le maïs, de rattraper les ventes perdues (18). » Afin d’illustrer la façon dont devrait fonctionner une telle coopération transatlantique, Aaron cita pour exemple l’épineux problème de l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés [OGM] que demandent nombre de consommateurs européens et auquel l’industrie se refuse : « Les négociateurs américains rencontrent cette semaine leurs homonymes européens pour tenter d’éclaircir les lignes directrices définissant les conditions dans lesquelles un produit doit être étiqueté ou non. L’étiquetage et le processus d’approbation des OGM seront également pris en main par le Biotech Group du TEP (19). »
Puisque le but de l’intensification de la coopération entre Europe et États-Unis en matière de réglementation du secteur biotechnique et de la sécurité alimentaire est la suppression des barrières à la libre circulation des produits alimentaires, il existe de bonnes raisons de s’inquiéter. Le TEP a pour objectif de mettre fin aux conflits qui, depuis quelques années, font rage autour de l’accès au marché de produits tels que bœuf, produits laitiers contenant des hormones ou des OGM. Bien que les accords insistent sur le fait que « des normes élevées de protection en ce qui concerne la santé, les consommateurs et l’environnement seront maintenues », des groupements de citoyens critiquent d’ores et déjà comme antidémocratiques et favorables aux intérêts industriels les procédures existantes d’approbation des produits biotechnologiques. Il est fort probable que l’harmonisation des réglementations ne fasse qu’aggraver ces problèmes.
De plus, les vues de l’industrie et du gouvernement américains sur la déréglementation européenne mettent en péril les lois ordinaires sur l’environnement et la protection du consommateur. Désignée comme une cible « mûre » pour être supprimée dans le cadre du TEP, l’éco-étiquetage est présenté par Sophos comme le reflet « de valeurs culturelles locales ou d’inquiétudes écologiques spécifiques [qui] constituent une discrimination contre la concurrence internationale (20). » Au nom de l’association de producteurs de denrées, Sophos s’en est également pris à la directive sur l’emballage et, plus particulièrement, au système de recyclage allemand, considérés comme des obstacles au commerce. Elle plaide plutôt pour la « responsabilité partagée » et les « programmes de coopération volontaire » (21). L’étiquetage d’informations nutritionnelles et les lois « très restrictives » de l’UE sur les additifs alimentaires font également partie des habitudes à déréglementer.
Une fois approuvé, partout accepté
Les Accords de reconnaissance mutuelle [ARM] constituent un autre élément central du Partenariat : une « reconnaissance mutuelle des procédures de test et d’approbation ou d’équivalence des exigences techniques et autres », dont l’objectif final est « l’adoption de normes et des mêmes exigences ou procédures réglementaires unifiée [par l’]alignement progressif » (22). Peu savent qu’une première série d’accords de reconnaissance était déjà signée au moment du sommet UE-USA de mai 1998. Six secteurs d’importance étaient concernés : télécommunications, équipement médical, compatibilité électromagnétique, sécurité électrique, industrie du divertissement et produits pharmaceutiques.
La première série d’accords traite principalement des procédures de test : mutuellement reconnus, des tests permettent à un exportateur européen d’utiliser les procédures de test américaines en Europe pour les produits qu’il veut exporter aux États-Unis. De telles simplifications constituent de toute évidence un avantage énorme pour le commerce international, qui apprécie toujours la simplification maximale des formalités bureaucratiques d’exportation. Bien que l’UE souligne que le pays importateur peut toujours déterminer ses propres normes, les ambitions des prochains accords vont beaucoup plus loin. Ainsi, une organisation non-gouvernementale américaine, le CNI (Community Nutrition Institute), a exprimé sa « plus grande réserve » en ce qui concerne ces accords en raison de « leur tendance à abaisser les normes d’hygiène, de sécurité et écologiques aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. [… Les ARM] vont rendre de plus en plus difficile pour les autorités réglementaires la tâche de maintenir leurs obligations statutaires concernant la santé et la sécurité de la population américaine (23). »
Ceci n’a rien de surprenant : le but premier de ces accords est d’augmenter la circulation commerciale grâce à la suppression des barrières qui la freinent encore, et ceci afin de garantir l’accès aux marchés plutôt que d’instituer de hautes normes environnementales, de sécurité ou d’hygiène. Le point de départ des négociations de ces accords est généralement le plus petit dénominateur commun (en d’autres termes, le moins de normes possible), ce qui signifie que l’une des parties sera, par défaut, forcée d’accepter des normes plus basses que les siennes, pourtant démocratiquement instituées. Le fait que ces accords soient établis sous forme d’offres globales nuit également à la transparence de ce processus. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si les ARM ont été les instruments majeurs de la construction du marché unique européen dans les années 1980, lorsque les gouvernements européens hésitaient à harmoniser globalement leurs législations (24).
Les connexions du TABD
La grande priorité accordée aux accords de reconnaissance dans le plan d’action du TEP n’est qu’un exemple du rôle clé joué par le Dialogue sur le commerce transtlantique [TABD] dans cette dernière étape vers la libéralisation du commerce transatlantique. Après être restés relativement discrets jusqu’à 1995, mais dès qu’il est devenu évident que les gouvernements traîneraient les pieds, les ARM furent promues « priorité première » du collectif de travail sur les normes et les politiques de réglementation UE-USA du Dialogue (25). Selon ce collectif, « à l’ère des grandes multinationales et d’une intégration économique mondiale accélérée, le système de réglementations strictement national n’est plus ni rationnel ni efficace. Ces systèmes peuvent même faire obstacle au commerce en interdisant à des acteurs étrangers l’accès à l’économie nationale (26). »
Si les produits chimiques sont la nouvelle priorité des accords à établir entre UE-USA, le Dialogue milite également pour une reconnaissance mutuelle dans le domaine des OGM, dressant généreusement à cette fin la liste des « obstacles à leur commercialisation ». En 1997 à Rome, le Dialogue a par exemple invité les différents gouvernements à trouver un accord sur « des directives réglementaires compatibles afin d’obtenir non seulement un consensus total sur le sujet mais aussi une reconnaissance mutuelle des critères de sécurité (27). » C’est afin de hâter le processus dans ce domaine lucratif que fut proposée la création d’un organisme étatico-industriel commun à l’Europe et aux USA. Conduite par Unilever et Monsanto, cette initiative du TABD en faveur des biotechnologies incite les entreprises concernées à « identifier les causes éventuelles des difficultés commerciales et proposer des moyens de les éliminer (28). » Son but ultime est de développer des accords qui impliquent des « pays tiers » afin de « développer à l’échelle mondiale un vrai réseau d’accords bilatéraux préconisant des procédures de conformité identiques (29). »
Les copains d’abord
Le Dialoguesur le commerce transatlantique – qui réunit les plus importantes multinationales européennes et américaines – est né en 1995 d’une initiative commune de la Commission européenne (menée par le vice-président de la Commission et commissaire au Commerce Sir Leon Brittan et le commissaire aux Affaires industrielles Martin Bangemann) et du département américain du Commerce. La presse souligna à l’époque que la Table Ronde des industriels européens [ERT] [voir chap. III] était également l’une des forces motrices de cette initiative. Sir Leon Brittan justifia ainsi la nécessité d’un tel dialogue : « Au fur et à mesure que les multinationales et les institutions financières deviennent des acteurs de plus en plus importants, elles doivent également prendre conscience de leurs responsabilités. Nous devrions approfondir de nouvelles façons de faire participer les dirigeants du secteur privé aux discussions concernant les priorités en matière de politique économique internationale. Le TABD est un forum au sein duquel nous commençons, avec succès, à mettre ce principe en pratique (30). »
Le Dialogue séduisit les gros bras industriels habituels. Jan Timmer, président de Philips, en fut le coprésident européen en 1997, remplacé en 1998 par Jürgen Schrempp de DaimlerChrysler, puis en 1999 par Jérôme Monod de la Lyonnaise des eaux. On compte parmi les grandes firmes européennes membres du TABD et également membres ou ex-membres de l’ERT : Asea Brown Boveri, Bayer, Bertelsmann, Ericsson, ICI, Olivetti, Pirelli, Philips, Siemens, Solvay et Unilever ; chez les Américains figurent notamment Boeing, Enron, Federal Express, Ford, IBM, Motorola, Nokia, Pfizer, Procter & Gamble, Time Warner, Westinghouse et Xerox (31).
La conférence inaugurale du TABD eut lieu à Séville, en novembre 1995. Depuis, ses conférences annuelles se sont successivement déroulées à Chicago, Rome et Charlotte (Caroline-du-Nord). Elles rassemblent généralement plus d’une centaine de PDG de l’industrie ainsi que des ministres, des commissaires européens et autres officiels de haut niveau. Après Séville, Jan Timmer de Philips (alors l’un des membres dirigeants de l’ERT) déclara que « tout le monde était tombé d’accord sur le fait qu’il existait actuellement trop de réglementations et qu’elles constituaient de graves et inutiles entraves au commerce. » La réunion suivante à Chicago fut, selon Sir Leon Brittan, « un événement innovateur et enthousiasmant. Avec le gouvernement américain, nous avions demandé aux hommes d’affaires des deux côtés de l’Atlantique de se rassembler pour voir s’ils pouvaient parvenir à un accord sur les prochaines actions à entreprendre. S’ils y parvenaient, les gouvernements auraient du mal à justifier leurs réticences. Le résultat fut spectaculaire. Dirigeants industriels européens et américains demandèrent d’une seule voix une plus grande et plus rapide libéralisation du commerce. Et cela a eu un effet immédiat (32). »
Faire tomber les barrières
L’objectif de cet organisme hybride est « la réalisation d’un vrai marché transatlantique grâce à la mise en place d’un plan d’action destiné à supprimer les obstacles opposés au commerce et à la libre circulation des investissements à travers l’Atlantique (33). » Pour identifier ces barrières, les membres du TABD ont choisi de dialoguer par l’intermédiaire de nombreux groupes attachés à des problèmes particuliers plus spécifiquement concentrés sur des thèmes tels que les normes, les politiques de certification et de réglementation concernant divers secteurs (dont les secteurs biotechniques, pharmaceutiques et chimiques) ; les problèmes de commerce multilatéral au sein de l’OMC ou divers autres accords commerciaux ; l’investissement ; la propriété intellectuelle ; etc.
Un nombre impressionnant de recommandations du TABD – jusqu’à 80 % selon les officiels américains (34) – sont reprises par les gouvernements européens et américains pour devenir des politiques officielles. Comme l’explique Sir Leon Brittan, « il est de notre devoir d’essayer de mettre leurs recommandations en pratique – ou, dans le pire des cas, de nous asseoir avec eux pour leur expliquer pourquoi nous ne pouvons pas et tenter de trouver une autre approche (35). »
Bien que les membres du Dialogue eûssent préféré que le marché transatlantique fonctionnât comme prévu, ils se montrent néanmoins un fervent partisan du TEP. Le directeur européen du TABD Stephen Johnston se souvient : « Juste avant notre grande conférence à Charlotte, les gouvernements discutaient encore le plan d’action du TEP et ne parvenaient pas à s’entendre. À cause de la conférence, et parce que le vice président Al Gore – qu’ils ne voulaient pas mettre dans l’embarras – s’y rendait, ils parvinrent à un accord juste avant la conférence. C’est une illustration du pouvoir décisif de la conférence du TABD qui sut imposer un accord en temps voulu (36). »
Le TABD n’a pas d’existence juridique officielle et limite sa structure organisationnelle au minimum en s’appuyant, pour sa direction, sur les dirigeants industriels. Selon Johnston, « le TABD est simplement un rassemblement d’entreprises concernées. Il n’existe pas de réel noyau constituant. Ce bureau pourrait disparaître en quelques minutes ; il n’est pas permanent et ne devrait pas l’être (37). » Pour Johnston toujours, les PDG fondateurs de ce groupe de pression ont sciemment décidé de ne pas créer une nouvelle organisation : « Ils voulaient quelque chose de ciblé et d’énergique, qui ne soit ni une perte d’argent ni une perte de temps. C’est la raison pour laquelle ils ont ouvert ce petit bureau. » Les coûts de fonctionnement du bureau de Bruxelles sont à la charge de l’entreprise européenne qui détient la co-présidence du TABD (38).
« Participons » au TEP
Une autre différence entre feu le marché transatlantique et son successeur le TEP est l’émergence d’une relative participation de la société. Troisième volet donc : après la libéralisation du commerce bilatéral et une coopération accrue UE-USA dans l’agenda de l’OMC, « les organisations non-gouvernementales qui le désirent [sont invitées] à participer et à approfondir le dialogue sur les problèmes scientifiques de protection du consommateur, de sécurité ou d’environnement relatifs au commerce international afin d’apporter leur contribution constructive à l’élaboration des politiques (39). » Lors d’une conférence de presse, à Londres, en clôture du sommet UE-USA de mai 1998, le président Clinton annonça que les partenaires transatlantiques « feraient un effort pour offrir à tous les acteurs de la vie économique – écologistes, représentants des travailleurs et autres acteurs de la société civile – une chance d’être entendus lors de ces négociations (40). »
Il existe de bonnes raisons de nourrir quelques soupçons quant aux motivations de cette invitation à « participer ». Tout d’abord, cette ouverture se produit bien tard dans la partie : après que le TABD ait travaillé trois ans et que le projet soit dessiné dans ses moindres détails. Elle se produit également à un moment où les gouvernements européens et américain devaient faire face à une opposition sans précédent contre leurs politiques de libéralisation – comme cela a été démontré avec l’AMI et le refus du Congrès américain d’accorder au président Clinton des pouvoirs de négociations commerciales accélérées pour les politiques commerciales des USA. Vue sous cet angle, cette invitation à « participer » dégage comme un parfum de stratégie classique de cooptation mise en œuvre dans le simple but de circonvenir l’opposition à la libéralisation transatlantique.
Dialogues transatlantiques : un petit coup de vert ?
En fait, les gouvernements ont pris l’initiative d’un Dialogue transatlantique pour un développement durable en 1997 ; suivi un an plus tard d’un Dialogue sur le travail, d’un autre sur la consommation puis sur l’environnement. Bien que la plupart des ONG semblent apprécier l’invitation, de sérieuses discordances sont notables entre chacun de ces différents « dialogues ».
Coordonné par l’AFL-CIO aux USA et la Confédération des syndicats européens [ETUC] en Europe, le Dialogue sur le travail s’est réuni pour la première fois en avril 1998. Ce groupe espère être en mesure d’intervenir aux sommets UE-USA à venir – un droit dont le TABD bénéficie depuis 1995 (41). Le Dialogue sur un développement durable, entamé en juin 1997 lors d’une conférence au Portugal, implique des représentants des gouvernements, d’ONG et de l’industrie. Partenaires européens pour l’environnement, créé en 1993 par le Bureau européen pour l’environnement et Dow Chemicals pour renforcer le dialogue entre ONG écologistes et industries, est le coordinateur européen de ce lobby dont Monsanto et Dupont font partie en tant que firmes fondatrices (42).
Le Dialogue transatlantique sur les consommateurs, dont la première rencontre à eu lieu en septembre 1998, est coordonné par la Fédération américaine de consommateurs [Consumers Federation of America] et, en Europe, par Consumers International. Ce groupe propose de présenter aux dirigeants gouvernementaux une liste de problèmes cruciaux lors des sommets semestriels UE-USA (43). Les ONG participant actuellement au lancement du Dialogue sur l’environnement espèrent obtenir le même privilège. C’est au bureau européen pour l’Environnement et au National Wildlife Fund que la Commission européenne et le gouvernement américain ont confié la mise en place de ce nouveau-né (44). Les ONG impliquées ne semblent pas conscientes des risques encourus à légitimer un agenda politique qui n’est pas le leur… Et elles s’imaginent pouvoir, à cette occasion, s’attaquer à des aspects fondamentaux comme l’harmonisation à la baisse des normes écologiques prévues par les accords du partenariat économique transnational.
Toutes les ONG participant à ces dialogues font un pari hasardeux en se joignant à une structure pré-élaborée dont l’objectif réel – un marché transatlantique « libéré » – n’a pas été démocratiquement débattu. Cette participation des ONG risque de ne servir qu’à faire légitimer l’accord et accroître le déficit démocratique. Il est pratiquement impossible que la « participation » qui leur est offerte permette aux ONG de rectifier les déséquilibres de l’accord. En effet, il ne leur sera jamais accordé le même niveau de « participation » que celui dont jouit le secteur industriel depuis 1995, à qui a été confié l’identification des barrières commerciales avec l’engagement des gouvernements à les faire disparaître.
Le TABD au microscope
Commentant les différents dialogues transatlantiques récemment mis en place, Stephen Johnston, directeur européen du TABD, affirme que les industriels perdront tout intérêt pour ce processus « s’ils doivent passer la moitié de l’après-midi assis à argumenter avec des écologistes » ; tandis que le TABD ne s’attend pas à ce que « la Commission et le gouvernement américain soient pieds et poings liés par les autres dialogues. » Quoi qu’il advienne, ce TABD ne craint pas trop que sa position extrêmement avantageuse ait à souffrir de la concurrence des autres dialogues : « Nous sommes mieux organisés et plus efficaces quand il s’agit de faire passer notre message », conclue Johnston (45).
Depuis plusieurs années, les coprésidents du TABD assistent aux sommets UE-USA pour y présenter les rapports semestriels de l’organisation et faire part de leurs desiderata du moment. Dès le premier jour du sommet de mai 1997 à La Hague, Jan Timmer (président européen du TABD, ex-membre de l’ERT, PDG de Philips electronics) et Lodewijk de Vink (président américain du TABD, PDG de Warner-Lambert) ont soumis leurs priorités aux présidents Clinton et Santer et au Premier ministre hollandais, Wim Kok. Leur message ne tomba pas dans l’oreille de sourds : Wim Kok a admis que « le rapport offrait […] des composantes utiles, constructives et une certaine invitation à explorer de plus larges possibilités de libéralisation du commerce et de la circulation des investissements (46). » L’année suivante, Jürgen Schrempp de DaimlerChrysler a personnellement remis la liste de vœux 1998 du TABD à Tony Blair et Bill Clinton. Ces dernières années, ces demandes ont pris la forme d’une « feuille de route » déterminant les « priorités » sur lesquelles les gouvernements devraient se concentrer, fournissant même des « dates limite » pour leur réalisation. L’audace d’une telle approche, « feuille de route » à l’appui, dit tout du rapport de force favorable aux industriels dans ce « dialogue » entretenu avec les gouvernements : la conviction que ses recommandations seront bien suivies.
Outre ces rencontres « au sommet », Johnston explique qu’« il existe un contact beaucoup plus fréquent, un contact presque quotidien » avec les officiels de la Commission – des contacts ne concernant que les intervenants les plus importants : « L’année dernière, nous avons eu deux ou trois réunions du côté européen, Schrempp avec Brittan et Bangemann », déclare Johnston (47). Ne nous étonnons donc pas que la Commission ait « publié une liste de contacts, calquée sur les groupes spécialisés du TABD, de sorte que chacun d’eux ait un contact à la Commission. Les deux travaillent ensemble, se montrent mutuellement leurs rapports et commencent à développer une relation. C’est permanent. Les informations et les propositions circulent bien et cela permet un dialogue positif et structuré. La Commission se montre coopérative et aide l’industrie en lui fournissant les informations dont elle a besoin. Mais c’est bien l’industrie qui, en fin de compte, donne ses recommandations (48). »
Exiger la démocratie
Avec un Partenariat économique transatlantique légitimant de fait le glissement continuel vers la création d’un marché unique UE-USA et une mainmise sans pareille sur les agendas de l’UE par le biais du TABD, les multinationales ont toutes les raisons de se réjouir. Le processus de déréglementation – qui nous assomme actuellement de nouvelles restrictions réglementaires dans l’intérêt des grandes firmes – ne fera qu’accélérer les mégafusions industrielles et la concentration du pouvoir économique. Les « effets secondaires » sociaux et écologiques – suppressions d’emplois, augmentation des flux de circulation des biens et amplification de la course à la dérèglementation – sont prévisibles. Les risques qui pèsent sur la démocratie ne sont pas moins à craindre. On a laissé évoluer une alliance étatico-industrielle de grande envergure au niveau transatlantique sans qu’ait eu lieu le moindre débat public. Reprendre le pouvoir qui, par ce processus, a été arbitrairement accordé aux dirigeants industriels pourrait bien, dans les années à venir, constituer l’une des tâches essentielles des défenseurs de la démocratie.
CHAPITRE XII
L’AMIGALOMANIE : l’agenda mondial d’investissement industriel & l’opposition des mouvements de citoyens (1)
Par une fin de matinée d’octobre 1998, plus d’un centaine d’opposants à l’AMI investissaient les élégants locaux parisiens de la Chambre internationale de commerce [CIC]. Toute la matinée, les activistes, représentant plus de 20 pays, ont pacifiquement occupé ces bureaux pour protester contre l’influence de la CIC sur les négociations, alors en cours, de l’AMI. Le militant canadien anti-AMI, Tony Clarke, déclara au personnel de la CIC : « Vous n’êtes pas ceux que nous avons élus pour définir les règles, alors arrêtez de manipuler nos gouvernements ! Nous leur lançons un appel pour qu’ils suivent l’exemple de la France et se retirent illico des négociations de l’OCDE à l’AMI. »
TONY CLARKE (2)
Discrétion, précipitation et intrigues ont caractérisé les négociations de l’AMI. Ce traité représente la plus importante tentative de démantèlement planétaire des obstacles à l’investissement dans une économie mondialisée. Après 18 mois de négociations en douceur, l’accord entra, début 1997, dans une phase beaucoup plus cahoteuse. Les campagnes anti-AMI éclatèrent l’une après l’autre dans les pays de l’OCDE, et les gouvernements nationaux exigèrent de plus en plus de dérogations à la réglementation proposée.
Après six mois de suspension des négociations, le gouvernement français fut, en octobre 1998, le premier à se retirer des débats, rapidement suivi par le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni. En décembre 1998, les négociations de l’AMI dans le cadre de l’OCDE furent finalement abandonnées. Les groupements de citoyens du monde entier ont légitimement célébré la mort de l’AMI comme une victoire historique et un recul de la vague de libéralisation économique qui déferle sur le monde depuis une vingtaine d’années. La plupart des gouvernements continuent cependant d’accorder leur soutien à de semblables logiques d’investissements, et les pressions pour l’adoption de réglementations similaires s’accroissent au sein d’autres forums internationaux – en particulier dans le cadre de l’OMC [voir chap. XIII].
La réalisation des accords du GATT de l’Uruguay Round en 1994 et la création consécutive de l’OMC ont constitué de grandes victoires pour les multinationales qui avaient aussi bien fait pression sur leurs gouvernements que coopéré avec eux pour obtenir la suppression des barrières commerciales pour les biens et les services. En toute logique, le défi industriel suivant consistait à faire ratifier un traité qui, démantelant les barrières à l’investissement, fournirait aux investisseurs ce qu’appelle un « champs d’action » planétaire. Tel était le but final de la proposition de l’AMI, qui aurait donné aux multinationales de nouveaux pouvoirs importants tout en rendant plus difficile aux gouvernements le contrôle de l’investissement direct étranger dans leurs pays. Il semble bien que les négociateurs de l’AMI aient oublié que les règles et réglementations qui entravent la « liberté » de l’investissement étranger sont souvent celles-là mêmes qui protègent les travailleurs, les emplois, les services publics, les entreprises locales, l’environnement et les pratiques culturelles.
Pourquoi l’AMI ?
L’AMI est un rejeton de l’OCDE, organisme intergouvernemental basé à Paris au sein duquel sont représentés 29 des pays les plus riches et les plus industrialisés du monde. Bien que seuls les États membres de l’OCDE aient pris part aux négociations, l’AMI devait devenir un traité international « ouvert ». Ultérieurement, les pays n’appartenant pas à l’OCDE auraient été invités à signer l’accord sur des bases du type « à prendre ou à laisser » avec pour seules réserves possibles certaines considérations de délais. L’AMI était également conçu pour servir de références aux réglementations sur l’investissement à l’échelle mondiale décidées dans d’autres forums internationaux et, plus particulièrement, à l’OMC.
Au cours des dix dernières années, l’Union européenne a poursuivi une stratégie à un double niveau pour parvenir à une réglementation mondiale sur l’investissement : travailler à l’OCDE et, simultanément, faire pression pour obtenir la négociation d’un traité à l’OMC. Ainsi que l’expliquait, en 1995, le vice-président de la Commission européenne, Sir Leon Brittan : « Nous devons démanteler les obstacles à l’investissement existants et empêcher que de nouveaux obstacles soient placés sur sa route. Seul un ensemble très complet de réglementations internationales obligatoires permettra de créer un champs d’action si vital à l’économie européenne (3). »
Dans l’euphorie de la ratification des accords du GATT, l’UE tenta une première offensive à l’OMC pour le lancement de négociations sur la libéralisation de l’investissement. Mais la résistance farouche du Tiers-Monde donna lieu à un compromis lors de la première Conférence ministérielle de l’OMC à Singapour en décembre 1996. Il n’y eut donc qu’un seul groupe de travail de l’OMC chargé d’étudier les rapports entre commerce et investissement. Trois ans plus tard, les pays initialement opposés aux propositions de l’AMI – dont l’Inde, la Malaisie et le Pakistan – refusent toujours toute négociation sur l’investissement initiée par l’OMC. Ces pays ont appris de l’Uruguay Round que les énormes pressions pour la conclusion d’un traité de portée internationale n’entrent en jeu qu’une fois les négociations entamées.
En négociant l’AMI sans la participation des pays du Tiers-Monde, les gouvernements de l’OCDE – notamment les États-Unis, le Canada, le Japon et l’UE – avaient pour intention de garantir le « maximum » de protection et de droits aux investisseurs industriel. Sur les 500 plus grandes multinationales du monde, 447 ont leur siège dans des pays de l’OCDE et la plupart sont organisées en groupements tels que la Chambre Internationale de commerce [CIC], l’USCIB [Conseil américain des affaires internationales] ou l’ERT. Tous ces groupes de pression ont participé directement ou indirectement à l’élaboration de l’AMI.
Signé aussi bien par les pays du Tiers-Monde que par les États de l’OCDE, l’intérêt de ces lobbies pour un traité sur l’investissement mondial s’éclaire à la lecture du pourcentage croissant des investissements industriels qui se déplacent vers le Sud. La valeur totale de ces investissements directs est passé de 34 millions de dollars en 1990 à plus de 150 en 1997 (4). Même si les pays du Sud s’en protègent toujours, comme le constate la Chambre internationale de commerce [CIC] : « C’est hors de la zone de l’OCDE que les obstacles à l’investissement étranger sont les plus importants. […] L’industrie exige un consensus international pour pouvoir incorporer des régions en développement rapide tels que l’Asie, l’Europe centrale et orientale ou l’Amérique Latine (5). »
Depuis 1995, les gouvernements du monde entier modifient leur législation relative à l’investissement national dans un sens plus néolibéral. L’AMI aurait accéléré et institutionnalisé cette tendance. Comme l’explique William Witherell, haut placé dans la hiérarchie de l’OCDE : « Bien que les régimes d’investissement soient récemment devenus plus ouverts et accueillants, rien ne garantit qu’ils le resteront dans les années à venir (6). » Leon Brittan a confirmé la nécessité de mettre en valeur et d’intensifier les tendances à l’investissement dans l’AMI : « L’investissement est un chose désirable et désirée… Quoi qu’il en soit, il arrive encore parfois que les gouvernements le considèrent comme une menace parce que l’investissement libre et direct limite la capacité des administrations à contrôler et mettre en forme le destin économique de leurs pays. C’est un prix bien faible à payer pourtant pour laisser les décideurs du secteur privé générer des avantages économiques dans le monde entier. Mais c’est un prix que certains gouvernements dans certains secteurs hésitent encore à payer. C’est une tragédie (7). »
Lors de leur conférence ministérielle de mai 1995, les pays de l’OCDE ont décidé d’entamer des négociations sur l’accord multilatéral dans l’intention d’aboutir dans un délai de deux ans. Ces négociations furent lancées en septembre 1995 par un groupe présidé par le Hollandais Frans Engering et constitué de représentants des pays membres de l’OCDE et de la Commission européenne – l’OMC étant invitée en tant qu’observateur. Le plus gros de l’accord avait, en fait, déjà été défini par une étude de faisabilité menée par l’OCDE. Peu de temps après le début des négociations, d’autres pays furent invités à se joindre au futur accord, et plusieurs non-membres de l’OCDE acceptèrent aussitôt : Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Hong Kong, Égypte et les trois pays baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie.
Rencontres informelles
Les lobbies industriels contactés pour l’importante phase préparatoire de l’étude de faisabilité sont restés en rapports étroits avec les négociateurs tout au long des discussions. Réunissant de nombreuses associations du milieu des affaires et possédant un statut de conseiller officiel auprès de l’OCDE, le Conseil consultatif des affaires et de l’industrie [BIAC] fut, avec le Conseil des syndicats de l’OCDE [TUAC], un partenaire à part entière des négociations. Parallèlement à ces consultations officielles, un « groupe d’experts du BIAC » a rencontré et conseillé les négociateurs de l’OCDE à chaque étape (8). D’autres lobbies industriels, tels que la Chambre internationale de commerce [CIC], ont sauté sur l’occasion de participer à cette restructuration. Les négociateurs ont ainsi grandement usé de l’« expertise » de la CIC pour l’élaboration du mécanisme de résolution des litiges concernant l’accord. En fait, l’ébauche de l’AMI proposait, purement et simplement, la propre cour d’arbitrage de la CIC comme l’un des trois organismes dont les firmes auraient pu disposer pour résoudre leurs contentieux.
Le lobbying industriel au niveau national a été tout aussi important que cette intrusion directe dans les négociations de l’OCDE : le Conseil américain pour les affaires internationales [USCIB] s’est, par exemple, « entretenu régulièrement avec les négociateurs américains immédiatement avant et après chaque séance de négociations de l’AMI (9). » Une étroite collaboration du même type, entre industriels et négociateurs nationaux, existait dans de nombreux autres pays de l’OCDE comme le Japon, le Canada ou les Pays-Bas. Les lobbies ont fait bon usage de leur entregent politique aux plus hauts niveaux, utilisant des sommets d’importance mondiale tels que la rencontre annuelle du G-7 pour souligner la nécessité de la signature rapide d’un accord dénué de toutes clauses relatives aux travailleurs ou à l’environnement. Dans l’ensemble, il semble que les négociateurs de l’AMI et les lobbies soient parvenus à un consensus total. En fait, le rapport d’avril 1996 de la CIC intitulé « Réglementations multilatérales pour l’investissement » est quasiment identique à la première ébauche de l’AMI rédigée neuf mois plus tard.
En général, les pays étaient représentés aux négociations de l’AMI par des représentants officiels de leurs ministères de l’Économie ou du Commerce. Aux Pays-Bas, les liens traditionnellement étroits entre l’industrie et les ministères de l’Économie ou du Commerce ont été exploités au maximum de leur possibilité. Les négociateurs hollandais se sont rangés aux côtés de l’industrie avec pour objectif commun de « faire disparaître le plus possible d’obstacles à l’investissement étranger (10). » De façon surprenante, l’AMI a échappé dans de nombreux pays à l’attention d’autres ministères – comme, par exemple, ceux de l’Environnement, des Affaires sociales ou de la Culture – jusqu’à ce que les négociations en soient à un stade très avancé.
Que contenait l’AMI ? (11)
Pour résumer, l’AMI aurait exigé des pays signataires qu’ils ouvrent tous les secteurs de leurs économies et donné le droit aux multinationales de porter plainte contre les politiques des gouvernements nationaux sur la résolution de litiges internationaux. En réalité, l’accord aurait assujetti les priorités nationales et locales aux besoins et aux exigences des investisseurs internationaux. Les effets en auraient été particulièrement dévastateurs dans les pays les moins développés [PDM] : découragement des mesures en faveur des économies équilibrées, augmentation de la dépendance vis-à-vis des exportations de commodité et aggravation du pillage des ressources par les multinationales. L’AMI aurait proscrit l’utilisation de la plupart des outils traditionnellement utilisés par les pays du Sud pour s’assurer que les communautés locales bénéficient des investissement et pour protéger les producteurs locaux de secteurs stratégiques tels qu’agriculture, médias, santé, éducation et banque.
Les principaux points de l’AMI étaient les suivants :
1. Une définition très large de l’investissement qui ne comprenne pas uniquement l’investissement industriel direct mais également les actions, les titres, les prêts, les répartitions de dettes, les droits de propriété intellectuelle, les prêts-bail, les emprunts et les concessions de terres et de ressources naturelles.
2. Un traitement national et un statut de type « nation la plus favorisée » aurait été accordé aux investisseurs étrangers. Ce qui signifie, en langage commun, que les gouvernement locaux auraient dû traiter les investisseurs étrangers aussi bien – voire mieux que les investisseurs locaux ; et, par conséquent, cela aurait favorisé les multinationales aux dépens des entreprises locales plus modestes. Les restrictions nationales vis-à-vis de l’investissement étranger dans des secteurs sensibles – comme, par exemple, l’audiovisuel et les ressources naturelles – auraient été interdites. Limiter la possession de terrain par des investisseurs étrangers serait devenu illégal, et les investisseurs étrangers auraient bénéficié des mêmes offres que les investisseurs locaux en cas de privatisation des services publics.
L’application locale de l’AMI ne se serait pas simplement appliquée aux textes et aux intentions de lois ou réglementations nationales (de jure), mais également à leurs effets (de facto). Cela aurait pu être très lourd de conséquences : par exemple, un pays interdisant la construction de grands centres commerciaux à l’extérieur des zones urbaines dans le but de soutenir le commerce local dans les centres villes et réduire la circulation routière aurait pu être attaqué par une grande chaîne internationale arguant que cette restriction constitue une discrimination de facto en faveur des détaillants locaux. Le gouvernement finlandais a souligné que, avec l’AMI, une grande partie de sa législation écologique et d’aménagement de l’espace aurait pu être remise en question pour cause de discrimination de facto à l’égard des investisseurs étrangers.
3. L’interdiction des mesures spécialement conçues pour protéger les travailleurs et les communautés. L’AMI aurait rendu illégales les exigences des gouvernements quant au nombre minimum d’employés locaux dans les firmes étrangères, les (ré)-investissements minimum dans l’économie locale, l’utilisation d’un certain pourcentage de produits locaux ou le transfert de technologies.
4. Aucune restriction sur la circulation des capitaux que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des États. Cette règle de l’AMI aurait facilité les investissements spéculatifs à court terme, du type de ceux qui ont causé la crise du peso en 1994 au Mexique et, plus récemment, l’effondrements de marchés boursiers en Asie du Sud-Est et en Amérique Latine. Les « ralentisseurs » de capitaux, tels que ceux qui existent au Chili ou en Malaisie, auraient été interdits.
5. Des systèmes de règlement des litiges puissants et rigoureux, statuant sur les contentieux entre les États et les investisseurs. Contrairement aux autres traités multilatéraux, l’AMI comportait un mécanisme de résolution des litiges permettant aux investisseurs de porter plainte contre les gouvernements nationaux et locaux non seulement pour manquements à l’application nationale du traité mais également pour « expropriation » ou toutes autres « mesures ayant un effet équivalent ». Cela aurait donné aux multinationales le pouvoir de remettre en question les législations locales ou nationales votées démocratiquement. Les implications d’un tel mécanisme sur les réglementations relatives à l’écologie, la santé ou la sécurité sont énormes, comme le prouve un nombre croissant de cas dans le cadre de l’Accord de libre échange nord-américain [ALENA ou NAFTA]. Dans l’un de ces cas particulièrement sujets à controverse, la compagnie Ethyl, basée aux USA, a porté plainte contre le gouvernement canadien pour 250 millions de dollars US de dommages et intérêts, prétextant une perte de bénéfice et de réputation suite à l’interdiction d’un additif pétrolier toxique. Un arrangement à l’amiable, à l’automne 1998, a forcé le gouvernement à verser à Ethyl 20 millions de dollars canadiens !
6. Le caractère irrémédiable des mesures de libéralisation de l’investissement. Par ce principe d’« immobilité », l’AMI interdisait aux États signataires de voter des lois ou de mettre en œuvre des politiques revenant sur le niveau de libéralisation de l’investissement déjà établi. Les pays auraient alors été forcés d’ouvrir progressivement des secteurs temporairement exclus des réglementations générales de l’AMI. Lors des négociations de l’AMI, les pays de l’OCDE ont enregistré plus de mille pages d’exemptions de cet ordre, allant de la législation sur la diffusion publique aux Pays-Bas à l’ensemble des lois non-fédérales américaines. Comme à l’OMC, des négociations régulières auraient été organisées afin de garantir l’élimination de toutes les législations et politiques des États signataires ne se conformant pas à l’AMI.
7. Une période de blocage de 20 ans. Les pays signataires n’auraient eu le droit de dénoncer l’accord qu’après cinq ans, et tous les investissements étrangers déjà effectués des autres pays signataires seraient restés couverts par les clauses de l’AMI pour 15 années supplémentaires.
Enfin, les clauses de l’AMI étaient en contradiction avec plusieurs accords internationaux dont la Convention sur le climat et son Protocole de Kyoto, la Convention de Bâle sur les déchets toxiques et la Convention sur la biodiversité – qui permet aux pays de contrôler l’accès à leurs ressources génétiques, garantissant ainsi que la population locale en tire bénéfice. Avec l’AMI, de telles réglementations sur l’investissement auraient été considérées comme « discriminatoires ». L’AMI aurait également été en contradiction avec la Charte des droits économiques et des devoirs des États de l’ONU datant de 1974, qui confère explicitement aux gouvernements l’autorité de réglementer l’investissement étranger et les activités des compagnies transnationales à l’intérieur de leur territoire.
Protéger environnement & travailleurs ?
Les négociateurs ont tenté – mais très tard – d’agrémenter l’accord déjà mal en point par de clauses sur les normes sociales et écologiques. Il s’agissait là d’une tentative optimiste de neutraliser la critique virulente des mouvements de défense des travailleurs et de l’environnement pour tenter de faire passer l’accord auprès des parlements nationaux. Si ce saupoudrage tardif de l’AMI n’a jamais vraiment convaincu ses opposants, c’est en particulier parce qu’il n’a jamais été clairement indiqué que ces clauses rajoutées à la hâte auraient un caractère obligatoire. Des pays membres de l’OCDE tels que la Corée, l’Australie et le Mexique se sont vivement opposés, à l’instar des plus importants lobbies industriels, à tout discours normatif en matière d’environnement ou de droits du travail. La délégation américaine était favorable à l’addition de clauses sur l’environnement et le travail, proposant même de les incorporer à l’ALENA. De son côté, l’Europe préférait une « exception » écologique semblable à celle que prévoit l’article 20 du GATT. Cependant, les clauses de l’ALENA comme celles du GATT se sont d’ores et déjà avérées complètement incapables d’empêcher la remise en cause des autres réglementations écologiques comme obstacle à la libre circulation de produits et de l’investissement.
Certains documents internes de la Commission européenne indiquent assez clairement que le discours de l’OCDE sur l’environnement n’était, en réalité, qu’un simple habillage. Ainsi, lors de la séance de négociations de février 1998, un représentant de la Commission fit la déclaration suivante : « Dans l’ensemble, il s’agit d’un “pacquage” qui permet de défendre, devant nos parlements et l’opinion publique, la thèse selon laquelle l’AMI prend en considération la protection de l’environnement et les droits des travailleurs, tout en restant, en même temps, un accord sur l’investissement séduisant pour l’industrie et capable de susciter l’envie d’adhérer chez les pays non-membres. » De fait, la Commission s’est opposée à rendre obligatoires les clauses écologiques et sociales car, « bien que celles-ci puissent séduire une partie de notre électorat, elles risquent d’éroder le soutien industriel et l’intérêt des éventuels adhérents à l’AMI. De plus, ce ne serait pas sans risques en cas de procédure judiciaire (12). »
En outre, même une clause sans failles sur les normes écologiques n’aurait pas pour autant fondamentalement diminué la menace, inhérente à l’objectif de l’AMI, d’accorder aux multinationales un « égal accès » illimité aux marchés et aux ressources naturelles du monde entier. L’AMI les aurait, par exemple, dotées d’un « égal accès » aux ressources minérales, pétrolières, marines et forestières. L’abattage industriel met déjà en péril les dernières forêts primitives du monde dans des pays comme le Brésil, le Surinam, la Papouasie Nouvelle-Guinée, le Congo et le Cambodge. L’AMI n’aurait fait que faciliter plus encore et institutionnaliser un tel accès : là où les entreprises locales disposaient de droits d’abattage, les multinationales auraient, par extension, bénéficié des mêmes droits et les gouvernements ne se seraient pas trouvés en position d’intervenir. Dans l’ensemble, l’AMI aura accéléré l’actuelle exploitation à outrance des ressources naturelles ainsi que la destruction de la diversité biologique.
Eaux troubles
La première ébauche de l’AMI date de début 1997. Jusqu’alors, cet accord avançait lentement, ignoré du grand public et même de la plupart des élus. Mais la multiplication des réserves émises à son encontre et la découverte par les ONG de son évolution discutable ont contribué à ralentir puis, finalement, à bouleverser le déroulement attendu de sa ratification.
Les gouvernements firent par de leurs « réserves » à l’AMI en février 1997. En plus des exceptions nationales spécifiques, ils décidèrent également de ne pas statuer sur certains des points primordiaux de l’accord, restés ouverts et sur lesquels il ne serait pas nécessaire de « revenir ». Dans certains pays, cette attitude fut probablement due aux acteurs gouvernementaux qui n’avaient jusqu’à présent pas encore entendu parler de l’AMI et réagirent sans grand enthousiasme à ses dispositions. Ainsi, les USA demandèrent-ils une exemption pour toutes les lois non-fédérales qui permettaient ainsi aux États et aux localités d’échapper à l’AMI ; l’Union européenne proposa que les organismes d’intégration économique régionale conservent le droit de favoriser les investisseurs locaux. Ce faisant, l’UE voulait s’assurer que l’AMI n’empêcherait pas les États candidats à l’Union de modifier leurs législations nationales pour les adapter aux siennes. Une autre dérogation importante fut proposée par la France et le Canada pour leurs secteurs culturels.
Toutes ces exemptions spécifiques et leurs implications souvent considérables contribuèrent à déstabiliser des négociations jusqu’alors sans accidents. La décision de reporter la date limite des négociations à mai 1998 fut prise à la conférence ministérielle de l’OCDE de mai 1997, au cours de laquelle les ministres prétendirent qu’un AMI de « haute qualité » exigeait d’y consacrer plus de temps.
L’explosion publique
Dans le même temps, le second obstacle à l’AMI fut, début 1997, la réaction explosive des ONG internationales lorsqu’une ébauche de texte transpira. Les ONG canadiennes et américaines, indignées de la façon dont l’OCDE avait gardé secrètes les négociations, firent promptement figurer ce texte sur leurs sites Internet. La campagne se propagea comme un feu de paille à travers le monde (13).
Information du public, pression sur les officiels et les parlementaires nationaux (dont beaucoup avaient pour la première fois entendu parler de l’AMI par les ONG), manifestations, happenings, etc. furent les moyens choisis par les ONG. En octobre 1997, la première réunion mondiale des ONG sur l’AMI se déroula à Paris, précédant une rencontre informelle avec l’OCDE. Cette réunion stratégique rassemblait des membres de groupes pour le développement, l’environnement ou des associations de consommateurs de plus de 70 pays. Elle aboutit à un appel pour une révision fondamentale de l’AMI, signé finalement par 600 organisations de citoyens du monde entier. La coalition des ONG organisa avec succès, mi-février 1998, une semaine internationale d’action contre l’AMI, juste avant la réunion de négociations au sommet qui devait se tenir à l’OCDE. Au même moment, des « zones sans AMI » commencèrent de naître partout à travers le monde. La municipalité de Berkeley en Californie fut la première d’entre elles, rapidement suivie par de nombreuses autres villes aux USA, au Japon, au Canada, en Belgique et au Royaume-Uni.
Harcelés par les ONG et les syndicats, les négociateurs de l’AMI se sentirent obligés d’intégrer des normes sur l’environnement et les droits du travail. Nouveautés qui irritèrent grandement l’industrie et l’OCDE, dont le conseil consultatif pour les affaires et l’industrie [BIAC] lança une contre-offensive dans les premiers mois de 1998. Lors d’une rencontre officielle entre le BIAC et les négociateurs de l’AMI, en janvier, les industriels exprimèrent leur inquiétude quant à la tournure que prenaient les discussions. « Nous percevons actuellement des signes troublants qui semblent indiquer que de nombreux points que nous appelions de nos vœux pourraient ne pas être discutés. Nous commençons donc à nous demander ce qui reste de positif pour nous dans l’AMI ? », se plaignait Herman van Karnebeek, président du comité pour les entreprises multinationales du BIAC, de la succursale hollandaise de la CIC et du géant des produits chimiques AKZO Nobel. Les négociateurs tentèrent d’apaiser ces craintes en assurant que la libéralisation restait la priorité de l’agenda mais que des compromis étaient nécessaires pour parvenir à ce que l’AMI soit mis en place en avril 1998 : « Souvenez-vous qu’il ne s’agit que d’un premier pas – comme le GATT en 1947, déclarait un officiel de l’OCDE pour réconforter les industriels. Nous entrons dans un processus de dimension historique (14). »
Déjà mal en point en mars 1998, l’AMI reçu pourtant un autre coup dur lorsqu’une écrasante majorité du Parlement européen approuva une résolution critiquant aussi bien le processus que le contenu des négociations. Cette résolution exigeait une analyse en profondeur et publique des effets de l’AMI sur la législation européenne. Ce qui aboutit à une déclaration appelant « les parlements et les gouvernements des États membres à ne pas accepter l’AMI dans sa forme actuelle ». Bien que la Commission européenne et les gouvernements nationaux ne fussent nullement obligés de s’y plier, cette résolution finit par nuire à la légitimité de l’AMI.
Les ONG avaient appliqué ce qui fut appelé « La stratégie Dracula » : porter simplement à l’attention du public un traité qui ne supporte pas la lumière du jour. Les campagnes des mouvements de citoyens contre l’AMI ont, jour après jour, État après État, gagné en force, jusqu’à ce que les médias commencent enfin à remarquer ce qui se passait. Le fait que l’AMI ait fait la une des journaux en France au printemps 1998 eut un impact très important sur le gouvernement français, alors que les litiges au sujet des « réserves » exprimées et la montée en puissance du débat public rendaient la mise en place du traité pour avril 1998 de moins en moins intéressante pour les gouvernements américains et canadiens.
Après la réunion de négociation au sommet de février, seuls les secrétariats de l’UE et de l’OCDE espéraient encore pouvoir respecter la date limite d’avril 1998. Lors des négociations de février, la Commission européenne avait donné l’alerte au sujet du retard pris dans le processus de ratification : « Essayer de gagner du temps va rendre les choses encore plus difficiles, et non plus faciles, puisque, partout, les groupements d’intérêt spécifiques découvrent les avantages contestables qu’ils ont à décrier l’AMI dans le seul but de servir leurs propres intérêts qui n’ont rien à voir avec l’investissement (15). » La Commission soulignait également qu’un échec des négociations mettrait en danger le but suprême d’un accord du même type à l’OMC : « Ce serait néfaste à l’économie mondialisée en général. Le monde serait plus éloigné que jamais des règles de l’investissement mondial, et ceci pour longtemps, si nous, à l’OCDE, ne parvenions pas à nous entendre devant le premier obstacle (16). » Les USA, pour leur part, firent savoir aux autres négociateurs qu’ils n’étaient « pas prêts à conclure un accord » et considéraient qu’« une période de réflexion et d’intensification des contacts bilatéraux serait la meilleure façon de progresser (17). »
Fin mars, l’OCDE annonçait qu’elle cherchait à obtenir un nouveau mandat pour une année supplémentaire de négociations. Mais, à son plus grand regret, une suspension des négociations pour une durée de six mois fut décidée à la réunion ministérielle de la fin avril. Selon la déclaration officielle de la conférence ministérielle, ces six mois devaient représenter « une période d’évaluation et d’intensification des rencontres entre les parties négociatrices et avec les acteurs sociaux intéressés (18). »
L’industrie européenne quitte le navire
Comme les autres importants groupes de pression qui avaient porté l’AMI à bout de bras – UNICE, USCIB et leur homologue japonais Keidanren –, la Chambre internationale de commerce [CIC] fut fort déçue du manquement au calendrier 1998 et de la suspension des négociations. Elle lança donc une nouvelle offensive pour soutenir l’AMI. Son président Helmut Maucher se plaignit publiquement du retard encouru et pressa les gouvernements de « se remettre à l’AMI (19)». Anticipant sans doute l’échec imminent de l’AMI à l’OCDE, la CIC insista sur l’importance cruciale d’un traité pour la libéralisation de l’investissement à l’OMC. Ce message fut répété au sommet du G-8 de Birmingham en mai 1998.
Quelques mois plus tard à peine, l’industrie européenne avait fait un demi-tour stratégique complet. Lors du Dialogue de Genève sur le monde des affaires, organisé par la CIC en septembre 1998 [voir chap. XVIII], l’industrie montra une absence notable de soutien à l’AMI, insistant plutôt sur la nécessité « d’une structure réellement mondiale de réglementation de l’investissement international […] et cela, en raison de l’absence de progrès à l’OCDE ». Commentant la crise de l’AMI, le président de la Chambre internationale de commerce fit remarquer que son enthousiasme avait diminué « lorsque des clauses sociales furent ajoutées au tout dernier moment ». Selon lui, les pays du Sud s’opposeraient aux clauses de « protection » sociale et environnementale et plaideraient pour une « approche plus prudente » (20). Ces déclarations sont les premiers signes d’un désintérêt pour le règlement de l’AMI à l’OCDE et de l’intention des lobbies de concentrer leurs efforts sur les législations attendues par le biais l’OMC.
Durant les six mois que dura la « période d’évaluation et de rencontres », la coalition internationale de groupements de citoyens put renforcer sa campagne contre l’AMI. En organisant des négociations bilatérales et multilatérales informelles, les gouvernements nationaux essayèrent d’échapper à la crise mais leurs efforts furent parfaitement vains. Une poignée de pays de l’OCDE – la Belgique, le Canada, les Pays-Bas et le Royaume-Uni – prolongea les rencontres officielles avec les groupements de citoyens, mais, plutôt que de réellement chercher à les faire « participer », ils tentèrent, avant tout, d’adoucir leur opposition à l’AMI. Dans la plupart des autres pays, à peu près rien ne fut fait pour respecter les promesses de la déclaration ministérielle de l’OCDE d’impliquer l’opinion publique (21).
Une évaluation de fond ne fut faite qu’en France, où le groupe de travail, mené par la députée européenne Catherine Lalumière, s’est entretenu aussi bien avec les partisans de l’AMI qu’avec ses opposants pour parvenir à la conclusion que le traité était effectivement fondamentalement défectueux (22). Le rapport confirmait les principaux points critiques dénoncés par les ONG et recommandait soit une modification radicale du contenu de l’AMI, soit un retrait total des négociations. Après avoir approuvé ces conclusions, le gouvernement français annonça qu’il n’assisterait pas à la reprise des négociations en octobre 1998.
Bien que certains gouvernements aient insisté pour continuer sans la France, les négociateurs restants ne se sont finalement rencontrés qu’un seul jour au lieu des deux initialement prévus, et aucune négociation n’eut réellement lieu. Pendant ce temps, à Paris également, des centaines de représentants se rassemblaient au sommet international des citoyens contre l’AMI et célébraient la fin des négociations. Au cours des semaines suivantes, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie se retiraient à leur tour et, début décembre, le secrétariat de l’OCDE finit par capituler.
Le vent tourne
Avec la fin des négociations de l’AMI à l’OCDE, les groupes de citoyens pouvaient se réjouir d’avoir remporté une grande victoire internationale sur un traité qui constituait l’épine dorsale du projet politique de mondialisation économique. Il est clair, pourtant, que la lutte contre la philosophie économique et politique sur laquelle était fondée l’AMI ne fait que commencer : la pression pour la mise en place de réglementations du même type continue de s’exercer dans d’autres forums économiques internationaux. Pourtant, il existe de bonnes raisons de se réjouir de ce qui a été accompli jusqu’ici. Le coulage de l’AMI a démontré le potentiel énorme d’une mobilisation de la base à l’échelle mondiale contre des problèmes aussi complexes et lourds de conséquences que la libéralisation du commerce et de l’investissement.
La campagne anti-AMI a été caractérisée par le partage des informations et des stratégies entre un réseau international de citoyens de plus en plus puissant, les ONG, les travailleurs, les groupements écologistes, les organisations internationales de solidarité, les mouvements féministes et les groupes religieux. Insistant sur l’importance d’Internet pour les opposants à l’AMI, la presse écrite donna au phénomène le nom de « Network Guerilla » (23). Mais le rapport Lalumière au gouvernement français faisait plus judicieusement remarquer que « le développement d’Internet a bousculé l’environnement des négociations. Il permet la diffusion instantanée des textes encore en discussion dont la confidentialité devient de plus en plus théorique. Il permet l’échange des connaissances et des compétences au-delà des frontières nationales. Pour un sujet aussi technique, les représentants de la société civile nous ont parus parfaitement bien informés et leurs critiques bien défendues au niveau légal. »
Sur un ton moins élogieux, Abraham Katz du Conseil américain pour les Affaires internationales [USCIB], qui a personnellement participé à l’élaboration de l’AMI souligna le rôle joué dans sa défaite par « les activistes écologistes ou les représentants des travailleurs, mobilisés grâce à Internet », expliquant que « les ennemis du marché libre ont opéré une sérieuse contre-attaque à l’encontre de l’intensification de la libéralisation du commerce et de l’investissement ainsi qu’aux multinationales en tant qu’agents principaux de la mondialisation (24). » En fait, bien qu’Internet ait, il est vrai, été efficacement utilisé par les militants anti-AMI, la force de la coalition résidait dans le travail à la base de ses campagnes d’information nationales.
Alternatives citoyennes à l’AMI. Depuis début 1998, les mouvements qui ont lutté contre l’AMI ont mis en œuvre un très important processus de formulation des alternatives proposées par les citoyens à ce traité. Un grand nombre de rapports ont été produits par les groupes anti-AMI dans diverses parties du globe. Certains préconisent que les multinationales soient tenues de respecter des codes de conduite internationaux supervisés par l’ONU ; d’autres proposent des politiques visant à réduire la domination économique des grandes firmes et à développer la diversité économique et la prospérité des communauté locales. On trouve, parmi les mesures politiques proposées : la réglementation du réinvestissement à l’intérieur des communautés, des limites de taille pour les entreprises – de façon à éviter une concurrence déloyale ; des aides à la production destinée à l’usage local, une imposition efficace des bénéfices industriels – afin de garantir des avantages pour l’économie locale ; la réglementation des flux de capitaux ; etc. Parmi tous ces mouvements émerge un consensus sur la nécessité d’une réglementation démocratique de l’investissement afin de s’assurer qu’il contribue à des objectifs sociaux et écologiques (25).
Motivés par une conscience accrue des dangers d’une mondialisation menée par les multinationales, les groupements de citoyens, à travers le monde, sont mieux préparés pour défendre les économies locales, la démocratie et le bien commun. Ce n’est pas une tâche facile, car l’AMI n’est pas l’unique tentative de déréglementation de l’investissement national et local. En fait, les forces politiques derrière la mondialisation économique vont essayer d’atteindre leur but au travers d’autres forums internationaux – en particulier l’OMC.
L’AMI négocié à l’OCDE fut arrêté juste à temps. Mais les mouvements de citoyens doivent rester prêts pour de nouvelles batailles dans d’autres arènes.
CHAPITRE XIII
L’OMC rédige la constitution
de l’économie mondiale
Les gouvernements devraient intervenir dans la conduite du commerce aussi peu que possible.
PETER SUTHERLAND ancien directeur général du GATT (1)
Au nord comme au sud, les groupements de citoyens critiquent de plus en plus l’OMC pour sa conduite sociale et écologique, qui accélère la concentration du pouvoir économique entre les mains des multinationales – ce qui n’a rien de surprenant puisque les lobbies industriels participent activement à l’élaboration de nombreux accords de l’OMC.
Depuis début 1998, entraînée par la Commission, l’Union européenne mène une croisade en faveur d’une nouvelle série de négociations à l’OMC sur la libéralisation du commerce et de l’investissement – entreprise connue sous le nom de Millenium Round. Insatisfaite des révisions actuellement prévues des accords sur les services, l’agriculture et la propriété intellectuelle, l’Europe fait pression pour faire entrer dans l’agenda de l’OMC de nouveaux points discutables comme l’investissement, les marchés publics et les politiques de concurrence. Sous la nouvelle rhétorique adoptée pour séduire les ONG, tout le monde continue de façonner des politiques commerciales suivant les intérêts des industriels.
L’OMC est née
Le 15 décembre 1993, la conclusion des négociations sur l’Uruguay Round du GATT cédait à l’OMC le pouvoir de prendre des décisions pouvant affecter des milliards de gens. Aujourd’hui, avec plus de 130 pays adhérents, le mandat de cet organisme couvre un champ nettement plus vaste que celui de son prédécesseur. Dépassant les limites de son rôle historique de prescriptions de tarifs et de quotas, l’OMC s’attaque maintenant aux barrières non-tarifaires au commerce (telles que les normes de santé et environnementales) ainsi qu’à toute réglementation imaginable qui pourrait, d’une façon ou d’une autre, « troubler » ou « obstruer » la libre circulation des biens et des services.
Sous une apparence démocratique – essentiellement due à sa politique de participation équitable des États membres à un système de prise de décision consensuel –, le fonctionnement de l’OMC est opaque et extrêmement antidémocratique. Ainsi, bien qu’ils représentent la grande majorité des nations et des populations mondiales, les pays du Sud n’ont pas de véritable droit de parole pendant les négociations. Europe et USA préparent bilatéralement leurs positions communes au sein du partenariat transatlantique [TEP] et du QUAD (État-Unis, Europe, Japon et Canada). Aussi, le manque de moyens financiers et humains, les discussions à huis clos entre les pays les plus puissants et, surtout, une très forte pression des État-Unis et de l’Europe forcent le plus souvent les pays du Sud à accepter des offres contraire à leurs intérêts.
Le manque de transparence de ce système rend quasi impossible de demander des comptes aux négociateurs et facilite la ratification d’accords très favorables aux intérêts des grandes firmes des pays du Nord. C’est ainsi que les pays les plus puissants modèlent l’économie mondiale presque exclusivement en fonction des desiderata des multinationales des pays industrialisés, et bien souvent après avoir consulté les lobbies industriels.
L’OMC montre les dents
En cette fin de millénaire, un certain nombre de litiges commerciaux de grande importance entre Europe et USA ont mis en lumière les capacités exceptionnelles de l’OMC d’imposer ses vues. Ses armes les plus efficaces : son organisme de règlement des litiges et son dispositif de sanctions qui permettent de forcer les États à se conformer à ses règles. Mais le nombre croissant de jugements discutables dans lesquels l’organisme de règlement des litiges de l’OMC a placé les intérêts industriels au-dessus de ceux des populations et de l’environnement a sérieusement terni l’image de l’organisation.
À travers l’OMC, tous les États peuvent porter plainte auprès de l’organisme de règlement de litiges contre les politiques ou les lois de tout autre État membre supposer restreindre la libre circulation commerciale. Si le Conseil – composé de bureaucrates non élus – déclare un gouvernement coupable de non-respect des accords de l’OMC, le pays en question doit changer sa législation ou affronter les sanctions commerciales de la partie adverse, y compris dans des secteurs n’ayant aucun rapport avec le contentieux. Le pays ainsi condamné est également passible de lourdes sanctions financières. Pendant les quatre premières années d’existence de l’OMC, on a surtout fait appel à son mécanisme de règlement de litiges pour des affaires entre l’Europe et les État-Unis. Ses premières décisions donnent une image inquiétante de ce à quoi l’on peut s’attendre dans le futur. Sur cette période de quatre ans, on a constaté 177 cas de pays invoquant les réglementations de l’OMC pour porter plainte contre les lois ou les usages d’un autre pays. La majorité de ces affaires aurait pu être traitée sans l’intervention de l’organisme juridique de l’OMC mais 18 d’entre elles ont été tranchées par une décision astreignante et 18 autres sont en cours de jugement (2).
Les deux études de cas qui suivent ont trait à l’embargo européen sur le bœuf aux hormones et à une loi de l’État du Massachusetts qui vise à sanctionner les produits émanant de compagnies exerçant des activités en Birmanie. Elles illustrent la façon dont les groupements industriels utilisent l’OMC pour poursuivre leurs intérêts aux dépens des processus décisionnels démocratiques et des préoccupations des citoyens aux niveaux national et international.
Le bœuf, l’industrie & les consommateurs
Début mai 1997, un groupe de règlement de litiges de l’OMC constitué de trois personnes décidait que l’interdiction d’une durée de neuf ans imposée par l’Union européenne sur le bœuf aux hormones américain était illégale au regard des réglementations de l’OMC. Ce verdict, négligeant une importante loi sur la santé alimentaire des consommateurs, provoqua un mouvement de colère en Europe.
Au cours de ces dix dernières années, la multinationale américaine Monsanto, qui produisait jusqu’alors des produits chimiques, a réorienté son activité sur les « sciences de la vie » et en particulier sur la manipulation génétique. L’un de ses produits, le rBGH (une hormone de croissance pour bovins), est utilisé par les producteurs laitiers américains pour augmenter leur production. D’autres hormones « naturelles » telles que l’œstradiol et la testostérone sont également communément utilisées par les éleveurs américains. En 1995, 90 % du bétail américain était traité aux hormones (3).
En janvier 1989, appliquant le « principe de précaution », l’Europe n’a pas jugé convaincantes les assurances américaines quant à la sécurité alimentaire et imposa de ce fait un embargo sur l’importation du bœuf et des produits laitiers traités aux hormones. Cette interdiction s’appliquait également aux producteurs européens. Répondant à une forte pression de Monsanto, de l’Association des éleveurs de bétail américains, du Conseil d’exportation des produits laitiers américains, de la Fédération nationale des producteurs de lait et de plusieurs autres groupements d’intérêt du secteur, Mickey Kantor, alors délégué américain au Commerce, engagea une action à l’OMC contre l’interdiction européenne.
Du côté européen, des groupements industriels tels que la FEDESA (principale organisation représentant les intérêts de l’industrie européenne des produit de « santé » animale) et la Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique [EFPIA] – toutes deux membres d’EuropaBio [voir chap. IX] – firent pression sur la Commission pour faire lever cette interdiction. En accord avec leurs homologues américains, elles ont plaidé qu’il existait toujours un risque avec les aliments génétiquement modifiés ou traités aux hormones. La réaction des associations de consommateurs et d’autres ONG permit à la Commission de prendre la mesure du caractère politiquement problématique de la levée de cette interdiction sur le lait et le bœuf traités aux hormones. Alertée par un nombre de plus en plus important d’indices laissant à penser que certaines hormones naturelles et synthétiques sont liées à l’augmenation de cas de cancer, la Commission décida de ne pas lever cette interdiction en dépit des directives de l’OMC.
La décision préliminaire concernant le litige sur le bœuf aux hormones se fonde sur un accord de l’OMC vieux de trois ans, connu sous le nom d’Accord sanitaire et phytosanitaire. Cet accord exige, pour justifier la prise de mesures de protection, que les restrictions pour cause de santé et de sécurité alimentaire reposent sur des preuves scientifiques et se conforment aux normes internationalement reconnues – telles que celles édictées dans ce domaine par les Nations unies. Mais l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies [FAO] jugeant que les hormones n’étaient pas dangereuses pour la santé, l’OMC décida que l’embargo européen était injustifié et devait être levé.
Ce verdict constitue un dangereux précédent pour les législations nationales relatives à la santé et à la sécurité alimentaire. En effet, de nombreux experts pensent que plusieurs mesures européennes – telles que celles qui réglementent les produits d’origine animale – pourraient désormais être mises en cause par les État-Unis ou d’autres nations – ainsi la récente récusation par le Brésil des règlements européens sur l’importation de volaille. Cette érosion des lois et des réglementations assurant la protection du consommateur au plus grand bénéfice de l’industrie se poursuivra sans relâche si l’on ne fait pas quelque chose pour renverser cette tendance.
Massachusetts-Birmanie : et les droits de l’homme ?
Aux États-Unis, les communautés et les États expriment depuis longtemps leurs préoccupations politiques au travers de lois d’« achat sélectif ». Ces lois sont destinées à faire pression sur les multinationales afin qu’elles cessent leurs coopérations avec les régimes répressifs en imposant des « pénalités tarifaires » sur leurs produits et services. Depuis 1996, par exemple, le Massachusetts applique une pénalité de 10 % sur les produits et services fournis par des compagnies ayant des intérêts financiers à Myanmar. Plus connue sous le nom de Birmanie, Myanmar est réputée pour la brutalité avec laquelle son gouvernement militaire viole les droits de l’homme. À ce jour, Siemens, Unilever et plusieurs compagnies japonaises sont pénalisées au Massachusetts et Apple Computers reconnaît dans cette loi l’une des principales raisons de son retrait de Myanmar (4).
La loi Massachusetts-Birmanie fut attaquée aux États-Unis mais aussi en Europe et au Japon. Ainsi le Conseil national du commerce extérieur [NFTC], une coalition de quelque 600 producteurs et institutions financières américains, a-t-elle fait comparaître l’État du Massachusetts devant la Cour (5). Des compagnies pétrolières telles que Texaco et Mobil ont exprimé leur inquiétude devant les effets probables de telles lois sur leurs activités en Birmanie ou dans d’autres régimes dictatoriaux.
Pour ne pas être accusé de placer les intérêts économiques au-dessus des droits de l’homme, le Conseil national du commerce extérieur a créé, avec l’assistance de la directrice de Wexler Group, Anne L. Wexler (6), un organisme tout à fait présentable et nommé État-Unis Engage. Officiellement lancé en avril 1997 lors d’une conférence de presse, ce groupe fut présenté comme « une coalition très large représentant les Américains de toutes régions, tous secteurs et toutes classes de notre société (7). » États-Unis Engage a promptement entamé une campagne de pression intensive auprès de Washington contre les lois d’achat sélectif et autres sanctions économiques imposées aux firmes sur des critères sociaux ou écologiques.
En Europe, les entreprises du lobby de l’ERT [voir chap. III] – dont Ericsson, Unilever et Siemens – considéraient également cette loi du Massachusetts comme un dangereux précédent à faire disparaître le plus vite possible. L’industrie rassembla ses forces pour contraindre la Commission européenne à exiger du gouvernement américain qu’il fasse annuler la loi du Massachusetts. Cette stratégie ayant échoué, les grandes firmes ont rapidement entamé une action à l’OMC. Des poids lourds japonais comme Mitsubishi, Sony et Nissan, qui comptent parmi les multinationales auxquelles la loi du Massachusetts cause le plus de pertes financières, ont agi de même auprès du gouvernement japonais.
Personne n’a donc été surpris lorsque, en octobre 1998, l’Europe et le Japon, accusant la loi du Massachusetts d’être discriminatoire et de violer les réglementations de l’OMC sur les marchés publics, ont demandé le règlement du litige à l’OMC. Bien que l’UE ait suspendu cette demande en février 1999 (peut-être en signe de réconciliation dans la guerre de la banane qui l’oppose au gouvernement américain), elle a menacé de relancer les poursuites si le gouvernement fédéral américain ne prenait pas des mesures contre le Massachusetts.
L’affaire Massachusetts-Birmanie soulève de nombreuses questions d’importance sur la souveraineté nationale et locale et sur la priorité donnée au commerce sur les critères sociaux et écologiques. Elle met également en lumière quelques-unes des inégalités de l’actuelle répartition du pouvoir au sein de l’Union européenne. En septembre 1998, le Parlement européen présentait une résolution demandant à la Commission de mettre fin à toutes les transactions commerciales, touristiques ainsi qu’à l’investissement des compagnies européennes à Myanmar. Cette résolution critiquait également la décision de la Commission quant au règlement du litige sur la loi du Massachusetts (8). La Commission fut également critiquée par la confédération des syndicats européens et Confédération internationale des syndicats indépendants pour ne pas avoir pris en compte les violations des droits de l’homme en Birmanie. Néanmoins, selon un porte-parole de l’Union, « enfreindre les réglementations de l’OMC n’est favorable à personne. Le point clé de cette affaire est le manquement des États-Unis à ses engagements internationaux (9). »
La participation de l’industrie aux négociations de l’OMC
Les grandes firmes ont été, jusqu’ici, les principales bénéficiaires des accords de l’OMC. Ceci n’a rien de très surprenant puisque, dans de nombreux cas, elles ont directement influencé les positions des États membres les plus puissants de l’OMC au cours de la négociation de ces accords. Cela a, sans aucun doute, été le cas lors des négociations du GATT de l’Uruguay Round, où fut élaborée la majeure partie des accords de l’OMC. Outre la soumission des pays pauvres au GATT et à sa discipline ou encore l’intégration de nouveaux secteurs à l’agenda commercial, l’Uruguay Round a offert aux multinationales des pays du Nord un accès plus large aux marchés des pays du Sud. Entamés en 1986, ces sept ans de négociations, ont non seulement aidé les pays riches et leurs grandes firmes à accélérer la libéralisation de leurs secteurs de prédilection tels que les services, mais également à introduire des droits de propriété intellectuelle et bien d’autres mesures visant à protéger les activités des multinationales.
C’est aux États-Unis que la pression la plus acharnée s’est fait sentir. Non seulement les compagnies se battaient individuellement pour la libéralisation générale du commerce et l’ouverture des marchés, mais des coalitions industrielles ont également été constituées pour intégrer certains problèmes dans le cadre du GATT. Ainsi, la Coalition des entreprises de service a fait campagne pour l’élaboration d’un nouveau régime commercial pour leur secteur (10); et le Comité sur la propriété intellectuelle a travaillé pour faire intégrer dans l’agenda les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle [TRIP]. L’influence de l’industrie apparaissait également de façon évidente dans la composition de la délégation américaine : la grande majorité de ses membres provenant du milieu des affaires.
Au cours des cinq premières années de l’Uruguay Round, les lobbies industriels européens n’ont pas participé intensément aux négociations. Ce n’est que lorsque les négociations sur l’agriculture se sont trouvées dans une impasse qu’ils sont entrés en action. Écoutons l’ex-secrétaire général de l’ERT, Keith Richardson : « Ce que nous avons essayé de dire aux gouvernements c’est que le plus important, quelles que soient les difficultés, est de parvenir à un accord général parce que cela sera bénéfique à toute l’industrie européenne. Et une vue globale des choses est plus essentielle que la considération des difficultés individuelles. C’est un message très difficile à faire passer et la seule façon d’y parvenir est d’en parler en face à face (11). »
Alors que l’ERT se chargeait des gouvernements nationaux, la Confédération des employeurs européens [UNICE] [voir chap. IV] travaillait en étroite collaboration avec la Commission européenne pour mener les négociations à terme. Les analystes de l’UNICE ont méticuleusement mâché et remâché les questions posées avant de faire part des positions de l’industrie à la Commission.
Les deux études de cas qui suivent concernent les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle [TRIP] et les accords de services financiers. Ils montrent de manière précise comment les firmes transnationales s’y sont prises pour modeler les accords de l’OMC autour de leurs propres intérêts.
Power trip
L’industrie a identifié un problème d’importance majeure dans le commerce international. Elle a élaboré une solution, l’a réduite à une proposition concrète et l’a vendue à notre gouvernement et aux autres… Les entreprises et les acteurs du commerce mondial ont joué simultanément les rôles de patients, de diagnosticiens et de médecins.
JAMES ENYART de Monsanto (12)
Les TRIP donnent aux grandes entreprises le droit de protéger leur « propriété intellectuelle » dans les pays membres de l’OMC, obligeant ainsi ces derniers à se conformer à des normes minimum dans sept différents domaines de la propriété intellectuelle tels que la protection des droits de reproduction et des marques déposées, les brevets et la création industrielle. L’accord sur les TRIP est l’enfant d’une coalition de l’industrie dont les membres proviennent des États-Unis, de l’Europe et du Japon. La première initiative fut prise par le Comité sur la propriété intellectuelle [CPI] qui rassemble 13 grandes multinationales américaines, dont Bristol Myers Squibb, Dupont, Monsanto et General Motors. Ce comité a été créé dans le but explicite d’ancrer solidement les droits de propriété intellectuelle à l’agenda du GATT (13).
Selon un ancien employé de Monsanto, le comité commença par jouer les missionnaires en Europe et au Japon pour obtenir le soutien des poids lourds locaux de l’industrie dans des campagnes en faveur du commerce de la propriété intellectuelle (14). La confédération des employeurs européens et l’organisation industrielle japonaise Keidanren furent facilement converties. Selon Edmund T. Pratt, ancien PDG de Pfizer qui assista à de nombreuses négociations du GATT en tant que conseiller officiel de l’US Trade Representative, « la réunion de nos forces nous a permis d’établir un réseau directeur du secteur privé mondial qui a posé les bases de ce qui devint les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle (15). » En 1998, un rapport industriel sur les « clauses du GATT concernant la propriété intellectuelle » a fait son chemin jusqu’aux négociations de l’Uruguay Round grâce à une campagne de pression menée sur tous les fronts. Rien de surprenant donc à ce que la ressemblance soit frappante entre la position de l’influente délégation américaine et les propositions de l’industrie.
Le déséquilibre fondamental de l’accord sur la propriété intellectuelle tient au fait que les pays du Sud possèdent actuellement peu de propriétés intellectuelles tout en ne disposant pas des ressources nécessaires au développement de ce secteur dans un proche avenir. Leurs territoires présentent cependant la plus grande part de la diversité biologique dont dérivent de nombreux brevets pharmaceutiques ou agricoles. On estime que 80 % des brevets des pays du Sud détenus par des multinationales (16). Ce déséquilibre, ajouté à l’inquiétude relative aux implications éthiques de la possession privée du vivant, a poussé certains pays du Sud à s’opposer farouchement à toute forme de brevetage des formes de vie durant les négociations. À contrario, la délégation américaine – dont 96 des 111 membres proviennent du secteur industriel (17) – a demandé que tout puisse être breveté – y compris plantes et animaux.
Finalement, un compromis fut adopté sous le nom de « clause sur la biodiversité », qui autorise les pays à exclure les plantes et les animaux des brevetages à condition qu’ils développent un système de protection similaire (dit sui generis). La clause sur la diversité biologique devant être revue en 1999, les lobbies tournent à nouveau à pleine vitesse (18). Désormais soutenus par l’Europe, le Canada et le Japon, les États-Unis pèsent de tout leur poids pour l’extension la plus large de tout ce qui peut être couvert par les droits de propriété intellectuelle. Les pays du Sud semblent, cependant, déterminés à tenir bon contre les pays du Nord et l’industrie, en proposant, entre autres, d’exclure définitivement la biodiversité des TRIP.
Inquiets de la fermeté de la position des pays du Sud, de la société civile et des organismes tels que la Convention de l’ONU sur la diversité biologique (19), l’industrie rassemble ses forces pour résister à toute atteinte à ses privilèges dans l’accord sur le commerce de la propriété intellectuelle et poursuit sa pression sur les gouvernements. Si l’industrie parvient à ses fins, l’article révisé sur la biodiversité interdira d’exclure les formes de vie de la loi de brevetage.Le contrôle des pays du Sud sur leurs ressources naturelles sera une fois de plus affaibli et les considérations éthiques, socio-économiques, culturelles et écologiques seront ignorées. Ce qui ramènera le brevetage du vivant à une simple affaire de gros sous.
L’accord sur les services financiers : des services pour le nord
Cet accord consiste à récupérer par la bande ce qui nous revient. Nous avons besoin d’un policier dans le quartier. Nous ne pouvons pas laisser les gouvernements se comporter comme des voyous.
GORDON CLONEY International Insurance Council, USA (20)
En 1997, deux accord furent signés au sein de l’OMC, qui démantelaient la tarification des produits informatiques et celle du secteur des télécommunications. En décembre, un troisième accord prévoyait la libéralisation des services financiers tels que banques et assurances. Ces « joyaux de la couronne de l’OMC » – comme les a appelés le commissaire européen au Commerce, Leon Brittan – résultaient tous trois d’une campagne d’influence systématique exercée sur les gouvernements du Sud par l’Europe et les État-Unis.
Selon Brittan, « l’Europe représentait déjà, lors des négociations de l’Uruguay Round, une force en faveur de la libéralisation mais, en ce qui concerne les réussites sectorielles qui ont suivi, l’Europe a indubitablement, plus que tout autre parmi nos partenaires, poussé dans le sens d’une libéralisation plus importante et plus rapide des marchés mondiaux (21). » Les trois accords sectoriels ont été élaborés en étroite coopération avec les grandes firmes européennes et américaines. Cela se remarque particulièrement pour l’accord sur les services financiers que Brittan citait comme modèle de participation de l’industrie dans les négociations commerciales à venir.
Ce dernier accord, entré en vigueur le 1er mars 1999, élimine de nombreux obstacles auxquels sont confrontés les prestataires de services financiers souhaitant pénétrer des « marchés émergents » qui, jusqu’à récemment encore, disposaient de politiques nationales protectionnistes dans les secteurs bancaires et de l’assurance. Il fut signé par 70 pays membres de l’OMC et l’on prévoit qu’il va ouvrir plus de 90 % des marchés mondiaux de ces secteurs (22). Les intérêts économiques sont évidemment énormes. La totalité des biens bancaires mondiaux est évaluée a plus de 41 milliards de milliards de dollars alors que le secteur de l’assurance rapporte plus de 2,1 milliards de milliards de dollars et que les transactions boursières atteignent une valeur d’environ 15 milliards de milliards de dollars par an (23). Chaque pays pouvant émettre des réserves particulières, l’accord sur les services financiers n’oblige pas les États à ouvrir complètement leur marché. Néanmoins, il impose une libéralisation à plus ou moins long terme en interdisant toute nouvelle mesure protectionniste.
La négociation sur les services financiers [GATS] avait été l’un des points non résolus par l’Uruguay Round, mais les négociations échouèrent à nouveau en 1995 quand les États-Unis s’en sont retirés devant la réticence de l’Asie et de l’Amérique Latine à ouvrir leurs marchés. Quelque 60 autres pays signèrent un accord intérimaire et les négociations reprirent en avril 1997. Considérant que ses pays membres avaient déjà fait tomber presque toutes leurs barrières au commerce extérieur et à l’investissement dans le secteur des services financiers, la Commission européenne pris la direction des négociations. Toujours réticent vis-à-vis de la libéralisation accrue des services financiers, l’Asie se vit courtisée par de hauts délégués européens et américains au Commerce. Ces derniers visitèrent les capitales asiatiques pour présenter la libéralisation des services financiers comme un remède aux économies faiblardes, qui attireraient ainsi les capitaux extérieurs.
Le troisième partenaire de cette équipe de choc fut, selon le ministre hollandais des Affaires économiques, « les industries financière internationale – et particulièrement américaine – et européenne unies au sein du Groupe des leaders de la finance [FLG] (24). » Le rôle de ce groupe avait pour mission d’« identifier les barrières commerciales dans les autres pays » ; les délégations européennes et américaines placeraient alors l’élimination de ces obstacles à l’agenda des négociations. Ce lobby travailla d’arrache-pied à la libéralisation du secteur des services financiers au niveau mondial. Ses coprésidents sont Andrew Buxton, directeur de la société britannique Barclay PLC et Dean O’Hare de la firme américaine Chubb Corporation ; il comprend les plus grandes compagnies bancaires et d’assurance du monde – dont Chase Manhattan, ING Group, Ford Financial Services Group, la Bank of Tokyo-Mitsubishi, Goldman-Sachs, la Royal Bank of Canada, l’American International Group, British Invisibles, Dresdner Bank AG, Citigroup, ROBECO Group, UBS et plus de 50 autres compagnies bancaires, d’investissement ou d’assurance.
Le commissaire européen Brittan soulignait que « les liens étroits établis entre les industries européenne et américaine […] constituaient un facteur essentiel pour la ratification de l’accord final (25). » Celui-ci a en fait trouvé dans la coopération avec le FLG une telle source d’inspiration qu’il veut l’utiliser comme modèle pour l’avenir : « Nous sommes actuellement, à l’Union européenne, en train de considérer la possibilité d’une participation du secteur privé au processus de détermination de nos priorités, déclara-t-il plusieurs mois après que l’accord soit signé. L’exemple de ce groupe euro-américain d’entreprises financières de tout premier plan – au sein duquel un groupe de dirigeants industriels donna un élan particulièrement important aux négociations – fut un modèle pour la création d’un nouveau mode de fonctionnement en Europe. On aura besoin d’une coopération similaire pour la prochaine série de négociations sur la libéralisation des services (26). » Les leaders financiers peuvent compter sur le soutien total du commissaire européen au Commerce pour préparer soigneusement les négociations sur les services (y compris les services financiers) qui ont commencé en l’an 2000.
Pendant que les firmes bancaires, et les compagnies d’assurance basées en Europe, aux État-Unis ou au Japon se félicitaient de la signature de ces accords, les négociateurs des États présentés comme des « marchés émergents » se montraient nettement moins enthousiastes. En pratique, les avantages sont réservés aux entreprises du Nord qui peuvent désormais pénétrer de nouveaux marchés en Asie, en Amérique Latine, en Afrique et en Europe centrale et orientale. Les perspectives d’entreprises du Sud quant aux marchés du Nord sont nulles. Lorsque les pays du Sud ont signé, ils l’ont fait dans l’espoir d’attirer des investissements et des financements extérieurs directs. L’Europe, les État-Unis et leurs compagnies de services financiers prétendaient que l’ouverture des marchés rendrait plus efficaces les entreprises bancaires et d’assurance des « marchés émergents » en augmentant la concurrence. Mais il est fort probable que de nombreux emplois disparaîtront lorsque les banques du Sud seront inévitablement rachetées. Le système financier déjà inéquitable se trouvera ainsi renforcé et les bénéfices retourneront vers les actionnaires européens, américains et japonais.
Millenium round : l’offensive
N’oublions pas que les pays qui sont aujourd’hui en difficulté sont également ceux qui ont le plus spectaculairement bénéficié de la mondialisation hier et pourraient encore en bénéficier demain.
SIR LEON BRITTAN Commissaire européen au Commerce Extérieur (27)
Haranguée par Leon Brittan, la Commission encouragea vivement le lancement, tout de suite après la Conférence ministérielle de novembre 1999 à Seattle, d’une nouvelle grande série de négociations à l’OMC sur un large éventail de problèmes. Mises à part les questions concernées par l’« agenda préétabli » (agriculture, propriété intellectuelle et services) la Commission a également proposé d’entamer des négociations sur l’investissement, les marchés publics, la politique de concurrence et divers autres secteurs. Elle s’est, lentement mais sûrement, assuré le soutien du Canada et du Japon, tandis que les État-Unis, qui préféraient à l’origine des négociations séparées sur un nombre plus limité de problèmes, s’habituent finalement à l’idée d’une nouvelle grande série de négociations. Les gouvernements du Sud n’ont cependant pas accueilli l’initiative de Brittan aussi chaleureusement. En fait, leur résistance aux négociations sur de nouveaux points – et particulièrement sur l’investissement – remonte à la première offensive de l’Union européenne en 1995.
Lorsque les négociations pour un accord multilatéral sur l’investissement [AMI] [voir chap. XII] ont officiellement commencé à l’OCDE en 1995, les pays du Nord qui y participaient disposaient d’une stratégie à deux niveaux qui menait inévitablement à traiter l’AMI à l’OMC. En fait, l’Europe espérait inaugurer les débats sur l’AMI lors de la Conférence ministérielle de l’OMC à Singapour, en décembre 1996. Les gouvernements du Sud se sont, cependant, révoltés contre l’AMI, craignant qu’il affecte « l’aptitude des gouvernements nationaux à réglementer la circulation des investissements directs étrangers en fonction des priorités et des objectifs nationaux (28). » Ils demandèrent que le problème de l’investissement soit plutôt discuté dans le cadre de la Conférence sur le Commerce et le Développement de l’ONU [UNCTAD].
Malgré une féroce opposition de la part des gouvernements du Tiers-Monde, un groupe de travail de l’OMC fut créé pour étudier les liens entre commerce et investissement. Et cela, suite à une procédure tout à fait antidémocratique, à laquelle ne participa qu’un groupe officieux de 30 pays. La « guerre froide » entre l’OCDE et les opposants à l’AMI s’est poursuivie tout au long des réunions du groupe de travail en 1997 et 1998. Craignant que les gouvernements parviennent à trouver des renforts pour la préparation des négociations, les groupements de citoyens qui s’étaient opposés à l’AMI dans le cadre de l’OCDE ont insisté pour éviter sa renaissance à l’OMC. Dans ce climat politiquement tendu, le groupe de travail sur l’investissement a annoncé, dans son rapport final de décembre 1998, sa décision de ne pas donner de recommandations mais de prolonger le débat (29). La position de la Commission européenne n’en a pas été affectée pour autant et elle reste un fervent partisan des négociations sur l’investissement à l’OMC.
De nombreux gouvernements du Tiers-Monde, les ONG et les mouvements de citoyens sont non seulement opposés à la discussion sur l’investissement à l’OMC mais également à d’autres nouvelles propositions. Martin Khor, directeur du Réseau Tiers-Monde, fait remarquer que les motivations de l’Europe pour un accord dans le cadre de l’OMC sur la politique de concurrence n’étaient sûrement pas favorable à la limitation de la concentration industrielle mondiale. Il s’agissait au contraire de faire tomber les obstacles que rencontrent les multinationales sur les « marchés émergents » – ainsi les mesures favorisant les entreprises locales, telles que les politiques leur offrant des droits spécifiques sur l’importation ou la distribution.
Concernant les marchés publics, l’Union européenne espère empêcher les gouvernements du Sud d’accorder une préférence aux partenaires locaux lorsqu’ils proposent des contrats ayant trait au secteur public (comme construire ou équiper des hôpitaux, des écoles, des infrastructures, etc.) Soumettre les marchés publics aux règles de l’OMC et donc à son principe de « traitement national » signifierait que les compagnies étrangères se voient offrir les mêmes (voire de meilleures) opportunités que les entreprises locales. Dans le cas où elles s’estimeraient victimes de discrimination, les compagnies étrangères auraient recours, par l’intermédiaire de leurs gouvernements, au mécanisme de règlement de litiges de l’OMC pour contrer les gouvernements en faute et exiger des mesures compensatoires ou répressives. Les multinationales sont avides de ces marchés publics qui, dans de nombreux pays du Sud, représentent de 20 à 30 % du produit national brut.
Dans la plupart des pays du Sud, les marchés publics restent l’une des seules méthodes permettant aux compagnies locales de concurrencer les grandes entreprises du Nord. Comme c’est le cas avec les réglementations sur l’investissement, les directives de l’OMC sur les politiques de concurrence et de marché public sont présentées comme nécessaires à la création d’un « champ d’action global ». En réalité, une concurrence à « armes égales » entre les grandes multinationales et les petits producteurs locaux mènerait à la disparition massive de ces derniers.
Les multiples visages de la commission
Sir Leon Brittan a eu recours à tous les arguments qui se puissent concevoir pour que « son » Millenium Round soit soutenu. Alors que ses détracteurs – affirmant que la crise financière et la mondialisation économique sont responsables de dégâts sociaux et écologiques sur une grande échelle – demandent que l’on reconsidère la nécessité d’une libéralisation perpétuelle du commerce et de l’investissement, Sir Leon n’a pas reculé d’un pouce. Au contraire, la crise financière, que Brittan attribue à « une mauvaise gestion de l’économie de marché », lui donne « le sentiment très fort que l’introduction à l’OMC de réglementations mondiales sur l’investissement est l’une des priorités de la nouvelle série de négociations sur le commerce mondial (30).»
Dans le but de s’assurer que les négociations sur l’investissement auront bien lieu, la Commission – qui déclare avoir beaucoup appris de l’opposition à l’AMI – a commencé à s’adresser aux ONG : « De nombreuses délibérations et un débat ouvert seront cruciaux pour la réussite du Millenium Round. Les gouvernements doivent tenir leurs électorats parfaitement informés », déclarait un Brittan se voulant rassurant – c’était lors de ces « dialogues » sur les propositions du Millenium Round organisés par la Commission, depuis septembre 1998, à l’intention les représentants de la « société civile » (31). Des représentants de l’industrie – à qui la Commission applique également l’étiquette de « société civile » – étaient également présents à ces dialogues. La Commission promit aussi la transparence et la participation aux prises de décision lors des nouvelles négociations, la publication d’informations sur le site Internet de l’Union européenne et une « évaluation cohérente des effets sur le développement » du Millenium Round.
La première impression selon laquelle l’offensive de charme de la Commission était très discutable se renforça dans les mois suivants. Lors d’une réunion de dialogue en janvier 1999, la Commission distribua un rapport assez vague donnant les grandes lignes de ses projets concernant un accord sur l’investissement à l’OMC dont étaient absents plusieurs éléments controversés de l’AMI (32). Cependant, une semaine auparavant, « une fuite » avait offert aux ONG une version du projet officiel de la Commission. Ce projet, qui comportait presque tous les points les plus contestables de l’AMI, avait déjà été discuté le mois précédent au Comité 133 (sur le Commerce extérieur) du Conseil des ministres (33). Répondant à une question sur le statut respectif de ces deux rapports, la Commission déclara seulement que « particulièrement en matière d’investissement, les idées évoluent très rapidement (34)». Bien qu’un certain nombre de réunions de dialogue consacrées à des sujets tels que la facilitation du commerce ou la relation commerce-développement aient eu lieu, de moins en moins d’ONG prirent la peine d’y assister.
Un autre coup fut porté à la crédibilité de la Commission en mars 1999, lorsqu’il fut révélé qu’elle avait mené un processus parallèle et divergent de « consultations et de partenariat sur les problèmes d’investissement avec l’industrie européenne » dans le cadre du Réseau d’investissement [Investment Network : IN] (35). Représentant Fiat, ICI, Daimler-Benz, Carlsberg, BP, Rhône-Poulenc et une cinquantaine d’autres firmes, ce réseau a été créé pour définir les priorités des grandes firmes européennes en matière d’investissement. La Commission a enquêté auprès de plus de 2 000 hommes d’affaires européens pour « obtenir une image claire de la façon dont le milieu des affaires perçoit la libéralisation internationale et l’élaboration d’une législation internationale (36). »
L’IN s’inspire clairement de l’expérience de la Commission lors des négociations concernant l’accord sur les services financiers au cours desquelles elle avait travaillé avec le Groupe des leaders de la finance [FLG]. Récemment, la Commission a encouragé les firmes européennes du secteur des services à créer un Réseau européen des services [European Services Network : ESN] pour « conseiller les négociateurs européens sur les barrières commerciales et les principaux pays sur lesquels elle devrait se concentrer lors de ces négociations (37). » Dans son discours pour la première rencontre de ce réseau des services, Sir Leon Brittan parla en toute franchise du rôle central qu’il leur attribuait : « Vous êtes la force directrice du système de délibérations que nous avons établi ; ma porte vous reste ouverte en cas d’inquiétude. Et j’attends que, quel que soit le point auquel l’ESN sera parvenu, il représente le point de vue de l’industrie, bien que je sois également prêt à entendre les problèmes des entreprises individuelles (38). »
L’ESN est également en relation étroite avec le Groupement européen des dirigeants des services [ESLG] constitué de plus de 40 présidents et PDG de divers secteurs, allant de la banque aux services d’énergie. Ce dernier groupe est lui-même censé « apporter une impulsion politique et une image publique considérable » aux futures négociations. Les encouragements actifs de la Commission pour la création de nouveaux lobbies industriels afin de soutenir le Millenium Round et de participer aux négociations vont, sans aucun doute, renforcer sa position vis-à-vis des États membres de l’Union européenne. Ainsi que le fait remarquer l’universitaire américaine Maria Green Cowles, « en travaillant en étroite collaboration, les compagnies et la Commission présentent aux États membres des stratégies de négociation [pré-approuvées] par l’industrie européenne (39). »
L’offensive de l’industrie sur le Millenium Round
Nous ne voulons pas être la petite amie secrète de l’OMC, de même que la CIC ne devrait pas entrer à l’Organisation Mondiale du Commerce par la porte de service.
HELMUT MAUCHER Chambre Internationale de Commerce (40)
Un certain nombre de groupements industriels très influents ont concocté leurs propres campagnes de soutien au Millenium Round. Un trait commun de leurs stratégies, hérité des leçons de l’échec des négociations de l’AMI, est l’absence d’opposition marquée aux clauses sociales ou écologiques possibles des négociations de l’OMC. L’industrie espère évidemment que cette tactique pousse les ONG à soutenir une libéralisation accrue. Par exemple, l’organisation des employeurs européens participe activement aux dialogues initiés par la Commission européenne avec la société civile au sujet du Millenium Round.
Le Commissaire européen Leon Brittan est lui aussi devenu plus loquace sur la « mise en avant » des intérêts écologiques dans la nouvelle série de négociations. Bien qu’il prétende toujours que la libéralisation du commerce et de l’investissement soit totalement compatible avec un développement durable, il a fait quelques pas dans le sens de l’adoption de certaines exigences émises par les ONG écologistes – comme celles des Accords multilatéraux sur l’environnement [AME], de la possibilité de juger les produits sur leurs méthodes de production, de l’étiquetage écologique ou du principe de précaution. La plupart de ces demandes ont cependant été rejetées par les pays du Sud, qui craignent que ces clauses soient utilisées pour intensifier l’utilisation d’instruments commerciaux protégeant les intérêts du Nord, déplaçant ainsi le fardeau écologique vers les pays du Tiers-Monde. De nombreuses organisations citoyennes des pays du Nord se méfient également des promesses de la Commission et insistent pour obtenir un moratoire sur l’accélération de la libéralisation du commerce et de l’investissement en attendant que l’OMC subisse une réforme fondamentale.
Un lobby comme l’ERT a derrière lui un long passé de participant actif à la libéralisation accrue de l’investissement, visant principalement un accord à l’OMC. Dès 1993, l’ERT soulignait la nécessité d’un « GATT sur l’investissement » pour « verrouiller le processus de libéralisation » (41). Depuis 1993, ce souhait fut réitéré dans les cinq rapports sur l’investissement produit par son groupe de travail Nord-Sud. L’échec des négociations de l’AMI à l’OCDE fut donc une très mauvaise surprise. Mais, comme l’explique le secrétaire-général de l’ERT ,Wim Philipa, son groupe a tout de suite « fait savoir à la Commission qu’il aimerait beaucoup travailler avec elle et avec l’OMC, si cette dernière devenait finalement un partenaire, pour tenter de parvenir rapidement à un AMI acceptable (42). » L’ERT créa un groupe de travail spécifique, consacré aux relations économiques extérieures et présidé par Peter Sutherland (43), l’arme fatale du lobby : « Son savoir, son expérience, ses contacts, ses réseaux [lui permettront] de participer plus activement [et lui donneront] la possibilité d’accélérer le processus (44). »
Les quelque 100 dirigeants industriels, et plus, rassemblés au sein du Dialogue sur le commerce transatlantique [TABD] [voir chap. XI] ont pour rôle officiel de conseiller les administrations européennes et américaines sur leurs positions dans les négociations de l’OMC. Alors que la crise lors des négociations de l’AMI à l’OCDE s’aggravait, le TABD était de plus en plus divisé des deux côtés de l’Atlantique. Au sommet de Charlotte (Caroline du Nord), en novembre 1998, l’industrie européenne exerça une forte pression pour convaincre son homologue américain, qui n’avait pas encore abandonné le rêve de l’OCDE, de se joindre à son offensive pour passer à l’OMC. Selon Stephen Johnston, porte-parole du Dialogue transatlantique : « Nous avons décidé de travailler avec l’OMC ; le TABD s’est à nouveau regroupé (45). » Tous espèraient agir sur la Conférence ministérielle de l’OMC en novembre 1999. Comme l’explique Johnston : « Une fois que vous avez un accord solide, même s’il ne date que de la veille, cela agit différemment sur les gens (46). »
La Chambre internationale de commerce [CIC], l’un des soutiens industriels les plus importants de l’AMI, est également le groupement industriel international qu’entretient les liens les plus étroits avec le secrétariat de l’OMC. Dirigeant du groupe de travail sur le commerce et l’investissement de la CIC, Stefano Bertasi explique que, « tout au long de ces années, nous avons toujours eu de très étroites relations de travail avec l’OMC parce qu’ils traitent, évidemment, les problèmes qui sont au centre de nos intérêts commerciaux. La CIC a toujours été un vecteur de la participation industrielle au travail de l’OMC, depuis sa propre création comme depuis la création de l’OMC et le début des négociations sur le commerce multilatéral (47). » Selon Bertasi, la stratégie de la CIC « passe par deux chemins : directement, par les organisations intergouvernementales ; et par nos comités nationaux (48) » – elle dispose de comités nationaux dans plus de 60 pays.
Dans sa longue tradition de lobbying sur les négociations de l’OMC, notons une campagne de six mois précédant la Conférence ministérielle de Singapour, avec ses décisions prises d’éliminer les barrières tarifaires sur les produits informatiques et l’établissement de nouveaux groupes de travail sur l’investissement et la concurrence qui « concordaient avec l’agenda sur la libéralisation de la CIC (49). » Courant 1998, la CIC commença à se préparer en vue du Millenium Round : « Nous avons déjà eu plusieurs contacts officieux avec l’OMC au sujet des nouveaux problèmes qu’ils sont en train de rencontrer », déclare Bertasi (50). Ces connexions bien pratiques s’expliquent partiellement par le fait que le groupe de travail sur les politiques de commerce et d’investissement de l’OMC est dirigé par Arthur Dunkel, directeur général du GATT pendant l’Uruguay Round, négociateur au commerce pour la Suisse, président du GATT de 1980 à 1993, membre officiel du Conseil de règlement des litiges de l’OMC et membre du conseil d’administration de Nestlé. Le « va et vient » entre l’OMC, les institutions européennes et l’industrie garantit que des individus clés tels que Dunkel ou Sutherland puissent maintenir de solides liens au sein de ce puissant trio.
Qui vivra verra
Suite au nombre croissant de litiges importants entre l’Europe et les État-Unis, on a récemment porté une attention accrue au rôle de l’OMC. Dans les pays du Sud, le public est de plus en plus informé sur son compte et les mouvements citoyens se mobilisent contre son agenda sur le libre échange. C’est évident dans des pays tels que l’Inde, où des centaines de milliers de personnes ont pris part à des manifestations contre l’OMC. Certains autres pays du Sud, comme le Pakistan et l’Égypte, ont exprimé de vive voix leur opposition à la nouvelle série de négociations, préférant s’en tenir à l’agenda préétabli et travailler à ce que les accords existants soient plus favorables au développement. Après quelques années d’expérience à l’OMC, de nombreux pays du Sud ont progressivement pris confiance en eux et pourraient bien ne plus céder à la pression de l’Europe et des État-Unis aussi facilement que par le passé.
Seul le temps nous dira si les offensives de charme de la Commission envers la « société civile » ont réussi. Une déclaration de mars 1999, signée par des centaines d’ONG du monde entier, refusait l’idée du « Millenium Round ». Elle demandait « un moratoire sur chaque nouveau point ou chaque nouvelle négociation élargissant le champ d’action et les pouvoirs de l’OMC (51). » Mais elle insistait également sur la nécessité de « changer de cap et de développer un système alternatif de relations internationales commerciales et d’investissement humain et cohérent. »
Notes
1. Discours prononcé à New York le 3 mars 1994.
2. Public Citizen, « The MAI Shell Game », site Internet de Public Citizen.
3. Suivant un courrier de Mickey Kantor, daté du 8 février 1996, à Bob Drake, président de l’Association des éleveurs de bétail américains.
4. Ted Bardacke, « American Boycotts Start to Bite », Financial Times, 2 juin 1997.
5. Leslie Gervitz, « Business Challenges Massachusetts’Myanmar Sanctions », Reuters News Wire, 23 septembre 1998.
6. Ancienne conseillère de la maison Blanche, Anne L. Wexler fut classée comme l’une des 10 lobbyistes les plus influentes de la capitale dans le numéro de janvier 1998 du magazine The Washingtonian.
Installée à Washington, Wexler Group est une unité indépendante de Hill and Knowlton Inc., une agence internationale de relations publiques.
7. Ken Silverstein, « Doing Business with Despots », Mother Jones, mai/juin 1998.
8. La Commission européenne a même préparé un dossier appelé « Amicus » à la demande du NFTC (Reuters News Wire, 23 septembre 1998).
9. « Eu and Japan urge WTO to ban Massachusetts Myanmar boycott », AFP, Genève, 22 septembre 1998.
10. Myriam Vander Stichel, Towards a World Transnational’s Organisation ?, TNI, Amsterdam, 30 avril 1998.
11. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
12. James Enyart de Monsanto, citation extraite de Vandana Shiva, « Who are the real pirates ? », Third World Resurgence, Malaisie, n° 63, novembre 1995, p. 16-17.
13. Edmund J. Pratt, « Intellectual Property Rights and International Trade », Pfizer Forum, 1996.
14. James Enyart de Monsanto, citation extraite de Vandana Shiva, « Who are the real pirates ? », op. cit.
15. Edmund J. Pratt, « Intellectual Property Rights and International Trade », op.cit.
16. Myriam Vander Stichel, « Towards a World Transnationals’ Organisation ? », TNI, Amsterdam, 30 avril 1998.
17. Stephanie Howard, Eugenics, A self-defense guide to protecting your genes, A SEED Europe, 1998.
18. Concernant la clause sur la biodiversité, la date limite à laquelle les pays en voie de développement devaient avoir mis en place leur système de protection des brevets – que ce soit dans le cadre des TRIP ou selon la formule dite sui generis – était fixée au 1er janvier 2000. Cependant, nombre de ces pays n'ont pas pu s'y tenir.
19. Alors que les Trip n’accordent de poids qu’aux droits des grandes firmes, la Convention sur la biodiversité propose que la répartition des bénéfices tirés des ressources génétiques respectent les droits des communautés locales.
20. Aviva Freudmann et John Maggs, « Bankers, insurers celebrate WTO pact : deal puts financial services markets under global rules for the 1st time », Journal of Commerce, 16 décembre 1997.
21. Sir Leon Brittan, Financial Times, 18 mai 1998.
22. « WTO Financial Agreement to Come into Force on 1 March », Agence Europe, 16 février 1999
23. Idem.
24. « Financiële diensten : een hernieuwde poging », WTO-Nieuwsbrief, n° 5, nov. 1997.
25. Sir Leon Brittan, « Europe’s Prescriptions for the Global Trade Agenda », discours à Washington, 24 septembre 1998.
26. Idem.
27. Sir Leon Brittan, « Europe and the United States : New Challenges, New Opportunities », discours adressé à la Foreign Policy Association, New York, 23 sep. 1998.
28. Tim Wall, « New WTO Investment Rules Cause Concern : Major issues loom for countries already struggling with Uruguay Round trade agreements », Africa Recovery, vol. 10, n° 3, décembre 1996.
29. WTO, « Report (1998) of the Working Group on the Relationship between Trade and Investment to the General Council », WT/WGTI/2, 8 décembre 1998 (98-4920)
30. Sir Leon Brittan, « Europe and the United States », op. cit.
31. Sir Leon Brittan, The WTO Future Agenda, discours prononcé lors d’une « Rencontre de la Communauté européenne avec les ONG, les Fédérations Industrielles et les Groupements de travailleurs européens sur le futur agenda de l’OMC », Bruxelles, 16 novembre 1998.
32. Commission européenne DG1A, « International rules for investment and the WTO », rapport de débat public distribué lors d’une réunion de dialogue entre la Commission et les organisations non gouvernementales à Bruxelles, le mercredi 27 janvier 1999.
33. Commission européenne DG1A, « WTO New Round : Trade and Investment Network », note à l’attention du Comité 133, Bruxelles, 15 décembre 1998.
34. Notes prises pendant la réunion de dialogue Commission-ONG, Bruxelles, 28 janv.1999.
35. Document de la Commission, « Minutes of the first meeting ot the Investment Network », Bruxelles, 27 novembre 1998.
36. « Annotated Agenda Investment Correspondent Network », Bruxelles, 5 mars 1999.
37. Prospectus de l’ESN, « GATS 2000 – Opening markets for services ».
38. Sir Leon Brittan, discours à la 1ère réunion de l’ESN, Bruxelles, 26 janv. 1999.
39. Maria Green Cowles, « The TABD and Business-Government Relations : Challenge and Opportunitiy », ébauche à paraïtre in Maria Green Cowles, James Caporaso et Thomas Risse (eds.), Europeanisation and Domestic Change.
40. Helmut Mauche, « Ruling by Consent », colonne rédigée en tant qu’invité pour le Financial Times, FT Exporter, 6 décembre 1997, p. 2.
41. ERT, European Industry – A Partner for the Developing World, Bruxelles 1993.
42. Entretien personnel avec Wim Philipa, Bruxelles, 16 décembre 1998.
43. Actuel président de Bp et de Goldman Sachs International, ancien ministre de la Justice irlandais, Peter Sutherland a été commissionnaire européen à la Concurrence de 1985 à 1989 et directeur général du Gatt/Omc de 1993 à 1995.
44. Idem.
45. Entretien personnel avec Stephen Johnston, Bruxelles, 26 janvier 1999.
46. Idem.
47. Entretien téléphonique avec Stefano Bertasi, 22 février 1999.
48. Idem.
49. Brochure de la CIC, « The world business organisation in 1997 », p. 4.
50. Entretien téléphonique avec Stefano Bertasi, 22 février 1999.
51. « Déclaration des membres de la société civile internationale opposés au Millenium Round ou à une nouvelle série de négociations en profondeur sur le commerce », Genève, 21 mars 1999.CHAPITRE XIV
Débarquement sur Planète Inc.
L’essor de l’influence politique de l’industrie au niveau national et au sein de forums régionaux tels que l’Union européenne a été suivi de près, dans les années 1990, par l’émergence alarmante de campagnes industrielles synchronisées à l’échelle mondiale. Les institutions internationales sont de plus en plus assiégées par les lobbies affairistes, et les Nations unies, que l’on pourrait penser idéalistes, en sont la dernière victime. Nous allons présenter certains des groupements industriels les plus importants à l’échelle mondiale et quelques exemples de leur influence montante.
Ce phénomène n’est pas complètement nouveau : un certain nombre de forums élitaires et de bureaux d’études internationaux ont, au cours des dernières décennies, posé les fondations de l’influence industrielle mondialisée. Bien que non exclusivement industrielles, des structures telles que le Bilderberg Group, la Commission trilatérale et le Forum économique mondial ont servi de catalyseurs cruciaux pour l’adoption par la plupart des gouvernements du monde de l’agenda actuel de mondialisation économique. Au cours des dix dernières années, l’apparition de nouveaux acteurs est venue s’ajouter à ces forums déjà établis. Ces « parvenus » planétaires, qui se distinguent par des structures à la fois modernes et souples, sont souvent aussi influents que leurs équivalents nationaux ou régionaux.
Coalition industrielle qui se prétend le porte-parole de l’industrie soucieuse d’un avenir écologique cohérent, le Conseil industriel mondial pour un développement durable [WBCSD] constitue un très bon exemple de ces derniers-nés du lobbying mondial. Les industriels qui la composent diffèrent en effet très peu des membres des autres grands lobbies, qui ne revendiquent, eux, aucune cohérence écologique. Dissimulé derrière son image soigneusement cultivée de coalition industrielle écologiste, ce conseil industriel a remarquablement réussi à promouvoir la libéralisation mondiale des marchés et l’autoréglementation sans intervention des gouvernements comme les clés d’un développement durable. Il a noué des liens étroits avec diverses institutions internationales et les organismes liés aux Nations unies en laissant son empreinte énergique et – indubitablement – incohérente tout autant sur le Sommet sur la Terre de Rio en 1992 que sur la Convention sur le Climat de Kyoto en 1997.
Mais ce lobby ne constitue qu’un exemple parmi de nombreux autres, qui font pression pour influencer les négociations sur le climat actuellement en cours aux Nations unies. Un coup d’œil plus attentif sur les résultats des sommets de Kyoto et de Buenos Aires révèle une histoire semée de coup de force des groupements industriels et un accord, comme on pouvait le prévoir, truffé d’échappatoires diminuant l’efficacité d’objectifs déjà insuffisants. Ainsi les industries nord-américaine, européenne, japonaise et australienne ont-elles investi d’énormes moyens et usé d’un large éventail de tactiques pour protéger leurs intérêts commerciaux face aux réglementations sur les émanations de gaz et l’effet de serre. Plusieurs structures spéciales, créées pour concentrer l’influence industrielle quant aux problèmes nés des changements climatiques, figurent parmi les principaux intervenants. Généralement, les coalitions affairistes travaillent en faveur de la même « solution » – à savoir, afin d’éviter toute contrainte, une action volontariste de l’industrie plutôt que des réglementations gouvernementales et des initiatives axées sur les marchés –, et présentent toute mesure astreignante comme une menace pour la compétitivité, une cause de chômage à grande échelle et un risque d’effondrement économique…
L’organisation industrielle la plus efficace – et la plus ambitieuse – est, sans aucun doute, la Chambre internationale de commerce [CIC]. Se présentant comme « l’organisation mondiale des affaires », elle fut modernisée et réactivée au milieu des années 1990 sous la présidence du patron de Nestlé, Helmut Maucher. Elle réussit à reproduire au niveau mondial le discours des groupements d’intérêt industriels européens, américains et japonais. Nous avons décrit son rôle significatif à l’OMC [voir chap. XIII]. Ses ambitions actuelles consistent à pénétrer le système de l’ONU. Les Nations unies, qui subissent déjà une transformation idéologique inspirée par leur secrétaire général, Kofi Annan, semblent accueillir chaleureusement le soutien de lobbies industriels tels que la CIC – avec laquelle ont été initiés plusieurs projets communs. Ainsi, de l’ONU, sa Conférence sur le commerce et le développement [UNCTAD] et son Programme de développement [UNPD] se sont-ils embarqués dans des projets particulièrement discutables impliquant la CIC et des entreprises individuelles.
L’intensification de la cooptation industrielle des Nations unies constitue une inquiétante évolution. Historiquement, le système de l’ONU est un forum relativement démocratique, qui accorda aux gouvernements du Sud et aux organisations de citoyens une meilleure écoute et plus de poids que tout autre organisme international. Le contrôle de l’industrie sur l’ONU constitue une sérieuse menace pour tous ceux qui ne gagnent rien au processus de mondialisation, qu’il s’agisse des travailleurs, des communautés, des populations indigènes, des femmes ou de l’environnement. L’offensive de charme de l’industrie sur l’ONU a pour but de s’assurer que toute réglementation de l’économie mondiale sera taillée sur mesure pour les intérêts industriels. Son succès diminuerait davantage encore l’aptitude des mouvements de citoyens du monde entier à avoir recours à l’ONU pour défendre leurs intérêts.CHAPITRE XV
Rencontres de l’élite mondiale :
les rejetons du groupe Bilderberg
Le groupe Bilderberg est l’un des plus anciens et des plus impénétrables clubs internationaux dans lesquels de grandes multinationales jouent un rôle majeur pour l’élaboration des agendas. Désireuse à la fois d’assouplir et de renforcer les relations transatlantiques après guerre entre les États-Unis et l’Europe de l’Ouest, le premier groupe Bilderberg – qui rassemblait politiciens, stratèges militaires, banquiers, dirigeants industriels, universitaires, représentants des médias, syndicalistes et autres leaders d’opinion – s’est tenu à l’hôtel Bilderberg à Oosterbeek aux Pays-Bas, en 1954 (1). Les sujets de cette rencontre initiale – cofinancée par la firme hollandaise Unilever et la CIA (2)– allaient de la « menace communiste » au développement du Tiers-Monde en passant par les politiques économiques d’intégration européenne (3). Selon l’analyste politique Stephen Gill, « le but de ces rencontres était d’encourager des dialogues ouverts et confidentiels ainsi qu’une mise à plat des divergences, tout en encourageant un nombre toujours croissant de relations économiques, politiques, militaires et culturelles entre les nations des deux côtés de l’Atlantique (4). » Les rencontres Bilderberg donnèrent également un élan indéniable à l’unification européenne.
Aujourd’hui, 120 représentants environ de l’élite mondiale d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale se rencontrent annuellement sous l’égide du groupe Bilderberg. On n’y compte pas de membres fixes mais de nombreuses firmes telles que British American Tobacco, BP, Exxon, Ford, General Motors, IBM, Rio Tinto, Shell et Unilever prennent part tous les ans (5). En 1997, le comité de direction se composait d’Étienne Davignon, ex-vice-président de la Commission européenne, actuel président de la Société générale de Belgique (membre de l’ERT) et président de l’Association pour l’union monétaire en Europe [voir chap. III] ; de Peter Sutherland, ancien directeur du GATT, ex-commissaire européen, actionnaire de Goldman-Sachs International et PDG de BP ; de Renato Ruggiero, ancien directeur de l’OMC et membre du conseil d’administration de Fiat ; et de Percy Barnevik, PDG de Investor AB (membre de l’ERT). Henry Kissinger et le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, sont également membres de ce comité de direction.
A la recherche d’un consensus
L’agenda du Groupe Bilderberg reste centré sur les problèmes d’actualité autour d’un discours néolibéral et de l’idée de libre échange. Nombreux sont ceux qui pensent que le consensus élaboré au sein de ce forum sert de base à l’évolution des politiques internationales. Selon un ancien délégué, « Bilderberg fait partie d’une conversation mondiale qui se déroule chaque année lors d’une série de conférences et compose la toile de fond des politiques qui sont mises en place par la suite. Il y a le Forum économique mondial à Davos en février, les rencontres de Bilderberg et du G-8 en avril-mai et la conférence annuelle du FMI et de la Banque mondiale en septembre. Une sorte de consensus international émerge et se retrouve d’une rencontre à l’autre. Mais personne ne l’impose réellement. Ce consensus devient la toile de fond des communiqués du G-8 ; il inspire le FMI lorsqu’il impose un programme de réajustement à l’Indonésie ; et la politique que le Président américain propose au Congrès (6). »
La rencontre Bilderberg de mai 1998 en Écosse traitait par exemple de sujets d’actualité tels que l’OTAN, la crise financière asiatique, l’Union monétaire européenne ou le projet de marché transatlantique [voir chap. XI]. Il est extrêmement difficile d’obtenir des précisions sur le contenu de ces discussions. La célèbre confidentialité des rencontres Bilderberg est illustrée par la cohorte d’agents de sécurité qui encerclent littéralement les lieux à chaque rassemblement. Lors de la rencontre de 1998, un journaliste du Scottish Daily mail fut ainsi arrêté, menotté et détenu pendant huit heures pour être simplement entré dans les locaux où se déroulait le meeting (7).
La 47e Conférence Bilderberg s’est déroulée du 3 au 6 juin 1999 à Sintra, au Portugal, sous la présidence d’Étienne Davignon (8). Outre les habituels « conspirateurs » industriels, plusieurs poids lourds de la politique figuraient sur la liste des invités – dont le président portugais Jorge Sampaio, le leader de l’opposition allemande Rudolf Scharping, le président de la Banque mondiale James D. Wolfensohn et le sorcier du New Labour anglais Peter Mandelson. Le vétéran des activistes verts, Jonathan Porrit, était également invité (9). La conférence avait pour thème « Les relations transatlantiques en période de changement ». Selon un communiqué de presse officiel, la réunion devait porter sur l’OTAN, la génétique, les marchés émergents, la nouvelle économie, les politiques européennes, les politiques américaines, l’architecture financière internationale et la Russie (10).
La commission trilatérale
En 1973, les membres du groupe Bilderberg ont institué une Commission trilatérale qui se décrit elle-même comme le rassemblement de « 335 personnes de marque » venues d’Europe, d’Amérique du Nord et du Japon (11). Outre l’intégration des membres de l’élite politique et économique japonaise, cette commission avait également pour but de créer une structure plus formelle et efficace que la nébuleuse « Bilderberg ». La Commission trilatérale s’entoure de moins de mystère que son modèle mais elle promeut tout autant le « Washington Consensus » – idéologie selon laquelle une économie de marché mondiale et sans barrières d’aucune sorte constitue le seul modèle viable pour toutes les nations du monde.
En fait, de nombreux hommes d’affaires, politiciens et banquiers de haut vol qui participaient au Bilderberg dominent également la Commission trilatérale et d’autres forums similaires. Le puissant banquier et homme d’affaires américain David Rockefeller donna l’impulsion à ce texte de la commission trilatérale et en fut le président pendant les années 1980. À la même époque, celui-ci présidait également le Conseil sur les relations extérieures – un influent groupe de réflexion américain réunissant plusieurs milliers de membres, et donc « contrôlant plus de la moitié des richesses des États-Unis (12). » Parmi les autres participants importants de la première décennie, on compte Giovanni Agnelli de la dynastie automobile italienne Fiat, John Loundon de la Royal Dutch Petroleum (plus tard Shell) et l’ex-commissaire européen Étienne Davignon. Ex-membre de l’Institut universitaire européen et, plus récemment, responsable du Centre européen d’études d’infrastructure (ECIS, branche des transports de l’ERT – voir chap. VIII), Wolfgang Hager fut le premier secrétaire européen de la Commission trilatérale dans les années 1970. Les présidents américains Jimmy Carter, George Bush et Bill Clinton ont été membres de cette commission, comme l’ont également été d’actuelles personnalités influentes du gouvernement américain tels que le secrétaire d’État Warren Christopher et le président de la Federal Reserve Bank Alan Greenspan.
Parmi l’élite actuelle de la Commission trilatérale figurent l’ex-vice-président de l’Union des patrons européens [UNICE] et membre du Parlement européen, Stelios Argyros ; le commissaire au Marché unique européen, Mario Monti ; et les directeurs de compagnies membres de l’ERT, Oscar Fanjul de Repsol, Paolo Fresco de Fiat, le baron Daniel Janssen de Solvay et Bjorn Svedberg d’Ericsson (13). Les rencontres annuelles de cette commission traitent généralement des problèmes les plus urgents du moment. La rencontre de 1999 était, par exemple, consacrée à la « guerre de la banane » qui sévit entre Europe et États-Unis dans le cadre de l’OMC.
Il est admis, à la Commission trilatérale, que les États-Unis sont beaucoup plus prêts à jouer le jeu de la mondialisation que les deux autres parties. C’est au « capitalisme familial » (et non, par exemple, aux investissements et spéculations sur les devises) que l’on reproche les malheurs actuels des pays asiatiques. De la même manière, les systèmes européens de sécurité sociale sont considérés comme des boulets qui entravent la compétitivité. Tout à fait logiquement, leur rencontre de 1999 aboutit donc à la recommandation suivante : « L’Europe doit devenir plus compétitive en déréglementant les marchés du travail et en refondant ses systèmes encombrants d’assistance sociale (14). »
Selon l’analyste politique Stephen Gill, les forces économiques représentées à cette commission déterminent le sens des politiques nationales et internationales adoptées par ses membres responsables politiques : « Les intérêts économiques représentés, souligne-t-il, sont principalement ceux de l’internationalisation des mouvements de capitaux. Ses membres industriels sont facilement identifiables : directeurs ou sous-directeurs de firmes transnationales, de mégabanques ou de compagnies agro-industrielles ou commerciales (15). » Les petites entreprises à vocation plus nationales en sont exclues et les organisations de travailleurs sont sous-représentées. Les entreprises membres de la Commission trilatérale « disposent d’un accès privilégié à la croissance phénoménale des marchés de l’euro et pouvent emprunter des fonds à de meilleurs taux que leurs concurrents plus faibles – la grande majorité de leurs investissements dans les années 1970 et 1980 concernaient l’intensification capitaliste ou la technologie. En conséquence, leur expansion n’a pas généré d’effets notables sur l’emploi (16). » En résumé, ces firmes sont du même type que celles qui travaillent au sein des lobbies industriels (tels que l’ERT) à la libéralisation accélérée du commerce et de l’industrie.
Le forum économique mondial
Un troisième grand forum participe à l’élaboration d’un consensus élitaire et à son application : le Forum économique mondial [FEM] qui se tient tous les ans à Davos, en Suisse. Selon son propre argumentaire, chaque année, « 1 000 dirigeants industriels de haut niveau, 250 dirigeants politiques, 250 experts universitaires de tous domaines et quelque 250 dirigeants de médias se rassemblent pour définir l’agenda mondial (17). » Une « atmosphère unique » y est créée pour faciliter « littéralement, des milliers de discussions privées » et permettre l’échange « d’informations utiles à la recherche de nouvelles opportunités industrielles, à l’évolution des relations internationales, aux avancées dans les processus socio-politiques les plus cruciaux et à la création de partenariats et d’alliances au niveau mondial (18). » Ce forum prétend avoir joué un rôle directeur dans la mondialisation économique et la libéralisation des services financiers et être à l’origine du lancement de l’Uruguay Round du GATT qui aboutit finalement à l’OMC (19). Comme le formule le membre de la Commission trilatérale et analyste politique Samuel P. Hutington : « Les participants de Davos contrôlent pratiquement toutes les institutions internationales, de nombreux gouvernements et la plupart des capacités économiques et militaires du globe (20). »
Un simple coup d’œil aux excitants sujets abordés et à la liste des orateurs jouant dans la catégorie poids lourds à Davos suffit pour s’en rendre compte. Le commissaire européen à la Concurrence, Karel Van Miert, s’est joint à l’ex-directeur du GATT, Peter Sutherland, au président de Nestlé, Helmut Maucher et à Shoichiro Toyoda, président de Toyota, pour débattre de la politique de concurrence. Le vice-président de la Commission européenne, Sir Leon Brittan, s’est associé au financier international George Soros, au président de l’AFL-CIO John Sweeney et au président brésilien Fernando Henrique Cardoso pour un débat sur « un complément social à l’économie de marché. ». D’autres célébrités telles que le directeur général de l’OMC, Ruggiero, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et d’importants hommes d’affaires tels que Stephen Schmideheiny d’Anova, Robert Shapiro de Monsanto et Herkstroter de Shell furent de tous les débats. Quels que soit les sujets abordés, les discussions sont toujours noyées dans les platitudes néolibérales que Sir Leon Brittan résume si bien : « La compétitivité est la meilleure façon de garantir que les choses soient faites à l’européenne » ; et que Shapiro complète à la perfection en affirmant que, « en général », ce que veulent les gens, c’est « plus de trucs » (21).
Malgré la proximité des pistes de ski, l’atmosphère de la rencontre de 1999 fut plus sombre que les années précédentes. La crise financière mondiale avait secoué gouvernements et investisseurs, et plusieurs politiciens ou orateurs recommandèrent des mesures jusqu’alors inouïes dans une telle assemblée, préconisant une nouvelle architecture financière ou des investissements socialement responsables, agrémentés d’un nouveau slogan pour le forum : « Mondialisation responsable ». Selon le fondateur et président du Forum Klaus Schwab, « cette rencontre a peut-être été une sorte de moment clé pour la réintroduction de la notion de responsabilité sociale dans le secteur industriel (22). » Ce changement de ton a certainement été inspiré par les violentes réactions à l’encontre de la globalisation économique. Un mécontentement croissant rendu tangible par la présence d’un nombre de plus en plus grand de manifestants antimondialisation à Davos au cours de ces dernières années – et une protection de la rencontre de 1999 derrière les boucliers de la police anti-émeute suisse.
Notes
1. Cette première rencontre Bilderberg fut présidée par le prince Bernhard, époux de Juliana, Reine des Pays-Bas.
2. Kees Van der Pijl, The Making of an Atlantic Ruling Class, Verso, 1984.
3. Ibid.
4. Stephen Gill, American Hegemony and the Trilateral Commission, Cambridge University Press, 1990, p. 127.
5. Idem.
6. Alan Armstrong & Alistair McConnachie, « The 1998 Bilderberg Meeting », The Social Creditor, Official Journal of the Social Secretariat, juillet-août 1998.
7. Anonyme citée in Armstrong & McConnachie, « The 1998 Bilderberg Meeting », op. cit.
8. « International power brokers meet to discuss global future : World’s most secret society to meet in Sintra », The News, Portugal, 1er mai 1999.
9. « Bilderberg-’summit opens in Sintra under massive security ; Sampaio attends Sintra Summit », The News, Portugal, 5 juin 1999.
10. Communiqué de Presse Officiel de la conférence Bilderberg tel que cité in « Bilderberg’summit opens… » ibid.
11. Commission Trilatérale, « About Trilateral Commission ».
12. David Korten, When Corporations Rule the World, New York, Kumarian Press, 1995.
13. Commission Trilatérale, « Trilateral Commission Membership ».
14. « Club Surveys the Global Economy », International Herald Tribune, 16 mars 1999.
15. Stephen Gill, American Hegemony…, op. cit., p. 157.
16. Idem.
17. FEM, « Annual Meeting in Davos ».
18. FEM, « Impact ot the World Economic Forum », Institutional Brochure.
19. Idem.
20. Samuel P. Huntington, « Cultures in the 21st Century : Conflicts and Convergences », déclaration au Symposium du 125e anniversaire du Colorado College, 4 février 1999.
21. FEM, « Annual Meeting 1998 Summaries », Genève, 1998.
22. « Economics and Social Cohesion », entretien avec Klaus Schwab, Time, 15 fév. 1999.CHAPITRE XVI
Détournement du développement durable
par les lobbies industriels
Si, depuis peu, la chambre internationale [CIC] semble avoir renforcé son emprise sur les activités économiques des Nations unies [voir chap. XVIII], il est un autre lobby mondial qui participe depuis longtemps au travail mené à l’ONU sur l’environnement et le développement. Le Conseil industriel mondial pour un développement durable [WBCSD], qui se définit comme « le principal porte-parole de l’industrie pour un développement cohérent (1)», a été le premier lobby à instaurer un partenariat institutionnalisé avec les Nations unies. Tel un loup déguisé en agneau, il accueille certaines des compagnies les plus polluantes du monde et peut, depuis sa création, être tenu pour partiellement responsable du quasi-immobilisme constaté à l’échelle mondiale dans les domaines de l’environnement et du développement.
Schmidheiny & Strong, inc.
Le Conseil industriel pour un développement durable [BCSD] a été créé en 1990 par l’industriel suisse Stephan Schmidheiny à la demande de Maurice Strong, secrétaire général de la Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement [UNCED ou Sommet sur la Terre de Rio] qui commençait son travail préparatoire. Schmidheiny et Strong sont de vieux copains depuis le Forum économique mondial de Davos [voir chap. XV] que ce dernier présida. Lui-même industriel ayant de « bonnes relations », Strong encouragea Schmidheiny (dont la fortune provient principalement de la compagnie Swatch, spécialisée dans les montres colorées et les gros investissements dans l’industrie de l’amiante (2)) à réunir d’importants dirigeants industriels de diverses parties du globe dans le but de fonder ce nouveau lobby au nom si trompeur.
De nombreuses ONG dénoncèrent le « kidnapping » du Sommet de la Terre de Rio de 1992 par les lobbies industriels. Ce sommet fut en effet principalement organisé par l’influent Conseil industriel [BCSD], qui ne réussit pas seulement à écarter les propositions de réglementations industrielles mais parvint aussi à faire de l’industrie le nouveau partenaire de l’ONU pour ses recherches sur un développement durable. Selon Pratap Chatterjee et Matthias Finger, « l’UNCED a initié un processus par lequel les multinationales sont passées du statut de lobbyistes au niveau national à celui d’acteurs mondiaux, c’est-à-dire d’associés des gouvernements. L’UNCED leur a fourni une plate-forme à partir de laquelle ils pourraient formuler les nouveaux problèmes mondiaux selon leurs propres intérêts (3). » Les tentatives des ONG pour faire imposer des réglementations à des multinationales « aux mains libres » ont, de ce fait, totalement échoué : la seule référence à l’industrie dans « Agenda 21 » – principale réalisation du Sommet –, est la reconnaissance de sa participation à un développement durable.
Les affaires reprennent
En 1995, le Conseil industriel pour un développement durable fusionna avec le Conseil industriel mondial pour l’environnement [WICE] pour devenir le Conseil industriel mondial pour un développement durable [WBCSD]. Le WICE avait été créé à l’initiative de la Chambre internationale de commerce en 1992, dans le but de faire participer l’industrie aux étapes qui suivirent le Sommet sur la Terre. À sa tête, Rodney Chase est l’un des directeurs généraux de BP, devenu directeur du WBCSD, tandis que l’ancien patron d’Asea Brown Boveri, Björn Stigson, en est devenu le directeur exécutif (4). Actuellement au nombre d’environ 125 (tous PDG ou à un poste équivalent), les membres du WBCSD représentent des compagnies telles qu’Asea Brown Boveri (ABB), AT&T, Bayer, BP Amoco, Cargill, Dow Chemical, Dupont, Fiat, General Motors, Glaxo Wellcome, Heineken, Hoechst, ICI, Mitsubishi, Monsanto, Nestlé, Norsk Hydro, Novartis, Procter & Gamble, Rio Tinto, Shell, Sony, Statoil, Toyota, Unilever, Unocal et la Western Mining Corporation. S’élevant à 50 000 dollars par personne, les frais d’adhésion ne sont pas, pour le moins, très bon marché : cependant, le « prestige écologique » acquis par les compagnies associées au WBCSD est, sans le moindre doute, un argument de poids.
Installé à Genève, le Conseil industriel mondial continue de promouvoir la protection de l’environnement par la croissance économique, l’autoréglementation et le libre-échange. Sa solution à tous les maux écologiques est l’« éco-efficacité », idée supposée avoir été développée dans « Changing Course », son rapport de 1992. Ne concernant que la réduction des déchets et de la consommation d’énergie lors de la phase de production, l’éco-efficacité intéresse l’industrie en ce qu’elle augmente la compétitivité sans réduire ni consommation publique ni vente en général.
Cinq ans plus tard…
Si le directeur exécutif du WBCSD admet que les compagnies membres ne sont pas en elles-mêmes des modèles écologiques, il souligne cependant que son groupe les aide à valoriser leurs activités écologiques spécifiques (5). Lorsque, par exemple, des dirigeants venus du monde entier se sont rassemblés à New York pour évaluer les progrès écologiques dans le domaine du développement durable au cours des cinq années qui suivirent le Sommet sur la Terre de Rio, le Conseil industriel était présent pour exposer ce qu’il avait accompli. Si l’on y jette un regard plus attentif, son rutilant rapport (publié pour le deuxième Sommet sur la Terre) n’est qu’une série de comptes-rendus triés sur le volet dans laquelle des compagnies, elles-mêmes soigneusement sélectionnées, se vantent d’être parvenues à des réussites écologiques mineures dans des domaines tels que l’éco-efficacité, l’analyse du cycle écologique ou la comptabilité environnementale. Ainsi Shell a-t-elle « lancé un système de gestion de la santé, de la sécurité et de l’environnement utilisé partout à travers le globe » ; et Dow Chemical a-t-il « appris par expérience que les projets volontaristes sont souvent plus rentables à long terme que les projets imposés par les réglementations ou la législation » (6).
Notre Conseil industriel s’affaira également dans les coulisses. Le 24 juin 1997, l’Ambassadeur Razali Ismail – président de l’Assemblée générale des Nations unies – et Stigson – directeur exécutif du Conseil industriel mondial pour un développement durable – organisèrent un repas avec quelques représentants industriels, trois chefs d’État, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et plusieurs officiels gouvernementaux de haut niveau (7). Il s’agissait de « déterminer les modalités d’une officialisation de la participation de l’industrie dans les affaires des Nations unies (8). » Lors de cette rencontre, Kofi Annan demanda aux gouvernements de stimuler l’investissement direct étranger dans les pays du Sud. Selon l’économiste et écrivain David Korten – qui assistait à cette rencontre au nom de l’une des trois ONG présentes (9)– Kofi Annan était « fermement décidé à utiliser l’ONU et d’autres fonds publics pour subventionner le rachat par l’industrie des économies du Tiers-Monde (10). » Korten vécut ce moment comme « une expérience très démoralisante, qui révélait une alliance sans faille entre les secteurs publics et privés pour le renforcement de la domination industrielle sur l’économie mondiale (11). »
On peut affirmer qu’en réalité le Conseil industriel mondial ne fait que progressivement renforcer ses relations avec divers organismes de l’ONU ou d’autres institutions de Bretton Woods. Sa coopération au Programme des Nations unies pour l’environnement [UNEP] est avérée : rapports, projets ou programmes régulièrement rédigés en commun en sont les fruits. Le Conseil industriel mondial, qui suivit de près les négociations à la Conférence de Rio ayant abouti à une Convention sur le climat, fit pression pour faire adopter plusieurs « solutions » au réchauffement de la planète, toutes favorables à l’industrie – telles qu’installations communes ou permis d’émission négociables [voir chap. XVII]. Dans la même veine, il « collabore étroitement avec la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement écologique [UNCTAD] sur la mise en place d’un mécanisme permettant le commerce autorisé de compensations négociables » ; et il conseille la Banque mondiale sur son projet d’investissement concernant le carbone (12).
Ces faits sont fâcheux. Ils mettent en effet en cause les Nations unies, que beaucoup considéraient comme un bastion de résistance pour l’égalité et la paix dans le monde – quand plus personne ne nourrit d’illusions sur des institutions ouvertement antidémocratiques et néolibérales telles que les banques de développement multilatéral ou l’OMC.
Le Conseil industriel mondial est aujourd’hui un invité régulier des coulisses de l’OMC. « Nous prenons part à un dispositif de conseil officieux, explique M. Stigson . Nous avons produit des rapports sur le commerce et l’environnement qui ont été très bien reçus et on nous contacte fréquemment (13). » Ce lobby a également surveillé de près l’évolution de la tentative manquée de l’AMI (14). Le 9 janvier 1998, son président écrivait à Donald Johnston, officiel de l’OCDE, pour exprimer son inquiétude au sujet de l’intégration dans l’AMI de clauses écologiques astreignantes, en profitant pour vanter les mérites de l’autoréglementation de l’industrie.
Le vert vous va-t-il mieux ?
Dans l’ambiance de suspicion publique grandissante envers les pouvoirs économique et politique détenus par les multinationales, la notion d’« image » est évidemment essentielle pour les grandes firmes.
En réponse à cette situation, le Conseil industriel mondial pour un développement durable a créé un groupe de travail sur la responsabilité sociale de l’industrie. Il est cependant difficile d’accorder la moindre confiance à un tel groupe présidé par Rio Tinto et Shell – qui, depuis longtemps, sont la cible de critiques des communautés locales et de groupements internationaux de citoyens.
Le Conseil industriel mondial a également ouvert des dialogues de négociation réunissant « des hommes d’affaires importants » et « un éventail de mouvements concernés par l’environnement et le développement ainsi que des groupes intergouvernementaux » (15). Témoin de l’un de ces dialogues, Tony Juniper (de Friends of the Earth), estime qu’ils passent à côté du sujet : « Les représentants de l’industrie présents à ces dialogues sont assez sincères mais n’arriveront à rien s’ils ne changent pas le système. Leurs firmes ne contribueront pas à une économie durable jusqu’à ce que soient adoptés de meilleures structures réglementaires, de nouveaux indicateurs économiques et des impôts écologiques pour élaborer de nouvelles pratiques industrielles qui ne soient pas uniquement basées sur des objectifs financiers. Ils continuent, au lieu de cela, à rabâcher comme des perroquets leur rhétorique usée sur le libre-échange et le volontarisme (16). »
La plupart des entreprises du Conseil industriel mondial sont également membres d’autres lobbies – tels que l’ERT [voir chap. III] – ayant nettement moins souvent recours aux discours pro-environnement. En fait, le fondateur du WBCSD fut lui-même, jusqu’en 1994, membre de l’ERT, dont la publication « Reshaping Europe » commente la « merveilleuse idée » d’un Conseil industriel pour un développement durable… « ayant la faculté de remplacer totalement l’approche au coup par coup de nombreux programmes actuels qui cherchent à contraindre les pollueurs par des sanctions (17). » Directeur exécutif du WBCSD, M. Stigson essaie cependant de différencier les deux lobbies : « Leur centre d’intérêt est la compétitivité, déclare-t-il au sujet de l’ERT… Ce qui est important, bien sûr. Car nous pensons que le profit est également important (18). »
Le Conseil industriel mondial pour un développement durable est donc spécialisé dans le « verdissement » de la réputation de certaines des compagnies les plus agressives et nuisibles du monde. « Pour certain, l’industrie fanfaronne dans un monde qui échappe complètement au contrôle de gouvernements affaiblis. Une vision plus positive, expliquent les lobbistes, présente une industrie qui, grâce au libre-échange, répand les bienfaits des technologies, compétences ou mécanismes tenant compte de l’environnement mondial actuel, nécessaires au développement et en particulier à un développement durable (19). » Ainsi, certaines des compagnies les moins présentables sont-elles jugées comme porteuses d’un idéal de développement mais se voient également présentées comme divulgatrices de richesse et d’« égalité des chances » au travers de leurs investissements internationaux (20).
Malgré ce vernis écologique, il est pratiquement impossible de distinguer le message des divers lobbies industriels en quête de nouveaux marchés. Néanmoins, un accès privilégié aux décideurs, des liens étroits avec les autres grandes industries et les mêmes objectifs fondamentaux de compétitivité et de profit – le tout recouvert d’une épaisse couche de peinture verte – garantissent que le Conseil industriel mondial continuera d’avoir une influence majeure sur les politiques mondiales d’environnement et de développement.
Notes
1. « What is the WBCSD ? », site Internet du WBCSD.
2. Pratap Chatterjee et Matthias Finger, The Earth Brothers, Routledge, 1994.
3. Idem.
4. Le président actuel du WBCSD, Egyl Myklebust est également membre de l’ERT, président et ex-PDG de Norsk Hydro.
5. Entretien personnel avec Björn Stigson, Bruxelles, 17 février 1997.
6. « Signal of Change : Business Progress for Sustainable Development », WBCSD, 1997.
7. L’un des participants était Larry Summers. Secrétaire adjoint au Trésor (USA), ancien directeur économique de la Banque mondiale, Larry Summers a gagné ses galons en recommandant l’envoi par bateau de déchets toxiques vers les pays à faible revenu puisque les gens y meurent de toute façon plus jeunes, qu’ils ont une moindre chance de gagner des revenus et que leur vie a, par conséquent, moins de valeur. (David C. Korten, « The United Nations and the Corporate Agenda », juillet 1997 –texte ayant circulé sur Internet).
8. David C. Korten, « The United Nations and the Corporate Agenda », juillet 1997.
9. David C. Korten travaille avec le People Centered Development Forum et est l’auteur de When Corporations Rule the World, New York, Kumarian Press, 1995.
10. David C. Korten, « The United Nations… », op. cit.
11. Idem.
12. Site Internet du WBCSD : <http://www.wbcsd.ch/>.
13. Entretien avec Björn Stigson, op. cit.
14. Site Internet du WBCSD, op. cit
15. Correspondance personnelle avec Tony Juniper, directeur de Politiques, Friends of the Earth pour l’Angleterre Pays de Galles et Irlande du Nord, 22 mars 1999. Consulter également le site Internet du WBCSD, op. cit.
16. Idem.
17. ERT, « Reshaping Europe , Bruxelles, 1991, p. 49.
18. Entretien personnel avec Björn Stigson, op. cit.
19. « Signal of Change… » WBCSD, op. cit.
20. Idem.CHAPITRE XVII
Comment l’industrie profite des menaces
de modifications climatiques
Le verdict est tombé : la planète se réchauffe. Le consensus est public, scientifique et, de plus en plus, politique sur la nécessité de réagir rapidement pour lutter contre les changements climatiques. Toutefois, étant donné l’ampleur du problème, les objectifs officiels de réduction des émanations de carbone sont très nettement insuffisants. Les négociations internationales sur le climat ne sont plus que des accords commerciaux autorisant les pays du Nord et leurs multinationales à polluer. Ceci grâce à l’utilisation de « solutions » basées sur le marché. Les bénéficiaires de ces solutions en sont également les inventeurs : plusieurs coalitions de multinationales extrêmement puissantes et influentes. Ces lobbies – auxquels appartiennent de très célèbres compagnies pétrolières, automobiles, minières et chimiques américaines, européennes, australiennes ou japonaises – ont usé de différentes stratégies pour protéger voire doubler leurs bénéfices fondés sur la dégradation du climat.
Selon les 2 500 scientifiques du Conseil intergouvernemental sur les changements climatiques, « il existe suffisamment de preuves quant à l’influence humaine sur le climat mondial (1). » Ce furent ensuite 2 000 économistes qui se sont faits l’écho de cet avertissement, confirmant que cette menace nécessitait des « efforts de prévention » (2). Néanmoins, les émanations de gaz responsables de l’effet de serre continuent d’être vomies dans l’atmosphère à un taux sans cesse croissant. Des années de négociations n’ont eu pour résultat que la signature d’un accord entre 39 pays industrialisés pour une diminution collective de 5,2 % pour 2012 –proposition ridiculement basse. En fait, une baisse mondiale de 60 % de ces émanations pendant la première moitié du siècle prochain serait nécessaire si l’on veut éviter des transformations catastrophiques du climat (3).
Le Protocole de Kyoto de 1997 fut célébré par toutes les nations du monde comme le premier traité à imposer légalement des limites obligatoires aux émanations de gaz carbonique. Pourtant, non seulement ces réductions y figurent à une bien pauvre place mais l’accord participe à faire des émanations un objet d’échange. Le commerce du droit de polluer, les installations communes [IC] et le mécanisme de développement propre [MDP] – trois solutions basées sur le commerce, inspirées par l’industrie et figurant au Protocole – vont permettre aux pays industrialisés du Nord d’éviter de mettre en place de vraies mesures de lutte contre les changements climatiques. En esquivant ainsi les réglementations gouvernementales, ces mécanismes commerciaux de dérobade excluent la participation des mouvements citoyens et des groupements écologistes tout en retardant toute véritable amélioration dans ce domaine.
Des solutions profitables
Le commerce du droit de polluer permet aux 39 gouvernements qui se sont engagés à des réductions collectives d’émanations polluantes de se vendre ou s’acheter des « auto- risations de polluer ». Ceci pourrait amener un très dangereux scénario. Ainsi pour la Russie et l’Ukraine, qui se sont engagées à maintenir leurs émanations au niveau de 1990 tandis que le démantèlement des entreprises soviétiques inefficaces a provoqué une baisse de plus de 30 % des émanations de gaz carbonique. Avec le commerce du droit de polluer, cette émanation pourra être rachetée par des pays industrialisés pour augmenter leurs propres émanations en proportion. Les installations communes et le mécanisme de développement propre impliquent le commerce d’« unités de réduction d’émanations » obtenues pour des projets spéciaux destinés à réduire les émanations de gaz responsables de l’effet de serre. Ces projets peuvent être menés entre pays industrialisés ou avec des pays pauvres. Le mécanisme de développement propre [MDP] est censé faciliter le transfert de fonds et de technologies vers les pays du Sud en vue d’un usage efficace de l’énergie. Il permet surtout aux pays riches et aux multinationales d’échapper à leurs responsabilités en se déchargeant du fardeau des réductions d’émanations polluantes sur le Tiers-Monde.
Depuis l’introduction, en 1997, de ces solutions basées sur le marché, les négociations internationales sur le climat travaillent à leur mise en place plutôt qu’à traiter l’insuffisance plus urgente des réductions actuelles. Les négociations de novembre 1998 à Buenos Aires se sont empêtrées sur ce problème (4). Cause de division, la mesure exacte de ces soi-disant « mécanismes souples », passe avant tout autre considération. Les milieux industriels et certains pays comme les États-Unis espèrent éviter ainsi tout plafonnement du taux de réduction réalisable « à l’étranger ». De leur côté, l’Europe et les pays du Sud, craignent que les États-Unis ne prennent aucune mesure de réduction sur leur propre territoire et déterminent les limites de l’utilisation de tels programmes.
Les agresseurs mondiaux du climat
C’est une offensive mondiale sans précédent qu’ont dissimulée les lobbies pétroliers, automobiles, miniers, chimiques et nucléaires derrière l’adoption de solutions basées sur le marché. Bien avant Kyoto, ces groupes d’intérêt étaient déjà fort occupés à orchestrer leur campagne de plusieurs milliards de dollars. Ils firent publier des rapports selon lesquels un désastre économique, un chômage énorme et une perte de compétitivité résulteraient des engagements envisagés sur le climat. Les représentants de l’industrie prétendaient avoir la situation climatique bien en main et préconisaient, au nom de la compétitivité internationale, que soient à tout prix évités les impôts sur le carbone et l’énergie ainsi que diverses autres réglementations. Les solutions, affirmaient-ils, se trouvent dans les accords volontaires entre les gouvernements et l’industrie, dans un marché libre et sans entraves qui permettra le développement de technologies plus performantes.
Ainsi les lobbies sur le climat sont-ils parvenus à déplacer le débat sur un plan dominé par des solutions technocratiques et vers les préoccupations de l’industrie : protection de leurs bénéfices et renforcement de leur domination au niveau mondial.
L’offensive américaine fut la plus hardie
Responsables de 25 % des émanations mondiales de gaz carbonique, les États-Unis furent le quartier général des luttes les plus virulentes contre tout engagement de réduction de productivité. Les lobbies de l’industrie investirent des millions de dollars dans des campagnes de relations publiques niant l’existence de transformations climatiques, ce qui perturba l’opinion publique.
Ils ont également fait pression pour que tout accord astreignant soit également applicable aux pays du Sud – bien que ceux-ci ne soient responsables que d’une très petite fraction de l’ensemble des émanations de gaz carbonique mondiales et que la responsabilité historique en revienne aux pays industrialisés (5). En toute hypocrisie, les lobbies industriels ont également fait pression sur les pays du Sud pour qu’ils refusent toutes obligations économiques pouvant entraver leur développement. Depuis la Conférence de Kyoto en 1997, les lobbies américains s’acharnent à éviter la ratification du Protocole et, simultanément, se battent contre un plafonnement de l’utilisation des mécanismes souples – assurant, quoi qu’il advienne, une situation d’invincibilité à l’industrie.
Le plus franc et le plus combatif des lobbies américains dans sa lutte contre l’accord sur le climat et les engagements de réduction est la Coalition sur climat mondial [GCC]. Créé en 1989 par la tristement célèbre agence de relations publiques Burson-Marsteller [voir chap. II], ce lobby compte parmi ses membres l’American Petroleum Institute, Amoco, Chevron, Chrysler, Dow Chemical, Dupont, Exxon, Ford, General Motors, Mobil, la National Mining Association, Texaco, Union Carbide et, depuis peu, BP et Shell (6). Au cours de ces dernières années, la coalition a mené une grande campagne de désinformation de plusieurs millions de dollars dans le but de générer le scepticisme public par de beaux rapports scientifiquement douteux diffusant de lugubres avertissements sur l’accroissement du chômage qui résulterait de la réduction des émanations. Ces lobbies assistent également en masse aux réunions de négociations sur le climat et demandent à ce que les pays du Sud soient tenus d’appliquer les mêmes réductions.
Reprenant les tactiques habituelles des industries américaines, la coalition finance des experts pour semer le doute sur l’existence même de transformations climatiques. Ces « sceptiques » ont pour mission de contrer les preuves scrupuleusement établies par le Panel intergouvernemental sur le changement du climat et d’autres experts officiels. Prenant part à de grandes tournées de conférences à travers le pays, ces « scientifiques » sont en outre présentés comme des experts en matière de législature nationale et fédérale – l’importance que leur accordent les médias augmentant leur crédibilité publique.
Dans le sillage de Kyoto – qui fut décrit comme « un désarmement économique unilatéral » (7) pour les États-Unis –, la coalition a légèrement modifié sa stratégie pour faire ouvertement campagne contre la ratification du protocole par les États-Unis. Dans l’intention d’accroître la perplexité de l’opinion publique, ses experts stipendiés ont décrit les politiques européennes relativement progressistes sur le climat et la haute technologie non-polluante de l’Europe comme autant d’attaques contre l’économie américaine. L’Union européenne, affirmait-on, « semble moins intéressée par la prévention d’interférences nuisibles au climat mondial que par l’élaboration de restrictions visant l’économie américaine ou de conditions économiques plus favorables à ceux d’entre ses pays membres qui ne sont pas parvenus à maintenir des économies viables (8). »
De son côté, la Table Ronde américaine [BRT] – lobby rassemblant les PDG de plus de 200 grandes firmes telles qu’Amoco, Chevron, Chrysler, Exxon, Ford, General Motors, Shell et Texaco – a abattu de nombreuses cartes dans cette partie sur le climat : multiplication des discours sur les incertitudes de la science concernant le climat ; promotion d’« une approche à long terme » impliquant des réductions d’émanations pour les pays du Sud, des accords volontaires de l’industrie et des mécanismes souples. En juin 1997, juste à temps pour Kyoto, la BRT lança une campagne publicitaire d’un million de dollars, qui préconisait à l’administration américaine de ne pas foncer tête baissée dans des engagements de politiques restrictives pour contrer les transformations climatiques. Ces arguments furent confortés par de généreuses donations au Parti démocrate (plus de 11 millions de dollars en 1996) et un soutien financier total de 57 millions de dollars à certains membres du Congrès lors des deux dernières élections (9). Rien de surprenant donc à ce que les politiques sur le climat du président Clinton suivent à ce point les vues de la Table Ronde américaine.
La BRT transmit régulièrement ses demandes à Clinton et aux autorités américaines par le biais de courriers et de rencontres privées. Tombée entre les mains de Friends of Earth, une lettre adressée à l’important négociateur américain Stuart Eizenstat développe sans ambages les exigences du lobby quant au sommet 1998 sur le Climat de Buenos Aires (10): que la délégation américaine refuse toute contrainte au commerce du droit de polluer – suggérant que pourrait ainsi être revendu 80 % ou plus de l’engagement national global ; que le Protocole s’applique pleinement aux pays du Sud et particulièrement à la Chine et à l’Inde, dont les émanations actuelles de carbone ne représentent pourtant qu’un vingtième de celles des États-Unis. Le propos souligne d’ailleurs clairement que la « participation des pays du Sud au commerce mondial dans son ensemble met ces mêmes pays en situation de désavantage concurrentiel ». La lettre prévient également du danger de perte de compétitivité par rapport à l’Europe si l’utilisation des « solutions » basées sur les marchés trouvés à Kyoto était elle aussi réglementée. « Plus il y a de restrictions au commerce et plus la compétitivité de l’Europe s’améliore, ce qui ne surprendra ni vous ni votre délégation qui êtes des vétérans du commerce avec la CEE (11). »
Le Projet d’information sur le climat mondial [GCIP] est un autre acteur important de la scène américaine. Menée par l’agence de relations publiques Shandwick [voir chap. II], cette énorme coalition industrielle est constituée de fédérations tels que l’American Petroleum Institute, l’American Plastics Council et certains syndicats d’intérêts miniers et commerciaux tels que United Mine Workers of America et l’AFL-CIO. En septembre 1997, ce lobby lança une campagne publicitaire de 13 millions de dollars destinée à répandre de fausses informations sur les modifications du climat. Une série d’annonce présenta ce groupe d’industriels comme un rassemblement international d’écologistes préoccupés par l’augmentation des émanations de gaz carbonique dans les pays du Sud, dont le message soulignait l’injustice d’exempter ces pays d’engagements dans ce domaine.
Émanations d’agences de relations publiques, ces groupes écran permettent aux industriels de bénéficier d’une fausse neutralité. Tel est le cas du Conseil d’information pour l’environnement [ICE], créé en 1991 par une coalition constituée de la National Coal Association, de la Western Fuel Association et de l’Edison Electrical Institute et gérée par l’agence de relation publique Bracy Williams. Ce lobby investit 500 000 dollars dans un coup publicitaire visant à « présenter le réchauffement de la planète comme une théorie (et non un fait) (12). » Membre de cette coalition, la compagnie minière West Coal Association a réalisé sa propre vidéo (coût 250 000 dollars), The Greening of Planet Earth, qui prétend que le changement du climat aurait pour avantage l’extension de la période de maturation agricole.
L’un des aspects les plus cyniques du débat sur le climat est le double jeu des multinationales du Nord lorsqu’elles traitent avec les pays du Tiers-Monde. Lors du XVe Congrès mondial sur le pétrole à Pékin en octobre 1997, Lee Raymond, président d’Exxon, a souligné l’urgente nécessité de voir les pays d’Asie continuer de lutter contre les réglementations sur les émanations au cours des 20 années à venir au minimum. S’exprimant au nom de l’American Petroleum Institute (auquel appartiennent BP, Chevron, Elf, Exxon et Shell), Raymond menaça les pays du Sud de perdre des investissements étrangers si des objectifs astreignants étaient adoptés à la Conférence de Kyoto. Au niveau national, ces menaces de l’industrie pétrolière prophétisent de lourdes pertes d’emplois et une diminution de la croissance économique américaine si ces engagements suivent la délocalisation forcée des entreprises dans des zones moins réglementées.
International : le commerce du climat
Opérant au niveau international, deux groupements ont exercé leur pression pour créer une situation favorable à l’industrie. La spécialité du Conseil industriel mondial pour un développement durable [WBCSD] [voir chap. XIV] – une coalition de 125 PDG de multinationales fondée en 1990 – est le détournement stratégique des problèmes de plus en plus nombreux soulevés par les mouvements écologiques – qu’ils concernent le climat ou d’autres sujets. Encourageant l’autoréglementation et développant sa rhétorique personnelle sur le développement cohérent, le WBCSD aide simultanément ses membres industriels à verdir leur image et à faire campagne pour une croissance économique déréglementée et un marché libre mondial. Ce qui n’a pas empêché les firmes de ce lobby soi-disant écologiste – dont Dow Chemicals, Shell et Dupont – de participé à des campagnes agressives contre les accords sur les émanations de gaz responsables de l’effet de serre.
Avec le lobby industriel japonais Keidanren, le Conseil industriel mondial et la Chambre internationale de commerce [CIC] organisèrent, à Kyoto, une « Conférence sur les initiatives de l’industrie pour la limitation des transformations climatiques ». Björn Stigson, alors président du Conseil industriel, y exprimait sa satisfaction quant à l’issue de ce sommet : « L’un des principaux résultats de Kyoto fut la reconnaissance du fait que l’industrie constitue un moteur clé qui nous conduira vers un futur plus cohérent (13). » Main dans la main, WBCSD et CIC présentèrent le mécanisme de développement propre [MDP] comme la solution la plus prometteuse à la crise du climat. Ce qui n’a rien de surprenant puisqu’elle offrira aux multinationales de nombreuses opportunités pour remporter de nouveaux marchés dans les pays du Sud.
La Chambre internationale de commerce [CIC] – probablement le lobby industriel le plus puissant du monde [voir chap. XVIII] – prône également l’« action volontaire » de l’industrie, des engagements mondiaux incluant les pays du Sud, des mécanismes fondés sur le marché et réclame que l’énergie nucléaire soit considérée comme une solution viable et cohérente. Les énormes moyens dont elle dispose lui offrent une formidable capacité de nuisance. En octobre 1998, deux semaines avant le sommet sur le climat de Buenos Aires, la CIC envoya une délégation de 30 personnes à Dakar (Sénégal) – dont des représentants de Shell, de LaFarge, de Texaco, de Mobil et de Chevron. Cette délégation promit aux ministres de l’Énergie et de l’Environnement de plus de 20 pays africains des transferts de technologies et d’investissements en échange de leur soutien au mécanisme de développement propre.
Chaude atmosphère : les lobbies industriels européens
Les lobbies européens opèrent dans des circonstances politiques assez différentes de celles de leurs collègues américains. On accorde en général chez nous une place plus importante aux politiques écologiques. Bien que dans des proportions très faibles, les impôts sur l’énergie (qui ne sont pas même envisagés aux États-Unis) ont déjà été institués dans plusieurs pays. Ainsi, malgré un manque d’ambition certain et pas mal de mauvaise volonté, l’Union européenne discute actuellement d’un impôt sur l’énergie. Il est vrai que l’éventualité de transformations climatiques n’est même pas mise en question dans l’arène politique européenne.
Étant donné ce cadre moins accueillant, les lobbies industriels les plus influents – ERT, UNICE et CEFIC – ont affiné leur approche du débat sur le climat. L’industrie européenne étant contrainte par les objectifs de réduction des émanations de gaz, elle se concentre sur la seule alternative de l’industrie aux réglementations gouvernementales : l’action volontaire. Selon ses représentants, si on laissait à l’industrie la responsabilité de résoudre les problèmes écologiques, le résultat en serait l’apparition rapide d’améliorations technologiques dans le domaine de l’énergie – mécanisme de développement propre, installations communes et commerce du droit de polluer étant également promus comme les solutions les plus sages au problème du changement du climat.
L’UNICE contre tout objectif astreignant
Commentant l’offensive de la Coalition américaine sur le climat mondial [GCC] contre les engagements limitatifs, un porte-parole de la confédération des employeurs européens [UNICE] adoptait une approche plus subtile : « L’UNICE ne remet pas en questions les aspects scientifiques de manière aussi agressive. Nous avons une approche totalement différente – les transformations climatiques sont devenues un véritable sujet d’inquiétude publique et nous considérons que des mesures préventives sont nécessaires (14). » Quoi qu’il en soit, comme les autres lobbies, elle considère comme déraisonnables les 15 % de réduction des émanations de gaz carbonique proposés pour 2010 par l’Europe à Kyoto : « L’analyse à la fois partiale et simpliste de la Commission sous-estime beaucoup ce que cela coûterait financièrement à l’industrie d’atteindre les objectifs de réduction des émanations de gaz responsables de l’effet de serre », explique Zygmunt Tyszkiewicz, ex-secrétaire général de l’UNICE (15). Selon cette confédération de patrons, « le combat contre le changement du climat va durer 50 ans (16) »… Et de réclamer des objectif plus souples pour 2020.
Table ronde à huis clos
La Table Ronde des industriels européens [ERT] – dont de nombreux membres sont responsables des transformations climatiques [voir chap. III] – a durement travaillé pour éviter les réductions d’émanations. Comme l’explique clairement sa secrétaire générale adjointe Caroline Walcot : « Nous voulons envoyer au rebut les débats sur les réductions de pourcentage. […] Certains parmi nous ont des états d’âme mais nous ne voulons pas d’une solution rapide et mal faite (17). » À l’époque des préparatifs pour Kyoto, les représentants du groupe de vigilance écologique de l’ERT ont, à plusieurs reprises, rencontré les décideurs européens pour leur expliquer que « les meilleurs accords sont ceux proposés par l’industrie (18). »
Les tractations de haut niveau et à huis clos sont une spécialité de ce puissant lobby. Lors d’une réunion préparatoire pour le sommet de Kyoto en octobre 1997, des groupements industriels et des politiciens importants furent conviés « pour travailler sur les “implicites” de la convention (19). » Les ONG ne furent pas invitées afin de ne pas « entraver les progrès » (20). L’ERT a également essayé d’obtenir un agenda industriel commun pour Kyoto, agissant pour une « action positive » qui permette à l’industrie de récolter tous les avantages économiques potentiels d’un accord. Comme l’explique Caroline Walcot : « L’Association pour la préservation de l’environnement de l’industrie pétrolière internationale a fait pression pour une position plus ferme. Nous avions essayé de les persuader, ainsi que les Américains et les Australiens, d’être moins rigides (21). » Ce lobby semble donc plus satisfait que les patrons européens des résultats de Kyoto : « C’est un très bon objectif pour l’Union européenne parce que nous savons que nous pouvons y répondre (22). » Cette base établie, leur priorité est à présent la promotion des initiatives volontaires de l’industrie comme méthode de réduction des émanations.
L’industrie chimique protège l’effet de serre
Constituée de fédérations nationales de l’industrie chimique et de compagnies telles que Bayer, BP, ICI, Monsanto Europe, Norsk Hydro, Novartis, Repsol, Rhône-Poulenc, Shell, Solvay et Union Carbide, la CEFIC a créé une mission spéciale pour empêcher les hydrofluorocarbonates [HFC] d’être compris dans l’accord de Kyoto (23). Bien que des substituts à ces produits dangereux soient actuellement disponibles, l’industrie chimique préfère proposer des réductions des fuites et autres améliorations « efficaces » plutôt que leur suppression. Ce lobby était ainsi parvenu à persuader l’UE d’exclure les composés HFC de ses objectifs de réduction de gaz responsables de l’effet de serre. Mais le Protocole de Kyoto les a finalement inclus dans sa liste de gaz à réduire. La CEFIC s’en est amèrement plainte : « Cela ne prend pas correctement en compte les efforts fournis par l’industrie, au début des années 1990, pour remplacer les HFC pour des CFC et des HCFC dans le but de préserver la couche d’ozone (24). »
La lutte contre les impôts écologiques
En rangs serrés, les trois plus importants lobbies industriels européens se sont opposés à un impôt global sur l’énergie – une proposition qui contribuerait pourtant sérieusement à réduire les émanations de gaz responsables de l’effet de serre. La confédération des patrons annonce qu’un tel impôt détruirait la compétitivité de l’industrie européenne à l’échelle mondiale et ne générerait ni emplois ni réduction significative des émanations de gaz carbonique (25). Néanmoins, dans l’éventualité où l’Union déciderait de procéder à la mise en place d’un tel impôt, l’UNICE ne demande rien d’autre que l’impossible : « Une acceptation internationale et… une exemption totale pour les secteurs très exposés à la concurrence mondiale (26). » L’ERT se montre tout aussi claire : « Les gouvernements devraient comprendre que les programmes fiscaux ne pourront que nuire à l’industrie. Si vous aidiez l’industrie à être plus compétitive, nous serions plus à même d’investir dans des solutions. Notre message est : “Pas d’impôts” (27). » L’Industrie chimique [CEFIC] a également réussi à esquiver l’imposition de l’énergie tout au long de ces dernières années. Son directeur des questions climatiques, Bent Jensen, se souvient des tentatives d’introduction d’un tel impôt par le commissaire à l’Environnement, Carlo Ripa de Meana, en 1991 : « Nous y avons réagi très vigoureusement. Il a hâtivement quitté Bruxelles. L’industrie ne voulait vraiment pas de cet impôt (28). »
En conséquence, les chances d’impôts européens sur l’énergie sont limités. Les faibles tentatives de 1992, 1995 et 1997 ont été réduites à néant par l’opposition inflexible de l’industrie et de quelques États membres. La dernière de ces tentatives, un compromis très adouci datant de 1998 et connu sous le nom de « proposition Monti (29) », fut étonnamment rejetée au Parlement européen par une coalition de parlementaires conservateurs et de députés du New-Labour (30). Une récente résolution parlementaire sur les transformations climatiques signale toutefois avec cynisme que la Proposition Monti n’aurait pas été suffisante pour atteindre les réductions de gaz carbonique retenues à Kyoto. Sans impôt sur l’énergie ou le gaz carbonique, les engagements de l’Union européenne pour la réduction des émanations de gaz semblent impossibles à tenir puisque les mesures proposées par les États membres sont clairement insuffisantes pour atteindre les niveaux de réduction nécessaires. De plus, des projets de l’Union tels que le réseau transeuropéen [TEN] [voir chap. VIII], un programme pour une nouvelle infrastructure de transports de plus de 400 milliards d’écus et la libéralisation des marchés de l’énergie rendront pratiquement impossible d’atteindre les objectifs proposés. On prévoit que le réseau transeuropéen augmentera, à lui seul, les émanations de gaz carbonique du secteur des transports de 15 à 18 % (31). En outre, les marchés de l’énergie nouvellement privatisés vont faire baisser le prix de l’énergie et, par conséquent, augmenter la consommation et les émanations de gaz carbonique.
Éviter les réglementations
Les industries chimiques de la CEFIC appliquent depuis longtemps une stratégie d’évitement de toute réglementation gouvernementale de ses « performances » écologiques en prenant unilatéralement des engagements dans ce domaine (32). Ainsi encouragent-elles les accords volontaires sur l’énergie et les installations communes – particulièrement dans les pays d’Europe centrale et orientale (33).
Mais l’approche de l’autoréglementation la plus active et la plus sophistiquée fut celle du groupe de vigilance écologique de la Table Ronde des industriels européens – il est composé des directeurs de services de l’environnement ou de la santé de compagnies membres. En vue du sommet de Kyoto, ce groupe a publié un luxueux rapport indiquant « comment choisir les bonnes mesures pour l’Europe (34). » Ce rapport fait appel au volontarisme de l’industrie et à des solutions fondées sur le marché pour réduire les émanations de gaz. En guise d’encouragements, le rapport présente des usines où les firmes de ce lobby ont investi dans de nouvelles technologies et réduit les émanations de gaz carbonique. On peut toutefois regretter l’absence de chiffres relatif à la responsabilité des multinationales réunies au sein de l’ERT dans ces émanations au niveau mondial. Se fondant sur des exemples isolés, le rapport ne recommande comme moyens de réduction qu’un développement technologique, des installations communes, le commerce du droit de polluer. Et, plus inquiétant encore, il préconise « une plus grande utilisation du nucléaire en tant que source d’énergie sans gaz carbonique (35). »
Ces industriels semblent espérer que cette stratégie écologique fasse tomber le vent ajourd’hui favorable aux mouvements écologistes : « Les mouvements verts craquent avec l’âge… La leçon du COP-2 nous a montré qu’ils ne veulent tout simplement pas reconnaître que nous vivons dans un monde différent, avec des besoins différents. Tout ce qu’ils parviennent à faire, c’est rendre plus difficile à l’industrie la tâche d’agir positivement et de façon volontaire (36). » Les exigences des patrons européens de l’UNICE concernent, depuis Kyoto, les accords volontaires à long terme et l’utilisation illimitée des mécanismes souples : mettre en place des mécanismes de développement propre, des installations communes et un commerce du droit de polluer ; réclamer l’absence de plafonnement à l’utilisation de ces techniques et imposer que les « unités de réduction des émanations » soient entièrement commercialisables. Pour ces lobbies, de telles mesures suffisent à éliminer toute réglementation ou imposition supplémentaire de l’industrie européenne (37).
Renaissance de l’énergie nucléaire ?
Tandis que de nombreux pays ont l’intention de fermer des centrales nucléaires et que les gouvernements suédois et allemand se sont engagés à abandonner cette énergie, les transformations climatiques offrent une dernière chance au nucléaire en Europe.
Tous nos industriels prônent évidemment l’énergie nucléaire comme une solution pratique contre les changements du climat. Et les lobbies nucléaires prétendent que les investissements dans l’énergie atomique et une nouvelle génération de centrales « par définition sans danger » sont le meilleur moyen de réduire les émanations de gaz carbonique. En institutionnalisant le mécanisme de développement propre [MDP], le protocole de Kyoto a insufflé une nouvelle vie à l’industrie nucléaire européenne. Au sommet sur le climat de Buenos Aires, plus de 150 lobbyistes du nucléaire ne pensaient qu’à faire entrer leurs technologies dans les mécanismes de développement propre – et s’ouvrir ainsi de nouveaux marchés.
On peut toutefois regretter que les lobbies nucléaires oublient de préciser combien l’énergie atomique génère d’importantes émanations de gaz carbonique par des activités très coûteuses en émanations de gaz, telles que la construction ou la désaffectation de réacteurs, le traitement, l’exploitation, les transports et le retraitement des déchets. De plus, la technologie nucléaire est la moins rentable – et, inutile de le préciser, la plus dangereuse – méthode de production d’électricité.
Mais ces détails importent peu aux yeux des membres de Foratom, le lobby européen de l’industrie nucléaire pour qui des méthodes efficaces ou renouvelables de production d’énergie ne suffiront de toute façon pas à empêcher un changement du climat. Ajoutant le cynisme à la vue courte, les pro nucléaires ne voient dans les transformations climatiques que « le meilleur ami [qu’ils aient] eu au cours des 40 dernières années (38). »
La mondialisation économique contre les politiques sur le climat
Les négociations sur le climat ne sont que l’une des nombreuses questions d’intérêt général capturées et contrôlées par le secteur industriel, dont le pouvoir économique et politique est devenu un sérieux obstacle à toute lutte efficace contre le réchauffement de la planète.
C’est aux groupements de citoyens du monde entier que revient maintenant la responsabilité de faire pression sur les gouvernements pour l’adoption de véritables solutions à la crise du climat, pour que les politiques cessent de se coucher devant les menaces, de subir la désinformation des lobbies et de se laisser influencer par l’écologie bidon de l’industrie. Les efforts des multinationales pour ses donner des airs de responsabilité écologique dissimulent les irréparables dégâts qui suivraient irrémédiablement leur gestion des transformations du climat. En fait, la consolidation et la mondialisation des modes de vie et de consommation irresponsables qui sont en usage au Nord représentent l’une des plus graves menaces pesant sur l’écosystème terrestre. Parce que ce projet est au fondement des stratégies du monde industriel qui a fabriqué une économie mondiale déréglementée et installé cette spectaculaire dépendance économique et politique des États envers les multinationales. Une situation qui rend toujours plus difficile aux gouvernements la tâche de contrer l’agenda industriel sur le climat.
Notes
1. IPCC, Second Assessment Report, 1995. Le Panel intergouvernemental sur le changement du climat fut conjointement créé, en 1998, par la World Meteoroligical Organisation et le Programme sur l’environnement des Nations unies afin d’évaluer (I) l’information scientifique sur les transformations climatiques, (II) les effets écologiques et socio-économiques de ces transformations, et (III) d’élaborer les stratégies pour y répondre.
2. « Economists call for carbon taxes », ENDS Environment Daily, 14 février 1997.
3. Ces chiffres ont été acceptés à la Conférence de Kyoto en décembre 1997. Kyoto était la troisième conférence des Partis de la Convention structurelle de l’ONU sur les changements climatiques [UNFCC]. Également connu sous le nom de Convention sur le climat, ce programme a pour objectif de stabiliser les concentrations de gaz responsables de l’effet de serre à un niveau permettant d’éviter de dangereuses interférences avec le système climatique. Elle a été signée par 154 pays au sommet sur la Terre de Rio en 1992. Par ailleurs, 84 nations ont signé le Protocole de Kyoto, un développement de la Convention contenant des objectifs précis et un calendrier. Suivant ce protocole, 39 pays industrialisés ont accepté de réduire les émanations de six gaz (dioxyde de carbone, méthane, oxyde nitreux, hydrofluorocarbones, perfluocarbones et hexafluoride sulfureux). L’Union européenne a accepté 8 % de réduction générale, les USA 7 %, le Japon 6 % et l’Australie fut autorisée à augmenter ses émanations de 8 %. Le Protocole de Kyoto est loin d’entrer en vigueur puisqu’il doit être ratifié par 55 membres et comptabiliser au moins 55 % de l’ensemble des émanations de CO2. Resté ouvert aux signatures du 16 mars 1998 au 15 mars 1999 au siège principal de l’ONU, le Protocole était signé par 84 gouvernements au 15 mars 1999, mais seuls 7 pays l’avaient ratifié (Maldives, Antigue et Barbuda, Salvador, Panama, Fiji, Tuvalu, Trinidad et Tobago).
4. La quatrième conférence des parties (COP-4) à la Convention sur le climat eut lieu en novembre 1998 à Buenos Aires (Argentine), mais tous les problèmes importants furent reportés à la conférence de 2000. Les parties ont adopté le plan d’action de Buenos Aires, qui fixe à l’an 2000 la date limite pour achever le travail sur les réglementations régissant les mécanismes souples de Kyoto. Les priorités sont le mécanisme de développement propre [MDP], les systèmes financiers pour aider les pays du Sud ainsi que le développement et le transfert des technologies.
5. En 1998, le Sénat américain a voté à 95 voix contre 0 la résolution Byrd-Haguel selon laquelle les États-Unis ne signeraient aucun protocole exemptant les pays du Sud d’engagements obligatoires ou gravement nuisibles à l’économie américaine.
6. Sous la pression des groupements écologistes, BP a abandonné cette coalition début 1998. Néanmoins, les deux compagnies sont toujours membres de l’American Petroleum Institute [API]. Après avoir échoué à faire pression sur le gouvernement américain pour qu’il ne signe pas le Protocole de Kyoto, l’API fait maintenant pression sur le Sénat pour qu’il ne le ratifie pas.
7. « Business Organizations Pledge Fight to Block Approval of Kyoto Pact ». Déclaration de William F. O’Keefe, alors président de la Coalition Mondiale sur le Climat.
8. Site Internet de la Coalition mondiale sur le climat : <http://www.globalclimate.org>.
9. Site Internet d’Ozone Action : <http://www.ozone.org/>.
10. Courrier du 10 novembre 1998 de Robert N. Burt, président du groupe de travail sur l’environnement de la BRT, adressé à Stuart Eizenstat, cité dans le communiqué de presse de Friends of Earth « Leaked Letter Tips US Hand at Climate Summit », 12 novembre 1998.
11. Idem.
12. Propos parus in Bob Burton et Sheldon Rampton, « Thinking Globally, Acting Vocally : the International Conspiracy to Overheat the Earth », Center for Media & Democracy, PR Watch, vol.4, n° 4, IVe trimestre 1997.
13. Björn Stigson, Président du WBCSD, « Kyoto, Where Do We Go From Here ? », Earth Times, 17 décembre 1997.
14. Entretien téléphonique avec Daniel Cloquet, porte-parole l’UNICE, 24 octobre 1997.
15. Zygmunt Tyszkiewicz cité in « While UNICE Attacks Plan From Inside », ENDS Environment Daily, 23 octobre 1997.
16. Entretien avec Daniel Cloquet, op. cit.
17. Entretien téléphonique avec Caroline Walcot, 24 octobre 1997.
18. Idem.
19. Les passages des traités internationaux en cours de négociation sur lesquels un accord n’a pas été établi figurent généralement entre parenthèses. Plusieurs versions alternatives de tels passages persistent souvent dans l’ébauche de traité.
20. Entretien avec Caroline Walcot, op. cit.
21. Idem.
22. Propos de Caroline Walcot cités in « Mixed European Reactions to Kyoto Deal », ENDS environment Daily, 11 décembre 1997.
23. Le rapport « Refrigeration & Global Warming : An Independent Review of HFC Refrigerants » a été publié en octobre 1997 et financé par l’European Fluocarbon Technical Commitee (EFCTC), un groupe sectoriel de la CEFIC.
24. Rapport de position de la CEFIC, « Post-Kyoto Views on Climate Policies », 12 juin 1998.
25. UNICE, « Opinion on the Proposal for a Council Directive on Taxation of Energy Products », 6 mai 1997.
26. Courrier du secrétaire général de l’UNICE Zygmunt Tyszkiewicz au Président de la Commission Jacques Santer, 6 février 1997.
27. Entretien avec Caroline Walcot, op. cit.
28. Entretien téléphonique avec Bent Jensen, 23 octobre 1997.
29. Conçue par le commissaire au Marché unique Mario Monti, la proposition (Energy Tax III b) reprenait la précédente mais offrait deux options aux pays membres. La première consistait à imposer un minimum de contributions sur l’électricité, le charbon et le gaz pendant de longues périodes de transition ; la seconde, dans le but d’éviter la forte opposition de la Grande-Bretagne à l’imposition des carburants domestiques, consistait à augmenter les contributions sur les carburants automobiles, permettant ainsi aux États membres d’obtenir un taux 0 sur l’électricité, le gaz et le charbon.
30. Les députés écologistes ont reproché aux députés de la « nouvelle gauche » anglaise d’avoir cédé à la pression des lobbies industriels (ENDS Daily, 10 février 1999).
31. Missing Greenlinks, Greenpeace Switzerland, 1995.
32. Ayant obtenu qu’aucun nouvel impôt sur l’énergie ne soit créé, l’industrie chimique a pris l’engagement unilatéral d’augmenter l’efficacité de l’énergie de 20 % entre 1990 et 2005 dans le cadre du programme volontaire pour une énergie plus efficace [VEEP].
33. La CEFIC a créé un ensemble de réglementation volontaires pour « décourager la Commission européenne d’inventer un équivalent européen du Toxic Release Inventory – une loi passée au États-Unis à la suite de la catastrophe de Bhopal – qui impose aux firmes de rendre publics leurs déversements chimiques (a)
a. Joshua Karliner, The Corporate Planet : Ecology and Politics in the Age of Globalization, Sierra Club Books, 1997.
34. « Climate Change : An ERT Report on Positive Action », Bruxelles, avril 1997.
35. Idem.
36. Entretien avec Caroline Walcot, op. cit.
37. UNICE, EU’s Strategy Responding to Climate Change (participation de l’UNICE au COP-4 à Buenos Aires), Bruxelles, octobre 1998.
38. Citation extraite de « German Elections Threaten Meltdown for Nuclear Power in EU », European Voice, 14 janvier 1999.CHAPITRE XVIII
Quand l’ONU drague l’industrie
La chambre internationale de commerce [CIC] triomphe depuis longtemps dans ses manipulations en faveur de la déréglementation économique mondiale au sein de forums tels que l’OMC, le G-8 et l’Organisation de coopération et de développement économique [OCDE]. Mais son dernier succès force l’admiration : « Améliorer nos relations et augmenter la quantité de travail effectuée avec les organismes de l’ONU dont nous n’étions peut-être pas aussi proches dans le passé, déclare Stefano Bertasi. Je pense qu’il y a certainement eu un changement de la part de l’ONU dans la façon dont elle utilise l’industrie et dont elle considère la contribution potentielle de l’industrie à son travail (1) . »
Forger une nouvelle alliance
La glasnost de l’ONU vis-à-vis des milieux d’affaires constitue une victoire importante pour des groupements d’intérêts tels que la Chambre de commerce. Selon sa secrétaire générale, Maria Livanos Cattaui, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a signalé que le temps d’une consultation entre l’ONU et l’industrie était venu : « Le regard que portent les Nations unies sur l’industrie a fondamentalement changé. Ce glissement vers une position plus favorable à l’industrie trouve son impulsion aux plus hauts niveaux (2). »
Cet optimisme était parfaitement justifié. Quelques jours plus tard à peine, 25 dirigeants industriels membres de la CIC rencontraient une délégation poids lourd des Nations unies menée par Kofi Annan. Pour Mme Cattaui, cette rencontre du 9 février, était le premier pas vers « un dialogue systématique (3) » entre les deux intervenants mondiaux. La délégation de la CIC – qui comptait les dirigeants de Coca Cola, Goldman Sachs, Mc Donald’s, Rio Tinto Zinc et Unilever – a été encouragée par le bon accueil qu’accorda Kofi Annan à ses idées. Ainsi que le déclarait un représentant du lobby au Wall Street Journal (6-7 mars 1998), « leur bonne volonté et leur ouverture d’esprit m’ont impressionné ». La déclaration commune faisant suite à cette rencontre affirmait que « de grands changements politiques et économiques ont ouvert de nouvelles opportunités de dialogue et de collaboration entre les Nations unies et le secteur privé (4). » Ces nouveaux alliés se sont entendus pour « forger un proche partenariat mondial afin de garantir une participation plus importante de l’industrie aux prises de décisions économiques mondiales et de revigorer le secteur privé dans les pays les moins développés (5). » Les représentants de l’industrie ont profité de l’occasion pour plaider pour la création d’« une structure réglementaire efficace pour la mondialisation incluant l’investissement, les marchés des capitaux, la concurrence, les droits de propriété intellectuelle et la facilitation du commerce (6). »
Le dialogue sur les affaires de Genève
En septembre 1998, le Dialogue sur les affaires de Genève fut la seconde phase des amours naissantes entre la CIC et les Nations unies. Le président de la Chambre de commerce, Helmut Maucher (7), également big boss de Nestlé et membre de l’ERT [voir chap. III], fut sans conteste le personnage central de cette rencontre. À ses yeux, le Dialogue de Genève a été organisé pour « réunir les dirigeant de compagnies et d’organisations internationales afin que l’expérience et l’expertise de l’industrie soient intégrées au processus de prise de décision de l’économie mondiale (8). »
Parmi les participants de cette rencontre figuraient le commissaire européen aux Finances, Yves-Thibault de Silguy, le directeur général de l’OMC, Renato Ruggiero, des officiels de haut niveau de la Banque mondiale, d’importants représentants des Nations unies tels que son secrétaire général adjoint le général Vladimir Petrovsky et le secrétaire général de la Conférence sur le commerce et le développement de l’ONU [UNCTAD] Rubens Ricupero ainsi que des présidents, premiers ministres et autres décideurs déterminants de pays tels que la Finlande, la Hongrie, la Thaïlande, la Suisse ou les États-Unis. Parmi les 450 dirigeants industriels présents figuraient les PDG de BASF, Goldman Sachs, ICI, la Lyonnaise des Eaux, Mitsubishi, Norsk Hydro, Siemens, Shell et Unilever.
Dans son discours de bienvenue, Maucher expliqua qu’en plus de « faire connaissance, créer des réseaux et lier amitié », le but du Dialogue sur les affaires de Genève était de parvenir à des résultats concrets, en particulier en ce qui concerne « les actions à mener pour déterminer les règles mondiales d’un libéralisme organisé (9). » Il concluait, deux jours plus tard, que « la Chambre internationale du commerce est à la tête du débat en tant que porte-parole de l’industrie dans le dialogue entre l’OMC et les Nations unies ». Expliquant que les problèmes mondiaux nécessitaient la délégation des pouvoirs au niveau mondial, Maucher demanda un renforcement de l’OMC et une révision en profondeur de la structure des Nations unies pour faciliter une plus grande participation de l’industrie. « Une ONU forte, avait-il déjà souligné, est bénéfique à l’industrie (10). » Dans un discours par satellite adressé au Dialogue, Kofi Annan confirma que « l’ONU et le secteur privé avaient besoin l’un de l’autre », prenant l’engagement d’« établir des liens étroits entre l’ONU et la CIC (11). »
Régir la mondialisation
« Construire une structure véritablement mondiale pour les investissements étrangers et les activités internationales de l’industrie (12) » était le thème central des discussions de Genève. La crise économique mondiale – qui touchait alors aussi bien l’Asie du Sud-Est que l’Amérique latine et la Russie – préoccupait sérieusement les participants au Dialogue. Conscients de l’imminence d’une réaction contre la libéralisation du commerce et de l’investissement, les dirigeants industriels craignaient visiblement que la crise financière – comme le débat sur la réglementation de l’économie mondiale – leur échappent et se retournent finalement contre eux. En conséquence, les dirigeants des plus grosses multinationales, des hommes d’affaires du Sud et divers dirigeants politiques s’entendirent sur la nécessité de réglementer les flux de capitaux spéculatifs pour contrecarrer la « mondialophobie » et mettre en place une structure mondiale pour « régir la mondialisation ».
Le Dialogue sur les affaires constituait, de la part de la CIC, une tentative de tenir les rênes du débat sur la mondialisation économique. La question de « régir la mondialisation » avait déjà été discutée, en 1998, au Forum économique mondial [voir chap. XV] mais le Dialogue s’est efforcé de dépasser la simple élaboration d’un consensus d’élite et d’aboutir à une coopération concrète. Cette nécessité de « régir la mondialisation » fut utilisée comme argument pour accorder plus de pouvoir réglementaire à des organismes internationaux tels que les Nations unies et l’OMC ; ce qui permettait, en même temps, d’officialiser l’étroite collaboration de la Chambre de commerce avec ces organismes en tant que représentante des intérêts de l’industrie mondiale. « Actuellement, trop de doubles emplois et de coordinations inadéquates empêchent les organismes intergouvernementaux de gérer efficacement les problèmes complexes et interconnectés du XXe siècle, annonçait la déclaration finale de la conférence. Les organisions intergouvernementales auront besoin de se voir conférer une autorité supplémentaire mais à condition qu’elles prêtent plus d’attention à la contribution à l’enrichissement global de l’industrie et de la compétitivité (13). »
Mise en pratique de la coopération ONU-CIC
Le dialogue entre ONU et CIC est permanent et suppose des rencontres régulières au plus haut niveau. En janvier 1999 par exemple, lors du Forum économique mondial, Kofi Annan rencontra Maucher pour discuter « des voies à emprunter pour renforcer le partenariat entre Nations unies et secteur privé (14). » Une coopération pratique entre l’industrie et des agences comme la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement [UNCTAD] ou le Programme de développement de l’ONU [UNDP] est devenue également routinière.
Le secrétaire général de l’UNCTAD, Rubens Ricupero, donna une illustration de cette collaboration pendant le Dialogue sur les affaires de Genève. Au sujet des pays africains ayant libéralisé leurs économies mais qui ne reçoivent encore que fort peu d’investissements étrangers, il fit remarquer que l’UNCTAD et la CIC avaient commencé à travailler sur un ensemble de lignes directrices pour aider les « pays les moins développés » [PMD] à attirer les entreprises. Ce projet a été lancé en collaboration avec six pays (Bengladesh, Éthiopie, Madagascar, Mali, Mozambique et Ouganda) et des multinationales telles que British American Tobacco, BP, Cargill, Coca Cola, Daimler-Chrysler, Nestlé, Novartis, Rio Tinto, Shell, Siemens et Unilever. Ces firmes aideront les pays à « identifier les pratiques dépassées et à créer un climat favorable à l’investissement direct à l’étranger [IDE] (15). » Et la Chambre de commerce de conclure : « Ce projet donne une expression pratique aux relations de travail plus étroites entre la CIC et le système des Nations unies convenues avec le secrétaire général Annan il y a presque un an (16). »
Le projet CIC-UNCTAD fait partie d’une série d’efforts plus intenses. Ces lignes directrices pour l’investissement industriel ont pour objectif d’augmenter les flux d’investissement direct dans les 48 pays que l’ONU considère comme les « moins développés ». Selon un communiqué de presse de l’UNCTAD, « une grande partie de ce processus consistera à identifier les meilleures méthodes et les conditions optimales qui créent un climat favorable à l’investissement direct à l’étranger [IDE] (17). » Mais cette récente coopération entre l’ONU et l’industrie est de plus en plus discutable. Lors d’une séance de délibérations de deux jours avec les ONG et les syndicats en juin 1998, l’UNCTAD fut vivement critiquée pour « être en train de perdre son sens et son âme », en particulier à cause de ses liens avec la CIC (18). Les ONG critiquèrent plusieurs projets dont, notamment, celui sur le commerce biologique, qui facilite « l’élaboration d’arrangements concernant l’accès des multinationales aux ressources biologiques des pays en voie de développement (19). »
Deux milliards de personnes intégrées à l’économie mondiale ?
En mars 1999, une coalition de groupements de citoyens a défié ce qui est probablement le plus ambitieux projet commun ONU-industrie : le Projet mondial d’équipement pour un développement durable [GSDF]. Selon des documents qui auraient dû rester confidentiels, le projet élaboré dans le cadre du Programme de développement des Nations unies [UNDP] se propose de « mettre fin à la pauvreté, de créer une croissance économique cohérente et de permettre au secteur privé de prospérer grâce à l’intégration à l’économie mondiale de deux milliards de personnes supplémentaires (20) » avant 2020. Le drôle de surnom donné au projet par ses créateurs est « 2B2M-2020 » – qui signifie « 2 milliards de plus sur le marché avant 2020 ». Pour 50 000 dollars, participent au projet mondial d’équipement 20 compagnies bien connues – dont pour plusieurs d’entre elles pour un comportement social et écologique qui laisse gravement à désirer, telles qu’ABB, BP, Novartis, Rio Tinto, Shell et Statoil (21). On trouve, parmi les six principaux conseillers du projet, la secrétaire générale de la CIC, Mme Cattaui, et Björn Stigson du Conseil industriel mondial pour un développement durable [voir chap. XVI].
Les multinationales participant au projet d’équipement mondial auront accès aux bureaux du Programme de développement des Nations unies dans plus de 135 pays. Grâce à cette collaboration, elles auront un « aperçu inestimable des conditions locales, des priorités et des problèmes des pays en voie de développement, ce qui les aidera à concevoir des stratégies industrielles et des produits spécifiques pour ces marchés émergents (22). » Le Programme de développement se vante du fait que ce projet fera bénéficier les multinationales « d’une reconnaissance mondiale pour leur coopération avec l’ONU/UNDP » et qu’un logo « Projet mondial pour le développement durable » permettra à l’industrie de mettre cette coopération en valeur. La première phase du projet consistera en une étude de faisabilité intégrant jusqu’à 10 projets pilotes financés conjointement par l’UNDP et les firmes participantes et suivie de son lancement officiel. En ce qui concerne les projets eux-mêmes, qui devraient « contribuer à une stratégie globale qui offre aux populations pauvres de devenir des participants actifs du système économique mondial », les propositions de l’UNDP restent très vagues : « La téléphonie et l’électrification rurales, […] le développement de produits et services adaptés aux “marchés émergents” des pays pauvres, […] l’accès aux technologies [et] la connexion de l’industrie micro-financière avec les marchés financiers mondiaux » en constituent quelques exemples (23).
Au nom de groupements de citoyens du monde entier, le Transnational Action and Resource Centre [TRAC], basé aux États-Unis, a adressé une lettre ouverte au directeur exécutif du Programme de développement des Nations unies, James Gustave Speth, lui demandant de « supprimer le Projet mondial d’équipement pour un développement durable ». La défense du projet se résume à l’affirmation que son but était « de s’assurer que quelques investissements au moins s’effectuent de façon à favoriser les pauvres, les femmes, l’environnement et l’emploi (24). » Malgré ces discours apaisants, le directeur exécutif du TRAC, Joshua Karliner, pense que le projet devrait cesser toute activité : « Nous craignons que ces multinationales soient plus soucieuses de “verdir” leurs images publiques ternies que de répondre aux problèmes urgents de la pauvreté dans le monde. Les Nations unies ne devraient pas élaborer de projets en commun avec des entreprises qui sont les architectes d’un système qui usurpe son autorité et qui sont responsables de nombreuses violations de droits de l’homme et de la dégradation de l’environnement entravant ainsi un développement humain durable (25). » Une opinion bien différente de celle des technocrates de l’UNDP selon lesquels, « sur le long terme, il existe un solide rapport entre un développement humain cohérent et la hausse des actions en bourse (26). »
Aujourd’hui, près de la moitié de la population de la planète survit hors de l’économie de marché mondiale. Bien que les fermiers traditionnels, les communautés indépendantes et les populations indigènes qui, entre autres, constituent ce groupe énorme, soient pauvres au regard des critères économiques néolibéraux, ils ne souhaitent pas forcément – contrairement à ce que prétend l’UNDP – participer activement au système économique mondial. En fait, beaucoup d’entre eux ne le veulent absolument pas, comme par exemple les populations indigènes dont le mode de vie traditionnel est incompatible avec l’« économie de marché mondiale » et les mouvements de paysans qui, en Inde et en Amérique latine, voient dans la mondialisation économique la principale menace pesant sur leurs moyens de subsistance. Mais on n’est pas surpris qu’avec leur soif inextinguible d’élargir leurs parts de marché, les grandes firmes soient enchantées de voir ces populations rejoindre leur réserve mondiale de consommateurs et de producteurs.
Les ambitions de Maucher
Ce partenariat avec les Nations unies fait partie de la stratégie globale de la Chambre internationale de commerce [CIC] de changement de son image pour acquérir plus de visibilité et d’influence. Ce processus de réorganisation a commencé en 1995, lorsque Helmut Maucher reprit la barre en tant que vice-président et amena avec lui une nouvelle secrétaire générale, Maria Livanos Cattaui, qui avait organisé le Forum économique mondial à Davos pendant plusieurs années – disposant donc d’un large réseau de puissant contacts internationaux [voir chap. XV].
C’est toutefois à son propre réseau de contacts que Maucher eut recours pour recruter de nouveaux adhérents à la CIC parmi les dirigeants industriels. Estimant que la CIC n’avait pas été jusqu’alors suffisamment influente et visible dans la presse internationale (27), l’une de ses priorités fut de se valoriser auprès des médias. Il s’affaira également à moderniser les activités de l’organisation ainsi qu’à créer et faciliter les contacts avec les décideurs (28). L’accès direct auprès des officiels de l’ONU faisait partie de cette stratégie. Déclarant que l’industrie méritait une place privilégiée à la table des Nations unies, Maucher exhorta « les gouvernements [à] comprendre que l’industrie n’est pas juste un groupe de pression de plus mais une ressource qui les aidera à définir les bonnes réglementations (29). » Mais constatant l’efficacité des ONG écologiques ou de défense des droits de l’homme, il proclama que la CIC devrait « faire attention à ce qu’ils ne deviennent pas trop influents (30). »
Plusieurs raisons expliquent la volonté de la CIC d’établir des « partenariats » avec des institutions internationales telles que l’OMC ou l’ONU. Parue en février 1998, la déclaration commune du secrétaire général de l’Union européenne et de la CIC en donne un aperçu : « L’industrie est fortement intéressée par la coopération multilatérale, aussi bien pour la détermination de normes par les Nations unies qu’avec d’autres institutions intergouvernementales et les conventions internationales sur l’environnement ou d’autres problèmes internationaux ou mondiaux (31). » Sous ces « partenariats » se cache la volonté de prendre le contrôle du processus législatif international et d’influencer les institutions mondiales de réglementation afin de promouvoir l’agenda industriel et d’empêcher tout recul de la marchandisation du monde. Avec le soutien des réglementations mondiales, la CIC espère éviter tout refus public de la mondialisation – qui pourrait se retourner contre l’industrie.
En outre, cette stratégie de « partenariat » veut éviter la naissance d’organismes mondiaux opposés à l’industrie tels que celles que les ONG étaient parvenues, selon la CIC, à mettre en place au sein de l’ONU. Ainsi l’établissement de solides relations de travail avec la Conférence sur le commerce et le développement de l’ONU va-t-il sans doute mettre fin au rôle historique de promotion des intérêts du Tiers-Monde et des mouvements de citoyens de cette organisation.
Enfin, le dernier avantage de cette étroite collaboration avec des organisations internationales telles que les Nations unies est la légitimité qu’elle confère. Comme le dit si bien l’US Journal of Commerce (16 mars 1998), l’estampille ONU « constitue un parrainage très désirable dans un monde obsédé par les marques. »
Une vision partagée ?
« Établir une relation plus solide avec le milieu des affaires fait partie de la “révolution tranquille” de Kofi Annan pour construire les Nations unies du XXIe siècle », expliquait récemment le service d’information publique de l’ONU (32). Si l’ONU avait déjà pris contact avec le Business Consultative Council (créé à Davos), le Prince of Wales Business Leaders’Group et d’autres coalitions industrielles internationales, il semble, aux dires de Maucher, que la CIC soit finalement « leur partenaire de dialogue préféré (33). »
La grande question reste de comprendre pourquoi les Nations unies tiennent tant à un partenariat qui s’est pourtant déjà montré sujet à controverses. Il y a, en fait, plusieurs raisons très pragmatiques. Un tel soutien pourrait aider l’ONU à regagner une place centrale dans le processus décisionnel mondial, qui, au cours de ces dernières années de mondialisation économique intense, a surtout été mené par les institutions financières de Bretton Woods (34). En outre, ce « partenariat » change l’image de l’ONU qui est souvent perçue – dans certains pays comme les États-Unis en particulier – comme une bureaucratie faible et inefficace (35). Enfin, le retour d’ascenseur : lors des sommets de 1998 et 1999, la CIC défendit devant les dirigeants du G-8 la reprise du financement de l’ONU (36).
L’étroite coopération des Nations unies avec la CIC et ses compagnies membres reflète la transformation idéologique qui s’est opérée au cours de ces dernières décennies. Ayant clairement abandonné sa vision originelle, l’ONU présente aujourd’hui la mondialisation économique et les investissements des multinationales comme les meilleurs moyens de lutter contre la pauvreté. Cette métamorphose justifie la satisfaction de la secrétaire générale de la CIC : « Ce qui rend le dialogue possible, c’est la perception d’un côté comme de l’autre que des marchés ouverts sont la condition préalable nécessaire à une meilleure distribution des bénéfices de la mondialisation pour intégrer les pays en voie de développement à l’économie mondiale et pour améliorer le niveau de vie de toutes les populations du monde, et des plus pauvres en particulier (37). »
La déclaration commune ONU-CIC semble confirmer un consensus sur un large éventail de sujets et souligner l’importance d’« un fonctionnement efficace du marché mondial, l’existence de systèmes ouverts, équitables et inclusifs, basés sur le libre-échange, l’investissement dans la croissance économique et le développement ainsi que l’absence de pressions protectionnistes (38). » L’adoption de cette vision du monde par l’ONU a de nouveau été confirmée au Forum économique mondial de Davos en 1999, où Kofi Annan encouragea la mise en place d’« un marché mondial… à visage humain » et d’« un monde qui offrirait à chacun au moins une chance de prospérité dans un environnement sain » comme alternative au monde actuel « qui condamne un quart de l’humanité à la famine et à la misère » (39).
Les Nations unies semblent ne plus s’inquiéter de la domination économique croissante des multinationales à travers le monde. Jusqu’en 1993, elle disposait d’un Centre sur les multinationales [UNTNC], qui menait des enquêtes et travaillait avec la Commission sur les multinationales, un organisme intergouvernemental ayant pour mandat de développer un code de conduite pour les multinationales. Les firmes étaient très hostiles à cet organisme qui établissait également des lignes de conduite écologiques pour l’industrie et encourageait la restriction de l’investissement étranger en Afrique du Sud durant le régime d’apartheid. La Commission sur les multinationales disparut en 1993 à l’occasion d’une « réorganisation » pour centraliser le nouveau travail de l’ONU avec les multinationales. De son côté, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement ne s’est pas occupée de la réglementation des activités des multinationales mais travaille plutôt en étroite collaboration avec elles afin de stimuler les investissements étrangers dans le Tiers-Monde. Les travaux sur l’élaboration d’un code de conduite pour les multinationales ont été totalement arrêtés.
Maucher & ses critiques
Maucher se montre visiblement sensible au fait que les tentatives de la CIC de coopérer avec les Nations unies sont vulnérables à la critique. Il lança une attaque féroce contre ces critiques lors du Dialogue sur les affaires de Genève en septembre 1998 : « Laissez-moi prendre le taureau par les cornes. Nous avons, ces derniers jours, entendu parler des gens qui s’opposent au Dialogue sur les affaires de Genève et le critiquent simplement parce que, pour la première fois, l’industrie prend part à une conversation avec l’ONU. Il est écœurant que certaines personnes prétendent qu’Annan et les Nations unies sont télécommandés par l’industrie (40). » Il convient de préciser que Maucher traîne un lourd passé de conflits avec les organisations de citoyens, et en particulier un boycott de Nestlé qui dura dix ans en réponse au caractère fort peu éthique de la promotion d’un produit destiné aux enfants (41).
Lors de la conférence de presse finale du Dialogue sur les affaires, Maucher s’est encore plaint aux journalistes des manifestations de citoyens qui avaient eu lieu la veille : « Nous pensons que ces groupes se rendent compte que la CIC est maintenant plus efficacement organisée en tant que porte-parole de l’industrie auprès de l’ONU… Il leur est difficile d’admettre que la voix de l’industrie est également importante (42). » Plus agressif, il demanda à ce que les activités des ONG soient transparentes : « Comment sont-elles financées et pour quoi se battent-elles ? Nous insisterons pour obtenir des réponses, pour qu’elles suivent le processus démocratique normal et respectent les règles (43). »
Ces plaintes et ces questions inquisitoires de Maucher sur les mouvements de protestation sont symptomatiques de son mépris élitiste de l’opinion publique. Les manifestations, pacifiques et colorées, étaient organisées par des bénévoles enthousiastes disposant de budgets ridicules. Ce genre d’événement dépasse, bien évidemment, l’imagination d’un industriel issu d’une firme disposant d’un budget publicitaire global d’environ deux milliards de dollars et pour qui l’acquisition de compagnies concurrentes pour plusieurs millions de dollars est chose courante.
Et que penser de la distinction établie par Maucher entre les « ONG responsables » et les « groupes de pression activistes » ? Il est clair que la CIC se sentant menacée par les mouvements issus de la base et aux contours peu définis, elle entend prendre des mesures pour les marginaliser. Ainsi, lorsqu’elle rencontra Tony Blair, en mai 1998, pour lui présenter ses propositions pour le sommet du G-8, la CIC lui suggéra un « désengagement » vis-à-vis de certaines ONG. Et sa déclaration au G-8 souligne qu’« il serait utile que l’ONU et d’autres organismes intergouvernementaux établissent des réglementations pour statuer sur la légitimité et la transparence de nombreuses ONG engagées dans le dialogue sur les politiques publiques et qui prétendent représenter des intérêts particuliers ou d’importantes tranches de la société civile (44). »
C’est donc une position offensive qu’adopta à cette occasions la CIC : pour régler les questions épineuses que pose son ambition d’élaborer une « structure réglementaire mondiale » favorable aux multinationales. La question la plus fondamentale, néanmoins, reste de savoir si, oui ou non, les firmes laisseront à des gouvernements démocratiquement élus l’élaboration des réglementations locales, nationales et mondiales.
Notes
1. Entretien téléphonique avec Stefano Bertasi, coordinateur du groupe de travail sur le commerce et l’investissement de la CIC, Paris le 22 février 1999.
2. Maria Livanos Cattaui, « UN-Business Partnership Forged on Global Economy », International Herald Tribune, 9 février 1998.
3. Idem.
4. Idem.
5. Idem.
6. « UN-Business Partnership to boost economic development », communiqué de presse de la CIC, 9 février 1998.
7. En janvier 1999, le banquier libanais Adnan Kassar a succédé à Helmut Maucher en tant que président de la CIC. Maucher reste vice-président de la CIC aux côtés de Richard D. McCormick, président et PDG de US West Inc. (voir le site Internet de la CIC).
8. Olivier Hoedeman, notes prises lors du Dialogue sur les affaires de Genève, 23 et 24 septembre 1998.
9. Idem.
10. Helmut Maucher, « Ruling by Consent », article rédigé en tant qu’invité du Financial Times Exporter, 6 décembre 1997.
11. Message de Kofi Annan, Dialogue sur les affaires et CIC, 24 septembre 1998.
12. Maria Livanos Cattaui, « Business and the UN : Common Ground », Journal of Commerce, 3 août 1998.
13. CIC, déclaration du Dialogue de Genève.
14. Secrétaire général ONU, communiqué de presse SG/T/2115, 4 fév. 1999.
15. « Business helps to boost investment in Africa », communiqué de presse de la CIC, 20 janv. 1999.
16. Idem.
17. UNCTAD, « Business works with Unctad to boost investment in Africa », communiqué de presse TAD/INF/2789, 19 janvier 1999.
18. South-North Development Monitor (SUNS), 17 juin 1998.
19. Idem.
20. UNDP, document interne sur le projet mondial d’équipement pour un développement cohérent, juillet 1998.
21. Parmi les 16 autres compagnies à avoir accepté de participer à ce projet figurent : Cultor Corporation (Finlande), ESKOM (Afrique du Sud), Owens Conring (USA), AT&T (USA), Citibank (USA), IKEA (Suède), Ericsson (Suède) et Tellia (Suède).
22. Exemples extraits du document interne sur le projet mondial d’équipement pour un développement cohérent de l’UNDP, juillet 1998.
23. Extraits du document interne de l’UNDP faisant l’objet des notes 20 et 22.
24. Thalif Deen, InterPress Service, 22 avril 1999.
25. « A Perilous Partnership – The United Nations Development Programme’s Flirtation with Corporate Collaboration », TRAC, mars 1999.
26. « Les lignes directrices préliminaires pour les projets pilotes du Projet mondial d’équipement. Durant sa phase préparatoire, les participants ont débattu de questions telles que : “Quel sera le résultat si deux millions de personnes supplémentaires se joignent à l’économie de marché et doublent ou triplent leurs revenus ? Comment cette évolution pourrait-elle modifier l’équilibre de l’industrie ? De quels produits et services a-t-on besoin ? Qu’adviendrait-il si ces deux millions de personnes restaient exclues du marché ?” »
27. Helmut Maucher, « Ruling by Consent », op. cit.
28. « The Voice of Business Heard Around the World », Financial Times, 29 déc. 1998.
29. Helmut Maucher, « Ruling by Consent », op. cit.
30. Idem.
31. Wall Street Journal, 6 et 7 mars 1998.
32. Service d’information publique de l’ONU, Business and UN : An Overview, juin 1998.
33. Entretien avec Helmut Maucher, Financial Times, 29 décembre 1998.
34. Ces institutions sont le FMI, la Banque mondiale et le GATT (ex-OMC), toutes fondées en 1944 lors d’un conférence à Bretton Woods (New Hampshire).
35. Kofi Annan a saisi chaque opportunité pour améliorer les relations difficiles des USA avec l’ONU. Lors d’une conférence organisée par le groupement droitiste Empower America, il a ainsi discouru sur le thème « Pourquoi la droite devrait soutenir les Nations unies » (a)
a. ONU, « Secretary-General Confident that USA and United Nations Can Find Way to Mutually Supportive Relationship », Communiqué de presse SG/SM/6754, 16 octobre 1998.
36. Courrier de la CIC au sommet du G-8, mai 1999.
37. Maria Livanos Cattaui, « UN-Business Partnership Forged on Global Economy », International Herald Tribune, 9 février 1998.
38. Secrétaire général des Nations unies et CIC, « Déclaration commune sur les intérêts communs », 9 février 1998.
39. ONU, « Secretary-General Proposes Global Compact on Human Rights, Labour, Environment in Address to World Economic Forum in Davos », Communiqué de presse de l’ONU SG/SM/6881, 1er février 1999.
40. Olivier Hoedeman, notes prises lors du Dialogue sur les Affaires de Genève, 23 et 24 septembre 1998.
41. CEO, « Nestlé and the United Nations : Partnership or Penetration ? », CEObserver, n° 2, avril 1998.
42. Olivier Hoedeman, notes prises lors du Dialogue sur les Affaires de Genève, 23 et 24 septembre 1998.
43. Idem.
44. « Business and the Global Economy », déclaration de la CIC au Sommet du G-8, 15-17 mai 1998.CHAPITRE XIX
Alternatives économiques & politiques
Les chapitres précédents nous ont offert un aperçu des diverses formes de pression politique utilisées par les multinationales. Les moyens énormes dont disposent ces firmes et leurs lobbies pour peser sur les décideurs et se fabriquer une image publique grâce à des campagnes de propagande constituent les facteurs clés de l’influence industrielle sur le milieu politique. Le pouvoir politique des multinationales est également lié à leur accès privilégié aux politiciens et aux fonctionnaires des institutions politiques nationales et internationales. Enfin, le consensus actuel de ces élites sur la nécessité d’une économie mondiale dominée par les multinationales leur fournit le terrain le plus favorable.
Certains des effets négatifs de la main-mise des multinationales sur la politique ont également été abordés. Les politiques protectionnistes de toutes sortes sont de plus en plus subordonnées aux exigences de compétitivité formulées par les milieux industriels avec, pour résultat prévisible, le recul des priorités sociales et écologiques. Les politiques mondiales de « libre-échange » soutenues par les lobbies industriels aboutissent à une concentration accrue du pouvoir économique entre les mains d’un nombre limité de compagnies internationales. En conséquence, dans le monde entier, on assiste à une destruction des structures économiques locales dont le prix social et écologique est très élevé.
Nous avons voulu montrer que le cocktail détonant des pouvoirs économique et politique détenus par les gigantesques multinationales industrielles est un problème particulièrement sérieux méritant qu’on y prête attention de toute d’urgence. Ce dernier chapitre décrit les facteurs politiques et structurels qui donnent à l’industrie un poids croissant sur les législations qui régissent nos vies. Il propose quelques moyens de réduire cette influence disproportionnée.
Le paradis des lobbyistes
L’unification accélérée de l’Europe a provoqué un déficit démocratique fondamental créant un environnement idéal au lobbying industriel. Les pouvoirs du Parlement européen restent beaucoup trop limités pour pouvoir compenser ce recul démocratique dû au transfert de plus en plus fréquent des pouvoirs décisionnels des capitales nationales vers Bruxelles.
Ce transfert vers l’institution européenne tend à déséquilibrer le rapport de force entre les intérêts industriels et les intérêts sociaux au sein même des États membres. Les puissantes multinationales et leurs groupes de pression ont les moyens financiers d’installer des bureaux et de rémunérer suffisamment de personnel à Bruxelles, ainsi que de louer les services de conseillers extérieurs ou d’agences de relations publiques. Ce qui leur permet de ne perdre de vue aucun des détails concernant les politiques européennes concernant leurs activités et de placer des lobbyistes aux endroits où ils peuvent le mieux influencer les décideurs.
Les organisations européennes de citoyens sont, à l’opposé, bien souvent insuffisamment développées, voire déconnectées et manquant de moyens. Les mouvements sociaux sont principalement organisés au niveau local ou national et les débats politiques dans lesquels sont engagés les groupements de citoyens se déroulent généralement dans un contexte national au fait des questions européennes.
De plus – et ce phénomène apparaît tant au niveau national qu’européen – les dirigeants des plus grandes multinationales bénéficient d’un accès privilégié aux décideurs les plus haut placés. Ces relations sont pleinement exploitées par des lobbies tels que la Table Ronde des industriels européens [ERT] et le Dialogue sur le commerce transatlantique [TABD]. Sur des points tels que la politique économique étrangère, la Commission considère les multinationales comme des alliées naturelles dans sa quête d’un pouvoir élargi – des alliées qu’elle remercie en leur offrant un droit de regard en matière de politiques.
Cette connexion si confortable entre les décideurs européens et les lobbies industriels doit être combattue pour sa nature profondément antidémocratique. Les alliances semi-institutionnalisées entre industrie et gouvernement – telles que le TABD et le Groupe consultatif de compétitivité [CAG] – dans lesquelles des représentants de l’industrie non élus se sont vus conférer des pouvoirs illégitimes, doivent, en particulier, être remises en question.
La complexité et l’opacité du dispositif institutionnel européen rendent pratiquement aussi invisible qu’incompréhensible les stratégies de pressions : qui fait pression sur qui ? sur quels problèmes et avec quels effets ? Nous avons, dans cet ouvrage, essayé de faire la lumière sur le milieu des lobbies industriels à Bruxelles et ailleurs, mais ce portrait est évidemment loin d’être complet. Il est vital de se livrer à des recherches et enquêtes supplémentaires sur la nature et l’étendue de l’influence de l’industrie sur la politique.
Réglementer la participation politique de l’industrie ?
Il est clair que les premières étapes devront mettre à jour l’étendue de l’influence politique détenue par le secteur industriel et obliger les multinationales à rendre des comptes à l’opinion publique. Cela nécessiterait de rendre obligatoires des rapports sur leurs activités politiques, d’élaborer des systèmes permettant de répertorier les lobbyistes industriels, l’obligation de transparence sur les donations financières aux partis politiques, etc. La mise en place de telles mesures aiderait également à ouvrir le débat sur la légitimité de la participation directe de l’industrie à la politique.
Les activités politiques des multinationales européennes manquent singulièrement de transparence. Les firmes opérant dans les groupements présentés dans ce livre sont toutes, sans exception, opposées à l’idée de tenir le public informé de leurs activités de lobbying. C’est la conclusion irrévocable de notre étude, « Ending Corporate Secrecy », menée à partir de rapports annuels industriels, de consultation de sites Internet et de tous renseignements accessibles au public ainsi que d’une importante correspondance avec plus de 50 multinationales européennes (1). De nombreuses firmes célèbres refusent de donner quelque information que ce soit sur leurs activités politiques et de nombreuses autres ne fournissent qu’une quantité limitée de renseignements. Certaines reconnaissent être membres d’« associations industrielles » mais pas de lobbies alors que d’autres soutiennent que le lobbying ne constitue pas une activité politique.
En réponse à certaines questions concernant leur appartenance à divers lobbies, Shell et Unilever, par exemple, n’ont rien offert d’autre que des informations très générales et réexpédié les questionnaires vers les secrétariats des groupements d’intérêt. Bayer, Bosch et Hoechst ont admis appartenir à des lobbies mais ont explicitement refusé d’en dire plus. Il en va de même pour Nestlé, Siemens, Petrofina, la Société Générale de Belgique et d’autres, qui ont également nié que leur travail au sein des associations industrielles constitue une activité politique. ABB, Carlsberg, Pilkington et d’autres ont refusé de fournir quelque renseignement que ce soit. Que les activités politiques de l’industrie décrites dans cet ouvrage soient légitimes ou non, le silence des firmes impliquées, en tout cas, ne l’est pas. Les entreprises qui acceptent de consacrer d’énormes moyens financiers à influer sur les processus politiques devraient mettre un point d’honneur à se conformer à des normes élémentaires de transparence et à rendre des comptes. Elles devraient volontairement publier des informations sur leurs positions et leurs activités politiques dans leurs rapports annuels et sur leurs sites Internet, de même qu’elles devraient répondre ouvertement et de manière probante aux questions. Cela permettrait aux citoyens de responsabiliser les firmes sur les pressions politiques écologiquement et socialement néfastes, en boycottant par exemple leurs produits jusqu’à ce qu’elles adoptent une nouvelle attitude. Malheureusement, les conclusions de notre étude laissent penser que les firmes ne sont, en aucune manière, disposées à accepter volontairement même la plus élémentaire transparence.
L’introduction de réglementations obligeant les firmes à divulguer des informations sur leurs activités politiques pourrait semble être une exigence évidente mais la pression industrielle aux niveaux européen et international reste incroyablement sous-réglementée. Le Parlement européen renforce progressivement les clauses relatives à ce sujet mais les progrès sont dramatiquement lents et les résultats insuffisants. En 1997, le Parlement a institué l’obligation de répertorier les lobbyistes essayant de faire pression sur les parlementaires ainsi que quelques règles minimales pour influer sur leur comportement. Ces règles ont été quelque peu endurcies en mars 1999, obligeant les parlementaires à faire un rapport sur leurs emplois annexes ainsi que sur tout soutien, financier ou autre, reçu de l’extérieur. Un simple regard sur le registre pour la période de 1996 à 1998 révèle qu’un grand nombre de députés ne se sont pas exécutés et que ceux qui l’ont fait ont souvent négligé de tout déclarer (2). Le registre des lobbyistes n’est qu’une liste de noms sans aucun détails sur l’identité de leurs commanditaires ou sur les conséquences de leurs activités auprès du Parlement.
Les règles du Parlement européen sont finalement beaucoup moins rigoureuses que celles du Lobbying Disclosure Act américain, qui oblige les entreprises et les lobbies à produire, tous les six mois, un rapport concernant leurs dépenses liées aux activités de pression. Bien que cela n’ait réduit ni la pression exercée, ni l’influence des lobbyistes aux États-Unis, la transparence du milieu politique en a été améliorée de façon significative. À partir des informations divulguées dans le registre américain, les médias et les groupements de citoyens peuvent obtenir une vision plus précise de la pression industrielle. À Washington, le Centre for Responsive Politics a, par exemple, publié des rapports sur le lobbying industriel auprès du Congrès contenant des détails sur les secteurs spécifiques, les firmes et les lobbies (3).
Toutefois, malgré leur faiblesse, les réglementations du Parlement sont toujours meilleures que celles qui régissent les agissements de la Commission et du Conseil des ministres. Pour ces institutions, les réglementations d’« accès à l’information » constituent la seule véritable possibilité de surveiller les activités de pression de l’industrie. Nos demandes répétées d’information n’ont souvent obtenu de la Commission que des réponses imprévisibles et peu fiables (4). Attitude déconcertante pour les citoyens et susceptible de décourager de nombreuses personnes de continuer à collecter des renseignements.
Faire reculer le pouvoir économique de l’industrie
Le pouvoir de marchandage croissant des multinationales dans l’économie européenne et mondiale – résultat de décennies de politiques de « libre-échange » et de déréglementation facilitant la mobilité de l’industrie – est un thème récurant des études de cas présentées dans cet ouvrage. Ces politiques, qui promeuvent la libéralisation du commerce, la privatisation, la déréglementation des marchés du travail, etc., ont également bousculé les rapports de force au niveau national en faveur de l’industrie en affaiblissant syndicats et mouvements de citoyens. En outre, les gouvernements ont abandonné la plupart de leurs instruments politiques préalablement conçus pour réglementer l’industrie. Dans l’ensemble, la dépendance économique au commerce, aux investissements internationaux et, par conséquent, aux multinationales, s’est accrue considérablement. C’est là une des raisons fondamentales de la solide emprise de l’industrie sur la politique européenne.
Finalement, la clé de la réduction du pouvoir politique confisquée par l’industrie réside dans la dissolution de cette dépendance et la mise en place d’un contrôle authentiquement démocratique de l’économie ainsi que la reconstruction d’économies locales diversifiées. Les politiciens sont esclaves de l’idée qu’il n’existe pas de solution alternative à l’actuelle domination des multinationales sur l’économie ; par conséquent, il est crucial de leur proposer des alternatives viables et réalistes. L’une des conditions nécessaires à une telle transformation est l’arrêt de l’offensive actuelle de la Commission en faveur de la déréglementation des marchés à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe en même temps que la création d’un espace pour les nouvelles idées politiques.
Les optimistes pensent que l’Europe pourrait être transformée et utilisée comme instrument de contrôle démocratique et de réglementation des forces du marché exacerbées par des années de déréglementation et de mondialisation économiques. Ce que nous démontrons dans ce livre n’étaye en général pas un tel point de vue. Notre expérience de ces dernières années nous a appris qu’il vaut mieux compter sur les gouvernements nationaux pour introduire des réglementations progressistes quant au fonctionnement des marchés. La réduction de la semaine de travail à 35 heures du gouvernement français (malgré les limites de son champ d’action) et les impôts écologiques mis en place par plusieurs gouvernements d’Europe du Nord (bien que très en dessous des exigences écologiques) en sont des exemples.
Les réglementations actuelles de l’Union européenne sont souvent plus nuisibles que favorables aux objectifs sociaux et écologiques. Les fondations économiques européennes, le Marché et la monnaie uniques sont solides comme le roc alors que de nombreuses réglementations sociales ou écologiques ne se résument qu’à de vagues promesses et quelques accords volontaristes. La législation rigide du marché intérieur, par exemple, empêche de facto certains pays de prendre l’initiative de nouvelles politiques écologiques, qui seraient aussitôt interprétées comme des obstacles au marché libre. De la même manière, la monnaie unique et les contraintes strictes du pacte de stabilité constituent de sérieux obstacles pour les pays qui désireraient augmenter la part de la dépense publique consacrée à la création de nouveaux emplois.
Le vent tourne
Il n’existe pas de solution miracle pour proposer une alternative à la mondialisation économique et à la concurrence mondiale de plus en plus féroce qui en découle. Il est cependant possible de tracer la voie vers un monde futur aux économies à la fois plus fortes et plus diversifiées, aux normes sociales et écologiques plus élevées et surtout authentiquement démocratiques.
Un changement de cap imposerait de commencer par rejeter les politiques qui renforcent le pouvoir des multinationales et adopter des mesures destinées à diminuer leur influence. Retrouver le contrôle démocratique des finances et des capitaux serait un premier pas dans cette direction et aiderait gouvernements et communautés à améliorer les conditions sociales et à augmenter les opportunités d’emplois. Il existe déjà des propositions réalistes telles qu’une taxation des transactions financières internationales (5), une restriction rigoureuse de la circulation des capitaux spéculatifs à courts termes et une action internationale pour lutter contre la fraude fiscale industrielle. La réglementation des investissements industriels est également capitale. On pourrait y parvenir par le biais de restrictions d’accès dans le cas d’exploitation de ressources naturelles ou en imposant des contraintes sur les conditions d’exécution proposées par les communautés concernées – comme des créations d’emplois, l’utilisation de fournisseurs locaux et la conformité aux normes écologiques.
Il est nécessaire de reconstruire d’urgence les économies locales et cela peut se faire par une législation sur le réinvestissement communautaire et par l’investissement public direct dans une agriculture cohérente, des transports publics, des rénovations urbaines, des services sociaux, l’éducation et la santé. Plutôt que d’attendre que les gouvernements agissent, de nombreuses communautés locales ont trouvé les moyens de retrouver leur vitalité perdue. Des unions locales de crédit ainsi que d’autres plans d’épargne de petite envergure ayant des objectifs sociaux et écologiques clairs peuvent être créés et briser la dépendance du public envers les banques conventionnelles à but essentiellement lucratif. Des programmes d’agriculture soutenue par la communauté encouragent la production alimentaire locale et permettent aux agriculteurs d’échapper aux contraintes de l’agriculture industrielle (6). Un nombre croissant de structures locales d’échange et de commerce [LETS] décentralisées encourage les activités économiques et sociales en dehors de l’économie ordinaire (7). Tous ces systèmes économiques alternatifs contribuent à relativiser le pouvoir des multinationales en les privant au moins d’une part des bénéfices dont elles ont besoin pour survivre.
Le pouvoir des consommateurs individuels ne devrait pas être sous-estimé. La consommation éthique – acheter les produits socialement et écologiquement acceptables et laisser les autres sur les présentoirs – représente un potentiel énorme, de même que les boycotts qui forcent les compagnies à écouter les consommateurs. Dans de nombreuses régions d’Europe et du monde les mouvements d’actionnaires ou les alliances internationales contre certaines firmes spécifiques et leurs méfaits ont provoqué des changements importants, bien qu’à contrecœur, du comportement industriel. Plusieurs campagnes sont parvenues à obliger les compagnies à renoncer à certaines de leurs pratiques ou à retirer du marché certain produits dangereux.
Ces dernières années, on a pu assister à l’intensification encourageante des mouvements de citoyens contre les comportements délictueux des grandes firmes pour les contraindre à rendre des comptes. Les campagnes concernant les activités politiques des entreprises se multiplient également. Avec de plus en plus de résultats positifs, la campagne pour obliger les entreprises à se désolidariser de la Coalition sur le climat mondial [GCC] – un lobby industriel opposé aux initiatives gouvernementales destinées à réduire les émanations de gaz carbonique, nocives pour l’atmosphère – en constitue un exemple encourageant. Ainsi BP et Shell ont-ils respectivement quitté la Coaliton en 1997 et 1998 tandis que la pression sur Exxon se renforce.
Le processus d’unification européenne de ces dernières décennies a été bâti sur la quête d’une plus grande croissance économique et cet héritage continue de dominer les politiques de l’Union européenne. Malgré une image écologique et sociale auto-proclamée, cette approche au coup par coup finira par s’avérer insuffisante dans notre époque de mondialisation et de domination industrielle internationale. Il est temps d’évaluer les stratégies traditionnelles, les outils et compétences utilisés par les mouvements sociaux. Dans son livre The Corporate Planet, Joshua Karliner appelle à une « mondialisation de la base » et souligne que le vieux slogan des années 1960 « Pensez universellement, agissez localement » n’est plus convaincant. […] La société civile doit faire face au paradoxe du XXIe siècle en développant des façons de penser et d’agir qui soient à la fois locales et mondiales (8). » Plutôt que de chercher simplement à réformer individuellement les entreprises pour les rendre plus responsables socialement et les forcer à rendre des comptes, le but ultime doit être de détruire les macro-structures du pouvoir politique industriel.
Les mouvements sociaux sont de plus en plus conscients du transfert des pouvoirs des gouvernements vers les institutions internationales et du rôle joué par les grandes firmes dans l’élaboration des politiques publiques, qui s’étendent de l’alimentaire au médical et à l’emploi ou l’éducation. En militant contre les accords mondiaux ou régionaux discutables sur le libre-échange et l’investissement, les groupements de citoyens s’attaquent aux structures du pouvoir industriel. Des campagnes telles que celle qui a été menée contre l’AMI ont permis aux mouvements de citoyens de développer des compétences pour mieux défier le pouvoir des multinationales. L’amplification de l’utilisation d’Internet a également facilité un nouveau mode de coopération. La campagne qui a tué l’AMI [voir chap. XII] constitue un exemple de la façon dont divers groupes tels que les écologistes, les militant pour la solidarité internationale, les féministes, les artistes et bien d’autres ont travaillé ensemble, échangé des informations, des analyses et des stratégies communes tout en conduisant, en même temps, diverses campagnes locales et nationales – et en évitant soigneusement les alliances opportunistes avec des mouvements droitiers qui auraient sapé l’autorité morale de ces campagnes.
Les exemples stimulants de populations locales qui ont défié la légitimité et la domination des grandes firmes par l’action directe et la désobéissance civile s’accumulent. Une conscience grandissante des effets socialement destructeurs de la libéralisation du marché personnifiée par l’OMC a entraîné la résistance massive des fermiers indiens qui se battent pour protéger leurs moyens de subsistance et les méthodes agricoles traditionnelles de leur communauté. En Grande-Bretagne, des milliers de personnes se sont mobilisées pour résister, par l’action directe non violente, à d’énormes projets de construction de routes. Le Royaume-Uni connaît également un mouvement énergique contre les récoltes obtenues par manipulation génétique. L’arrachage de cultures contenant des plants génétiquement modifiés et la mise à jour des intérêts industriels derrière les aliments transgéniques ont ouvert un débat national mouvementé et une perte de légitimité proportionnelle pour des compagnies biotechniques telles que Monsanto.
La montée des campagnes citoyennes contre la manipulation génétique dans divers pays membres de l’Union européenne constitue une encourageante source d’inspiration pour l’avenir. Dans plusieurs pays, ces campagnes ont forcé les gouvernements à imposer des restrictions sur les OGM et à créer des moratoires sur l’approbation de nouveaux OGM, creusant ainsi une brèche dans les réglementations du Marché unique européen. Les citoyens qui remportent ces importantes victoires ignorent souvent qu’ils ont forcé leurs gouvernements à enfreindre les réglementations européennes. Ils demandent simplement que les gouvernements élus démocratiquement donnent la priorité aux préoccupations écologiques, sociales ou éthiques plutôt qu’aux intérêts industriels.
Alors que ces victoires enthousiasmantes se multiplient, les gens, aux niveaux local, national et international, commencent à s’arroger le pouvoir d’exiger que leurs droits passent avant les privilèges de l’industrie. Il devient de plus en plus clair que les multinationales irresponsables et le marché mondial dans lequel elles opèrent ne sont ni nécessaires à l’économie, ni à l’abri de changements. Il existe des alternatives viables et satisfaisantes. Et si les citoyens du monde entier continuent de refuser l’ordre du jour industriel, sa puissante emprise sur le travail, les communautés et les modes de vie des populations commencera à déserrer.
Notes
1. Les références aux activités politiques et à l’appartenance à des lobbies sont parfaitement absentes des rapports annuels des multinationales européennes. Pas davantage d’information sur les sites Internet des entreprises. Dans leurs rapports annuels, plusieurs compagnies ont fièrement annoncé leur appartenance au Conseil industriel mondial pour un développement durable WBCSD et leur participation au programme « Attention responsable » de la Fédération européenne de l’industrie chimique [CEFIC] ou encore à la Charte pour un développement cohérent de la Chambre internationale de commerce [CIC]. On peut se demander pourquoi ne sont mentionnées que les organisations industrielles « vertes » et non la participation de ces compagnie à des lobbies aux programmes politiques très controversés de l’ERT, d’EuropaBio et de la CIC ? Pendant l’été 1998, nous avons écrit à plus de 50 grandes multinationales européennes membres de lobbies internationaux – en d’autres termes, des compagnies indiscutablement impliquées dans la pression politique. Interrogés sur cette appartenance, 18 compagnies n’ont pas du tout répondu malgré un ou plusieurs rappels (« Ending Corporate Secrecy », CEObserver, n° 3, Amsterdam, juin 1999).
2. « Parliament’s Register of Shame », European Voice, 2-8 avril 1998.
3. Centre for Responsive Politics, Influence Inc., Washington DC, 1998.
4. CEObserver, n° 2 & 3.
5. Un impôt sur les transactions internationales de capitaux tirant son nom de l’économiste prix Nobel JamesTobin – proposition initialement promue par ATTAC [Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens].
6. L’agriculture soutenue par la communauté [CSA] – également connue sous les noms d’« agriculture de souscription » ou de « connexions agriculteurs-consommateurs » – est une alternative au système d’agriculture actuel – que l’on pourrait aussi bien appeler agriculture industrielle étant donné sa dépendance à l’agro-industrie. Avec cette agriculture, les consommateurs achètent des parts durant l’année pour soutenir les agriculteurs dans leurs dépenses. En échange, les actionnaires reçoivent des produits frais tout au long de la saison des récoltes. Les avantages sont la production locale d’aliments pour la consommation locale, le respect de l’environnement et une réduction des distances absurdes que parcourent les produits d’alimentation dans le marché mondialisé actuel.
7. Les LETS ont pour but de revitaliser les économies locales officieuses en permettant aux gens d’échanger des biens et des services en utilisant une monnaie locale. Une liste de ce dont les membres ont besoin et sont en mesure de fournir est établie, les prix déterminés et les biens ou services sont payés avec une monnaie locale qui n’entre pas dans l’économie officielle.
8. Joshua Karliner, The Corporate Planet : Ecology and Politics in the Age of Globalization, San Fransisco, Sierra Club books, 1997.
Annexe I
Dans le labyrinthe bruxellois
L’Union européenne & ses institutions
Bruxelles n’est pas vraiment démocratique puisque politiciens et fonctionnaires n’ont pas à répondre devant les électeurs ou les citoyens. C’est une sorte d’échelon supérieur et la démocratie ne s’y exprime directement que dans les États membres, laissant peu de marge au Parlement européen.
JOHN RUSSELL, Comité Union européenne de l’AMCHAM (1)
Le 15 mars 1999, pour la première fois de son histoire, l’ensemble de l’exécutif européen – c’est-à-dire les vingt commissaires européens – démissionna après la publication par un comité d’investigation indépendant d’un rapport accablant sur la fraude, le népotisme et la mauvaise gestion qui minaient la Commission (2).
La conclusion de ce rapport affirme qu’« il devient difficile de trouver (au sein de la Commission) un individu possédant le moindre sens des responsabilités ». Si aucun commissaire européen ne fut personnellement accusé de s’en mettre plein les poches, ils se virent collectivement reprocher d’avoir perdu le contrôle d’une bureaucratie de plus en plus corrompue. Le pouvoir de décision échappant de plus en plus aux États nationaux au profit des institutions européennes, cette « perte de contrôle » est particulièrement alarmante.
Ce livre veut montrer comment ce déficit démocratique et cette perte de contrôle qui caractérisent les institutions de l’Union européenne, permettent aux lobbies industriels d’exercer une influence disproportionnée sur les politiques de l’Union européenne. Cette annexe fournira quelques informations générales sur les principales institutions européennes.
La Commission européenne
La Commission européenne est à la fois le pilier, le moteur et le bureau centralisateur de l’Union européenne. Elle est habilitée à proposer de nouvelles lois et à en vérifier la mise en place lorsqu’elles ont été finalement approuvées par le Conseil des ministres (et aussi, souvent, par le Parlement européen).
La Commission se présente comme une « institution dont la vocation est de servir, avec la plus grande impartialité, l’intérêt général (3). » Néanmoins, le concept de nationalité joue un rôle important dans la composition de la Commission : chaque État membre y est représenté par au moins un commissaire, les États les plus peuplés en ayant au maximum deux. La Commission et son président ont un mandat de cinq ans qui leur est confié par décision unanime des 15 gouvernements des États membres. Selon le Traité d’Amsterdam, en vigueur depuis le 1er mai 1999, le Parlement européen peut rejeter le mandat de la Commission dans son ensemble mais pas démissionner individuellement un commissaire. La Commission supervise le travail des 16 500 fonctionnaires de l’Union dans les 23 directions administratives de Bruxelles.
Tous les commissaires – et donc toutes les directions – n’ont pas un égal pouvoir. Par exemple les DG I (Direction Générale du Commerce extérieur), DG III (Industrie) et DG XV (Marché unique) ont beaucoup plus d’influence sur la politique européenne que les DG V (affaires sociales) ou DG XI (Environnement). Ces déséquilibres au sein même de la Commission ravissent les industriels qui ont un accès privilégié aux directions Industrie et Marché unique alors que les mouvements écologistes et les syndicats ont principalement à faire avec les directions moins influentes des Affaires sociales et de l’Environnement.
Le Conseil des ministres
Le déficit démocratique en Europe, qui est réellement préoccupant, est fondamentalement le fait du Conseil des ministres. Il me semble qu’il y a là un danger réel car les gouvernements apprécieront de pouvoir prendre des décisions au niveau européen – c’est-à-dire à huis clos – qu’ils pourront ensuite présenter comme ils l’entendent à leur électorat, plutôt que d’en débattre dans un cadre strictement national, souvent plus vigilant.
ALAN WATSON, Burson-Marsteller (4)
Bien que la Commission européenne soit la plus célèbre des institutions européennes, le pouvoir réel réside dans le plus plus discret Conseil des ministres. C’est ce Conseil – composé des ministres respectifs des États membres (5) – qui décide en fin de compte si une proposition de loi faite par la Commission sera oui ou non adoptée (6). Pour ce faire, le Conseil se décompose en différents conseils spécifiques. Les ministres nationaux de l’Agriculture, rassemblés en Conseil de l’Agriculture, statuent sur les questions agricoles ; les questions de transports sont abordées par les ministres des Transports au sein du Conseil des Transports, etc. Toutes ces réunions sont préparées par les groupes de travail du Conseil basés à Bruxelles et le Comité des représentants permanents [COREPER].
Dans certains domaines, comme la fiscalité, les décisions doivent être prises à l’unanimité ; dans d’autres la majorité qualifiée suffit. Les votes des ministres des États membres pèsent un poids proportionnel à l’importance de la population qu’ils représentent. L’un des plus graves « déficits démocratiques » de l’Union européenne réside dans le caractère particulièrement peu transparent de son fonctionnement. Le COREPER, ajoute un échelon intermédiaire et opaque à l’appareil décisionnaire de l’Union européenne. Les ambassadeurs de chaque État membre au sein du COREPER sont investis par les ministres nationaux – généralement trop occupés pour se rendre régulièrement à Bruxelles – d’un pouvoir de décision considérable. Ces fonctionnaires relativement anonymes – parmi lesquels on trouve très peu de femmes – forment un véritable réseau de « vieilles connaissances » qui traitent « de manière informelle d’affaires très importantes à l’heure du déjeuner (7) ». Chaque jour, les ambassadeurs du COREPER et leurs représentants se répartissent à travers les vingt groupes de travail traitant de sujets divers. C’est ainsi, selon The Economist que « 90 %, à peu près, des décisions du Conseil sont prises avant même que les ministres concernés ne s’en mêlent (8). »
Le Conseil européen
La présidence du Conseil des ministres de l’Union européenne est tournante. Le pays membre qui détient pendant six mois la présidence du Conseil accueille, au cours de celle-ci, au moins un Sommet de l’Union européenne. Au cours de ces Sommets, appelés aussi « Conseils européens », les quinze chefs d’États ou de gouvernements décident, en accord avec le président de la Commission européenne, des objectifs politiques de l’Union européenne à moyen et long termes. Les décisions plus spécifiques concernant la législation européenne ne se prennent pas lors de ces Conseils européens : elles sont du ressort du Conseil des ministres.
Le Parlement européen
Le Parlement c’est toujours contenté des miettes. Comme un bon toutou qui se réjouit de tout ce qu’on lui donne.
MICHAEL HINDLEY, député européen (9)
Après le Conseil et la Commission, le Parlement européen est la troisième grande institution de l’Union européenne. Il se compose de 626 membres. Chaque État membre se voit attribuer un nombre fixe de représentants au Parlement en rapport avec sa population. Les membres du Parlement sont élus dans le cadre d’élections nationales au suffrage direct qui se tiennent tous les cinq ans. Contrairement aux parlements nationaux, le Parlement européen n’a pas le pouvoir de proposer les lois. Il peut, tout au plus, amender ou bloquer dans certaines conditions les lois présentées par la Commission. Ce n’est que dans certains domaines politiques – « le premier pilier » pour lequel la prétendue procédure de codécision s’applique (10) – que le Parlement peut user de son droit de veto à l’encontre des décisions du Conseil. Cependant, dans la plupart des cas, la décision finale revient au Conseil des ministres et se prend à huis clos.
Bien qu’ils se soient accrus avec les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, les pouvoirs du Parlement restent limités. « Les membres du Parlement sont très isolés, confie un lobbyiste, ils sont d’autant plus flattés lorsqu’on leur porte un intérêt quelconque. Vous pouvez leur donner des informations sur des questions qui leur permettront de paraître au fait mais ils sont assez démunis en termes de pouvoir décisionnaire. Cultiver des relations avec eux, c’est surtout un investissement pour le futur (11). »
Notes
1. Entretien privé avec John Russell, 16 décembre 1998.
2. Comité d’experts indépendants, Premier Rapport sur les accusations de fraude, de népotisme et d’irrégularités de gestion portées contre la Commission européenne, 15 mars 1999.
3. Commission européenne, «Conférence intergouvernementale 1996, Avis de la Commission», Bruxelles/Luxembourg, 1996, p. 20.
4. Entendu dans le documentaire télévisé “Europa BV”, VPRO televison, Pays-Bas, 19 octobre 1997.
5. Actuellement, 15 nations sont membres de l’Union européenne : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Suède
6. Sur certaines questions politiques, le Parlement européen peut rejeter les propositions de lois approuvées par le Conseil européen (lire note 10).
7. « Doing the Splits », The Economist, 8 mars 1997.
8. Ibid.
9. Entretien privé avec Michael Hindley, membre du Parlement, 17 février 1999.
10. La codécision est l’une des procédures de prises de décisions prévues par le Traité de Maastricht. Elle autorise le Parlement européen à proposer des amendements aux décisions du Conseil. Si le Conseil les rejette le Parlement se livre à une seconde lecture. Si ce dernier maintient les amendements proposés, une procédure de conciliation est mise en route qui ne peut pas dépasser trois mois.
11. « Stanley Crossick and the European Policy Centre », The Economist, 14 juillet 1998.Annexe II
Brève histoire de l’Union européenne
Le premier pas important vers l’Unification européenne fut le Traité de Rome ratifié en 1957, qui instituait la Communauté économique européenne [CEE]. L’élément central de ce traité était la création d’un marché commun permettant la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. Les six premiers États membres de la Communauté (Allemagne fédérale, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) sont rejoints en 1972 par la Grande-Bretagne, le Danemark et l’Irlande, puis par la Grèce (1981), l’Espagne et le Portugal (1986). Avec la signature, en 1987, de l’Acte Unique européen les pouvoirs des institutions de la CEE, et en particulier ceux de la Commission européenne et du Conseil des ministres, furent substantiellement renforcés. Les États membres de la CEE se proposaient de faire tomber les barrières restantes au commerce en remplaçant les législations sur la protection des consommateurs et de l’environnement par des directives européennes. La Cour européenne de justice fut autorisée à décider si les législations nationales constituaient des barrières au commerce.
En 1991, le Traité de Maastricht proposait un plan d’action visant à instituer une Union monétaire et économique [UME] qui mettrait en place la monnaie unique européenne destinée à se substituer aux monnaies nationales. Le Parlement voyait aussi, à cette occasion, ces pouvoirs élargis dans quelques domaines politiques (Transports, Environnement, etc.) En 1994, la CEE devient l’Union européenne [UE] que rejoignent trois nouveaux pays (Suède, Finlande et Autriche), portant le nombre des États membres à quinze. Après presque deux ans de négociations, le Sommet d’Amsterdam accoucha d’un nouveau traité. Le Traité d’Amsterdam étendait les pouvoirs de l’UE sur la Justice et l’Intérieur et prévoyait la mise en place d’une Défense et d’une Politique étrangère communes. Les pouvoirs du Parlement furent eux aussi étendus et la procédure de codécision (sorte de droit de veto) put s’appliquer sur des domaines tels que l’emploi, la coopération douanière, la politique sociale, l’égalité des chances, la santé publique, la transparence et la lutte antifraude. D’autres domaines politiques d’importance majeure (harmonisation des législations, agriculture, transports, fiscalité, industrie, justice, police et cohésion des politiques communes de sécurité et de relations extérieures) restent soumis à la procédure de consultation qui ne laisse que peu de pouvoir au Parlement européen. En 1998, l’UE commença de négocier la candidature de cinq nouveaux États, dont quatre (issus d’Europe centrale et orientale), susceptibles de faire leur entrée dans l’Union en 2003. Le premier janvier 1999 le lancement de l’Euro, la monnaie unique européenne destinée a remplacer à l’horizon 2002 onze monnaies nationales, fut une étape essentielle du processus d’Unification européenne.
1957. Le Traité de Rome institue la Communauté économique européenne [CEE] avec ses six premiers États membres (Allemagne fédérale, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas).
1962. Début de la Politique agricole commune (PAC): garanties des prix et des marchés et diverses mesures protectionnistes coordonnées et financées par la CEE.
1973. Le Royaume-Uni, le Danemark et l’Irlande rejoignent la CEE.
1979. Création du Système monétaire européen et de l’unité monétaire européenne (ECU). Première élection du Parlement européen au suffrage universel.
1981. La Grèce rejoint la CEE.
1986. Espagne et Portugal en font autant.
1987. Acte Unique européen.
1991. Signature du Traité de Maastricht.
1992. Démarrage officiel du Marché unique (31 décembre).
1994. La Suède, la Finlande et l’Autriche rejoignent l’Union européenne (en revanche la Norvège refuse par référendum). Le Traité de Maastricht entre en vigueur (la CEE devient l’Union européenne).
1995. Le Sommet de Madrid en décembre fixe un calendrier pour la mise en place de la monnaie unique européenne.
1997. Ratification du Traité d’Amsterdam.
1999. 1er janvier : lancement de la Monnaie unique (Euro) par la Banque centrale européenne. Entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam.Annexe III
Liste des entreprises
dont les dirigeants participent à la Table Ronde
Cette liste et les informations qu’elle donne sont arrêtées au mois de juin 1999. La liste actualisée (avec notamment les sites web des entreprises membres de la Table Ronde est disponible sur le site du CEO : <http://www.xs4all.nl/~ceo/eurinc/ertlist.html>. Toutes les filiales et les marques ne sont pas indiquées ici.
Président : Helmut O. Maucher, Nestlé (Suisse)
Activités : Alimentaire, biotechnologie, produits pharmaceutiques, cosmétiques.
Filiales, marques : Rowntree, Perrier, Findus, Chambourcy.
Sociétés associées : L’Oréal, Lanvin.
Commentaires : Boycotté dans 18 pays à cause de sa promotion active des substituts de lait maternel dans le Tiers-Monde, en violation du Code international sur ces substituts (lutter contre le déclin de l’allaitement maternel pourrait sauver quelque 1,5 million d’enfants chaque année selon l’UNICEF). Helmut Maucher est aussi le président de la Table Ronde des industriels européens et, jusqu’à début 1999, il dirigeait la Chambre internationale de Commerce.
Vice-président : Gerhard Cromme, Friedrich Krupp (Allemagne)
Activités : Robotique, Électronique, télécommunications, sidérurgie (y compris pour l’industrie automobile), matériaux de construction.
Filiales, marques : Hoesch, Polysius.
Commentaires : Un quart des actions de Krupp est détenu par des ayatollahs iraniens. Krupp a fusionné avec Thyssen en 1999 et s’appelle depuis ThyssenKrupp. Blohm+Voss et Thyssen Nordseewerke, filiales de Thyssen fabriquent des navires de guerre pour l’Indonésie et la Turquie entre autres. Sous le nazisme, Krupp utilisa de la main-d’œuvre forcée issue des camps de prisonniers. Les survivants attendent réparations.
Vice-président : Morris Tabaksblat, Unilever (Pays-Bas/Royaume-Uni)
Activités : Alimentaire, produits ménagers, dermopharmacie.
Filiales, marques : Vinamul, UML, Crosfield, Lipton, Lux, Timotei, Ola, Magnum.
Commentaires : Promoteur agressif des biotechnologies. Fort peu respectueux des législations environnementales : par exemple, Crosfield a dû payer une amende de 7 500 livres en 1993 ; UML, 35 000 livres et Vinamul, 19 000 livres en 1995 ; Unilever paya pour sa part une amende de 30 000 livres en 1996 pour avoir déversé sept tonnes de pétrole dans le Cheshire en Grande-Bretagne. L’entreprise a admis qu’elle n’avait aucun a priori particulier contre le travail des enfants et qu’elle ne pouvait garantir aucune sorte de parité aux femmes. Unilever possède des filiales à Bahreïn, en Chine, en Colombie, en Indonésie, au Nigéria et au Sri Lanka, entre autres.
AUTRES MEMBRES
Américo Amorim, Amorim Group (Portugal)
Activités : Producteur, transformation et distribution de liège, finances, téléphonie mobile, hôtellerie.
Filiales, marques : Corticeira Amorim, Telecel-Comunicaoes Pessaoais, Banco Comercial Portugues.
Commentaires : Le groupe gère des exploitations de chênes liège en dehors du Portugal puisque des incendies criminels visant à faire payer les assurances ont détruit presque totalement les forêts de chênes lièges portugaises. Il possède, en outre, des intérêts dans plus de 40 hôtels Cubains. En 1998, Américo Amorim fut impliqué dans un scandale touchant le gouvernement portugais qui confiait des postes élevés dans la Fonction publique à des dirigeants d’entreprises.
Percy Barnevik, AB Investor (Suède)
Activités : Investissements à long terme.
Filiales, marques : Principal actionnaire, entre autres, d’AstraZeneca, Ericsson, Scania, ABB, Stora Enso, Atlas Copco, Electrolux and Saab AB.
Commentaires : Représente les intérêts de la famille Wallenberg, fondatrice de SEB (Skandinaviska Enskilda Banken), qui fit des affaires avec le régime nazi durant la Seconde Guerre mondiale.
Jean-Louis Beffa, Saint-Gobain (France)
Activités : Industrie du papier, matériaux de construction.
Filiales, marques : Norton Co., TSL Group, CertainTeed, Solaglas, Isover, Vicasa.
Commentaires : Critiquée pour sa production d’amiante au Brésil. CertainTeed est considérée aux Etats-Unis comme l’un des plus importants responsables d’émanations chimiques toxiques. Norton Co. fournit les industries nucléaires et de l’armement.
Peter Bonfield, BT (Royaume-Uni)
Activités : Télécommunications
Filiales, marques : Syncordia Solutions, Syntegra, Viag Interkomand Telfort. Global joint venture with AT&T.
Commentaires : De 1985 à 1996, des suppressions massives d’emplois firent chuter le nombre d’employés de 235 000 à 125 000.
Cor Boonstra, Philips (Pays-Bas)
Activités : Electroménager
Filiales, marques : Grundig.
Commentaires : Entreprises affiliées dans quelque 60 pays. Des filiales, en particulier en Chine, en Colombie, au Salvador, en Éthiopie, en Indonésie, en Iran, au Nigeria, au Philippines, au Rwanda et au Zaïre. Fournit l’industrie nucléaire et figurait en 1995, selon l’Observatoire de la Toxicité, dans le Top-300 des sociétés dont la production entraîne des risques cancérigènes aux États-Unis. François-Xavier Ortoli (Total) et André Leysen (Gevaert) siègent au Conseil d’administration de Philips.
Bertrand Collomb, Lafarge Coppée (France)
Activités : Ciments, matériaux de construction.
Filiales, marques : Cementia Holding AG, Ennemix plc.
Commentaires : Deuxième producteur mondial de ciment, Lafarge figure lui aussi dans le Top-300 cité précédemment.
François Cornélis, Petrofina (Belgique)
Activités : Raffineries, pétrochimie, énergie électrique.
Filiales, marques : Sigma Coatings, Fina, Beverol.
Commentaires : Forages pétroliers au Vietnam, en Angola et en Sibérie entre autres. Étienne Davignon, ancien commissaire européen et Brian Mulroney, ancien Premier ministre canadien siègent au Conseil d’administration de Petrofina. Absorbée par Total en 1998. François Cornelis est aussi président de l’Université catholique de Louvain, qui en décembre 1998, le jour même où la fusion Total-Petrofina faisait la une des journaux, rendait hommage au leader de l’opposition birmane et prix Nobel de la paix, Aung san Suu Kyi.
Alfonso Cortina, Repsol (Espagne)
Activités : Pétroles, chimie, gaz, électricité.
Filiales, marques : Gas Natural, Petronor, CLH, Astra.
Commentaires : Énormes investissement en Amérique latine. Huitième compagnie pétrolière du monde après le rachat de la compagnie pétrolière argentine YPF en 1999. Viole régulièrement les accords signés avec les populations indigènes locales en Bolivie. Le président honoraire de Repsol, Oscar Fanjul, est ancien secrétaire d’Etat à l’Industrie et membre du second groupe consultatif pour la compétitivité.
Dimitris Daskalopoulos, Delta Dairy (Grèce)
Activités : Produits laitiers.
Filiales, marques : Delta Classic, Princesa.
Commentaires : Entreprise familiale détenue par la dynastie Daskalopoulos, elle est très présente dans les Balkans.
Étienne Davignon, Société Générale de Belgique (Belgique)
Activités : Finances
Holdings: Energie, services publics, services financiers, industrie.
Filiales, marques : CBR Cimenteries, Gechem, Union Minière, Arbed (acier), Tractabel (énergie), Electrabel (gaz, électricité), Recticel (mousse de polyuréthane), Coficem/Sagem (électronique, souvent à usage mlilitaire).
Commentaires : Vieille entreprise coloniale fondée en 1822 par Guillaume d’Orange. Au 10e rang mondial des banques commerciales et de crédit (1997). Davignon est un ancien commissaire européen à l’Industrie. L’entreprise est aujourd’hui la propriété de Suez-Lyonnaise des Eaux
Carlo De Benedetti, Cofide-Cir Group (Italie)
Activités : Assurances, bâtiment, alimentaire, médias.
Filiales, marques : La Republica, L’Espresso.
Commentaires : Holding financière de la famille De Benedetti (Cofide, Compagnia Finanziaria de Benedetti). En 1988, la famille s’est séparée de ses dernières parts dans Olivetti, une des entreprises fondatrices de la Table Ronde. Les comptes d’Olivetti pour 1994, 1995 et 1996 ont fait l’objet d’une enquête qui s’est conclue par la mise en cause de Carlo De Benedetti en mars 1999. Un procès devrait s’ensuivre.
Thierry Desmarest, Total (France)
Activités : Industrie pétrolière, carburants, nucléaire, chimie.
Filiales, marques : Hutchinson, Bostik.
Commentaires : Conserve des liens avec l’Irak et la Birmanie. Total opère aussi en Indonésie, en Iran, au Koweït, au Yémen, en Angola, en Libye et en Colombie, entre autres. Total a absorbé le Belge Petrofina. En mai 1998, l’Union européenne a accepté, si Total n’était pas sanctionnée pour ses activités iraniennes, de ne pas aller à l’encontre des lois extra-territoriales américaines (les décrets D’Amato et Helms-Burton qui sanctionnent les entreprises qui investissent en Iran, en Libye et à Cuba). Pour sa part, Unlocal, partenaire de Total en Birmanie, a été accusée par une cour américaine de violer les droits de l’homme dans ce pays.
Jean-René Fourtou, Rhône-Poulenc (France)
Activités : Biotechnologies, pharmacie, chimie, insecticides, herbicides.
Filiales, marques : Rhône-Poulenc Rorer, Pasteur Merieux Connaught, Rhodia, Fisons.
Commentaires : Présent dans 160 pays. Le rapport annuel de 1998 se vante de jouer un rôle actif dans la promotion auprès de l’UE des directives sur le brevetage du vivant. Rhône-Poulenc travaille régulièrement avec la très controversée entreprise de relations publiques, Burson-Marsteller. En juin 1998, l’entreprise a été définitivement autorisée à pulvériser l’herbicide Bromoxynil sur ses récoltes de coton aux USA. Le Bromoxynil, produit cancérigène dont les effets dévastateurs sur les embryons des mammifères sont bien connus, avait été interdit en 1997 au USA. En 1999, Rhône-Poulenc a fusionné avec l’Allemand Hoechst pour donner naissance à Aventis, le géant des « sciences de la vie » (la biotechnologie).
Paolo Fresco, Fiat (Italie)
Activités : Constructeur automobile, aéronautique, robotique, édition, assurances.
Filiales, marques : Lancia, Alfa Romeo, Iveco, New Holland (matériel agricole et de construction), Teksid (métallurgie), Snia BPD (chimie et biotechnologie), Fiat Ferroviaria (matériel et systèmes ferroviaires), Impregilo, Fiat CIEI, Fiat SpA.
Commentaires : Élément de l’empire largement subventionné par l’État italien et dirigé par la dynastie Agnelli. Fiat CIEI est un des fournisseurs de l’industrie nucléaire. Sept dirigeants de Valsella, repris par Fiat en 1984, ont été arrêtés en 1991 pour vente illégale (180 millions de dollars) d’armement à l’Irak, dont 9 millions de dollars de mines antipersonnel et de mines antichars : une des ventes les plus importantes jamais enregistrées. Par ailleurs, Impreligo fait partie d’un consortium qui en 1999 répondit à un appel d’offres pour la construction du barrage de Llisu en Turquie. Ce projet aurait effacé de la surface du globe quelque 52 villages et 15 villes. La Banque mondiale elle-même estime aussi que ce barrage serait allé à l’encontre de la convention de l’ONU qui vise à prévenir les conflits susceptibles d’éclater entre États qui partagent les mêmes ressources hydrographiques. Fiat opère aussi en Iran, en Turquie, au Mexique et au Maroc, entres autres.
José Antonio Garrido, Iberdrola (Espagne)
Activités : Électricité, nucléaire, bâtiment, télécommunications, immobilier.
Filiales, marques : Iberener, Iberinco, Coelba.
Commentaires : Très présente en Amérique latine. Deuxième entreprise du secteur de l’énergie en Espagne et première en ce qui concerne l’énergie nucléaire avec sept sites. Bloque, pour l’instant avec succès, l’introduction de l’énergie solaire.
Fritz Gerber, F. Hoffmann-La Roche (Suisse)
Activités : Industrie pharmaceutique, biotechnologies, chimie, vitamines, diagnoses, parfums et arômes.
Filiales, marques : Genentech, Boehringer Mannheim, De Puy.
Commentaires : Société mère : Roche Holding AG. Se bat en faveur du brevetage des gènes et de l’ingénierie du gène humain. Genentech a été accusé par l’ONG américaine, Foundation on Economic Trends, de passer par l’intermédiaire de la Human Growth Foundation pour recruter des milliers d’enfants de petite taille en bonne santé, et leur faire tester l’hormone de croissance Protopin. Se livre à une promotion irresponsable de médicaments tels que le sédatif Versed, la pilule de régime Xenical et le remède anti-Parkinson, Tasmar.
Ronald Hampel, ICI (Royaume-Uni)
Activités : Industrie chimique, plastiques.
Filiales, marques : Chlor-Chemicals et de nombreuses autres. En 1993, ICI a vendu Zeneca (agrochimie, semences génétiquement modifiées).
Commentaires : ICI se distingue particulièrement par ses émanations chimiques et est considéré comme le pire pollueur du Royaume-Uni.
Ulrich Hartmann, Veba (Allemagne)
Activités : Industrie électrique, pétrole, chimie, santé (produits pharmaceutiques, biotechnologies, soins vétérinaires).
Filiales, marques : Preussen Elektra AG, Sydkraft AB, Aral, Degussa AG, Schenker AG, BTL et 680 autres entreprises.
Commentaires : Gère des sites d’énergie nucléaire. Possède des concessions minières au Venezuela sur les terres des indiens Bari et Yupka.
Daniel Janssen, Solvay (Belgique)
Activités : Industrie chimique, pétroles, transports, finances.
Filiales, marques : Interox, Venilia, Solvay Polymers Inc.
Commentaires : Produit des polluants organiques persistants suspectés d’agir sur le système hormonal des espèces humaine et animales. Sanctionné pour avoir pollué, entre autres, la Mersey River en 1993 (Royaume-Uni) et la Llobregat, rivière espagnole, en 1996. En 1998, en Argentine et au Brésil, deux sites de production de PVC appartenant à Solvay ont été reconnus coupables de déverser directement dans l’environnement de grandes quantités de métaux lourds et d’organochlorines, y compris de la Dioxine. Par ailleurs, Solvay Polymers Inc. cofinance le lobby industriel, Council for Solid Waste Solutions.
Alain Joly, Air Liquide (France)
Activités : Gaz industriel et médical.
Filiales, marques : Carbagas, Air Liquide America Corp, Cryospace, Aqualung, Schüllke & Mayr.
Commentaires : La plus importante compagnie de gaz industriel au monde. Elle fournit aussi des entreprises alimentaires, chimiques et pétrolières telles que Rhône-Poulenc, Monsanto, GE, ICI, Shell, Bayer ou Dow chemical. Air Liquide America Corp, avec British Oxygen Company et Liquid Carbonic Industries Corporations fut poursuivie en 1993 pour entente illicite sur les prix et autres violations de la législation antitrust américaine. Après règlement à l’amiable, les trois compagnies durent payer 100 millions de dollars de compensation. La filiale américaine fournit aussi à l’US Temple Veterans Affairs Hospital au Texas, de l’oxygène contaminé qui serait à l’origine du décès de quatre patients.
Jak Kamhi, Profilo Holding (Turquie)
Activités : Electronique, bâtiment, tourisme, transports, téléphonie mobile.
Filiales, marques : Saba, Telefunken, SGS, VB, Müessillik.
Commentaires : Détenue à hauteur de 20% par Thomson Multimédia.
Cees van der Lede, Akzo Nobel (Pays-Bas)
Activités : Industrie pharmaceutique, revêtements, chimie, fibres, fourniture automobile, « matériel de défense », hélicoptères, véhicules blindés, recyclage des déchets.
Filiales, marques : Akcros Chemicals, Organon, Courtaulds Aerospace Ltd.
Commentaires : Au 11e rang mondial des industries chimiques en 1997. Régulièrement mise à l’amende pour déverser, entre autres substances, des composés œstrogènes dans les rivières. Organon a été accusée d’iniquité dans ses pratiques de promotion de ses médicaments. Akzo Nobel est un fournisseur habituel des armées et est pressenti pour le projet européen d’Eurofighter.
David Lees, GKN (Royaume-Uni)
Activités : Aérospatiale (militaire et civile), composants automobiles et agricoles, services industriels.
Filiales, marques : Westland, Walterscheid, Joseph Sanky, Cleanaway, Meineke.
Commentaires : Impliqué dans un énorme scandale avec le précédent gouvernement anglais et le ministre de la Défense de l’époque, Michael Hesseltine. Vend du matériel militaire aérospatial au gouvernement indonésien entre autres.
André Leysen, Gevaert (Belgique)
Activités : matériel photographique et cinématographique, transports, chimie.
Filiales, marques : AGFA.
Commentaires : Propriété de Bayer, membre de la Table Ronde et violateur avéré des réglementations pharmaceutiques et des interdits sur les pesticides.
Flemming Lindelov, Carlsberg (Danemark)
Activités : Boissons
Filiales, marques : Allied/Tetley, Nordic Beverages (en association avec Coca Cola).
Commentaires : Présent dans des pays comme la Chine, le Malawi et la Croatie. En 1996, à la suite d’une mobilisation de l’opinion publique, Carlsberg finit par abandonner ses projets de brasserie en Birmanie.
Jérôme Monod, Lyonnaise des Eaux-Dumez (France)
Activités : services publics, finances, communications.
Filiales, associés, marques : Dumez SA, SITA, GTM, France Déchets, Northumbrian Water.
Commentaires : Présente dans plus de 120 pays. France Déchets à le monopole de la gestion des déchets industriels tels que l’arsenic, le mercure, l’amiante. Après avoir enfoui quelque 40 mille tonnes de déchets toxiques par an pendant trente ans en France, l’entreprise laisse à la communauté le soin de s’en débrouiller. La Lyonnaise possède 29 % la Société Générale de Belgique, elle-même membre de la Table Ronde.
Mark Moody-Stuart, Royal Dutch/Shell (Pays-Bas/Royaume-Uni)
Activités : Pétroles, carburants, plastiques, chimie, énergies renouvelables.
Filiales, marques : Shell Chemicals, Nigeria LNG Limited, Royal Additives, Montell, etc.
Commentaires : Impliqué, au travers de son soutien financier à la dictature militaire nigérienne, dans le massacre du peuple Ogoni au Niger. Malgré un usage généreux de la rhétorique écologique, les investissements de Shell dans l’énergie solaire ne dépassent pas la somme qu’elle a dépensée dernièrement en Australie pour la mise en place d’une unité de production d’énergie, alimentée au charbon.
Egil Myklebust, Norsk Hydro (Norvège)
Activités : Hydroélectricité, pétrochimie, pétroles, gaz, fertilisants, produits de la mer, assurances, aciers légers.
Filiales, marques : Fison Fertilisers, Utkal Alumina.
Commentaires : Selon l’ONG norvégienne Norwatch, Utkal Alumina s’est rendue complice de violations des droits de l’homme à l’encontre de certaines populations locales en Inde. Responsable de dégâts environnementaux dus aux forages pétroliers effectués dans le nord de la Norvège et au nord-ouest de la Russie. Un des principaux producteurs de PVC. Impliqué dans le financement de la guerre civile en Angola. Son président, Miklebust fut élu, en 1997, président du Conseil économique mondial pour un développement durable.
Jorma Ollila, Nokia Group (Finlande)
Activités : Télécommunications
Filiales, marques : Salcomp Oy.
Commentaires : Exportait encore récemment des données technologiques dont le gouvernement indonésien usait dans sa guerre contre le Timor oriental. L’entreprise génère un cinquième du revenu national finlandais à l’exportation. Principal fournisseur de téléphonie mobile. Travaille d’arrache-pied auprès du Parlement européen en faveur de réglementations laxistes dans le domaine des produits électroniques.
Heinrich von Pierer, Siemens (Allemagne)
Activités : Electrotechnique, armement, nucléaire.
Filiales, marques : Osram, Nixdorf, Arco Solar, Plessey.
Commentaires : Unique producteur allemand de technologie nucléaire. Sous le nazisme, Siemens utilisa de la main-d’œuvre forcée issue des camps de prisonniers dont les survivants attendent toujours réparations.
Lars Ramqvist, L.M. Ericsson (Suède)
Activités : Communications, produits médicaux, produits ménagers.
Filiales, marques : Ericsson Microelectronics, Ericsson Defense Electronics, etc.
Commentaires : Détient 40% des ventes mondiales des systèmes de téléphonie mobile, suspectés de provoquer des tumeurs au cerveau. Peter Sutherland, ancien directeur du GATT et actuel président de British Petroleum et Goldan Sachs, siège aussi au conseil de Ericsson.
Franck Riboud, Danone (France)
Activités : Alimentaire (produits laitiers, boissons, biscuits).
Filiales, marques : HP Foods, BSN, Evian, Lu, Britannia, San Miguel.
Commentaires : En 1994, la firme abandonna le nom de BSN pour celui de Danone. Ses produits contiennent des OGM. HP Foods paraît au septième rang du « Hall of Shame » de l’Agence pour l’environnement. Danone opère, entre autres, en Chine, en Indonésie, au Pakistan et en Turquie. BSN a régulièrement violé la Convention internationale sur la Commercialisation des substituts du lait maternel.
Nigel Rudd, Pilkington (Royaume-Uni)
Activités : Industrie du verre, matériaux de construction, fournitures automobiles, pétroles, gaz, plastiques, chimie.
Filiales, marques : SOLA.
Commentaires : Fournit l’industrie militaire en produits dérivés du verre et nourrit de grandes ambitions vis-à-vis des marchés d’Europe centrale et orientale.
Richard Schenz, OMV (Autriche)
Activités : Pétroles, gaz, plastiques, chimie.
Commentaires : Détenu à hauteur de 49,9 % par Osterreichische Industrieholding AG, elle-même propriété de l’Etat autrichien. Ses activités pétrolières au large de Rockall (île située à 465 km des côtes écossaises au beau milieu de l’Atlantique) ont été critiquées pour leurs effets nuisibles sur certaines zones préservées de l’Atlantique, riches en espèces marines.
Manfred Schneider, Bayer (Allemagne)
Activités : Produits médicaux, plastiques, agriculture (protection des cultures, produits vétérinaires), chimie, réseaux de transports, matériel photographique.
Filiales, marques : Haarmann & Reiner, HC. Starck, Dystar, Millennium, AGFA-Gevaert.
Commentaires : Poursuivie au Brésil pour l’empoisonnement de travailleurs des plantations de café par l’usage du pesticide Baysiston, interdit en Allemagne ces 20 dernières années. Son hormone de croissance, l’Olaquindox a été interdit au sein de l’Union européenne pour ses effets aussi bien cancérigènes que génétiques. Bayer a aussi été poursuivie par des survivants de l’holocauste pour sa collaboration dans les expériences menées par Mengele sur les juifs durant le régime nazi. Bayer à développé et produit en masse du début du siècle à 1958, un dérivé d’héroïne supposé soigné la toux enfantine.
Jürgen Schrempp, Daimler Benz (Allemagne)
Activités : Construction automobile, armement.
Filiales, marques : AEG, Messerschmidt, Dornier, MTU.
Commentaires : Rebaptisée DaimlerChrysler, après sa fusion avec Chrysler en 1998. Premier fabricant d’armes allemand.
Louis Schweitzer, Renault (France)
Activités : Construction automobile, camions, aérospatiale, télécommunications, médias, systèmes ferroviaires, services financiers, assurances, banques.
Filiales, marques : Mack Trucks.
Commentaires : L’entreprise a été privatisée en 1996. Accusée, en 1998, par l’Agence américaine de protection de l’environnement d’arguer de « défectuosités mécaniques » imaginaires pour éviter d’avoir à réduire les émanations de gaz polluants. En 1997, une Cour d’appel française condamna Renault pour ne pas avoir consulté l’ensembles de ses conseils d’entreprises européens avant de fermer son site belge de Vilvoorde. Quelque 3 000 salariés ont été licenciés à l’occasion de cette fermeture. Jean-Claude Paye (ancien président de l’OCDE et directeur du Comité consultatif sur la compétitivité) siège au Conseil de direction de l’entreprise.
George Simpson, General Electric Company (Royaume-Uni)
Activités : Moteurs d’avions, électroménager, services financiers, éclairages, systèmes médicaux, plastiques, nucléaire, gaz, distribution électrique.
Filiales, marques : Kidder Peabody Brokerage, GE Capital, NBC, Utah Construction, RCA.
Commentaires : Aux États-Unis, GE à été convaincue de corruption, de discrimination à l’emploi, de délits d’initiés, d’entente illicite sur les prix, et d’escroquerie à l’encontre des différents corps d’armée. La GE a aussi pollué différentes zones géographiques et figure sur la liste dressée par l’APE parmi les plus dangereux pollueurs de la planète. Pourtant, GE est le premier producteur américain – et le sixième au niveau mondial – d’équipement de contrôle de la pollution de l’air. Elle soutient financièrement des hommes politiques américains de tous bords. L’entreprise est aussi un des membres les plus importants de la Business Roundtable et est très active dans la politique éducative et la propagande. GE est, en outre, à l’origine de nombreux groupes de promotion de l’exemption fiscale et de « boîtes à idées » destinées à promouvoir les intérêts industriels : par exemple Brookings Institution et l’American Enterprise Institute. C’est à la Général Electric que les exemptions fiscales décidées par Reagan en 1981, ont le plus profité. En collaboration avec Hitachi et Toshiba, GE a construit plus de 20 sites nucléaires au Japon. Propriétaire de NBC, l’une des chaînes de télévision les plus importantes des États-Unis, GE est aussi en mesure de contrôler les programmes et les contenus d’informations.
Michael Smurfit, Jefferson Smurfit (Irlande)
Activités : Industrie du papier et emballage.
Filiales, marques : Cellulose du Pin, SCC (Smurfit Cartón de Colombia), Cartón y Papel.
Commentaires : Dénoncée, en Irlande, pour violations des droits de l’homme liées à ses activités forestières en Colombie. Confrontée à de nombreux conflits avec les populations indigènes de Colombie, où Smurfit gère de nombreuses exploitations de pins et d’eucalyptus. Un rapport émanant de certains actionnaires de Smurfit dénonce « les licenciements injustifiés de syndicalistes, les expropriations de paysans, les mises à mal de la biodiversité et l’aggravation de l’érosion du sol » liés aux activités de l’entreprise.
Peter Sutherland, British Petroleum (Royaume-Uni)
Activités : Pétroles, plastiques, chimie, mines.
Filiales, marques : Gulf, Kennecott, Purina, Distillers.
Commentaires : Très actif au sein du groupe de pression industriel sur le changement de climat. Utilise les paramilitaires colombiens pour assurer la sécurité et la facilité d’accès des zones stratégiques d’exploitation du pétrole. BP a fait pression sur le gouvernement colombien jusqu’à ce qu’il modifie la clause d’expropriation de la nouvelle constitution colombienne afin de « favoriser les investissements étrangers ».
Marco Tronchetti Provera, Pirelli (Italie)
Activités : Pneumatiques, câbles.
Filiales, marques : Standard Motor.
Commentaires : Fait l’objet d’un boycott national aux États-Unis en signe de soutien au syndicat brésilien des ouvriers du caoutchouc. Les activités de Pirelli mettent en danger le mode de vie des extracteurs de caoutchouc brésiliens qui produisent eux aussi de la richesse par des méthodes réopndant mieux au développement durable.
Mark Wössner, Bertelsmann (Allemagne)
Activités : Médias, édition, industrie du spectacle (film, radio, musique), multimédia, imprimerie, industrie du papier et services.
Filiales, marques : Random House, Grunner + Jahr (G+J), Stern, Circulo de Lectores, BMG, Compuserve, AOL, Lycos, Arista records, RCA.
Commentaires : Le plus important éditeur/imprimeur du monde, avec un revenu de 14 milliards de dollars US en 1997. Imprimait de la littérature nazie sous le IIIe Reich.
Annexe IV
Sources
La dernière liste mise à jour de cette liste de contacts est consultable sur le site internet du CEO : <http://www.xs4all.nl/~ceo/eurinc/resources.html>.
Quelques organisations particulièrement actives :
A SEED Europe Office. Réseau de groupes de jeunes européens militant contre les atteintes à l’environnement et l’injustice sociale.
Postbox 92066, 1090 AB Amsterdam, Pays-Bas
Tel : + 31-20-668-2236 • Fax : + 31-20-468-2275
E-mail: aseedeur@antenna.nl
http://www.antenna.nl/aseed/
ATTAC. Pour un contrôle démocratique de la finance internationale
9 bis, rue de Valence, F-75005 Paris, France
Tel : 01 55 43 96 43 • Fax : 01 43 36 26 26
E-mail: attacint@attac.org
http:/www.attac.org/
CEE Bankwatch. Réseau d’ONG d’Europe centrale et orientale surveillant les activités des institutions financières internationales
Coordinateur régional : Jozsef Feiler
c/o MTVSz, Ulloi u. 91/b, III/21, H-1091 Budapest, Hongrie
Tel : +36-1-2167297 •Fax : +36-1-2167295
E-mail: jozseff@bankwatch.org
http://www.bankwatch.org/
Coordination against Bayer-Dangers. Observateur critique et organisateur de campagnes contre le géant de l’industrie chimique allemande.
Postfach 150418, D-40081 Düsseldorf, Allemagne
Tel : +49-211-333911 •Fax : +49-211-333940
E-mail : CBGnetwork@aol.com
The Cornerhouse. Groupe de recherche anglais militant qui entend promouvoir le développement d’une société civile non-discriminatoire dans laquelle les communautés auraient le plein contrôle sur leurs ressources et sur les décisions qui affectent leurs vies et leurs modes de vies. Le Cornerhouse publie des rapports fort intéressants.
PO Box 3137, Station road, Sturminster Newton, Dorset DT10 1YJ, Royaume-Uni
E-mail: cornerhouse@gn.apc.org
http://www.icaap.org/Cornerhouse/
Corporate Watch. Groupe anglais qui enquête sur les crimes et dénonce les hypocrisies des entreprises au comportement irresponsable..
Box E, 111 Magdalen Road, Oxford OX4 1RQ, Royaume-Uni
Tel/fax : +44-1865-791391
E-mail: corporatewatch@i-way.co.uk
http://www.oneworld.org/cw/
Corporate Watch. Groupe d’études et de recherche américain qui offre une documentation de haute tenue sur les effets sociaux, politiques, économiques et environnementaux de l’activité des géants industriels transnationaux. Propose un site remarquable
P.O. Box 29344, San Francisco, CA 94129, États-Unis
Tel : +1-415-5616568
E-mail: corpwatch@igc.org
http://www.corpwatch.org/
Critical Shareholders Association. Groupement de plus de 30 associations allemandes d’actionnaires qui exigent de la part d’entreprises telles que Krupp, Siemens et Daimler, le respect de l’environnement, de la justice sociale et des droits de l’homme.
Schlackstrasse 16, D-50737 Cologne, Allemagne
Tel : +49-221-5995647 •Fax : +49-221-5991024
E-mail : critical_shareholders@compuserve.com
http://ourworld.compuserve.com/homepages/critical_shareholders/whatdowe.htm
Ethical Consumer, Publie un excellent magazine et conserve une base de données concernant les comportements sociaux et écologiques des principales compagnies transnationales.
Unit 21, 41 Old Birley Street, Manchester M15 5RD, Royaume-Uni
Tel : +44-161-2262929 • Fax : +44-161-2266277
E-mail : ethicon@mcr1.poptel.org.uk
http://www.ethicalconsumer.org/
Friends of the Earth International (FoEI). Groupement international de plus de 58 associations défendant le développement durable.
Postbox 19199, 1000 GD Amsterdam, Pays-Bas
Tel: +31-20-6221369 •Fax: +31-20-6392181
E-mail : info@foeint.antenna.nl
<http://www.xs4all.nl/~foeint/> <www.foe.org/> <www.foeeurope.org/>
GRESEA (Groupe de récherche pour un stratégie économique alternative). Groupe de recherche et de pression basé en Belgique
Rue Royale 11, B-1000 Bruxelles, Belgique
Tel : +32-2-2197076 •Fax : +32-2-2196486
E-mail: GRESEA@innet.be
IBFAN (International Baby Food Action Network)
Partenariat de plus de 150 groupes sur plus de 90 pays se vouant à l’amélioration de la santé des jeunes enfants. Il surveille les pratiques industrielles dans le domaine de l’alimentation pour enfants et organise avec succès un boycott à l’encontre de Nestlé.
PO Box 157
CH-1211 Geneva 19, Suisse
Tel : +41-22-7989164 • Fax: +41-22-7984443
E-mail : philipec@iprolink.ch
http://www.gn.apc.org/ibfan/
International Forum on Globalization (IFG). Groupement de militants et d’universitaires opposés à la mondialisation économique néolibérale.
P.O. Box 12218, San Francisco, CA 94112, États-Unis
Tel : +1-415-7713394 • Fax : +1-415-7711121
E-mail: ifg@ifg.org
http://www.ifg.org/
McSpotlight web site. L’unique et principale source d’informations sur McDonalds. Propose de nombreuses adresses d’autres groupes activistes et les sites de compagnies telles que Nestlé et Unilever.
E-mail : info@mcspotlight.org
http://www.mcspotlight.org/
The Multinationals Resource Center. Basé aux États-Unis, destiné à apporter son soutien aux militants, journalistes, universitaires et autres qui ont besoin d’informations sur les activités des entreprises dont l’activité concerne leurs communautés.
P.O. Box 19405, Washington, DC 20036, États-Unis
Tel : +1-202-3878030
E-mail : mrc@essential.org
http://www.essential.org/mdc/
Norwatch (The Future in Our Hands). Groupe de recherche militant, observateur attentif des transnationales ayant leur siège en Norvège.
P.O. Box 4743, Sofienberg, N-0506 Oslo, Norvège
Tel : +47-22201045 •Fax : +47-22204788
E-mail: norwatch@fifi.no
http://www.ngo.grida.no/ngo/fivh/eng_norw.htm
Observatoire de la mondialisation. Universitaires et activistes, opposés aux projets néolibéraux tels que l’AMI, le Millenium Round de l’OMC, etc.
40, rue de Malte, F-75011 Paris, France
Tel : +33-1-43383817 •Fax : +33-1-43383788
E-mail: ecoropa@magic.fr
http://www.ecoropa.org/obs/
Oilwatch Europe. Fournit des informations sur les entreprises comme Elf, Agip, Shell et BP au public européen et facilite la coopération entre les ONG européennes.
c/o A SEED Europe, PO Box 92066, 1090 AB Amsterdam, Pays-Bas
Tel : +31-20-6682236 •Fax: +31-20-4682275
E-mail : oilwatch@aseed.antenna.nl
http://www.antenna.nl/aseed/oilwatch/
Peoples Global Action (PGA). Réseau mondial des groupes et mouvements qui luttent contre l’OMC et le « libre-échange »
E-mail : pga@agp.org
http://www.agp.org/
Polaris Institute. Institut canadien qui se donne pour mission de soutenir les mouvements de citoyens contre les pouvoirs industriels.
4 Jeffrey Avenue, Ottawa, Ont. K1K 0E2, Canada
Tel : +1-613-7468374
E-mail: tclarke@web.net
http:/www.nassist.com/
Public Citizen – Global Trade Watch. Fait campagne contre les politiques d’investissements et d’échanges commerciaux inéquitables.
215 Pennsylvania Ave SE, Washington, DC 20003, États-Unis
Tel : +1-202-5464996
E-mail: mstrand@citizen.org
http:/www.citizen.org/pctrade/
Project Underground. Dénonce les violations des droits de l’homme et de l’environnement et apporte son soutien aux communautés confrontées aux industries minières et pétrolières.
1847 Berkeley Way, Berkeley, CA 94703, États-Unis
E-mail: project_underground@moles.org
http://www.moles.org/
Third World Network. Réseau de groupes et de personnalités du Sud qui luttent en faveur d’une juste répartition des ressources mondiales ainsi que pour des modèles de développement durable.
228 Macalister Road, 10400 Penang, Malaysia
Tel : +60-4-2266159 •Fax : +60-4-2264505
E-mail: twn@igc.apc.org
http://www.twnside.org.sg/
Transnational Institute (TNI). Réseau international de militants et d’universitaires.
Paulus Potterstraat 20, 1071 DA Amsterdam, Pays-Bas
Tel : +31-20-6626608 •Fax: +31-20-6757176
E-mail: tni@worldcom.nl
http://www.worldcom.nl/tni/
Women’s Environment and Development Organisation (WEDO). Organisation mondiale travaillant à accroître le rôle, la visibilité et l’importance des femmes dans le processus politique à travers des campagnes pour la paix, l’égalité des sexes, les droits de l’homme, l’environnement et l’égalité économique.
355 Lexington Avenue, 3rd Floor, New York, NY 10017, États-Unis
Tel : +1-212-9730325 •Fax : +1-212-9730335
E-mail: wedo@igc.org
http://www.wedo.org/
Network Women In Development Europe (WIDE).Souhaite faire pression sur les politiques européenne et internationale pour mettre en lumière les questions de sexes et d’environnement, avec pour objectif ultime de rendre les femmes plus influentes partout à travers le monde.
70, rue du Commerce, B-1040 Bruxelles, Belgique
Tel : +32-2-5459070 •Fax : +32-2-5127342
E-mail: WIDE@gn.apc.org
http://www.eurosur.org/wide/porteng.htm
Quelques adresses de lobbies
AmCham (EU Committee of the American Chamber of Commerce)
http://www.eucommittee.be/
AMUE (Association for the Monetary Union of Europe)
http://amue.lf.net/
Burson Marsteller
http://www.bm.com/
BRT (Business Roundtable)
http://www.brtable.org/
CEFIC (European Chemical Industry Association)
http://www.cefic.be/
CEPS (Centre for European Policy Studies)
http://www.ceps.be/
EPC (European Policy Center)
http://www.TheEPC.be/
ERT (European Roundtable of Industrialists)
http://www.ert.be/
EuropaBio
http://www.europa-bio.be/
FIEC (European Construction Industry Federation)
http://www.fiec.be/
Financial Leaders Group
http://www.uscsi.org/
GCC (Global Climate Coalition)
http://www.globalclimate.org/
ICC (International Chamber of Commerce)
http://www.iccwbo.org/
IRF (International Road Federation)
http://www.irfnet.org/
TABD (Transatlantic Business Dialogue)
http://www.tabd.com/
Trilateral Commission
http://www.trilateral.org/
UNICE (European Employers´ Confederation)
http://www.business-cohesion.org/resource/links/social.htm
USCIB (United States Council for International Business)
http:/www.uscib.org/
WBCSD (World Business Council for Sustainable Development)
http://www.wbcsd.ch/
WEF (World Economic Forum)
http://www.weforum.com/
Quelques adresses d’institutions européennes & internationales
Starting point for EU institutions
http://europa.eu.int/index-en.htm
EIB (European Investment Bank)
http://www.eib.org/
OCDE (Organisation pour le commerce et le développement économique)
http://www.oecd.org/
ONU (Nations unies)
http://www.un.org/
OMC (Organisation mondiale du commerce)
http://www.wto.org/
Institutions européennes
Commission européenne
200 rue de la Loi, B-1049 Bruxelles, Belgique
Tel : +32-2-2991111 • Fax: +32-2-2950166
http://europa.eu.int/en/comm.html
Conseil des ministres
175 rue de la Loi, B-1048 Bruxelles, Belgique
Tel : +32-2-2856111• Fax : +32-2-2857397 / +32-2-2857381
http://ue.eu.int/angl/summ2.htm
Parlement européen
97-113 rue Belliard, B-1047 Bruxelles, Belgique
Tel : +32-2-2842111• Fax : +32-2-2306933
http://www.europarl.eu.int/sg/tree/en/Annexe v
Glossaire des abréviations
Par sigle
AECA = Association européenne des constructeurs automobiles
AFL-CIO = Fédération américaine du travail – Congrès des organisations industrielles = American Federation of Labor - Congress of Industrial Organisations [la plus importante confédération syndicale américaine]
ALENA = Accord de libre échange nord-américain = North Americain Free Trade Agreement = NAFTA
AMCHAM = Chambre américaine de commerce
AME = Accords multilatéraux sur l’environnement
AMI = Accord multilatéral sur l’investissement = MAI = Multilateral Agreement on Investment
AMUE = Association for the Monetary Union in Europe = Association pour l’union monétaire en Europe = AUME
API = American Petroleum Institute
ARM = Accords de reconnaissance mutuelle
AUME = Association pour l’union monétaire en Europe = Association for the Monetary Union in Europe = AMUE
BCSD = Conseil industriel pour un développement durable = Business Council for Sustainable Development
BEC = Conseils en expansion commerciale = Business Enlargement Councils
BIAC = Conseil consultatif des affaires et de l’industrie [auprès de l’OCDE] = Business and Industry Advisory Council
BP = British Petroleum
BRT = Table Ronde américaine = Business Rountable
BT = British Telecom
CAG = Groupe consultatif de compétitivité = Competitiveness Advisory Group
CDM =Clean Development Mechanism
CE = Commission européenne = European Commission = EC
CEE =Communauté économique européenne
CEEP = Confédération européenne des employeurs du secteur public = Public sector employers’ union
CEFIC = Fédération européenne de l’industrie chimique = European Chemical Industry Fédération
CEO = Chief Executive Officer
CEO = Observatoire de l’Europe industrielle = Corporate Europe Observatory
CEPS = Centre for European Policy Studies
CIC = Chambre internationale de commerce = International Chamber of Commerce = ICC
CIG = Conférence inter-gouvernementale = Inter-governmental Conference = IGC
COP = Conference des Parties = Conference Of the Parties
COREPER = Comité des représentants permanents = Committee of Permanent Representatives
CPI = Comité sur la propriété intellectuelle
CSA = Agriculture soutenue par la communauté = Community Supported Agriculture [dite « agriculture de souscription » ou de « connexions agriculteurs-consommateurs »]
EAGS = Alliance européenne des groupes de soutien à la génétique = European Alliance of Genetic Support Groups
EC = European Commission = Commission européenne = CE
ECB = European Central Bank = Banque centrale europénne
ECIS = European Centre for Infrastructures Studies = Centre européen d’études des infrastructure
ECST = Coalition européenne pour des transports cohérents = European Coalition for Sustainable Transports
EFPIA = Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique = European Federation of Pharmaceutical Industry Associations
EFTC = European Fluocarbons Technical Committee = Comité technique européen sur les fluocarbones
EMU = European Monetary Union = Union monétaire européenne = UME
EP = European Parliament = Parlement européen
EPC = European Policy Center
EPE = Dialogue transatlantique pour un développement cohérent = European Partners for the Environment
ERF = Fédération routière européenne = European Road Federation
ERT = Table ronde des industriels européens = European Round Table of Industrialist
ESLG = Groupement européen des dirigeants des services = European Service Leaders Group
ESN = Réseau européen des services = European Services Network
ESNBA = Secrétariat européen aux associations nationales de la bio-industrie = European Secretariat for National BioIndustry Associations
ETUC = Confédération européenne des syndicats = European Trade Union Confederation
EU = European Union = Union européenne = UE
FAO = Food and Agriculture Organisation = Organisation pour l’alimentation et l’agriculture [Nations unies]
FDI = Foreign Direct Investment = Investissement direct étranger = IDE
FEBC = Forum pour la coordination de la bio-industrie européenne = Forum for European Bioindustry Coordination
FEM = Forum économique mondial (Davos) = World Economic Forum = WEF
FIEC = Fédération de l’industrie européenne de construction = European Construction Industry Federation
FLG = Groupe des leaders de la finance = Financial Leaders Group
FMI = Front monéraire international = International Monetary Fund = IMF
GATS = Negotiations de l’Uruguay Round pour les services
GATT = Accord général sur les tarifs et le commerce = General Agreement on Tariffs and Trade
GCC = Coalition américaine sur le climat mondial = US Global Climate Coalition
GCIP = Projet d’information sur le climat mondial = Global Climate Information Project
GIG = Groupement d’intérêt pour la génétique = Genetic Interest Grou
GMO = Genetic Modified Organisms = Organismes génétiquement modidiés = OGM
GSDF = Projet mondial d’équipement pour un développement durable = Global Sustainable Development Facility project
IC = Installations communes
ICC = International Chamber of Commerce = Chambre internationale de commerce = CCI
ICE = Conseil d’information pour l’environnement = Information Council for Environment
IDE = Investissement direct à l’étranger = Foreign Direct Investment = FDI
IGC = Inter-Governmental Conference
IME = Institut monétaire européen
IMF = International Monetary Fund = Fond monétaire international = FMI
IN = Réseau d’investissement = Investment Network
IPCC = Panel intergouvernemental sur le changement du climat = Intergovernmental Panel on Climate Change
IRF = Fédération routière internationale = International Road Federation
LETS = Local Exchange and Trade Schemes = Système d’échange local = SEL
MAI = Multilateral Agreement on Investment = Accord multilatéral sur l’investissement = AMI
MDP = Mécanisme de développement propre
MPE = Membre du Parlement européen
MRA = Mutual Recognition Agreement
MU = Marché unique = Single Market = SM
NAFTA = Accord de libre échange nord-américain = North Americain Free Trade Agreement = ALENA
NFTC = Conseil national du commerce extérieur = National Foreign Trade Council
NGO = Non Governmental Organisations = Organisations non-gouvernementales = Ong
NMT = Nouveau marché transatlantique = New Transatlantic Marketplace = NTM
OCDE = Organisation pour le commerce et le développement économique = Organisation for Economic Cooperation and Development = OECD
OECD = Organisation for Economic Cooperation and Development = Organisation pour le commerce et le développement économique = OCDE
OGM = Organisme génétiquement modifié = Genetic Modified Organisms = GMO
OIT = Organisation international du travail
OMC = Organisation mondiale du commerce = World Trade organisation = WTO
ONG = Organisations non-gouvernementales = Non Governmental Organisations = NGO
PAC = Politique agricole commune
PGM = Produits génétiquement modifiés
PMD = Pays les moins développés
PR = Public Relations = Relations publiques = RP
QUAD = sommet entre Union européenne, États-Unis, Japon et Canada
SACTRA = Standing Advisory Commitee on Trunk Road Assessment
SAGB = Senior Advisory Group on Biotechnology
SEIA = Évaluation stratégique des effets sur l’environnement = Strategic Environmental Impacts Assessment
SEL = Système d’échange local = Local Exchange and Trade Schemes = LETS
SM = Single Market = Marché unique = MU
TABD = Dialogue sur le commerce transatlantique = Transatlantic Business Dialogue
TACD = Dialogue transatlantique sur la consommation = Transatlantic Consumer Dialogue
TAED = Dialogue transatlantique sur l’environnement = Transatlantic Environmental Dialogue
T&E = Fédération européenne du transport et de l’environnement
TEN = Réseaux transeuropéen = Trans European Networks
TEP = Partenariat économique transatlantique = Transatlantic Economic Partnership
TERN = Réseaux routiers transeuropéens = Trans-European Road Networks
TNC = Firmes transnationales = Transnational corporations
TRAC = Transnational Action and Resource Centre
TRIP = Aspects commerciaux de la propriété intellectuelle = Trade-Related Aspects of Intellectual Property
TUAC = Conseil consultatif des syndicats (Ocde) = Trade Union Advisory Council
UAEPME = Union européenne des artisans et des petites et moyennes entreprises = European Union for Artisans and Small and Medium-sized Enterprises
UE = Union européenne
UME = Union monétaire européenne = European Monetary Union = EMU
UNCED = Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement = United Nations Conference on Environment and Development = Sommet sur la Terre de Rio
UNCTAD = Conférence sur le Commerce et le Développement de l’OnU =United Nations Conference on Trade And Development
UNDP = Programme de développement de l’Onu = Un Development Programme
UNEP = Programme des Nations unies pour l’environnement = United Nations Enviroment Programme
UNFCC = Convention structurelle de l’Onu sur les changements climatiques = Convention sur le climat = United Nations Framework Convention on Climate Change
UNICE = Organisation européenne des employeurs = Union of Industrial and Employers´ Confederations of Europe
UNTNC = Centre sur les multinationales de l’Onu = Centre on Transnational Corporations
USCIB = Conseil américain pour les affaires internationales = Us Council for International Business
VEEP = Programme volontaire pour une énergie efficace = Voluntary Energy Efficiency Programme
WBCSD = Conseil industriel mondial pour un développement durable = World Business Council for Sustainable Development
WEF = World Economic Forum = Forum économique mondial (Davos) = FEM
WICE = Conseil industriel mondial pour l’environnement = World Industry Concil for the Environment
WTO = Organisation mondiale du commerce = World Trade Organisation = OMC
Par nom
Accord de libre échange nord-américain = North Americain Free Trade Agreement = NAFTA = ALENA
Accord général sur les tarifs et le commerce = General Agreement on Tariffs and Trade = GATT
Accord multilatéral sur l’investissement = AMI = Multilateral Agreement on Investment = MAI
Accords multilatéraux sur l’environnement = AME
Accords de reconnaissance mutuelle = ARM
Agriculture soutenue par la communauté = Community Supported Agriculture = CSA [dite « agriculture de souscription » ou de « connexions agriculteurs-consommateurs » ]
Alliance européenne des groupes de soutien à la génétique = European Alliance of Genetic Support Groups = EAGS
American Federation of Labor - Congress of Industrial Organisations = Fédération américaine du travail – Congrès des organisations industrielles = AFL-CIO [la plus importante confédération syndicale américaine]
American Petroleum Institute = API
Aspects commerciaux de la propriété intellectuelle = Trade-Related Aspects of Intellectual Property = TRIP
Association européenne des constructeurs automobiles = AECA
Association for the Monetary Union in Europe = Association pour l’Union monétaire en Europe = AUME = AMUE
Association pour l’Union monétaire en Europe = Association for the Monetary Union in Europe = AUME = AMUE
Banque centrale europénne = European Central Bank = ECB
British Petroleum = BP
British Telecom = BT
Business Council for Sustainable Development = Conseil industriel pour un développement durable = BCSD
Business Enlargement Councils = Conseils en expansion commerciale = BEC
Business and Industry Advisory Council = Conseil consultatif des affaires et de l’industrie = BIAC
Business Rountable = Table Ronde américaine = BRT
Centre for European Policy Studies = CEPS
Centre européen d’études d’infrastructure = European Centre for Infrastructures Studies = ECIS
Centre sur les multinationales [Onu] = Centre on Transnational Corporations = UNTNC
Centre on Transnational Corporations = Centre sur les multinationales de l’Onu = UNTNC
Chambre américaine de commerce = AMCHAM
Chambre internationale de commerce = International Chamber of Commerce = ICC = CIC
Chief Executive Officer = CEO
Coalition américaine sur le climat mondial = US Global Climate Coalition = GCC
Coalition européenne pour des transports cohérents = European Coalition for Sustainable Transports = ECST
Comité sur la propriété intellectuelle = CPI
Comité technique européen sur les fluocarbones = European Fluocarbon Technical Commitee = EFCTC
Comité des représentants permanents = Committee of Permanent Representatives = COREPER
Commission européenne = European Commission = EC = CE
Committee of Permanent Representatives = Comité des représentants permanents = COREPER
Community Supported Agriculture = Agriculture soutenue par la communauté = CSA [dite « agriculture de souscription » ou de « connexions agriculteurs-consommateurs »]
Competitiveness Advisory Group = Groupe consultatif de compétitivité = CAG
Confédération européenne des employeurs du secteur public = Public sector employers’ union = CEEP
Confédération européenne des syndicats = European Trade Union Confederation = Etuc
Conférence sur le Commerce et le Développement de l’ONU = United Nations Conference on Trade And Development = UNCTAD
Conférence inter-gouvernementale = Inter-governmental Conference = CIG = ICG
Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement = United Nations Conference on Environment and Development = Sommet sur la Terre de Rio = UNCED
Conference des Parties = Conference Of the Parties = COP
Conference Of the Parties = Conférence des Parties = COP
Conseil américain pour les affaires internationales = Us Council for International Business = USCIB
Conseil consultatif des affaires et de l’industrie = Business and Industry Advisory Council = BIAC
Conseil consultatif des syndicats = Trade Union Advisory Council = TUAC
Conseil industriel mondial pour un développement durable = World Business Council for Sustainable Development = WBCSD
Conseil industriel pour un développement durable = Business Council for Sustainable Development = BCSD
Conseil industriel mondial pour l’environnement = World Industry Concil for the Environment = WICE
Conseil d’information pour l’environnement = Information Council for Environment = ICE
Conseil national du commerce extérieur = National Foreign Trade Council = NFTC
Conseils en expansion commerciale = Business Enlargement Councils = BEC
Convention sur le climat = Convention structurelle de l’Onu sur les changements climatiques = United Nations Framework Convention on Climate Change = UNFCC
Convention structurelle de l’ONU sur les changements climatiques = Convention sur le climat = United Nations Framework Convention on Climate Change = UNFCC
Corporate Europe Observatory = Observatoire de l’Europe industrielle = CEO
Dialogue sur le commerce transatlantique = Transatlantic Business Dialogue = Tabd
Partenaires européens pour l’environnement = European Partners for the Environment = EPE
Dialogue transatlantique sur l’environnement = TAED
Dialogue transatlantique sur les consommateurs = TACD
European Alliance of Genetic Support Groups = Alliance européenne des groupes de soutien à la génétique = EAGS
European Central Bank = Banque centrale europénne = ECB
European Centre for Infrastructures Studies = Centre européen d’études des infrastructures = ECIS
European Chemical Industry Fédération = Fédération européenne de l’industrie chimique = CEFIC
European Coalition for Sustainable Transports = Coalition européenne pour des transports cohérents = ECST
European Commission = Commission européenne = EC = CE
European Construction Forum = Forum de la construction européenne
European Construction Industry Federation = Fédération de l’industrie européenne de construction = FIEC
European Federation of Pharmaceutical Industry Associations = Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique = EFPIA
European Fluocarbon Technical Commitee = Comité technique européen sur les fluocarbones = EFCTC
European Monetary Union = Union monétaire européenne = EMU = UME
European Partners for the Environment = Dialogue européen pour l’environnement = EPE
European Policy Center = EPC
European Road Federation = Fédération routière européenne = ERF
European Round Table of Industrialist = Table ronde des industriels européens = ERT
European Secretariat for National BioIndustry Associations = Secrétariat européen aux associations nationales de la bio-industrie = ESNBA
European Service Leaders Group = Groupement européen des dirigeants des services = ESLG
European Services Network = Réseau européen des services = ESN
European Trade Union Confederation = Confédération européenne des syndicats = ETUC
European Union for Artisans and Small and Medium-sized Enterprises = Union européenne des artisans et des petites et moyennes entreprises = UAEPME
Europia = lobby de 29 compagnies pétrolières travaillant en Europe
Évaluation stratégique des effets sur l’environnement = Strategic Environmental Impacts Assessment = SEIA
Fédération américaine du travail – Congrès des organisations industrielles = American Federation of Labor - Congress of Industrial Organisations = AFL-CIO [la plus importante confédération syndicale américaine]
Fédération européenne de l’industrie chimique = European Chemical Industry Fédération = CEFIC
Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique = European Federation of Pharmaceutical Industry Associations = EFPIA
Fédération européenne du transport et de l’environnement = T&E
Fédération de l’industrie européenne de construction = European Construction Industry Federation = FIEC
Fédération routière européenne = European Road Federation = ERF
Fédération routière internationale = International Road Federation = IRF
Financial Leaders Group = Groupe des leaders de la finance = FLG
Firmes transnationales = Transnational corporations = TNC
Food and Agriculture Organisation = Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (Nations unies) = FAO
Forum économique mondial (Davos) = World Economic Forum = FEM = WEF
Forum de la construction européenne = European Construction Forum
Forum pour la coordination de la bio-industrie européenne = Forum for European Bioindustry Coordination = FEBC
Forum for European Bioindustry Coordination = Forum pour la coordination de la bio-industrie européenne = FEBC
Fond monéraire international = International Monetary Fund = IMF = FMI
General Agreement on Tariffs and Trade = Accord général sur les tarifs et le commerce = GATT
Genetic Interest Group = Groupement d’intérêt pour la génétique = GIG
Genetic Modified Organisms = Organismes génétiquement modidiés = OGM = GMO
Global Climate Information Project = Projet d’information sur le climat mondial = GCIP
Global Sustainable Development Facility project = Projet mondial d’équipement pour un développement durable = GSDF
Groupe consultatif de compétitivité = Competitiveness Advisory Group = CAG
Groupe des leaders de la finance = Financial Leaders Group = FLG
Groupement européen des dirigeants des services = European Service Leaders Group = ESLG
Groupement d’intérêt pour la génétique = Genetic Interest Group = Gig
Information Council for Environment = Conseil d’information pour l’environnement = ICE
Installations communes = IC
Institut monétaire européen = IME
Intergovernmental Panel on Climate Change = Panel intergouvernemental sur le changement du climat = IPCC
International Chamber of Commerce = Chambre internationale de commerce = CCI = ICC
International Monetary Fund = Fond monétaire international = FMI = IMF
International Road Federation = Fédération routière internationale = IRF
Investissement direct à l’étranger =Foreign Direct Investment = IDE = FDI
Investment Network = Réseau d’investissement = IN
Local Exchange and Trade Schemes = LETS = Système d’échange local = SEL
Marché unique = Single Market = MU = SM
Mécanisme de développement propre = MDP
Membre du Parlement européen = MPE
Mutual Recognition Agreement = MRA
National Foreign Trade Council = Conseil national du commerce extérieur = NFTC
New Transatlantic Marketplace = Nouveau marché transatlantique = NTM = NMT
North Americain Free Trade Agreement = Accord de libre échange nord-américain = NAFTA = ALENA
Nouveau marché transatlantique = New Transatlantic Marketplace = NMT = NTM
Organisation pour l’alimentation et l’agriculture [Nations unies] = Food and Agriculture Organisation = FAO
Organisation pour le commerce et le développement économique = OCDE
Organisation européenne des employeurs = Union of Industrial and Employers´ Confederations of Europe = UNICE
Organisation international du travail = OIT
Organisation mondiale du commerce = World Trade organisation = WTO = OMC
Organisations non-gouvernementales = Non Governmental Organisations = NGO = ONG
Organisme génétiquement modifié = Genetic Modified Organisms = OGM = GMO
Panel intergouvernemental sur le changement du climat = Intergovernmental Panel on Climate Change = IPCC
Partenariat économique transatlantique = Transatlantic Economic Partnership = TEP
Pays les moins développés = PMD
PBKAL = réseau de trains à grande vitesse entre Paris, Bruxelles, Cologne, Amsterdam et Londres
Politique agricole commune = PAC
Produits génétiquement modifiés = PGM
Programme de développement de l’Onu = Un Development Programme = UNDp
Programme des Nations unies pour l’environnement = United Nations Environment Programme = UNEP
Programme volontaire d’efficacité de l’énergie = Voluntary Energy Efficiency Programme = VEEP
Projet d’information sur le climat mondial = Global Climate Information Project = GCIP
Projet mondial d’équipement pour un développement durable = Global Sustainable Development Facility project = GSDF
Public sector employers’union = Confédération européenne des employeurs du secteur public = CEEP
Réseau européen des services = European Services Network = ESN
Réseau d’investissement = Investment Network = IN
Réseaux routiers transeuropéens = Trans-European Road Networks = TERN
Réseaux transeuropéen = Trans European Networks = TEN
Secrétariat européen aux associations nationales de la bio-industrie = European Secretariat for National BioIndustry Associations = ESNBA
Senior Advisory Group on Biotechnology = SAGB
Sommet sur la Terre de Rio = United Nations Conference on Environment and Development = Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement = UNCED
Standing Advisory Commitee on Trunk Road Assessment = SACTRA
Strategic Environmental Impacts Assessment = Évaluation stratégique des effets sur l’environnement = SEIA
Système d’échange local = SEL = Local Exchange and Trade Schemes = Lets
Table Ronde américaine = Business Rountable = BRT
Table ronde des industriels européens = European Round Table of Industrialist = ERT
Trade-Related Aspects of Intellectual Property = Aspects commerciaux de la propriété intellectuelle = TRIP
Trade Union Advisory Council = Conseil consultatif des syndicats (Ocde) = TUAC
Transatlantic Business Dialogue = Dialogue sur le commerce transatlantique = TABD
Transatlantic Consumer Dialogue = Dialogue transatlantique sur la consommation = TACD
Transatlantic Economic Partnership = Partenariat économique transatlantique = TEP
Transatlantic Environmental Dialogue = Dialogue transatlantique sur l’environnement = TAED
Trans-European Networks = Réseaux transeuropéens = TEN
Trans-European Road Networks = Réseaux routiers transeuropéens = TERN
Transnational Action and Resource Centre = TRAC
Transnational corporations = Firmes transnationales = TNC
Un Development Programme = Programme de développement de l’Onu = UNDP
Union européenne = UE
Union européenne des artisans et des petites et moyennes entreprises = UAEPME
Union monétaire européenne = European Monetary Union = EMU = UME
United Nations Conference on Environment and Development = Conférence des Nations unies pour l’environnement et le développement = Sommet sur la Terre de Rio = UNCED
United Nations Conference on Trade And Development = Conférence sur le Commerce et le Développement de l’ONU =UNTCAD
United Nations Environment Programme = Programme des Nations unies pour l’environnement = UNEP
United Nations Framework Convention on Climate Change = Convention structurelle de l’Onu sur les changements climatiques = Convention sur le climat = UNFCC
Us Council for International Business = Conseil américain pour les affaires internationales = USCIB
US Global Climate Coalition = Coalition américaine sur le climat mondial = GCC
Voluntary Energy Efficiency Programme = Programme volontaire pour une énergie efficace = VEEP
World Business Council for Sustainable Development = Conseil industriel mondial pour un développement durable = WBCSD
WORLD INDUSTRY CONCIL FOR THE ENVIRONMENT = Conseil industriel mondial pour l’environnement = WICE
World Trade Organisation = Organisation mondiale du commerce = WTO = OMC
* Susan George Préface
* Collectif Introduction
* Chapitre I- L'Europe des grandes firmes
* Chapitre II- Travaux de fondation
* Chapitre III- Rédaction du script : la Table Ronde des industriels européens
* Chapitre IV- L' UNICE, une machine de pression bien huilée
* Chapitre V- L'AmCham au diapason des choeurs industriels de Bruxelles
* Chapitre VI- L'AUME, la brosse à reluire de l'Union monétaire
* Chapitre VII- Faire des affaires : le traité & les lobbies
* Chapitre VIII- De l'huile dans les rouages : l'infrastructure européenne des transports
* Chapitre IX- L'Europe gavée par le lobby biotechnique
* Chapitre X- La mondialisation régie par l'industrie
* Chapitre XI- La connexion transatlantique
* Chapitre XII- L'Amigalomanie : L'agenda mondial d'investissement industriel & l'opposition des mouvements de citoyens
* Chapitre XIII- L'OMC rédige la constitution de l'économie mondiale
* Chapitre XIV- Débarquement sur Planète Inc.
* Chapitre XV- Rencontres de l'élite mondiale : les rejetons du groupe Bilderberg
* Chapitre XVI- Détournement du développement durable par les lobbies industriels
* Chapitre XVII- Comment l'industrie profite des menaces des modifications climatiques
* Chapitre XVIII- Quand l'ONU drague l'industrie
* Chapitre XIX- Alternatives économiques & politiques
* Annexe I- Dans le labyrinthe bruxellois
* Annexe II- Brève histoire de l'Union européenne
* Annexe III- Liste des entreprises dont les dirigeants participent à la Table Ronde
* Annexe IV- Sources
* Annexe V- Glossaire des abréviations* Notes
Notes
* Susan George Préface
*
* Collectif Introduction
*
* Chapitre I- L'Europe des grandes firmes
1. « Lobbyists Swarm to Europe’s Washington D.C. », The European, 15 juin 1998, p. 10.
2. Le Centre for Responsive Politics, basé aux États-Unis, a estimé que le nombre de professionnels faisant pression sur Washington s’élevait, en 1997, à 11 500, soit 21 par membre du Congrès <www.opensecrets.org/pubs/lobby/98.summary.htm>.
3. David Cohen, « The European Business Interestand the Nation State : Large Firm Lobbying in the European union and member states », Journal of European Public policy, n° 4, 1er mars 1997, p. 91-108.
4. Idem.
5. The European Public Affairs Directory, publié annuellement par Landmarks (Belgique).
6. Maria Green Cowles, « The U.E. Commitee of Am Cham : The Powerful Voice of Américan firms in Brussels », Journal of European Community, n° 3, 3 septembre 1996, p. 339-358. Les grandes lignes des propositions du membre de la Commission A. Spinelli sont présentées dans le document Multinational Undertakings in the European Community. À la même époque, de grandes entreprises américaines ont été conduites devant la Cour européenne de justice pour avoir abusé du pouvoir conféré par leur position commerciale dominante et la Cour européenne a travaillé sur la réglementation du comportement des multinationales dans des domaines tels que la fiscalité, l’emploi et la politique de développement.
7. Entretien personnel avec Glyn Ford, 26 janvier 1999.
8. Davignon a été membre de la Commission européenne pour l’Industrie entre 1977 et 1984 ; Perrissich a été directeur général du même service dans les années 1980.
9. Directeur général du bureau Goldamn-Sachs à Francfort, commentant la révolte de l’industrie contre les projets de réforme fiscale du gouvernement allemand (« Pressure on Schröder for Sweeping Changes », International Herald Tribune, 24 mars 1999).
10. Handelsblatt, 10 mars 1999. Le géant de l’électronique Ericsson réimplante une partie de ses bureaux à Londres et menace toujours de quitter complètement la Suède. On peut encore citer les exemples de Stora Enso, le producteur finno-suédois de papiers et produits forestiers, le géant pharmaceutique britanno-suédois Astra-Zeneca ou les banques Merita et Nordbanken. En Suède, le taux des impôts industriels n’est en fait que de 28 %, mais les entreprises demandent également la réduction de l’impôt sur le revenu à barème progressif (jusqu’à 60 % pour les plus hauts revenus) et des taxes sur les revenus provenant d’actions. Un Groupe de travail sur la croissance spécialement mandaté par le gouvernement et composé de représentants de grandes entreprises et de syndicats a recommandé une baisse générale des impôts sur le revenu (et l’amélioration de l’éducation) pour que la Suède devienne « internationalement compétitive ».
11. « Lafontaine Fights a Rear Guard to Defend Taxe ambitions », Financial Times, 6 et 7 mars 1999. À cause de ces dégrèvements, allocations et autres échappatoires, l’Allemagne est en fait – malgré des impôts industriels entre 30 et 45 %, donc officiellement assez hauts –, le pays du G7 à recevoir le plus faible revenu de ses impôts en termes de pourcentage du PNB. Les propositions du gouvernement incluaient la diminution de certaines parties des impôts industriels et une baisse ultérieure du taux de base de l’impôt sur le revenu en combinaison avec l’inauguration d’un nouvel éco-impôt sur l’énergie et la suppression de plusieurs possibilités de dégrèvement des impôts industriels. Ce sont ces dernières propositions qui ont enragé l’industrie allemande.
12. « Lafontaine Fights a Rear Guard to Defend Taxe ambitions » Financial Times, 6 et 7 mars 1999 ; « Pressure on Schröder for Sweeping Changes » International Herald Tribune, 24 mars 1999 ; « Taxes drive corporat flight », The European, 7 décembre 1998. La fusion du producteur chimique Hoechst avec l’entreprise française Rhône-Poulenc en la nouvelle compagnie Avantis est partiellement une réimplantation. En déplaçant une partie de ses activités en France, Hoechst cherche à fuir les impôts et le système allemand de « Mittbertimmung » (codétermination), qui accorde un certain nombre de sièges aux syndicats dans les conseils consultatifs. Le conseil consultatif d’Avantis ne comprendra pas de représentants des travailleurs.
13. Une lettre tombée entre les mains de la presse a révélé qu’un groupement de 22 directeurs exécutifs avait, avec insistance, tenté d’obtenir que le chancelier Schröder « serre la bride » à Lafontaine.
14. Gunther Hoffmann, « Wer regiert die Republik ? », Die Zeit, 18 mars 1999 (1999/12).
15. Ce commentaire a été fait lors de la réunion annuelle des actionnaires de Bayer, le 30 avril 1999 à Cologne (information personnelle de Philip Minkes, Coordination Against Bayer Dangers, Allemagne).
16. « Irish Reined in by Brussels », The European, 30 octobre 1997. Boston Scientific, par exemple, a fermé ses sites danois et développé ses activités en Irlande. Plusieurs compagnies aériennes projettent également de fermer les bureaux sur le continent et d’ouvrir des bureaux centraux de billetterie à Dublin.
17. The New European Economy Revised, Loukas Tsoukalis, Oxford University Press, 1997.
18. En 1995, l’Europe avait vu 237 fusions et acquisitions ; 17 % y étaient internationales pour plus de 25 % en 1998 (selon Jürgen Schremp, directeur exécutif de DaimChrysler).
19. « The Atlantic Century ? Once again the US and Europe are the Twin Drivers of the World Economy », Business Week, 8 février 1999.* Chapitre II- Travaux de fondation
1. Dans un souci de simplicité, nous avons rangé la pléiade de cabinets consultatifs, d’agences de relations publiques ou d’affaires publiques, de cabinets politiques, etc. sous le terme générique de « relations publiques ».
2. Entretien personnel avec Laurentien Brinkhorst, Bruxelles, 17 février 1999.
3. Entretien personnel avec Frank Schwaba-Hoth, Bruxelles, 17 février 1999
4. John Stauber et Sheldon Rampton, Toxic Sludge is Good for you ! Lies, Damn lies and the Public Relation Industry, Common Courage Press.
5. Sharon Beder et Global Spinn, The Corporate Assault on environmentalism, Green Books, 1997.
6. Claudia Peter, « The Clandestin Threat : Astroturf Lobbying in Europe », discours pour la conférence Next five minutes à Amsterdam, 12-14 mars, 1999, non publié.
7. Entretien avec Frank Schwaba-Hoth, op. cit.
8. « Lobbyist Swarm to Europe’s Washington DC », op. cit.
9. Entretien avec Laurentien Brinkhorst, op. cit.
10. Cité in Europa B.V., V.P.R.O Télévision, diffusé aux Pays-Bas, le 19 octobre 1997.
11. Idem.
12. Idem.
13. Idem.
14. CEObserver, n° 0, octobre 1997, édité par nos soins.
15. Entretien avec Laurentien Brinkhorst, op. cit.
16. Idem.
17. Idem.
18. Idem.
19. Idem.
20. Idem.
21. Idem.
22. Idem.
23. Idem.
24. Invitation à la conférence d’Entente Pressure Politics : Industry’s Reponse to the Pressue Group’s challenge, 4 juin 1998.
25. Selon Maria Laplev directrice du bureau de conseils GPC Market Access Europe.
26. Voir le site Internet de McLibel <http://www.mcsputlight.org/>.
27. Président du European Policy Centre. Cité par Rony Watson, « Crossing the business and Political Divide », European Voice, 9 juillet 1998.
28. Idem.
29. « CPES Corporate en Inner Circle Members », <http://wwwceps.be/>.
30. Idem.
31. Cité par Rony Watson, « Crossing the business and Political Divide », op. cit.
32. Mr. Crossick, a British corporate lawyer who set up his lobby firm in Brussels in 1977, managed to add to the Maastricht treaty a 68-word paragraph worth US$1 to $2 billion per word in savings to the European pension industry. Without these words, pension funds could have been forced to equalise the pension payments they had made to men and women since 1957 (Charlemagne, « EU : The Brussels Lobbyists and the Struggle for Ear-Time », The Economist, 14 July 1998).
33. Site Internet de l’EPC, <http://www.theepc.com>.
34. After Cardiff Which Way for the European union ? European Policy Centre, 30 juin 1998.
35. Rony Watson, « Crossing the Business and Politicy Divide », op. cit.* Chapitre III- Rédaction du script : la Table Ronde des industriels européens
1. Cité par J. Hallen & R. Thoren, « Det hänger pa kontakterna », Metallarbetaren, avril 1993.
2. Site Internet de l’ERT, 1999, <http://www.ert.be/pc/enc_frame.htm>.
3. Keith Richardson, « Managing Europe : the Challenge to the Institutions », février 1998.
4. Citation extraite de Kritiska EU Fakta, 24 octobre 1994.
5. Entretien personnel avec Keith Richardson, Bruxelle, 21 février 1997. Les chapitres consacrés à l’ERT sont largement basés sur des entretiens avec Richardson (ex-secrétaire général de l’ERT) et Wim Philipa (actuel secrétaire général de l’ERT) parce qu’il s’est avéré impossible d’obtenir des entretiens directs avec des membres de l’ERT ou leurs assistants.
6. Cité in Maria Green Cowles, « Setting the Agenda for a New Europe : The ERT and EC 1992 », Journal of Common Market Studies, vol.3, n° 4, décembre 1995, p. 501 à 525.
7. La Business Rountable est une coalition, fondéee dans les années 1970, de plus de 200 PDG de grandes firmes basées aux États-Unis.
8. Voir Maria Green Cowles, op. cit.
9. Bastiaan van Apeldoorn, « Transnational Capitalism and the Struggle over European Order », Dissertation, Institut Universitaire Européen, Florence, janvier 1999, p. 131-132. Après avoir quitté la Commission quelques années plus tard, Davignon et Ortoli sont tous deux passés dans l’industrie et devenus membres de l’ERT en tant que PDG, respectivement, du holding belge Société générale de Belgique et de la compagnie pétrolière française Total.
10. Correspondance de Paul Winby au membre de l’ERT Jacques Solvay (Solvay et Cie, ICI, 7 juin 1984), parue in Maria Green Cowles, op. cit.
11. Changing Scales : A Review prepared for the Roundtable of European Industrialists, 1985.
12. Entretien personnel avec Keith Richardson, 21 février 1997.
13. Voir Maria Green Cowles, op. cit.
14. Bastiaan van Apeldoorn et Otto Holman, « Transnational Class Strategy and the relaunching of European Integration : The Role of the European Roundtable of Industrialists », 35e convention de l’International Studies Association, Washington, 28 mars-1er avril 1994, p. 21.
15. Bochure de l’ERT, septembre 1993.
16. Missing Networks, ERT, Bruxelles, 1991, p. 17.
17. Bastiaan Van Apeldoorn, « Transnational Class Strategy and European Integration : The Strategic Project of the European Round Table of Industrialists », Thèse de maîtrise, Université d’Amsterdam, août 1994, p. 94.
18. Déclaration de Keith Richardson in Europa BV, VPRO Television, émission diffusée pour la première fois sur la télévision hollandaise le 19 octobre 1997.
19. Agence Europe, 12 décembre 1993 ; cité in Bastiaan Van Apeldoorn, op. cit., p. 246.
20. Citation de Caroline Walcot, secrétaire générale adjointe de l’ERT, extraite de Kritiska EU Fakta, 24 octobre 1994.
21. Interview pour dERTy business (vidéo), Small World Media Ltd, Londres, 1993.
22. Voir Maria Green Cowles, op. cit.
23. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
24. Courrier daté du 10 janvier 1996 de Jacques Santer à Jérôme Monod.
25. Courrier daté du 5 juillet 1995 de Jacques Santer à Jérôme Monod.
26. Dont Carlo de Benedetti (Olivetti), Étienne Davignon (Société générale de Belgique), Jan Timmer (Philips), Candido Velazquez (Telefonica), Pehr Gyllehammar (ancien PDG de Volvo).
27. Site Internet de l’ERT, 1999, <http://www.ert.be>.
28. Idem.
29. Entretien personnel avec Wim Philipa, Bruxelles, 16 décembre 1998.
30. Site Internet de l’ERT, 1999, <http://www.ert.be>.
31. Ibid.
32. Il existe actuellement onze groupes de travail. L’ERT adapte constamment les thèmes confiés à ces groupes pour traiter des problèmes du moment dans lesquels elle a un intérêt particulier.
33. Au cours de ces dernières années, l’ERT semble avoir régulièrement travaillé avec le bureau de conseil britannique Business Decisions Limited, qui fut également engagé par le lobby de l’industrie biotechnique EuropaBio [voir chap. IX] pour produire son rapport de 1997 « Benchmarking the Competitiveness of Biotechnology in Europe ».
34. Site Internet de l’ERT, 1999 : http://www.ert.be.
35. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
36. ERT, Benchmarking for Policy-Makers : The Way to Competitiveness, Growth and Job Creation, Bruxelles, 1996.
37. « Une grande partie de l’élan et de la substance même de la proposition d’évaluation comparative provient du travail originel de l’ERT – avec l’appui ultérieur du CAG. Je tiens à dire à quel point il me semble important que la Commission continue de recevoir de telles idées “pionnières” et tournées vers l’avenir, qui peuvent réellement aider l’orientation des politiques à améliorer la compétitivité de l’Europe ». Courrier de David Wright, conseiller du président de la Commission, Santer, à Keith Richardson (Bruxelles, 10 octobre 1996).
38. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
39. ERT, « Investissement dans le monde en développement : nouvelles opportunités et nouveaux défis pour l’industrie européenne », Bruxelles, novembre 1996.
40. Idem.
41. ERT, « Benchmarking for Policy-Makers : The Way to Competitiveness, Growth and Job Creation », Bruxelles, 1996, p. 2.
42. Entretien téléphonique avec Keith Richardson, 11 mars 1997.
43. « ERT Warning to European Coucil Over Enlargement », European Report, 10 décembre 1997, III, p.3.
44. Le rapport présente 17 études de cas de situations infaillibles dans chacune desquelles existe un lien entre une compagnie de l’ERT et un pays d’accueil en Europe Centrale ou de l’Est. Les compagnies impliquées sont les suivantes : BAT, Lyonnaise des Eaux, Philips et Shell en Hongrie ; Bertelsmann, BP, GKN et Saint-Gobain en Pologne ; Krupp et Unilever en Roumanie ; Lafarge, Lyonnaise des Eaux et Shell en Lituanie ; Renault en Slovénie ; Siemens en République Slovaque ; Solvay en Bulgarie et Veba en Lettonie.
45. CEECAP, « Report on the Impacts of Economic Globalisation and Changes in Consumption an Production Patterns », 1998, p. 32-37.
46. Entretien avec Wim Philipa, op. cit.
47. Eberhard von Kœrber, « The Voice of Experience », in Business Central Europe. 1997-1998, p. 18. Kœrber est le président actuel d’Asea Brown Boveri (ABB), compagnie qui fut pendant plusieurs années membre de l’ERT sous la présidence de Percy Barnevik, aujourd’hui président d’Investor AB et toujours membre de l’ERT.
48. Principal canal de soutien financier et technique de l’Union aux pays d’Europe centrale et de l’Est, Phare a été créé en 1989 pour aider à la transition économique. Étendu à 13 pays partenaires en 1996, il reçut un budget initial de 4,2 milliards d’euros (période 1990-1994), augmenté à 6,693 milliards pour la période 1995-1999. Pour une vision critique de ce programme, voir Jo Brew, « EU Aid or Asset Stripping », in Europe Inc., Corporate Europe Observatory, Amsterdam 1997, p. 62-65.
49. ERT, « The East-West Win-Win Situation », Bruxelles, février 1999, p.25.
50. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
51. European Bank for Research and Developement, « Transition Report Update », avril 1989.
52. Eurostat, 1998.
53. CEECAP, « Report on the Impacts of Economic Globalisation and Changes in Consumption an production Pattern », 1998.
54. ERT, « La création d’emplois et la compétitivité par l’innovation », Bruxelles, nov.1998.
55. Idem, p.18.
56. Cette « éducation permanente » veut préparer des employés toujours plus souples pour un recyclage à vie, les adaptant aux changements des besoins de l’industrie en main-d’œuvre. Les réformes de l’éducation de l’ERT ont été présentées in « Education for Europeans » (1995) et « Investing in Knowledge » (1997).
57. ERT, « Job Creation and Competitiveness through Innovation », Bruxelles, novembre 1998.
58. Entretien personnel avec Wim Philipa, Bruxelles, op. cit.
59. Nicholas Hildyard, Colin Hines et Tim Lang, « Who Competes ? Changing Landscapes of Corporate Control », The Ecologist, vol. 26, n° 4, juillet / août 1996, p. 131.
60. Competitiveness Advisory Group, « Capital Market for Competitiveness : Report to the President of the European Commission, the Prime Ministers and Heads of State », juillet 1998.
61. Magnus Grimond, « Pilkington lops 1500 job in costs drive », Associated Newspapers Ltd, 29 octobre 1998.
62. Jacques Santer, introduction au premier rapport du CAG, « Enhancing European Competitiveness », juillet 1995.
63. Carlo Ciampi s’est retiré du CAG en mai 1996, lorsqu’il a réintégré le gouvernement italien en tant que ministre du Trésor. La présidence du CAG fut alors reprise par l’ex-membre de l’ERT Floris Maljers (Unilever).
64. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
65. CAG, « Enhancing European Competitiveness. Third Report to the President of the Commission, the Prime Ministers and the Heads of State », juin 1998.
66. Idem.
67. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
68. Entretien personnel avec Zygmunt Tyszkiewicz, Bruxelles, 18 mars 1997.
69. Entretien personnel avec Keith Richardson, op. cit.* Chapitre IV- L' UNICE, une machine de pression bien huilée
1. Prospectus promotionnel de l’UNICE.
2. Entretien personnel avec Christophe de Callatäy, Bruxelles, 18 novembre 1998.
3. Idem.
4. Idem.
5. Entretien avec Zygmunt Tyszkiewicz, op. cit.
6. Idem.
7. Entretien avec Christophe de Callatäy, op. cit.
8. . Idem.
9. Idem.
10. Entretien avec Christophe de Callatäy, op. cit.
11. Le traité de l’Union demande à la Commission de consulter les dirigeants et les travailleurs, ses soi-disants « partenaires sociaux ». La Commission est censée solliciter leurs opinions ou recommandations avant de soumettre des propositions législatives au Conseil. Les « partenaires sociaux » peuvent également choisir de négocier un accord pour la mise en place de cette proposition, qui est ensuite adoptée à leur requête comme décision du Conseil. L’ensemble de ces processus est rassemblé sous le terme de « dialogue social ». Depuis juin 1999, l’UNICE, l’Union européenne des artisans et des petites et moyennes entreprises [UAEPME], la Confédération européenne des employeurs du secteur public [CEEP] et la Confédération européenne des syndicats [ETUC] sont officiellement reconnus comme « partenaires sociaux » du « dialogue social ».
12. Idem.
13. Idem.
14. Entretien avec Zygmunt Tyszkiewicz, op. cit.
15. Entretien avec Christophe de Callatäy, op. cit.
16. Entretien avec Zygmunt Tyszkiewicz, op. cit.
17. Idem.
18. Idem.
19. « Évaluation comparative de la compétitivité : de l’analyse à l’action », Bruxelles, décembre 1997.
20. Idem.
21. Idem.
22. Entretien avec Christophe de Callatäy, op. cit.
23. Mis en place au sommet d’Amsterdam de juin 1997, le Pacte de stabilité et de croissance est un ensemble rigide de critères économiques établi dans le but de maintenir, après l’entrée en force de l’UME, les déficits budgétaires en-dessous de 1 % du PNB en « temps normal » et en-dessous de 3 % en période de crise. Les pays excédant ces plafonds risquent une amende mais une clause échappatoire exempte les pays en « crise grave ». Les ministres des Finances de l’UME doivent voter pour l’application de telles sanctions (Conseil européen, « Amsterdam European Council, 16 & 17 June 1997 Presidency Conclusions, Annex 1, European Resolutions on Stability, Growth and Unemployment », Bruxelles, 17 Juin 1997).
24. Idem.
25. UNICE, « Évaluation comparative de la compétitivité… », op. cit.
26. Entretien avec Christophe de Callatäy, op. cit.
27. Idem.
28. Idem.
29. Idem.
30. « Le point de vue de l’UNICE sur les implications commerciales de l’élargissement de l’UE aux pays de l’Europe centrale et orientale », 2 décembre 1997.
31. Le terme d’« acquis communautaire » fait référence à tous les principes, politiques, lois, usages, obligations et objectifs qui ont été entérinés ou se sont développés au sein de l’Union européenne. Cet « acquis communautaire » comprend les jugements rendus par la Cour européenne de justice et établit, de ce fait, la primauté du droit communautaire sur le droit national.
32. Entretien avec Christophe de Callatäy, op. cit.
33. Idem.
34. Idem.
35. UNICE, « Preliminary UNICE comments on the Commission communication concerning the creation of a New Transatlantic Marketplace », Bruxelles, 23 avril 1998.
36. Idem.
37. UNICE, « Forthcoming WTO multilateral negotiations. Preliminary UNICE objectives », Bruxelles, 16 juillet 1998.
38. Idem.
39. Source confidentielle, Bruxelles, 21 février 1997.
40. Entretien personnel avec Zygmunt Tyszkiewicz, op. cit.* Chapitre V- L'AmCham au diapason des choeurs industriels de Bruxelles
1. Entretien personnel avec John Russell, directeur des Affaires européennes de l’AMCHAM, 16 décembre 1998. Northern Telecom, SmithKline Beecham et Rhône-Poulenc, firmes normalement considérées comme canadienne, britannique et française, figurent parmi les exceptions. Comme l’explique John Russell : « C’est une question de mondialisation de l’industrie et de fusions, nous devons donc nous adapter ».
2. Voir <http://www.eucommittee.be/Pages/prof1.htm>, site Internet du comité européen de l’AMCHAM.
3. Début 1999, John Russell a quitté ses fonctions au comité européen de l’AMCHAM pour devenir directeur général de Shandwick Public Affairs à Bruxelles.
4. Entretien avec John Russell, op. cit.
5. Idem.
6. European Voice, 30 avril 1998. Keith Chapple est président de l’AMCHAM pour l’UE. Il est également directeur du marketing du géant des semi-conducteurs Intel, une compagnie qui a déplacé une grande partie de sa production américaine dans des pays à bas salaires tels que l’Indonésie ou la Chine.
7. Keith Chapple, European Voice, 30 avril 1998.
8. La publication par l’AMCHAM, en 1998, de « Countdown 1992 » offre, par exemple, une vue générale du processus législatif pour 282 directives originales et plus de 500 autres points de législation pour le Marché unique.
9. Entretien avec John Russell, op. cit.
10. Idem.
11. Maria Green Cowles, « The EU Committee of AMCHAM… », op. cit.
12. « EU recycling support plan worries US firms », ENDS Daily, 1er mars 1999.
13. Entretien avec John Russell, op. cit.
14. Idem.
15. Idem.
16. Maria Green Cowles, « The EU Committee of AmCham… », op. cit.
17. Entretien avec John Russell, op. cit.
18. Idem.* Chapitre VI- L'AUME, la brosse à reluire de l'Union monétaire
1. Discours devant le Conseil des directeurs de l’Association pour l’Union monétaire européenne le 26 février 1998.
2. Ces chiffres sont basés sur la liste de membres de l’AUME de novembre 1998 et celle des membres de l’ERT de janvier 1999 <http://www.amue.lf.net.aboutus/about.htm> et <http://www.ert.be/pc/enc_frame.htm>.
3. Entretien téléphonique avec Bertrand de Maigret, 11 mars 1997.
4. Entretien personnel avec Étienne Davignon, Bruxelles, 20 février 1997.
5. ERT, « Reshaping Europe », Bruxelles, 1991, p. 2.
6. Entretien avec Étienne Davignon, op. cit.
7. Discours du 26 février 1998 devant le Conseil des directeurs de l’AUME.
8. Entretien avec Bertrand de Maigret, op. cit.
9. Entretien avec Étienne Davignon, op. cit.
10. AUME, « Taking stock of 9 years of euro conferences », Euro Newsletter, n° 38, janvier/février 1999.
11. Idem.
12. Idem.
13. Idem.
14. AUME, « Rapport annuel du président pour l’année 1997 ».
15. AUME, « Preparing the Change over to the Single Currency », mai 1994.
16. « Composition ot the Expert Group on the Introduction of the Euro as the Single Currency », European Commission press release IP/94/600, 1er juillet 1994.
17. L’Institut monétaire européen [IME] fut le précurseur de la Banque centrale europénne [Europenean Central Bank : ECB]. Il s’est particulièrement consacré aux préparatifs techniques nécessaires à l’introduction de la monnaie unique et à l’élaboration d’un système européen de banque centrale avant de préparer les politiques monétaires.
18. Les Livres verts de la Commission sont des documents ayant pour but de stimuler les débats et entamer les processus de consultation au niveau européen sur des sujets tels que, par exemple, les mesures sociales, la monnaie unique ou les télécommunicatons. Ces consultations peuvent ensuite mener à la publication d’un Livre blanc qui reprend les conclusions du débat sous forme de propositions pratiques pour la Communauté (a).
`
a. « European Commission, Glossary : The Institutinal Reform of the European Union ; 200 Concepts for a Better Understanding of the Challenges Facing the European Union… », SCADPlus Database). « Green Paper on the Practical Arrangements for the Introduction of the Single Currency », European Commission, 31 mai 1995 ; « The Changeover to the Single Currency, European Monetary Institute », 14 novembre 1995.
19. À Madrid, le Conseil européen est parvenu à un accord sur le déroulement et le calendrier de l’Union monétaire. Il a été convenu que l’euro verrait le jour le 1er janvier 1999 avec des taux de change entre devises nationales des pays membres de l’Union irrévocablement établis à cette date.Remplacement total des devises nationales en 2002.
20. Par exemple « The Sustainability Report : Report of the AMUE Working Group on Sustainability of the Euro and the Convergence Criteria », Paris, février 1998.
21. Par exemple, le Parlement accorda à l’AUME un important contrat après la crise monétaire de 1992. Son conseil fut de changer le système monétaire européen et d’évoluer dans le sens de la monnaie unique.
22. Entretien avec Bernard de Maigret, op. cit.
23. Entretien avec Étienne Davignon, op. cit.
24. Idem.
25. Entretien avec Bernard de Maigret, op. cit.
26. Un membre de la Commission, Yves-Thibault de Silguy, est même allé plus loin, en proposant de réduire le montant du déficit budgétaire maximum autorisé à 1,5 % du PNB en 1999 (b).
b. « An Awfully Big Adventure », The Economist, enquête spéciale sur l’UEM, 11 avril 1998.
27. AUME, « The Sustainability Report… » op. cit.
28. La Banque centrale europénne a été fondée le 1er juin 1998, en remplacement de son prédecesseur, l’Institut monétaire européen [IME, voir note I de ce chap.] Elle est responsable des politiques monétaires de l’Union et dispose d’un pouvoir d’intervention sur le change extérieur.
29. Entretien avec Bernard de Maigret, op. cit.
30. Entretien avec Étienne Davignon, op. cit.
31. « The Euro – Special Report », Business Week, 27 avril 1998.
32. « US Raiders Lay Siege to Euroland », The European, 15-21 juin 1998.
33. Idem.
34 Exposé signé par 70 économistes hollandais et publié in De Volkskrant, 13 février 1997.
35. Propos de Ravi Bulchadani in « The Euro – Special Report », op. cit.
36. « Why We Believe in the Euro », Newsweek, numéro spécial, novembre 1998-février 1999, p. 38.
37. La Banque centrale a, en fait, baissé le taux d’intérêt des pays de l’euro-zone après la démission de Lafontaine. Mais celui-ci voulait baisser les taux d’intérêt pour réduire le chômage – ce à quoi Duisenberg s’était opposé. Les taux d’intérêt furent finalement baissés, mais pour des raisons purement monétaires.
38. David Bowers, stratège d’équité européenne pour Merrill Lynch & Co., cité in « The Euro – Special Report », op. cit.* Chapitre VII- Faire des affaires : le traité & les lobbies
1. Traité de Maastricht, Titre VII, Provisions finales, Article n° 2, 1991.
2. Présidé par Carlos Westendorp – alors secrétaire d’État espagnol aux Relations européennes –, ce groupe de réflexion était composé de 15 représentants des États membres de l’Union, un représentant de la Commission et deux membres du Parlement. Il est officiellement entré en fonction le 2 juin 1995.
3. Rapport final du groupe Westendorp, 5 décembre 1995.
4. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
5. Idem.
6. Idem.
7. Jérôme Monod (alors président de la Lyonnaise des Eaux) et Gerhard Cromme (Krupp) reprirent plus tard la présidence de ce groupe de travail.
8. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
9. Idem.
10. Entretien avec Zygmunt Tyszkiewicz, op. cit.
11. Keith Richardson, « Managing Europe… », op. cit.
12. UNICE, « Contribution to the Intergovernmental Conference », 15 mars 1996, p. 4.
13. La codécision est l’une des procédures de prise de décision élaborées dans le Traité de Maastricht qui donne au Parlement une sorte de droit de veto. Par la codécision, le Parlement européen peut soumettre les propositions du Conseil à des amendements. Si le Conseil ne les accepte pas, la proposition est retournée au Parlement pour une seconde lecture. Si le Parlement s’en tient à ses amendements, une procédure de conciliation est entamée, qui ne dépassera pas trois mois.
14. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
15. La procédure de codécision a été étendue de manière à inclure les décisions sur l’emploi, les « secteurs porteurs », la coopération des douanes, les mesures sociales, l’égalité des chances, la santé publique, la transparence et la lutte anti-fraude. Les domaines de politique générale tels que l’harmonisation de la législation, l’agriculture, la fiscalité, l’industrie, la cohésion ainsi que la politique étrangère commune et les secteurs de la sécurité, de la Justice et de l’Intérieur restent sous la procédure de consultation, qui n’offre qu’un pouvoir très limité au Parlement européen.
16. Keith Richardson, « Managing Europe… », op. cit.
17. UNICE, « Contribution to the Intergovernmental Conference », op. cit.
18. Commission européenne, « Single Market : Action Plan bears fruit », publication IP/99/128, Bruxelles, 23 février 1999.
19. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
20. Entretien avec Zygmunt Tyszkiewicz, op. cit.
21. UNICE, « Contribution to the Intergovernmental Conference », op. cit.
22. Entretien téléphonique avec Keith Richardson, 11 mars 1997.
23. Idem.
24. Idem.
25. Conclusions de la Présidence du Sommet d’Amsterdam (SN 150/97), Annexe, p. 10.
26. « Employment Chapter Offers Few Ideas », European Voice, 26 juin 1997, p. 15.
27. Traité d’Amsterdam, Article 109n.
28. Zygmunt Tyszkiewicz, « Employment Chapter Offers Few Ideas », European Voice, op. cit.
29. Zygmunt Tyszkiewicz, « Employment and Competitiveness » paru dans : « Challenge Europe : Making Sense of the Amsterdam Treaty », European Policy Centre, Bruxelles, juillet 1997.
30. Conclusions de la Présidence du Sommet d’Amsterdam (SN 150/97), op. cit.
31. « Business Viewpoint », in « Challenge Europe… », op. cit., p. 53.
32. Entretien téléphonique avec Keith Richardson, 11 mars 1997.
33. Entretien avec Zygmunt Tyszkiewicz, op. cit.
34. Rapport de position de l’ERT sur la Conférence Intergouvernementale, 28 octobre 1996.
35. Courrier de Jacques Santer aux chefs d’État et de gouvernements, 16-17 juin 1997.
36. « Extra Trade Deals Powers Left Open », European Voice, 26 juin 1997, p. 19.
37. Keith Richardson, « Managing Europe… », op. cit.
38. Le Traité d’Amsterdam a été approuvé par une majorité d’électeurs lors de référendums en Irlande (55 %) et au Danemark (62 %). Aujourd’hui ratifié par tous les Parlements nationaux de l’Union, il est entré en vigueur le 1er mai 1999.
39. Communiqué de presse de l’UNICE, 18 juin 1997.
40. Entretien avec Christophe de Callatäy, op. cit.
41. Keith Richardson, « Business Viewpoint », op. cit.
42. Voir, par exemple, « Reshaping Europe », ERT, 1991, p. 58.
43. Keith Richardson, « Business Viewpoint », op. cit.* Chapitre VIII- De l'huile dans les rouages : l'infrastructure européenne des transports
1. Propos de Kinnock, commissaire au Transport, lors de la conférence « Combler les fossés du financement de l’infrastructure », à Amsterdam, le 31 mars 1998.
2. Commission européenne, « 1998 Report on the Implementation of the Guidelines and Priorities for the Future », Bruxelles, 1998.
3 . Cette somme proviendra de divers fonds antérieurs à l’accession ainsi que des fonds de structure et de cohésion de l’UE (T&E Bulletin, mai 1998).
4. Greenpeace Suisse, Missing Greenlinks, « Examination of the Commission’s Guidelines for a Decision about the Trans-European Networks and Proposal for Ecological Restructuring », 1995.
5. ERT, « Missing Links », Bruxelles, 1984 ; ERT, « Missing Networks », Bruxelles, 1991.
6. Pehr Gyllenhammar, courrier à Hans Merkle, président de l’enreprise allemande Bosch, paru in Maria Green, « The Politics of Big Business in the Single Market Program », mai 1993, p. 3.
7. ERT, « Beating the Crisis », 1993, p. 22.
8. Entretien avec Keith Richardson, op. cit.
9. ERT, ECIS, « An Invitation to Participate », Bruxelles, 1993.
10. Un dépliant de l’ECIS daté de 1994 explique le choix de Rotterdam : « À une distance convenable de Bruxelles, cette région abrite des institutions de recherche de premier ordre et offre des solutions modèle aux problèmes complexes de l’investissement collectif dans une société moderne ». Pour la composition de l’ECIS, voir « An Invitation to Participate », op. cit. Le caractère stratégique de la création de ce groupe avait déjà été présenté en 1989 dans le rapport de l’ERT, « The Need for Renewing Transport Infrastructure in Europe », qui insistait sur l’importance de réunir le secteur public, l’industrie, les banques, les entreprises de services et les institutions privées pour surmonter les obstacles de la mise en place de l’infrastructure.
11. Ainsi, DG VII (Transports) obtient en décembre 1994 un séminaire pour 45 représentants d’Europe centrale et orientale, « Attracting Private Finance for Transport Infrastructure in Central and Eastern Europe Countries », qui fut financé par le programme Phare.
12. Ce groupe de travail était constitué de fonctionnaires d’États membres de l’Union. Son président, Henning Christophersen, alors vice-président de la Commission, la quitta en 1995 pour rejoindre le conseil d’administration de l’ECIS en 1996.
13. « Une entité opérant sous statut légal privé définirait les projets puis rechercherait les fonds aussi bien auprès du secteur public que du secteur privé. […] Même dans les cas – comme celui des trains à grande vitesse – où la mise publique pourrait approcher les 70 % », in ECIS Newsletter, octobre 1994, p. 2.
14. Idem.
15. Ces propositions ont été publiées par l’ECIS sous le titre « Making It Happen : Building and Financing TENs ». Durant cet automne mouvementé, l’ECIS a également publié « Investment in Transport Infrastructure : The Recovery in Europe », qui fut débattu le mois suivant, à Rotterdam, lors d’un atelier auquel participait « un panel d’officiels gouvernementaux de haut niveau du Royaume-Uni, de France et des Pays Bas ».
16. Bulletin de l’ECIS, octobre 1994.
17. Idem.
18. Le sigle PBKAL fait référence aux connexions de trains à grande vitesse entre Paris, Bruxelles, Cologne, Amsterdam et Londres que l’UE espère voir devenir la base d’un réseau couvrant l’ensemble de l’Europe.
19. Bulletin de l’ECIS, décembre 1994. Voir la critique de ce rapport, « Lost and Found : the Community Component of the Economic Return on the Investment in PBKAL », in « Missing Greenlinks », Greenpeace, 1995.
20. Commission européenne, « The Likely Macroeconomic and Employment Impact of Investments in Trans-European Transport Networks », (SEC(97)10), 1997.
21. La décision de fermer l’ECIS fut prise lors de sa 4e assemblée annuelle après une « évaluation attentive » de « ses chances de survivre à la critique générale dont ses ressources financières et humaines faisaient l’objet », in Bulletin de l’ECIS, juin 1997.
22. La Fédération de l’industrie européenne représente 30 organisations de contracteurs provenant de 22 pays, soit un total de 1,9 millions d’entreprises et de 10 millions d’employés. Le personnel de son secrétariat à Bruxelles est composé de 8 employés mais une grande partie du travail est effectuée par de nombreuses « sous-commissions » constituées de représentants des organisations nationales <http://www.fiec.be/>.
23. Le Forum européen de la construction est constitué de la FIEC (contracteurs), de l’ACE (architectes), de l’EFCA (ingénieurs conseil), de l’UEPC (lotisseurs et constructeurs), du CEPM, du CEMBUREAU et de l’EAPA (producteurs de matériel de construction) ainsi que de la FETBB (travailleurs de la construction) <http://www.fiec.be/>.
24. « La Fédération routière internationale [International Road Federation = IRF] a dirigé le développement d’une nouvelle coalition des principales associations routières et de transports sous la forme d’un nouveau groupement nommé Coalition européenne pour des transports cohérents [European Coalition for Sustainable Transport = ECST] », rapport annuel de l’IRF, 1998.
25. Publication de l’ERF, 2 février 1999.
26. Propos de Wim Westerhuis, in Peter Chapman, « TEN’s Funding Faces Uphill Struggle », European Voice, 19 mars 1998.
27. « The Transport Challenge », Frontier-free Europe, novembre-décembre 1996, p. 10.
28. Tim Jones, « Commission Urges Euro Area to Boost Investment », European Voice, 26 novembre 1998.
29. Peter Chapman, « Private Sector Help Sought for TENs », European Voice, 29 janv. 1998.
30. Tim Jones, « Commission Urges Euro Area to Boost Investment », European Voice, 26 novembre 1998.
31. Les PME ont également demandé à la Commission « de proposer de nouvelles formes de financement à long terme et de possibilités d’obtenir plus facilement des capitaux spéculatifs (a). »
a. Rory Watson, « MEPs Warn of Funding Shortfall Threat to TENs », European Voice, vol. 4, n° 40, 5 novembre 1998.
32. T&E, « Roads and the Economy », Bruxelles, 1996
33. « Transport Investment, Transport Intensity and Economic Growth », rapport intérimaire du Standing Advisory Commitee on Trunk Road Assesment, publié le 9 février 1998 par le département britannique de l’Environnement, des Transports et des Régions.
34. Commission européenne, « 1998. Report on the Implementation of the Guidelines and Priorities for the Future », Bruxelles, 1998, p. 5.
35. T&E, Transport and Environment Bulletin, octobre 1998.
36. Selon les propres mots de son président François Cornelis, PDG de Petrofina et membre actif de l’ERT, EUROPIA, qui fut fondée en 1989, « informe la Commission européenne, le Conseil des ministres, le Parlement européen ainsi que diverses autres institutions européennes et le grand public sur les problèmes ayant un intérêt pour l’industrie européenne située en aval » <http://www.europia.com/>.
37. Le 6 juillet 1998, quelque jours seulement après l’adoption définitive du Programme sur le carburant automobile, Elf annonça qu’elle commencerait dès l’automne à approvisionner ses stations services britanniques en diesel produit conformément aux normes de 2005 du dit programme – soit avec moins 90 % de soufre (entretien avec Frazer Goodwin, directeur de la communication, Transport & Environment, 17 février 1999).
38. Entretien personnel avec Annette Hauer, assistante au groupe écologique du Parlement européen, Bruxelles, 26 Janvier 1999.
39. T&E, Transport & Environment Bulletin, août-septembre 1998.
40. « Commission Outlines Measures to Reduce Carbon Dioxide Emisssions from Transport », Bruxelles, 31 mars 1998 <http://europa.eu.int/>.
41 . En réduction sur les 30 % de 1970, seuls 14 % du fret est à l’heure actuelle transporté par voie ferroviaire en Europe.
42. Chris Johnston, « No Smooth Ride for Transport Sector », European Voice, 24 janv.* Chapitre IX- L'Europe gavée par le lobby biotechnique
1. Enquête d’International Research Associates, Niccolo Sarno, « Poll Finds Europeans Mistrust State And Science », IPS, Bruxelles, 6 octobre 1997.
2. Menée auprès de 16 000 personnes à travers l’Union européenne, cette étude a dévoilé que 74 % de la population désirait que ces produits soient étiquetés et que 28 % seulement pensaient que la réglementation devrait être laissée au bon vouloir de l’industrie ; 60 % ont déclaré penser que seules les méthodes d’élevage traditionnelles devraient être utilisées pour les animaux fermiers.
3. European Bionews, décembre 1993. L’ancêtre d’EuropaBio, le SAGB, fut elle créé en 1989 « pour constituer un forum industriel de haut niveau ayant pour but de traiter les problèmes politiques affectant la biotechnologie dans la CEE ».
4. Conférence du Club de Bruxelles, « The Future of Biotechnologies in Europe : From Research and Development to Industrial Competitiveness », 26-27 septembre 1996, European Bionews, n° 10, novembre 1996.
5. Les autres membres fondateurs étaient Akzo Pharma, Dupont, Eli Lilly, Ferruzi Group, Gist-Brocades, Hoechst, Hoffman-La Roche, ICI, Sandoz, Schering et SmithKline Beecham.
6. Quelques titres de rapports du SAGB : « Community Policy for Biotechnology : Priorities and Actions » (janvier 1990), « Economic Benefits & European Competitiveness » (juillet 1990), « Creation ot a Community Task Force and Independant Consultative Body » (octobre 1990) et « Benefits & Priorities for the Environment » (novembre 1991).
7. EuropaBio, European Bionews, n° 2, mai 1994.
8. « À une époque où le secteur biotechnique européen se bat pour maintenir sa position compétitive, la situation réglementaire de l’UE semble avoir fait un pas en arrière vers des marchés nationaux fragmentés. L’ERT a souligné ce problème lors d’une réunion avec le président de la Commission, Jacques Santer, le mois dernier en demandant comment les compagnies pouvaient opérer efficacement alors que l’UE peut décider d’une politique spécifique tandis que les États membres peuvent individuellement imposer leur propre contrôle souvent contradictoire. L’exemple récent du maïs génétiquement modifié, pour lequel l’autorisation de mise sur le marché de l’UE a aussitôt été suivie de mesures nationales restreignant sa mise sur le marché, illustre bien cela. EuropaBio va travailler en étroite collaboration avec l’UE et les autorités nationales pour tenter de trouver une solution. » EuropaBio, European Bionews, n° 11, mars 1997.
9. Jacques Delors, « Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l’emploi », 1993.
10. Idem.
11. « Communications Programmes for EuropaBio », Burson-Marsteller, janvier 1997.
12. Idem, p. 3.
13. Idem, p. 8
14. Idem, p. 15-16.
15. Jacob Langvad, « Biotech industry has slept during classes », Berlingske Tidende, 27 Juin 1997.
16. Propos extraits de la déclaration du dramaturge italien Dario Fo pour la cérémonie de remise du prix Nobel en 1997.
17. Cité in Niccolo Sarno, « Poll Finds Europeans… », op. cit.
18. Cette « étude indépendante spécialement commanditée » l’a été à la demande d’EuropaBio. Elle fut menée par une équipe composée d’enquêteurs de Business Decisions Limited et d’experts en biotechnologie issus du Science Policy Research Group de l’Université du Sussex. Businnes Decisions Limited est un « consultant spécialisé dans la compétitivité et les problèmes de réforme réglementaire » – il est responsable des deux derniers rapports de l’ERT.
19. La FEBC, dont le secrétariat se trouve dans les locaux d’EuropaBio, est composée de l’AMEEP (alimentation et enzymes alimentaires), de la CEFIC (produits chimiques), du CIAA (Alimentation), de COMASSO (horticulture), de l’EDMA (produits diagnostiques), de l’ECPA (produits de protection des plantes), de l’EFPIA (produits pharmaceutiques), du FAIP (animaux fermiers), de la FEDESA (produits vétérinaires), de la FEFAC (engrais), de la FEFENA (additifs alimentaires) et du GIBIP (plantes et graines).
20. FEBC, « FEBC’s Views on the “Directive on the Legal Protection of Biotechnological Inventions” », Bruxelles, 1997.
21. « L’Europe occidentale est le plus grand marché mondial pour les produits chimiques. L’industrie chimique européenne devrait donc avoir une certaine avance sur les autres régions dont les marchés internes sont moins importants. Cependant, les difficultés à obtenir une protection par brevetage efficace dans la région signifie que ce marché n’est pas aussi facilement exploitable par l’industrie de haute technologie qu’il le devrait, ce qui défavorise les compagnies chimiques basées en Europe par rapport à, par exemple, leurs homonymes américains », in « Patents : Key to Innovation in Europe », document de prise de position de la CEFIC, novembre 1996, p. 3.
22. ECOBP, « The Big Mirage : The Misuse of the Patient with Hereditary Diseases Before the EP’s vote in 1997 », document de fond, mars 1998, p. 4.
23. Idem, p. 7.
24. GIG, « Position on the European Biotechnologie Directive », 19 novembre 1997.
25. « The Life Industry 1997 : The Global Enterprises that Dominate Commercial Agriculture, Food and Health », communiqué du RAFI, novembre-décembre 1997.
26. « Seeds of Discontent : The Pros and Cons Of Gene-Spliced Food », Business Week, 2 février 1998, p. 62-63.
27. John Arlidge, « Brit Advertising Standards Authority slams Monsanto », Observer, Londres, 28 février 1999.* Chapitre X- La mondialisation régie par l'industrie
1. Josh Karliner, The Corporate Planet : Ecology and Politics in the Age of Globalization, Sierra Club, 1998.
2. « Acting in Harmony on World Trade », European Voice, 16-22 janvier 1997.
3. Avant l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam le 1er mai 1999, le Comité 133 était connu sous le nom de Comité 113.
4. Entretien avec le parlementaire Michael Hindley, Bruxelles, 17 février 1999.
5. John Cavanagh, Background for the Global Financial Crisis, Institute for Policies Studies, septembre 1998.
6. « World Bank estimates 200 million “new poor” », Associated Press, jeudi 3 juin 1999.
7. UNCTAD, conclusion du « Rapport 1997 sur le commerce et le développement ».
8. Idem.
9. Idem.
10. Idem.
11. Voir par exemple European Economy : Report and Studies, n° 3, 1997.
12. Josh Karliner, The Corporate Planet…, op. cit.
13. Jobs and the Giants, World Development Movement, février 1998.
14. En tenant compte des investissements des filiales locales des multinationales, la somme totale de l’investissement étranger s’élevait à 1 600 milliards de dollars en 1997 (UNCTAD, « World Investment Report 1997 »).
15. UNCTAD, « World Investment Report 1997 ».
16. Ces programmes demandaient aux gouvernements endettés d’offrir les garanties suivantes : droit aux investisseurs étrangers d’investir dans tous les secteurs économiques ; assouplissement des normes relatives au travail et à l’environnement pour attirer les investissements ; suppression des réglementations du marché boursier limitant les cessions immédiates et la circulation des capitaux ; prévention contre l’adoption de réglementations qui pourrait limiter ou contrôler l’investissement étranger dans leur pays.
17. Au Brésil, par exemple, Spanish Telefonica a acheté une grande partie de la compagnie de téléphone récemment privatisée Telebras. Les Hollandais d’ABN AMRO possèdent Banco Real. Et le géant des supermarchés français Carrefour a repris la chaîne de magasins Lojas Americanas pour renforcer sa position sur le marché local par rapport au détaillant portugais Sonae et au géant américain Walmart. Une seule des huit plus importantes banques argentines est toujours argentine – elles étaient cinq en 1994. On s’attend à ce que cette vague d’acquisitions continue puisque de nouveaux secteurs, tels que l’eau et l’épandage, sont maintenant privatisés (« Snapping Up South America », Business Week, 18 janvier 1999).
18. UNCTAD, « World Investment Report 1997 ».
19. Roy Jones, « MAI : Union Seeks Safeguards », in International Union Rights, vol. 5, n° 1, 1998, p. 5.
20. Hilary F. French, Investing in the Future : Harnessing Private Capital Flows for Sustainable Development, Worldwatch Institute, 1998.* Chapitre XI- La connexion transatlantique
1. Commission européenne, « The New Transatlantic Marketplace », Bruxelles, 11 mars 1998.
2. UE-USA : « France Confirms to Council its Rejection of Sir Leon Brittan’s Ideas on New Transatlantic Market », Agence Europe, Bruxelles, 30 mars 1998.
3. Une communiqué interne du Senior High Level Group indique que le gouvernement français n’était, en fait, pas fondamentalement opposé à l’idée d’entamer des négociations relatives à un système du type de celui du NMT : la férocité du discours lors de la rencontre des ministres de l’Union était destinée à la « consommation publique » (Public Citizen, « Alert : New Transatlantic Marketplace (NTM) Lives », 9 mai 1998).
4. Ainsi que l’explique une source institutionnelle, « la face est sauvée pour tout le monde : la France tue le NMT mais le sommet va continuer à discuter la libéralisation du commerce ; les éléments du NMT continuent donc de vivre » (« Inside US Trade », 1er mai 1998, p. 5).
5. « New TEP to Accelerate Trade Growth », déclaration presse, Maison-Blanche, 18 mai 1998.
6. « Déclaration du Sommet UE-USA sur le TEP », Londres, 18 mai 1998.
7. « Plan d’action du TEP », Bruxelles, 9 novembre 1998.
8. Idem.
9. « Déclaration du sommet UE-USA… », op. cit.
10. « Nous allons établir entre nous un dialogue régulier dans le but de garantir une plus grande collaboration à l’approche de la Conférence ministérielle de 1999 à l’OMC, en vue de diriger et faciliter les préparations entamées en mai 1998. Ce dialogue se déroulera de façon pragmatique et sera précédé, à partir de maintenant, d’une série de réunions aux niveaux officiel et ministériel jusqu’à la réunion ministérielle de 1999 à l’OMC » (« Plan d’action du Partenariat… », op. cit.).
11. Pour illustrations, voir « US Barriers to Trade Investment », CEObserver, avril 1998.
12. « Plan d’action du TEP… », op. cit.
13. « New TEP… », op. cit.
14. Déclaration de Mary C. Sophos, vice-présidente des Affaires gouvernementales, Grocery Manufacturers of America, avant le Committee on Ways and Means, Subcommittee on Trade, 28 juillet 1998.
15. Idem.
16. Déclaration sur les relations commerciales entre UE et USA avant le House Ways and Means Trade Subcommittee, 28 juillet 1998.
17. Idem.
18. Idem.
19. Idem.
20. Déclaration de Mary C. Sophos, op. cit.
21. Idem.
22. « Déclaration du sommet UE-USA… », op. cit.
23. Courrier du Community Nutrition Inst. à l’US Trade Representative (USTR), 6 juillet 1998.
24. Loukas Tsoulakis, The New European Economy Revisited, Oxford UP, 1997.
25. « La réalisation de ces accords de reconnaissance mutuelle est depuis longtemps une priorité des États-Unis et de l’Union européenne, ajouta le secrétaire d’État Daley. Je tiens également à accorder crédit au TABD. Le TABD a déclaré que les ARM étaient importants : nous l’avons entendu et nous avons agi (a). »
a. TABD, « US and EU Reach Agreement on Mutual Recognition of Product Testing & Approval Requirements », communiqué de presse, 13 juin 1997).
26. Paula Stern, The Transatlantic Business Dialogue : A New Paradigm for Standards and Regulatory Reform Sector-by-Sector, Washington 1996.
27. TABD, « 1997 Rome Communiqué », Rome, 7 novembre 1997.
28. EuropaBio, European Bio-News, n° 11, mars 1997.
29. Déclaration du docteur Horst Langer, membre du Conseil d’administration de Siemens AG, à la Chambre euro-américaine de Commerce aux États-Unis : « TABD : A Step Toward Better Economic Relations », New York, 10 mars 1998.
30. Sir Leon Brittan, Globalisation : Responding the New Political and Moral Challenges, discours prononcé au Forum mondial de l’économie, Davos, 30 janvier 1997. Le nouvel agenda transatlantique a été adopté au sommet de Madrid en 1995 où a été déterminé un « plan d’action » pour renforcer les relations économiques et politiques entre l’UE et les USA. Le centre en était le TABD.
31. Site Internet du TABD, <http ://www.tabd.com/>.
32. Discours de Sir Leon Brittan : « Investment Liberalisation : A New Issue for WTO. Europe and the Challenge of Global Economy », conférence du CBI, Harrogate, 11 nov. 1996.
33. TABD, Chicago Declaration, 9 novembre 1996, p. 3.
34. Brian Coleman, « Trans-Atlantic Business Dialogue Gains Momentum at Rome Talks », The Wall Street Journal Europe, 10 novembre 1997. Selon le TABD, leur « méthode donne des résultats solides… Les administrations européennes et américaines avaient entamé de significatives actions concrètes pour un tiers des recommandations du TABD et la situation s’est depuis améliorée. De plus, plus de la moitié des recommandations de Rome du TABD ont été le sujet d’actives discussions entre le gouvernement et le milieu des affaires » (TABD, « Charlotte Statement of Conclusions », Charlotte, 7 novembre 1998).
35. Sir Leon Brittan, cité par Thimoty J. Hauser, sous-secrétaire de l’International Trade Administration, département américain du Commerce, lors de sa déclaration au Subcommittee on Trade du House Committee on Ways and Means, prononcé le 23 juillet 1997.
36. Entretien personnel avec Stephen Johnston, Bruxelles, 26 janvier 1999.
37. Idem.
38. Idem.
39. « Déclaration du sommet UE-USA sur le TEP », Londres, 18 mai 1998.
40. « Extracts from a press conference by the British Prime Minister - Tony Blair, President Clinton and President Santer », publication du Foreign Office britannique, 18 mai 1998.
41. Pour plus d’information sur le Dialogue transatlantique sur les travailleurs, consulter
<http://www.eu-osha.es/publications/conference/eu_us/index.html>.
42. Le Dialogue transatlantique pour un développement cohérent ne semble pas être très actif. Pour de minces renseignements, consulter <http://www.epe.be/>.
43. Pour plus d’information sur le Dialogue transatlantique sur les consommateurs, consulter <http://www.tacd.org/>.
44. Pour plus d’information sur le Dialogue transatlantique sur l’environnement, consulter <http://www.tiesnet.org/environment/taed.htm>.
45. Entretien avec Stephen Johnston, op. cit.
46. Wim Kok, premier ministre hollandais, cité in « TABD Participates in the US-EU Summit held in The Hague », Bulletin du Tabd, juin 1997.
47. Entretien avec Stephen Johnston, op. cit.
48. Idem.* Chapitre XII- L'Amigalomanie : L'agenda mondial d'investissement industriel & l'opposition des mouvements de citoyens
1. Ce chapitre est basé sur le rapport « Maigalomania », publié par le CEO en février 1998.
2. Notes personnelles d’Olivier Hoedeman lors de l’occupation des bureaux de la CIC, Paris, 19 octobre 1998.
3. Sir Leon Brittan, conférence sur l’investissement organisée par le Royal Institute for International Affairs (Chatham House) et la London School of Economics, in « Commission Calls on European Business to Intensify Worldwide Investment Efforts », communiqué de presse de l’EC IP/95/269, 17 mars 1995.
4. UNCTAD, World Investment Report, 1997.
5. Rapport de la CIC, « Multilateral Rules for Investment », 30 avril 1996.
6. William H. Witherell, directeur des Affaires financières, fiscales et d’entreprise à l’OCDE in « The OECD Multilateral Agreement on Investment », Transnational Corporations, vol. 4, n° 2, août 1995.
7. Sir Leon Brittan in « Commission Launches Discussion Paper on Worldwide Investment Rules », communiqué de presse de la Commission européenne IP/95/52, 19 janvier 1995.
8. Extrait du site Internet de l’USCIB, <http://www.uscib.org/policy/multinat.htm>.
9. Idem.
10. Anneke van Dok-van Weelen, ministre hollandais du Commerce extérieur, « Report to the Dutch Parliament », novembre 1995, p. 4 (d’après la traduction anglaise du CEO).
11. Depuis début 1998, l’ébauche du texte de l’AMI est disponible sur le site Internet de l’OCDE, <http://www.oecd.org/daf/cmis/mai/negtex.htm>.
12. « Speaking note European Commission representative at High-Level Meeting on the MAI », 16-17 février 1998, Paris.
13. Pourtant, plus de six mois après que les ONG l’eurent publié, l’OCDE continuait d’affirmer que le texte n’était pas disponible au public. Ainsi, en novembre 1997, son bureau allemand répondit à une demande des citoyens intéressés qu’« il devait y avoir un malentendu. Il y a une ébauche de texte. Elle est cependant interne et non disponible au public ». Fax du Dr. Herbert Pfeiffer, centre de l’OCDE de Bonn, 28 novembre 1997.
14. Rencontre avec le BIAC, 15 janvier 1998.
15. « Speaking note European Commission representative at High-Level Meeting on the MAI », 16-17 février 1998, Paris.
16. Idem.
17. Ron Plijter, « Mission Report », Commission européenne DG1, Bruxelles, 19 fév.1998.
18. OCDE, « Ministerial Statement on the Multilateral Agreement on Investment (MAI) », Paris, 27-28 avril 1998.
19. Helmut Maucher, « Firm deadline needed forMAI », ICC Business World, 15 mai 1998.
20. Notes prises par Olivier Hoedeman durant le Dialogue sur les affaires de Genève, Genève, 23-24 septembre 1998.
21. Voir également « MAI : the Reality of Six Months of “Consutation and Assessment” », CEO, Amsterdam, octobre 1998.
22. Une traduction anglaise de ce rapport est disponible sur <http://www.gn.apc.org/negreens/mai-lalu.htm>, l’original en français sur <http://www.finances.gouv.fr/pole_ecofin/international/ami0998.htm/am i0998.htm>.
23. « Internet Guerillas », Financial Times, 30 avril 1998.
24. « Katz : Activists use Internet to slow trade liberalisation. US business leader sees free-trade threat », Journal of Commerce, 12 octobre 1998.
25. Le processus le plus élaboré a eu lieu au Canada, où le mouvement anti-AMI organisa, à l’automne 1998 la « Recherche sur l’AMI. Une quête d’alternatives civiles ». Durant les trois mois qu’a duré cette opération, les groupements de citoyens locaux ont débattu des moyens de regagner le contrôle démocratique sur l’économie. Des audiences ont eu lieu à travers tout le Canada. Pour plus d’informations, consulter <http://www.canadians.org/>.* Chapitre XIII- L'OMC rédige la constitution de l'économie mondiale
* Chapitre XIV- Débarquement sur Planète Inc.
* Chapitre XV- Rencontres de l'élite mondiale : les rejetons du groupe Bilderberg
* Chapitre XVI- Détournement du développement durable par les lobbies industriels
* Chapitre XVII- Comment l'industrie profite des menaces des modifications climatiques
* Chapitre XVIII- Quand l'ONU drague l'industrie
* Chapitre XIX- Alternatives économiques & politiques
* Annexe I- Dans le labyrinthe bruxellois
* Annexe II- Brève histoire de l'Union européenne
* Annexe III- Liste des entreprises dont les dirigeants participent à la Table Ronde
* Annexe IV- Sources
* Annexe V- Glossaire des abréviations
* Notes
1